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Chronique
des Cordeliers de Paris
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Folio
484 |
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l'entrée du mois de l'an mil ccccxxix, fu le siege levé
de devant Orléans par force et puissance de la partie du
daulphin. Et y fu ladicte Pucelle qui commença à faire
merveilles tant de fait que de parolles, et briefment elle fist
tant qu'elle commença à avoir une grande renommée.
Et avoient ceulx de ce party grand esperance en elle. Là
furent les bastilles des Anglois prises et arses, et si eubt grand
desconfiture desdiz Anglois et grant occision.
Après le siège d'Orléans levé,
se mist le daulphin de France sus à toute puissance, et reconcquisrent
ses gens et la Pucelle Baugensy, Meun, Gergeau et autres fortresses
plusieurs sur lesdits Englois. Et y fu prins le seigneur de Talbo
et plusieurs autres seigneurs et cappitaines de party desditz Englois,
qui furent depuis, long tamps detenus prisonniers, par especial
ledit seigneur de Talbor qui fu prison à Poton de Sainte-Treille,
à la prise dudit lieu de Gergeau, qui fu prise de assault
et de force.
Le XVIII° jour de juing après disner, assamblérent
les gens du régent (1), qui s'estoit
mis sus contre les gens dudit daulphin, et furent Engloix desconffis
emprès Yenville et Estampes, et retourna le régent
à Paris à pau de gens. Et tantost après y fu
envoyés le seigneur de Lille-Adam.
Quant le daulphin de Viennoix fu mis sus, et la Pucelle
tousjours au plus près de luy en armes comme ung cappitaine,
et grans gent dessoubz elle, il commença à concquester
places et païs par le fait et renommée qui par tout
se commencha à espandre de ladicte Pucelle, et n'estoit fortresse
qui à sa simple parolle et semonce ne se volsit rendre, cuidans
et esperans par ses merveilles que ce fuist chose divine ; car elle
faisoit merveille d'armes de son corps et manyoit un bourdon de
lance très puissamment et s'en aidoit raddement, comme on
véoit journellement ; et avec ce amonnestoit les gens ou
nom de Jhesus, et faisoit preschemens affin de actraire le peuple
à luy rendre, et obéir audit daulphin. Et fist tant
finablement que renommée couru partout jusques à Romme
qu'elle faisoit miracles, et que, puisqu'elle venoit devant une
place, les gens de dedans, quelle volonté qu'ilz eussent
paravant de non obéir audit daulphin ne à elle, estoient
tous muez et faliz et n'avoient nulle puissance de eulx defendre
contre elle et tantost se rendoient, comme Sens, Ausoirre et aultres
fortresses, combien que le roi n'entra point en aucunes; mais il
eubt vivres pour son argent, etc... Et vint sa grant renommée
à estre continuée par la ville de Troies en Champaigne,
qui tousjours avoit tenu le party de Bourgoigne et promis de le
tenir et ensievir ; et toutesfois elle fut rendue incontinent, sans
cop ferir, à la monicion et semonce d'icelle Pucelle : dont
toutes gens furent esbahis et meismement les princes et seigneurs
tenans ledit party de Bourgoigne, qui estoient en très grand
doubtance.
A l'entrée du mois de mai de l'an 1429, le siège mis devant Orléans
fut levé par la force et puissance des partisans du Dauphin. La Pucelle
s'y trouva ; et en un mot, elle fit tant qu'elle entra en possession d'une
grande renommée. Ceux de son parti fondaient sur elle de grandes espérances.
Les bastilles des Anglais furent prises et brûlées ; les Anglais y éprouvèrent de grandes défaites et grande perte de leurs hommes.
Le siège d'Orléans levé, le Dauphin déploya toutes ses forces ; ses gens
et la Pucelle reconquirent Baugency, Meung, Jargeau et plusieurs autres
forteresses sur les Anglais.
Le seigneur de Talbot et plusieurs autres seigneurs et capitaines
furent pris. Ils furent dans la suite longtemps détenus en prison, spécialement
Talbot (2) remis comme prisonnier à Poton de Xaintrailles lors de la
prise de Jargeau, ville qui fut enlevée de force et par assaut.
Le dix-huitième jour de juin, après dîner, les gens du régent, qui
s'étaient réunis mis en campagne contre ceux du Dauphin, furent complètements
défaits près d'Yenville et d'Étampes. Le régent retourna à
Paris avec peu de ses gens ; le seigneur de l'Isle-Adam fut aussitôt après
envoyé dans cette ville. Le Dauphin viennois ainsi relevé, la Pucelle se tenant toujours auprès
de lui armée comme un capitaine et ayant grand nombre de gens sous
ses ordres, le Dauphin commença à conquérir places et pays, grâce aux
exploits de la Pucelle et à la renommée qui commença partout à se répandre
de la jeune fille. Il n'y avait pas de forteresse qui, sur sa simple
parole et sommation, ne voulût se rendre, pensant et espérant à cause de
ses merveilles que c'était chose divine. Elle faisait merveilles d'armes
avec son corps, maniait très puissamment le bourdon de sa lance, et
s'en aidait aisément, ainsi qu'on le voyait journellement.
Avec cela elle admonestait les gens au" nom de Jésus, et faisait des prêchements
pour inviter le peuple à se rendre à lui et à obéir au Dauphin.
Elle fit tant enfin que la renommée qu'elle faisait des miracles courut
partout, jusques à Rome. L'on disait que dès qu'elle venait devant une
place, les gens de dedans, quelque volonté qu'ils eussent avant de n'obéir
ni au Dauphin ni à elle, étaient tous changés, sans courage, privés de
toute puissance pour se défendre contre elle, et se rendaient tout aussitôt,
comme firent Sens (3), et d'autres forteresses, encore que le roi
n'entrât pas dans quelques-unes, mais il en obtint des vivres pour son
argent.
Une si grande renommée suivit la Pucelle jusques à Troyes-en-Champagne,
ville qui avait toujours tenu le parti de Bourgogne, et avait promis
de le tenir et de ne pas s'en séparer. Et cependant la ville se rendit
incontinent, sans coup férir, sur l'admonition et sommation d'icelle
Pucelle. Ce dont toutes gens furent ébahis, surtout les princes et seigneurs
tenant le parti de Bourgogne, qui étaient en grande perplexité.
Source
: édition Jules Quicherat - 1882
Mise en Français plus moderne : J.-B.-J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc - t.III.
Notes :
1 Le Duc de Bedford, soi-disant régent du royaume de France.
2 Talbot ne fut pas pris à Jargeau mais à Patay.
3 C'est inexact pour Sens.
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