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Lettre
de garantie aux juges du procès
12
juin 1431
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enry,
par la grâce de Dieu roy de France et d'Angleterre, à
tous ceulx qui ces présentes lettres verront, salut. Comme
depuis aucun temps en ça nous aions esté requis et
exhortez par nostre très chière et très amée
fille l'Université de Paris que une femme qui se faisoit
appeler Jehanne la Pucelle, laquelle avoit esté prinse en
armes par aucuns de noz subjectz ou diocèse de Beauvaix,
dedans les mectes de la jurisdiction espirituelle dudit diocèse,
que icelle Femme feust rendue, baillée et délivrée
à l'Église, comme véhémentement suspictionnée,
reconnue et notoirement diffamée (1)
d'avoir semé, dit et publié en plusieurs et divers
lieux et contrées de nostredit royaulme de France plusieurs
grans erreurs, exercé, commis et perpetré crimes,
excetz et delitz moult énormes à l'encontre de nostre
saincte foy catholique, et ou grand esclandre de tout le peuple
chrestien ; aions esté aussi requis et sommez très
instamment, et par plusieurs et diverses foiz par nostre amé
et féal conseiller l'évesque de Beauvais, juge ordinaire
d'icelle femme, que icelle luy voulsissions rendre et bailler et
délivrer, pour estre par luy, comme son juge, corrigée
et purgée ; et ou cas que par procès deuemeut fait
et juridique, elle seroit trouvée chargée et convaincue
desdits erreurs, crimes, excetz et delitz, ou d'aucuns d'iceulx
(2).
Et nous, comme vray catholique et filz de l'Église, en ensuivant
noz prédécesseurs roys de France et d'Angleterre,
non voulans faire qui feust ou peust estre préjudiciable
par quelque manière à la saincte inquisicion de nostredicte
saincte foy, ne ou retardement d'icelle ; mais dénirans icelle
saincte inquisicion estre préférée à
toutes autres voyes de justice séculière et temporelle,
et rendre à chacun ce qui luy appartient, ayons à
nostredit conseiller, juge ordinaire, comme dit est, fait bailler
et delivrer ladicte femme, pour enquérir desdits erreurs,
crimes, excetz et delictz, et en faire justice, ainsy qu'il appartiendroit
par raison ;
Lequel nostredit conseiller joint avecques luy le vicaire
de l'inquisiteur de la foy, icelluy inquisiteur absent, ayent ensemble
fait leur inquisicion et procès sur iceulx erreurs, crimes,
excetz et delictz et tellement que par leur sentence diffinitive
finablement icelle femme, comme rencheu èsdits erreurs, crimes,
excetz ct delictz, après certaine abjuracion par elle publiquement
faicte, aient déclairée relapse et hérétique,
mise hors de leurs mains, et délaissée à nostre
court et justice séculière, comme toutes ces choses
peuent plus à plain apparoir par ledit procès ; par
laquelle nostre court et justice séculière ladicte
femme ait esté condempnée à estre brulée
et arse, et ainsy exécutée ;
Pource que par adventure aucuns qui pourroient avoir eu
les erreurs et maléfices de ladicte Jehanne aggréables,
et autres qui induement s'efforceroient ou se vouldroient efforcier,
par hayne, vengence ou aultrement, troubler les vrays jugements
de nostre mère saincte Église, de traire en cause
pardevant nostre saint Père le Pape, le saint concille général,
ou autre part, lesdits révérend père en Dieu,
vicaire, les docteurs, maistres, clercs, promoteurs, advocas, conseillers,
notaires, ou autres qui se sont entremis dudit procès ;
Nous, qui, comme protecteur et deffenseur de nostre
saincte foy catholique, voulons porter, soutenir et deffendre lesdits
juges, docteurs, maistres, clercs, promoteur, advocas ; conseillers,
notaires et tous autres qui dudit procès se sont entremis
en quelconque manière, ou tout ce qu'ilz ont dit et pronuncié,
en toutes les choses et chacune d'icelles touchans et concernans
ledit procès, ses circonstances et deppendances ;
Affin que d'ores en avant tous aultres juges, docteurs, maistres
et autres soient plus ententifz, enclins, et encouragiez de vacquier
et entendre, sans peur ou contraincte, aux exttirpacions des erreurs
et faulses dogmatizacions qui en diverses parties de la chrestienté
sourdent et pululent en ces temps présens, que douloureusement
recitons.
Mesmement que nous sommes deuement informez que ledit procès
a esté fait et conduit meurement et canoniquement, justement
et sainctement, eue sur ce et sur la matière d'icelluy procès
la délibéracion de nostre très chière
et très amée fille l'Université de Paris, des
docteurs et maistres des Facultéz de théologie et
de décret d'icelle l'Université ; et de plusieurs
aultres, tant evesques, abbez et aultres prelatz, comme docteurs,
maistres et clercs très expers ès droiz divins et
canoniques, et aultres gens d'Ésglise, en moult grant nombre
; lesquelz ou la plus grant partie d'iceulx ont continuellement
assisté et esté présens avecques lesdits juges,
en examinant ladicte femme et le dit procès faisant.
PROMECTONS en parolle de roy que, s'il advient que quelconque
personne de quelque estat, dignité, degré, prééminance
ou auctorité qu'ilz soient, lesdits juges, docteurs, maistres,
clercs, promoteurs, avocas, conseillers, notaires et autres qui
ont besoigné, vacqué et entendu audit procès,
fussent traiz en cause dudit procès ou de ses deppendances
pardevant nostredit saint Père le Pape, ledit saint concille
général, ou les commis et députez d'icelluy
nostre saint Père, dudit saint concille, ou aultrement :
nous aiderons et deffendrons, ferons aider et déffendre en
jugement et dehors, tous lesdits juges, docteurs, maistres, clercs,
promoteur, advocas, conseillers, notaires et autres et à
chacun d'eulx à noz propres coustz et despenz et à
leur cause en ceste partie, nous, pour l'onneur et révérence
de Dieu, de nostre mère saincte Esglise, et deffense de nostredite
saincte foy, nous adjoindrons au procès que en vouldront
intenter contre eulx quelzconques personnes de quelque estat qu'ilz
soient, en quelque manière que ce soit, et feront poursuir
la cause en tous cas et termes de droit et de raison à nos
despens.
Si donnons en mandement à tous nox ambaxadeurs
et messagiers, tant de nostre sang et lignaige comme autres, qui
seroient en court de Romme pour nosditz royaulme, et à chacun
d'eulx, que, toutesfoiz que scauront, auront congnoissance, ou se
requis en sont, que, à l'occasion des susditz, lesditz juges,
docteurs, maistres, clercs, promoteur, advocas, conseillers, notaires
et aultres ou aucun d'eulx seront miz ou traiz en cause pardevant
nostredit saint Père ledit saint concille, ou aultre part
: ilz se adjoingnent iucontinant, pour et en nostre nom, à
la cause et deffence des dessusdits, par toutes voies et manières
canonique et jurisdiques ; et requièrent noz subgectz de
nosdits royaulmes, estans lors illec, et aussy ceulx des roys, princes
et seigneurs à nous aliez et confédérez, qu'ilz
donnent en ceste matière conseil, faveur, aide et assistence,
par toutes voyes et manières à eulx possibles, sans
delay ou difficulté quelxconques. En tesmoing de ce nous
avons fait mectre nostre seel ordonné, en l'absence du grant,
à ces présentes.
Donné à Rouen le XII° jour de juing, l'an de grace
M.CCCC.XXX.I, et IX° de nostre règne.
Par le Roy, à la relacion du grant conseil estant
devers luy, ouquel estoient monseigneur le cardinal d'Angleterre,
vous (3), les evesques de Beauvais,
de Noyon et Norwich; les contes de Warvick et de Stauffort ; les
abbés de Fescamp et du Mont-Saint-Michiel, et aultres plusieurs.
(4)
Sic signatum CALOT.
Source
: "L'histoire complète de Jeanne d'Arc" - Ph.-H.
Dunand - 1898
Notes :
1 L'enquête du procès de réhabilitation mentionnera
qu'aucune "clameur publique" ne réclamait le jugement
de Jeanne.
2 Nous savons pertinamment que le Roi d'Angleterre avait fait savoir
aux juges qu'il voudrait "ravoir" la Pucelle au cas où
l'Église ne la condamnerait pas : "Toutesvoies, c'est
notre entencion de ravoir et reprendre revers nous icelle Jehanne,
se ainsi estoit qu'elle ne fust convaincue ou actainte des cas dessusdiz,
ou d'aucun d'eulx ou d'autre touchans ou regardans nostredicte foy".
3 "Vous" c'est à dire le Chancelier.
4 Henri VI, après s'être prétendu "Roi
de France et d'Angleterre", ne sera même plus roi d'Angleterre
et terminera sa vie sous le glaive d'un meurtrier.
Illustration :
- Sceau d'Henri VI en 1430.
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