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La
chronique du héraut d'armes Berri - index
VI
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e roy estoit à Gien au retour de son sacre, et le
duc d'Alençon avec luy ; lequel desiroit amener avec
luy la Pucelle et les gens d'armes du roy en Normandie.
Mais le sire de La Trimoille ne le voullut pas,
mais l'envoya avec son frère, le sire de Lebret, au
plus fort de l'iver, et le mareschal de Boussac à bien pou de gens, devant la ville de la Charité; et là
furent environ ung mois et se levèrent honteusement,
sans ce que secours venist à ceulx de dedens; et y perdirent
bombardes et artillerie; et y morut à ung
assault ung baron du païs du Daulphiné, nommé
Raymon de Montremur (1), dont fut dommaige...
(2) Ledit an (3), en hiver, ceux de la cité de Sens se réduisirent
en l'obéissance du roi, et eurent leur abolition (4). Ils mirent dehors leur
capitaine nommé Pierre de Beaufort.
En ce même an la ville de Melun se mit en l'obéissance du roi, et ils
eurent une abolition.
La manière dont elle fut réduite fut celle-ci : les gens de ladite ville qui étaient bons Français virent que la plupart des gens de la garnison
avaient été courir devant Yèvres-en-Gâtinais, pour prendre des vaches.
Les gens de la ville, pour parvenir à leurs fins, publièrent qu'à Pontoise
il y avait grande foison de gens d'armes Picards qui voulaient venir en
garnison à Melun, et qu'ils voulaient être maîtres des gens des villes où
ils se trouvaient : et ils dirent qu'ils n'y entreraient pas. Or Melun était
tenu par messire Jean de Luxembourg, et le château était gardé pour lui
par Dreux d'Humières, avec grand nombre de gens. Il advint qu'il n'y
avait dans le château que dix personnes, les autres étant sorties au dehors.
Ceux de la ville leur ôtèrent les clefs, fermèrent les portes, et envoyèrent
quérir promptement le capitaine du Pont-de-Seine, le commandeur de
Giresmes, et messire Denis de Chailly qui se mirent en la ville, et en
l'île du château, qui fut ainsi assiégé.
Ceux qui étaient allés courir trouvèrent les portes fermées et s'en
allèrent à Corbeil, qui tenait pour les Bourguignons. Les gens du roi
vinrent au siège de toutes parts. Ceux de Corbeil vinrent par la rivière,
espérant ainsi entrer; mais quand ils surent que la bastille était en l'île du château, ils s'en retournèrent. Ainsi la ville et le château furent réduits au roi, Melun redevint français et les Bourguignons et les Anglais perdirent ce passage (5).
Le roi étant à Gien au retour du sacre, et le duc d'Alençon avec lui, celui-ci désirait amener avec lui en Normandie la Pucelle et les hommes d'armes du roi ; mais le sire de La Trémoille ne le voulut pas; il envoya la Pucelle, au plus fort de l'hiver, avec son frère, le sire d'Albret et le maréchal de Boussac et bien peu de gens, devant la ville de La Charité. Ils furent là environ un mois, et ils en partirent honteusement, sans que secours vint à ceux de dedans; ils y perdirent bombardes et artillerie. Dans un assaut il y mourut un baron du pays du Dauphiné, nommé Raymond de Montmor, dont fut dommage.
En cet an fut couronné en Angleterre le roi Henri, encore bien jeune, et le duc de Bourgogne épousa la fille du roi de Portugal ; leurs noces furent célébrées à Bruges-en-Flandre, et il y eut moult grande fête.
Le duc de Bourbon partit pour Beauvais avec tous les gens d'armes des frontières de France et de Beauvaisis ; étaient avec lui le comte de Vendôme, l'archevêque de Reims, Poton de Xaintrailles et plusieurs autres capitaines et gens de guerre, tous assemblés pour entrer à Rouen, par le moyen de quelques habitants de la ville. Or, il arriva que lesdits seigneurs, en chevauchant entre Beauvais et Rouen, rencontrèrent cinq ou six-vingts Anglais, qui descendirent à pied ; les Français leur coururent sus à cheval, mais les Anglais se défendirent si vaillamment qu'à la fin les Français retournèrent à Beauvais et les Anglais demeurèrent aux champs.
Source
: "Chronique de Charles VII par Jean Chartier" - Vallet de Viriville -
1868.
Notes (Quicherat & Ayroles) :
1 Godefroy, dans son édition, a corrigé Mommor.
2 Dans les manuscrits 23 282 et 2861. on trouve à la suite le récit de la
victoire d'Anthon, de la reddition de Sens et de Melun, dont il n'est pas
question dans le manuscrit 2860.
Le récit de la victoire d'Anthon est anticipé. Cette victoire fut gagnée le
11 juin 1430, plus de quinze jours après la prise de la Pucelle, contre le
prince d'Orange et le duc de Savoie qui voulaient se partager le Dauphiné.
Voici ce qui regarde Sens, et surtout Melun, où Jeanne devait recevoir,
dans la semaine de Pâques 1430 (Pâques était le 16 avril) la révélation
qu'elle serait prise avant la Saint-Jean.
3 1429 anc. st.
4 Amnistie pour le passé.
5 Melun fut repris par les Anglais par la suite.
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