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Jeanne
d'Arc par Henri Wallon - 5° éd. 1879
Appendice 23 : Frais du siège d'Orléans |
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Les
sommes que Bedford s'était fait accorder par les États
de Normandie avaient d'abord pour objet le siège d'Angers.
En juin 1428 il avait obtenu une première aide
de 60 000 livres tournois, dont moitié était destinée
à l'armée que Salisbury avait amenée d'Angleterre
pour ce siège, comme aussi aux munitions d'artillerie calculées
pour quatre mois (Ch. de Beaurepaire, Etats de Normandie sous
la domination anglaise, p.31-35.) Le 8 septembre, nouvelle demande
de 200 000 1. t. pour cette même armée et spécialement
pour le recouvrement d'Angers et de la place du Mont Saint-Michel.
Les États octroyèrent 180 000 liv. en
trois termes, ce dont Bedford se contenta : 140 000 liv. t. pour
la solde des gens d'armes et de trait qui tenaient garnison dans
le pays, et le reste pour solder pendant quatre mois 200 lances
et 600 archers destinés au siège d'Angers. Le premier
terme était payé quand, au lieu d'Angers, on résolut
d'attaquer Orléans. L'argent qui avait servi à former
l'armée de Salisbury peut être imputé déjà
dans les frais du siège. Les États ratifièrent
du reste le changement de destination lors du payement du deuxième
terme (voy. le même auteur, Administration de la Normandie
sous la domination anglaise (Caen, 1859, in-4°), p.55).
Ce n'était qu'un commencement. Les comptes de l'administration
anglaise en Normandie portent, pour le siège d'Orléans,
une somme de 71 087 liv. 19 s. (même auteur, Mémoires
de la Société des Antiquaires de Normandie, t.
XXIV, 2e livraison, p.189). Mais l'Angleterre y contribua aussi.
Les officiers royaux subirent la retenue d'un quart de leur traitement,
retenue prescrite à titre de prêt pour les frais du
siége ; et la lettre du roi qui l'ordonne (3 mars 1429) semble
constater que ce siége lui coûtait 40 000 liv. et plus
par mois, environ 240 000 fr. de notre monnaie, valeur intrinsèque
(Ch. de Beaurepaire, Etats de Normandie sous la domination anglaise,
p. 37 ; Lottin. t. I, p. 199, et Mantellier, Hist. du Siége
d'Orléans, pièces justif., n° III, p. 221, cf
n° IV et V). Quant à la défense, on a la preuve
que Charles VII n'y consacra pas autant d'argent que le roi d'Angleterre
pour l'attaque. Les comptes de Hémon Raguier, publiés
en partie par M. Jules Loiseleur, nous donnent 102 398 liv. 18 s.
9 d. distribués par le trésorier des guerres (les
écus d'or compris en partie dans cette somme étant
comptés pour 2 liv. t., sur l'autorité de plusieurs
textes qui constatent cette valeur (1).
Sur cette somme, 60 757 liv. 15 s. t. avaient été
payés pendant le siége (la livre tournois, pendant
le siège, varie de 6 fr. 45 à 5 fr. 48); 41 631 liv.
3 s. 9 d. le furent après, (la livre est tombée alors
à 3 fr. 95. Voy. le tableau de M. N. de Wailly, Mém.
de l'Acad. des inscriptions, t. XXI, 2e partie, p. 402), le dernier
payement s'applique à la campagne de la Loire et du sacre
de Reims aussi bien qu'au siége d'Orléans, et les
termes des mandements royaux dans la répartition aux divers
capitaines prouvent que le second payement, comme le premier, ne
donne que des acompte.
M. Loiseleur a établi que le pied de solde, à
défaut de convention particulière, était en
général de 15 liv. t. par mois pour l'homme d'armes,
et de 7 liv. 10 s. t. pour l'homme de trait, soit 180 liv. et 90
liv. par an : c'est le prix qui se maintint sans grand changement
de 1380 à 1445, malgré les variations dans la valeur
des monnaies. Il ne faut pas oublier que le soldat vivait sur le
pays; qu'il n'avait donc guère à pourvoir à
sa dépense, et que s'il manquait quelque chose à son
bénéfice, il avait trop souvent l'occasion de s'en
indemniser (voy. Loiseleur, Compte des dépenses, etc., p.
123-128).
Les sommes portées aux comptes de Raguier ne
sont pas, il est vrai, tout ce qui a été dépensé
pour le siége. M. Loiseleur a montré, par ce qui est
resté du huitième compte de Guillaume Charrier, receveur
général, que plusieurs sommes furent directement payées
par lui et à Rais et à Gaucourt, pour le défense
d'Orléans. Mais il n'en est pas moins vrai que ce qui avait
été alloué par les États en vue de la
guerre fut loin d'y être intégralement consacré
par Charles VII. Sur 1 million voté dans les treize derniers
mois qui précédèrent le siége, les comptes
de la guerre ne présentent qu'une dépense de 100 000
liv. environ; et l'on ne peut nier que cette négligence à
payer les troupes n'ait compromis gravement la défense qui
leur était confiée. Le duc d'Orléans y a-t-il
suppléé ? Il était depuis la bataille d'Azincourt
prisonnier en Angleterre. Il avait pu longtemps, par la faveur qu'il
avait su se gagner, obtenir que son pays fût épargné;
mais dès que le siége d'Orléans fut décidé,
il lui était difficile d'agir pour y faire obstacle. M. Loiseleur
a relevé dans le compte d'Étienne de Bourges, receveur
des deniers communs d'Orléans en 1428, des lettres de commission
données par le Bâtard le 16 septembre de cette année
« pour contraindre les manans et habitants de la dicte ville
pour faire prêts et emprunts sur eux pour résister
aux Anglois, anciens ennemis du royaume. » Était-ce
aux frais du roi ou aux frais du duc ? Le plus sûr est que
c'était aux dépens de la ville d'Orléans. On
a une autre preuve, non plus d'un emprunt, mais d'une contribution
de 6000 liv. t. consentie par les habitants d'Orléans et
dont le Bâtard, par une lettre du 26 décembre, ordonne
la levée même par contrainte, « par prenant et
vendant promptement leurs biens, sans y garder les autres solempnités
accoutumées, cessans et non obstants quelsconques oppositions
et appellacions » (Mantellier, Hist. du Siége d'Orléans,
p. 219, 220); et la ville eut bien d'autres dépenses à
faire en son propre nom pour suffire aux nécessités
du siége. Aussi est-on en droit de dire qu'elle ne contribua
pas moins à sa défense par son argent que par ses
hommes ; et après sa délivrance elle trouva encore
des ressources pour achever de dégager la Loire, pour réparer
ses dégâts, indemniser les capitaines. Au moment du
siége de Jargeau elle avança au Bâtard d'Orléans
2400 liv. parisis, 3000 liv. tourn. pour payer les gens de guerre
qui allaient quitter leurs murs pour ce siége. Après
le sacre du roi elle donna une somme de 18 233 liv. parisis, valant
22 791 liv. t. « pour les aider à supporter les frais
du lièvement du siége et recouvrance des villes de
Jenville, Meung, Gergeau, Boisgency et autres, comme ceux du véage
faict par le seigneur Roy à Reims pour le faict du sacre.
» — Et elle avait encore ses propres dégâts
à réparer (voy. Loiseleur, Compte des dépenses
faites par Charles VII, p. 145-159). Les habitants d'Orléans,
à leur tour, obtinrent de Charles VII, sa vie durant, exemption
de tailles, subsides, taxes, ban, arrière-ban et logements
militaires, en récompensa de leurs services (1429).
(
Lottin,
Nouvelles recherches sur Orléans, t. I, p. 251).
Source
: Jeanne d'Arc - Henri Wallon - 5° éd. 1879
Notes :
1. Dans un compte d'Orléans de 1429, que nous allons citer
(n° XXIV, p. 405), l'écu d'or est évalué
à 64 s. parisis, qui font 4 liv. tournois.
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