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Lettre
d'anoblissement de Guy de Cailly
juin 1429
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vant d'être personnellement anoblie, la Pucelle le fut dans la personne
de Guy de Cailli, pour lequel elle avait sollicité cet honneur. Les
mérites de la Libératrice y sont exaltés en termes qui ne sont pas surpassés
dans les lettres qui lui confèrent la noblesse à elle-même et à sa
famille.
Guy de Cailli était possesseur du château de Reuilly, à près de
deux kilomètres de Chécy, lorsque Jeanne, venant pour la première fois à Orléans, passa la Loire en face de cette bourgade. L'Envoyée du Ciel
fut reçue à Reuilly; et l'heureux de Cailli s'attacha aux pas de celle qui
lui avait fait cet honneur. La pièce suivante nous dira qu'en considération
de Jeanne, les anges voulurent bien se manifester visiblement au dévoué
chevalier. Notre mémoire nous atteste qu'en un volume qu'elle se refuse
de nous indiquer, nous avons vu que Guy de Cailli accompagna Jeanne,
lorsque, avant le suprême assaut des Tourelles, elle se retira à l'écart pour
prier. Ce serait en cette occasion qu'il aurait été favorisé de la vue des
anges.
Ces lettres sont données en juin à Sully. La date du jour n'est pas
indiquée ; il en est ainsi dans d'autres pièces de cette nature. Comme l'on
n'y parle que de la levée du siège d'Orléans, il est vraisemblable que
l'on n'avait pas encore vu les merveilles de la journée de Patay.
La conservation de ce document est due au célèbre érudit provençal
Nicolas-Claude de Peiresc, à qui Aix élevait récemment une statue bien
méritée. L'évêque de Carpentras, Inguimbert, acheta la bibliothèque et les
manuscrits de Peiresc. Ils font aujourd'hui l'ornement et la gloire de la
bibliothèque de sa ville épiscopale. La présente lettre se lit au registre X,
avec d'autres pièces sur Jeanne d'Arc. Quelques-unes trouveront peut-être place dans la suite de cette publication. Quicherat a inséré ces lettres au tome V de sa Collection, sur la copie envoyée par le bibliothécaire de Carpentras. La traduction suivante a été faite sur le texte de Quicherat.
Voir ndlr en notes.
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Traduction
CAROLUS, Dei gratia Francorum rex, ad perpetuam
rei memoriam.
Coelestem nobis ante oculos ponentes
divinorum erga nos beneficiorum immensitatem in
nostris adversus hostes nostros capitales bellicis expeditionibus; ac principaliter quanti fuerit momenti,
rebus nostris inclinantibus, Aurelianensis obsidionis
felicissima repulsio, quæ potissimum peracta est sub
auspiciis et felici adventu et conductu inclytæ Puellæ
ac de nobis in infinitum meritæ Johannæ d'Arc de
Dompremio, ita ut merito dici possit aditum et ingressum
dicte Puellæ in istam civitatem ad eam defendendam
et arcendos inde dictos hostes Anglicos,
nobis faciliorem aditum ad alias civitates et urbes nostras
recuperandas promittere et prænuntiare : idcirco
singulari favore presequentes non solum dictam Johannam
cujus remunerationi satis contribuere non possumus,
sed etiam viros bellicosos et armorum antiqua
professione conspicuos, qui dictæ Johannæ in tam
celebri obsidione levanda præsto fuerunt, et quorum
opera et studio usa est quamplurimum in præliis et
conflictibus variis circa dictam civitatem et postea
continuo huc usque factis ; inter quos ab eadem valde
dilecta nostra Johanna de Dompremio dicta præcipue
nobis commendatum, ob summam ejus diligentiam et assiduam cum ea dimicationem, Guidonem de
Cailli, virum in primis honestate morum laudabilem
et inter cives dictæ civitatis Aurelianensis præcipuum
et industrium, omnibus denique nobilium
virorum exercitationibus deditum, congruis insigniis
decorare desiderantes, quæ sibi et posteritati suæ
perpetuum sint ad honoris incrementum ;
Notum facimus universis præsentibus et futuris
quod nos, certiores facti servitiorum egregiorum dicti
Guidonis de Cailli, et quantum omni sua potestate
bonam erga nos præmemoratae Johannæ voluntatem
secundaverit, eam in arce Rulliaca prope Checiacum
excipiendo, quum primum in urbem Aureliam induceretur
divina angelorum apparitione invitata, cujus
eodem coelesti favore fuerit dictus Guido de Cailli particeps, ut plenius fuimus per eam informati ; quorum
consideratione et aliorum multorum servitiorum
quæ per longa tempora nobis multipliciter impendit et in posterum impendere continuo promittit; Nos eumdem prænominatum Guidonem de Cailli,
jam olim inter nobiles et pro nobiii se gerentem, ac
ejus familiam masciilinam et foemininam in legitimo
matrimonio natam et nascituram, nobilitamus ac
Dei gratia speciali et ex nostra certa scientia, ac de
plenitudine potestatis nostræ, nobiles dicimus et, in
quantum opus esset, de novo facimus et creamus;
concedentes expresse ut ipse ac sua posteritas nata et
nascitura in suis actibus, in judicio et extra, pro nobilibus
habeantur ; et eos habiles reddimus ut privilegiis,
libertatibus et aliis prærogativis et juribus quibus
cæteri nobiles nostri regni, ex nobili gente procreati,
uti consuevere et utuntur, gandeant pacifice, et utantur ; ac eumdem Guidonem de Cailli et ejus
posteritatem prædictam aliorum nobilium dicti regni
ex nobili stirpe procreatorum consortio aggregamus :
volentes etiam ut ipse et ejus posteritas masculina,
dum et quoties eis placuerit, a quocumque milite
cingulum militiæ valeant adipisci et aliis quibuscumque sublimioribus titulis decorari ; eidem, in quantum
opus esset, ejusque posteritati praedictæ insuper
concedentes ut feuda et retrofeuda resque nobiles a
nobilibus et quibuscumque aliis personis acquirere,
et jam acquisitas retinere, tenere et possidere perpetuo
valeant, absque eo quod illas nunc vel futuro tempore
extra manus suas ponere quovis modo compellantur,
et absque eo quod nobis seu officiariis nostris
quamlibet finantiam solvere teneantur ; quam quidem
finantiam dicto Guidoni de Cailli, in favorem
præmissorum, dedimus et quitavimus, damus et quitamus de ampliori gratia per præsentes. Ac ipsi denique
et prædictæ posteritati, in favorem pariter
proedictæ apparitionis, tria capita superiorum angelorum ignei coloris et splendoris, alata et barbata
in scuto cæruleo et deargentato (1), prout in dicta
apparitione vidisse crediderit, ad perpetuæ nobili tatis insignia gestare, et ubicumque voluerit apponere
et apponi mandare, concessimus, ac per præsentes,
ut in ipsis depicta sunt, concedimus in spem
continuandorum nobis servitiorum suorum.
Quocirca dilectis et fidelibus gentibus compotorum
nostrorum ac generalibus consiliariis nostris super
facto et regimine omnium finantiarum nostrarum,
baillivo nostro Aurelianensi cæterisque justiciariis et
officiariis nostris eorumve loca tenentibus, præsentibus
et futuris, et ipsorum cuilibet, prout ad eum
pertinuerit, harum serie damus in mandatis quatenus dictum Guidonem de Cailii ejusque posteritatem
prædictam, natam et nascituram, nostra præsenligratia,
nobilitatione, donatione, quittantia et concessione
uti et gaudere pacifice et perpetuo faciant et
permittant, et contra tenorem præsentium ipsos nullatenus
impediant seu molestent, aut a quocumque
molestari vel impediri patiantur. Quæ ut perpetua
firmitatis robur obtineant, sigillum nostrum in absentia
magni ordinatum præsentibus litteris duximus
apponendum, in aliis nostro, in omnibus quolibet
alieno jure semper salvo.
Datum Sulliaci, mense junio anno Domini
MCCCCXXIX°, regni vero nostri vii°.
Et sur le repli est escript : Per Regem, episcopo
Sagiensi præsente.
Et signé : LEPICARD. Et sont scellées
du grand sceau de cire verte en lacs de soye rouge et verte, à double queue.
Charles, par la grâce de Dieu roi des Français, pour perpétuelle mémoire.
Nous aimons à mettre sous nos yeux l'immensité des bienfaits dont
le Ciel nous comble dans nos expéditions contre nos mortels ennemis,
et avant tout la faveur capitale par laquelle, alors que nos affaires allaient
toujours en déclinant, le siège d'Orléans a été si heureusement repoussé. Cette faveur nous a été principalement départie sous les auspices, par
l'heureuse arrivée, sous la conduite de l'illustre Pucelle, de Jeanne d'Arc
de Domrémy, dont les mérites à notre endroit sont infinis. Il n'est que
juste de dire qu'en pénétrant dans cette ville pour la défendre et en
repousser nos ennemis, les Anglais, la Pucelle nous a donné un présage
et un gage que nous pourrions facillement recouvrer les autres villes et
cités. Aussi entourer d'une faveur singulière ladite Jeanne alors que
nos récompenses ne sauraient égaler la grandeur de ses services, ce
n'est pas assez ; nous devons étendre cette faveur aux guerriers illustrés
par une longue profession des armes qui, pour la levée d'un siège si
mémorable, se sont empressés de la seconder ; dont elle a plus utilisé les
travaux et l'ardeur dans les divers combats autour de ladite ville et dans
les expéditions qui ont suivi depuis. Parmi ces guerriers, notre bien-aimée Jeanne de Domrémy nous a
principalement recommandé, pour son extrême diligence et sa fidélité à
combattre à ses côtés, Guy de Cailli, homme des plus honorables par
l'honnêteté de sa vie, citoyen notable et de talent dans la cité d'Orléans,
livré à toutes les occupations des nobles hommes. Aussi désirons-nous le
décorer d'insignes d'honneur qui soient pour sa personne et sa postérité
un perpétuel accroissement de rang.
Nous portons donc à la connaissance de tous présents et à venir, que,
dûment informés des beaux services du même Guy de Cailli, sachant
comment il a secondé de tout son pouvoir les bonnes dispositions de la
même Jeanne à notre endroit, comment il l'a reçue dans son château de
Reuilly, près de Chécy, lorsque pour la première fois elle approchait
d'Orléans, à la suite de divines apparitions des anges qui l'y invitaient,
céleste faveur dont le même Guy de Cailli a été rendu participant, ainsi
que nous en avons été pleinement informé par Jeanne elle-même Considérant ces choses et encore les nombreux et divers services qu'il
nous rend depuis si longtemps, et ceux qu'il promet de nous rendre toujours
dans la suite, nous anoblissons le ci-dessus nommé Guy de Cailli
qui déjà se donnait et vivait en noble ; nous anoblissons sa postérité
masculine et féminine née ou à naître en légitime mariage. Par grâce
spéciale de Dieu, de science certaine et de la plénitude de notre pouvoir,
nous les déclarons nobles, et, en tant que besoin serait, Nous les faisons
de nouveau et créons tels, concédant expressément que lui-même et toute
sa postérité née ou à naître, dans leurs actes, en justice et en dehors des
actes judiciaires, soient tenus pour nobles. Nous leur conférons le droit
de jouir et d'user pacifiquement des privilèges, libertés, prérogatives et
droits, dont ont coutume de jouir et jouissent les autres nobles de notre
royaume issus de race noble ; nous mettons le même Guy de Cailli et
sadite postérité au rang des autres nobles du royaume issus de race noble ;
voulant que lui et sa postérité masculine, toutes les fois qu'il leur plaira,
puissent recevoir le baudrier de chevalerie de quelque chevalier que ce
soit, et être honorés de toutes autres distinctions plus élevées. En outre en tant que besoin serait, nous lui accordons à lui et à sa susdite
postérité, de pouvoir acquérir des personnes nobles et non nobles des
fiefs, arrière-fiefs, et possessions nobles; et acquisition faite, de les garder,
tenir et posséder à perpétuité, sans que, dans le présent ou l'avenir, nul
ne puisse, par quelque voie que ce soit, les forcer à s'en dessaisir, et sans
qu'ils soient tenus à nous compter, ou à compter à quelqu'un de nos
officiers une somme quelconque; décharge que, par surcroît de faveur,
eu égard à ce qui a été dit, nous avons donnée et accordée audit
Guy de Cailli, que nous lui donnons et accordons par les présentes.
Enfin, en mémoire de l'apparition sus-mentionnée, nous avons concédé
et concédons par les présentes au même Guy de Cailli, et à sa susdite postérité,
de porter dans leurs armes comme insigne de leur perpétuelle
noblesse, trois têtes d'anges des hautes hiérarchies ailées et barbelées, couleur
flamboyante, sur un écu d'azur rehaussé d'argent, ainsi que ledit de
Cailli croit avoir vu ces purs esprits dans l'apparition mentionnée; qu'il
puisse apposer et faire apposer ces armes partout où il voudra, ainsi que
nous lui avons concédé, et le lui concédons par les présentes, où le modèle
en est représenté, espérant bien qu'il nous continuera ses services.
C'est pourquoi que nos amés et féaux, les gens de nos comptes, nos conseillers généraux sur le fait et gouvernement de toutes nos finances, notre bailli d'Orléans, nos autres justiciers et officiers ou leurs lieutenants, présents et futurs, et que chacun d'entre eux, selon qu'il lui appartiendra, veille à l'exécution du mandement donné par les présentes, à savoir qu'à perpétuité ils fassent et laissent jouir paisiblement ledit Guy de Cailli, ladite postérité née et à naître, de notre présente faveur, anoblissement, donation, quittance et concession ; qu'ils ne les empêchent et molestent en rien contre la teneur des présentes, et qu'ils ne souffrent pas qu'ils soient à ce sujet empêchés ou molestés par qui que ce soit. Pour donner perpétuelle force aux présentes, nous y avons apposé, en
l'absence du grand sceau, notre sceau personnel, réserve faite en toutes
autres choses de nos droits, et en toutes choses du droit d'autrui.
Donné à Sully, au mois de juin de l'an du Seigneur MCCCCXXIX,
de notre règne le septième. »
Et sur le repli est écrit : « Par le roi, présent l'évêque de Séez, et signé :
LEPICARD. Et sont scellées du grand sceau de cire verte en lacs de soye rouge et verte, à double queue. » (2)
Source
: Texte original en Latin - Quicherat (t.V, p.131)
Présentation et traduction : J.B.J. Ayroles "La vraie Jeanne d'Arc", t.III, p. 330.
Notes :
1 Ces armes se blasonnent ainsi en français : « D'azur rehaussé d'argent à "trois têtes de chérubins ailées et barbelées de couleur flamboyante qui est d'or ombré de gueules. » Cette traduction se trouve dans un projet de lettres
patentes rédigées par Charles du Lys et tendant à faire concéder à l'un de ses
fils qui s'était marié à une demoiselle de Cailly, le droit de porter les armes de
Cailly en coeur par-dessus l'écartelé des armes d'Arc et du Lys. (Même Ms.t
fol. 404). (Quicherat)
2 Il est inutile de relever ici les expressions par lesquelles Charles VII
proclame ce qu'il doit à Jeanne d'Arc. Les mérites de Jeanne envers lui
sont infinis, pas de récompense humaine qui soit à leur hauteur; en
délivrant Orléans Jeanne donne un gage que l'ennemi sera chassé des
places et des villes qu'il occupe.
Que de Cailli ait été favorisé une fois de l'apparition des anges, c'est
Jeanne qui l'assure. Cette assertion si formelle rend plus croyable l'assertion
par laquelle elle affirmait à Rouen que le roi aussi avait été
favorisé de révélations. (Ayroles).
Ndlr : L'authenticité de cette lettre d'annoblissement n'est pas prouvée. Le style en est inhabituel. De plus le château de Reuilly des De Cailly n'existerait pas encore en 1429 (article d'E. Jarry, "La prétendue réception de Jeanne d'Arc à Reuilly", 1931, dans "Bulletin de la Société historique de l'Orléanais")
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