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Lettre
de Jacques de Bourbon
24
juillet 1429
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ette
lettre retraçant la bataille de Patay, est une lettre latine,
écrite par Jacques de Bourbon, comte de la Marche, roi de
Naples, à l'évêque de Laon. Ce document, signalé
par Watlembach, en 1851, a été mis en lumière
par M. Bougenot et publié en français avec un commentaire
par M. Siméon Luce dans la Revue bleue, 1er semestre de l'année
1892, p. 202-204.
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"Grâce aux bons soins de notre Perceval de
Boulainvilliers (1), il nous a été
apporté sûres nouvelles tant par écrit que verbalement
et aussi par certaines lettres que nous avons reçues de La
Hire. Ledit Perceval a même été le témoin
oculaire de quelques-uns des fais qu'il nous a racontés.
Et d'abord on a pris d'assaut Jargeau, où cinq
cents combattants du côté des Anglais ont été
occis. Le comte de Suffolk et La Poule son frère ont été
faits prisonniers par le bâtard d'Orléans ; un autre
frère dudit comte a été occis.
La Pucelle s'est éloignée d'Orléans
le mercredi quatorzième jour de juin pour mettre le siège
devant le château de Meung, où étaient le seigneur
de Scales et autres jusqu'au nombre de six cents combattants, en
sa compagnie notre cousin d'Alençon et notre frère
de Vendôme, tous deux capitaines de l'ost, le maréchal
de Sainte-Sévère, l'amiral de France, les seigneurs
de Laval et de Rais, le bâtard d'Orléans, La Hire et
autres seigneurs et capitaines en grand nombre, lesquels avisèrent
que mieux serait de marcher sur Baugency et d'assiéger ladite
forteresse ; et ainsi firent-ils et au lendemain y mirent le siège.
Talbot avait évacué ladite forteresse la nuit précédente
pour réunir ses gens et livrer bataille aux nôtres,
et telle était l'ardeur des siens et la confiance qu'ils
avaient en leurs forces que, les nôtres eussent-ils été
en triple nombre, ils en voulaient venir aux mains avec eux. Et
les lesdits Anglais, ayant ainsi réuni leurs forces, arrivèrent
à former un corps d'armée de trois mille cinq cents
combattants. A l'arrivée de nos gens, les Anglais, qui occupaient
la forteresse de Baugency, se rendirent le samedi au lever du jour
et promirent sous serment de ne se point armer pendant deux mois
contre le roi. Richard Guéthin et Mathays, capitaines de
la garnison, furent gardés comme otages ; et leurs soudoyers
ayant vidé la place, se retirèrent dans la direction
du Mans avec leurs chevaux et leurs harnois.
A leur départ de Baugency, les nôtres,
apprenant que les Anglais, après avoir évacué
le château de Meung, s'avançaient en bonne ordonnance
et se préparaient au combat, en éprouvèrent
une grande joie, car ils ne désiraient autre chose. Ils les
poursuivirent dans la direction de Janville, jusqu'à un lieu
nommé Saint-Sigismond et situé à deux lieues
de Patay. C'est là que les ennemis, ayant choisi, pour livrer
bataille, une position à leur convenance, descendirent de
leurs chevaux et attendirent de pied ferme l'attaque de nos gens.
A l'avant-garde, de notre côté, se trouvaient
le bâtard d'Orléans et le maréchal de Sainte-Sévère.
Poton et Arnault Guilhem étaient les gardiens de ladite avant-garde.
Après venaient les archers et les arbalétriers formant
le principal corps d'armée, qui comptait, parmi ses chefs,
monseigneur d'Alençon, monseigneur de Vendôme et le
connétable de France, arrivé de la veille. La Hire
était chargé particulièrement de la direction
de ce corps d'armée dans les rangs duquel combattaient la
plupart des capitaines mercenaires et des seigneurs.
L'arrière-garde marchait sous les ordres de la
Pucelle, de Graville, grand maître des arbalétriers,
des seigneurs de Laval, de Rais et de Saint-Gilles, accompagnés
d'autres chefs de guerre en fort grand nombre. Toute cette masse
d'hommes, fantassins et cavaliers, s'écoulait précipitamment
et un peu pêle-mêle, tant on craignait de ne point arriver
à temps pour joindre l'ennemi.
Notre avant-garde vint donner contre les archers anglais,
qui ne tardèrent pas à fuir en désordre, lorsqu'ils
eurent vu tomber, à la suite de ce premier choc, quatorze
cents combattants ; puis, ces fuyards s'étant ralliés
revinrent pour rétablir le combat au nombre de huit cents
fantassins ; mais ils furent mis en déroute et taillés
en pièces par notre principal corps d'armée. Il s'ensuivit
un sauve-qui-peut général de la part des Anglais,
auxquels nos gens se mirent alors à donner la chasse. Lorsque
Talbot, fait prisonnier par La Hire et Poton de Xaintrailles, fut
pris, il était à cheval, mais il ne portait point
d'éperons, vu que lui et les autres chefs anglais s'étaient
remis promptement en selle pour prendre la fuite.
Le seigneur de Scales est prisonnier de Girault de la
Pallière, messire Jean Falstoff (2)
d'Arnault Guilhem, frère de La Hire, le seigneur de Hungerford
du duc d'Alençon, Falconbridge d'Amadoc, autre frère
de La Hire, messire Thomas Guevard de messire Theaude de Valpergue,
Richard Spencer et Fitz-Walter dudit duc d'Alençon. Bref,
les prisonniers sont au nombre de quinze cents.
En résumé, sur trois mille cinq cents
Anglais, deux cents hommes d'armes à cheval, tout au plus,
ont réussi à s'échapper, entre autres le traître
Tassin Gaudin. On leur a donné la chasse jusqu'à Janville.
Les habitants ont fermé leurs portes aux fuyards et en ont
occis un grand nombre ; puis ils se sont rendus au roi et ont apporté
les clefs de la place à la Pucelle.
Donné
le vingt-quatrième jour de juillet, l'an du Seigneur mil
quatre cent vingt et neuf."
Source
: "Le
journal du Siège d'Orléans" - Charpentier et
Cuissard - 1896
Notes :
1 Voir aussi la lettre
de Perceval de Boulainvilliers.
2 C'est une erreur du narrateur, dans la panique, Falstoff a fui
la bataille. Il sera sévèrement châtié
pour cette fuite.
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