|
Chronique
de la Pucelle
-
index
10
- Bataille à Verneuil |
|
t pour ce, lesdits duc d'Alençon, comtes du Glas et de Boucan
furent conseillez de tirer vers la ville de Verneuil, qui compétoit
et appartenoit an dit duc d'Alençon de son propre héritage
et y vinrent. Et quand ceux de la ville veirent leur droit seigneur,
ils se mirent en son obéissance et se rendirent à
luy, excepté la tour, en laquelle plusieurs Anglois s'estoient
retirez ; laquelle tour fut assez tost après rendue par composition
des Anglois qui estoient dedans, lesquels s'en allèrent,
saulvés leurs corps et biens. Et ainsi la ville et tour furent
nuement en l'obéissance du roy et de Monseigneur d'Alençon.
Puis s'assemblèrent les seigneurs et capitaines, pour sçavoir
ce qu'on avoit à faire : plusieurs furent d'opinion qu'on
mit une bonne grosse garnison dedans Verneuil contre les Anglois,
et que lesdits seigneurs et le demeurant de la compagnée
s'en allassent diligemment devant plusieurs places que tenoient
les Anglois, lesquelles estoient despourveues de gens et n'y avoit
point de garnison, et que veu que lesdits chastel et ville d'Yvery
estoient rendus, il n'estoit pas de nécessité ou expédient
de combatre pour ledit temps et à cette heure.
De cette opinion estoient les comte d'Aumale, vicomte
de
Narbonne, et autres anciens capitaines et gens de guerre qui sçavoient
parler de telles matières, renommez d'estre vaillans et eulx
cognoissans en faict de guerre : car oncques on ne conseilla au
royaume de France combatre les Anglois en batailles rangées,
et si on l'avoit faict il en estoit mal avenu. Au contraire, les
comtes du Glas et de Boucan, les Ecossois et aucuns François
jeunes de grande volonté et courage qui n'avoient pas cognoissance
des faicts de guerre et venoient droict de leurs maisons, furent
d'autre opinion ; et y eut aucuns qui disoient qu'il sembloit que
ceux qui estoient d'opinion qu'on ne combatist point avoient peur
; et toutesfois c'estoit des plus vaillans et mieux cognoissans
en faict de guerre ; et en parlant et débatant de la matière
pour sçavoir ce qu'on avoit à faire, il vint nouvelles
que le duc de Betfort et sa compagnée qui estoit grande et
puissante, estoient logez à trois ou quatre lieues dudit
Verneuil, et qu'il venoit pour combatre. Alors ne fut plus mis en
question si on combatroit, car les Escossois et aucuns François
conclurent que on combatroit et que bataille se feroit.
Et un jeudy matin après la Nostre-Dame de mi-aoust
(1), les ducs d'Alençon, comte
du Glas, de Boucan, d'Aumale et les autres François se mirent
sur les champs et s'ordonnèrent en bataille assez près
de la dite ville de Verneuil ; et furent commis gens à cheval
aux deux aisles, pour frapper sur les archers, et spécialement
les Lombards sur l'une des aisles, qu'on estimoit à environ
cinq cent hommes, lances au poing ; et de l'autre estoient François,
de deux à trois cent lances. Les princes et seigneurs dessus
dits estoient à pied.
Les choses ainsi ordonnées, le duc de Betfort,
les comtes de Suffolc et de Salisbery parurent assez tost après
à moult grant compaignée ; lesquels aussitost qu'ils
veirent les François, se misrent à pied en moult belle
ordonnance, et leurs archers estoient aux aisles, d'un costé
et d'autre ; si firent reculer leurs chevaux et bagages. Alors commencèrent
à marcher les uns contre les autres ; mais les Anglois marchoient
pesamment et sagement, sans eulx guères eschauffer ; et au
contraire les Escossois marchoient légèrement et trop
hastivement, du désir qu'ils avoient de parvenir à
leurs ennemis, et pareillement les François, tellement qu'on
disoit que la plupart d'eux estoit hors d'haleine avant que de joindre
aux ennemis. Le vicomte de Narbonne s'avanca devant les autres et
s'adressa au comte de Salisbery où il se porta vaillamment.
Les Lombards qui estoient à cheval frappèrent aucunement
à l'assembler sur un coing des archers anglois ; si passèrent
outre, puis allèrent au bagage et le gaingnèrent,
si s'en partirent, sans plus rien faire.
Les François à cheval, qui estoient de
deux à trois cent lances, frappèrent vaillamment sur
l'autre costé, où il y avoit bien de deux à
trois mille archers et deux cent lances d'Anglois ; et s'y portèrent
si grandement et honnorablement qu'ils rompirent et desconfirent
lesdits Anglois, et y en eut foison de tuez et de prins. Cela fait,
ils ne s'attendoient qu'à eux et cuidoient certainement que
tous les Anglois fussent desconfits ; mais la chose estoit autrement,
car la desconfiture cheut bien grande pour les François,
et y eut une bien aspre et dure besongne. Et y furent tuez, le comte
de Glas, James son fils, et Boucan Escossois, et de leurs gens plus
que d'autres ; et aussi le comte d'Aumale, le comte de Ventadour,
le vicomte de Narbonne, le comte de Tonnerre, les seigneurs de Graville,
de Beausault, Messire Charles le Brun, Messire Antoine de Caourse
seigneur de Malicorne, Messire Guillaume de la Palu, et plusieurs
autres, jusques au nombre de six à sept mille hommes. Et
y furent pris : le duc d'Alençon, le bastard d'Alençon,
le seigneur de la Fayète, mareschal de France, le seigneur
de Mortemer et plusieurs autres. Et quand ils trouvèrent
le vicomte de Narbonne mort, ils firent pendre le corps en un arbre,
pource qu il avoit esté à la mort du duc de Bourgongne.
Et le lendemain leur fut rendue la ville de Verneuil et la tour
où s'estoient retirez plusieurs François ; lesquels,
par ordonnance du duc de Betfort, s'en allèrent, saulvés
leurs vies et leurs biens. En cette bataille mourut grande quantité
d'Anglois et autres tenans leur party ; tellement que le dit duc
envoyant par les citez et villes de leur party dire les nouvelles
de la victoire, manda expressément qu'on n'en fit aucune
solennité : car combien qu'ils eussent eu l'honneur, toutesfois
ils avoient beaucoup de dommage. Les Anglois souffrirent prendre
et emporter les corps des seigneurs morts, et le roy les fist enterrer
et faire leurs services bien honnorablement.
Source
: édition Vallet de Viriville - éd.1859
Notes :
1 Le 17 août
|