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Procès
de réhabilitation
V-5 - Rescrit du frère Jean des Prés, sous-délégué à l'interrogatoire du témoin. |
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près s'ensuit la déposition de noble homme le sire Jean
d'Aulon, chevalier, entendu sur l'ordre de révérendissime
père dans le Christ l'archevêque de Reims, par religieuse
personne frère Jean des Prés, maître ès saintes Écritures,
de l'ordre des frères précheurs de Lyon, et vice-inquisiteur
général de la perversité hérétique au royaume de France.
« A révérendissimes pères dans le Christ et seigneurs,
les seigneurs archevêque de Reims et l'évêque de Paris,
commissaires délégués en cette affaire par l'autorité apostolique, frère Jean des Prés, maître en théologie sacrée, de
l'ordre des précheurs de Lyon et vice-inquisiteur général
de la perversité hérétique au royaume de France, due révérence et honneur. Sachez, mes seigneurs révérendissimes,
et sachent tous que, l'an du Seigneur mille quatre cent
cinquante-six, indiction quatrième commencée cette année, le vingt-huitième jour du mois de mai, devant moi et les
deux notaires publics ayant souscrit avec leurs seings, s'est
présenté en notre couvent de Lyon noble et puissante personne, le sire Jean d'Aulon, chevalier, conseiller et maître
de l'hôtel de notre sire le roi de France, et son sénéchal de
Beaucaire. Il m'a exposé oralement ce que vous, révérendissime
père dans le Christ, seigneur archevêque de Reims,
lui aviez mandé par vos lettres missives : à savoir que ce
seigneur sénéchal, ayant été quelque temps, comme vous
le savez, en la compagnie de défunte Jeanne, appelée habituellement la Pucelle, en ce royaume de France, ait à dire,
déclarer et attester, devant moi et deux notaires publics,
ce qu'il avait appris et vu au sujet de la vie, des mœurs,
du comportement et des actes de cette Jeanne, pour en
informer vos révérendissimes paternités, comme cela est
indiqué plus au long dans les lettres missives susdites de
révérendissime seigneur l'archevêque de Reims, présentées
par le sire sénéchal, dont teneur suit :
« A mon très chier seigneur et frère, messire Jehan d'Aulon,
chevalier, conseiller du roy et seneschal de Beaucaire.
« Très chier seigneur et frère, je me recommande à vous tant
comme je puis. Et est vray que dès ce que j'estoye à Saint-Porsain
devers le roy, je vous escripvy du procès fait contre Jehanne la
Pucelle par les Angloys, par lequel ilz vuellent maintenir icelle
avoir esté sorcière et hériticque et invocateresse des dyables, et
que, par ce moyen, le roy avoit recouvert son royaulme; et
ainsi ilz tenoient le roy et ceulx qui l'ont servy, hériticque. Et pour ce que de sa vie et conversacion et aussi gouvernement, savez
bien et largement, je vous prie que ce que en savez, en vueilliez
envoyer par escript, signé de deux notaires apostoliques et ung
inquisiteur de la foy ; car j'ay unes bulles deçà, pour révocquer
tout ce que les ennemys ont fait touchant ledit procès. Escript à
Paris, le xxe jour d'avril.
Ainsi signé : « L'ARCEVESQUE ET DUC DE RAINS,»
Et aussitôt le sire sénéchal, ayant prêté d'abord serment
en mes mains de dire et attester la vérité sur ce qui suit,
dit, déclara et attesta sous serment, en présence de moi,
vice-inquisiteur et desdits maîtres notaires, ce qui est écrit
ci-dessous en langue vulgaire :
[suit lettre envoyée de Lyon par Jean d'Aulon]
[Sequitur consequenter depositio nobilis viri, domini Johannis d'Aulon (1), militis,
auctoritate reverendissimi in Christo patris domini archiepiscopi Remensis
per religiosum virum fratrem Johannem de Pratis, in sacra pagina
magistrum, ordinis Fratrum Prædicatorum Lugdunensium ac vice-inquisitorem
generalem hæreticæ pravitatis in regno Franciæ, examinati.]
REVERENDISSIMIS in Christo patribus et dominis,
dominis archiepiscopo Remensi ac episcopo Parisiensi, commissariis in hac parte, auctoritate apostolica deputatis,
vester humilis frater Johannes de Pratis, in
sacra theologia magister, ordinis Prædicatorum Lugdunensium,
ac vice-inquisitor generalis hæreticæ pravitatis
in regno Franciæ, reverentiam debitam cum honore. Noveritis, domini mei reverendissimi, et noverint
universi quod, anno Domini MCCCCLVI., indictione
IV. cum eodem anno sumpta, die XXVIII. mensis
maii, in præsentia mei necnon duorum notariorum
publicorum subscriptorum et signatorum : nobilis et
potens vir, dominus Johannes d'Aulon, miles, consiliarius
et magister Hospitii domini nostri Francorum
regis, ejusque senescallus Bellicadri, ad meam accedens
præsentiam, in domo conventus nostri Lugdunensis (2), mihi ore tenus exposuit quod vos, reverendissime
pater in Christo, domine archiepiscope Remensis, sibi per vestras litteras missorias mandaveratis
quod, quia, prout sciveratis, ipse dominus
senescallus aliquo tempore cum Johanna, quondam
vulgari denominatione in hoc regno Franciæ la Pucelle
nominata, conversatus [erat], quatenus de ea quæ
de ejusdem Johannæ vita, moribus, conversatione et
gestis sciverat et viderat, coram me et in præsentia
duorum publicorum notariorum diceret, deponeret et testificaretur, ad informandum vestras paternitates
reverendissimas de eisdem, prout in eisdem vestri,
reverendissimi domini mei Remensis archiepiscopi,
litteris missoriis prædictis, mihi per dominum senescallum
exhibitis, plenius continetur ; quarum tenor
talis est :
« A mon très chier seigneur et frère, messire Jehan d'Aulon,
chevalier, conseiller du roy et seneschal de Beaucaire.
« Très chier seigneur et frère, je me recommande à vous tant
comme je puis. Et est vray que dès ce que j'estoye à Saint-Porsain
devers le roy, je vous escripvy du procès fait contre Jehanne la
Pucelle par les Angloys, par lequel ilz vuellent maintenir icelle
avoir esté sorcière et hériticque et invocateresse des dyables, et
que, par ce moyen, le roy avoit recouvert son royaulme; et
ainsi ilz tenoient le roy et ceulx qui l'ont servy, hériticque. Et pour ce que de sa vie et conversacion et aussi gouvernement, savez
bien et largement, je vous prie que ce que en savez, en vueilliez
envoyer par escript, signé de deux notaires apostoliques et ung
inquisiteur de la foy ; car j'ay unes burles deçà, pour révocquer
tout ce que les ennemys ont fait touchant ledit procès. Escript à
Paris, le XXe jour d'avril.
Ainsi signé : « L'ARCEVESQUE ET DUC DE RAINS, »
Et illico dominus senescallus, præstito prius per
eum juramento in meis manibus de veritate super infrascriptis
dicenda et attestanda, eodem suo medio
juramento, dixit, deposuit et testificatus fuit in præsentia
mei, vice-inquisitoris ac dictorum dominorum
notariorum, ea quæ inferius in vulgari idiomate describuntur,
et ut sequitur :
Source : Texte original latin : "Procès de Jeanne d'Arc" - T.III - Jules Quicherat, p.35.
Traduction : Pierre Duparc, "Procès en nullité de la condamnation de Jeanne d'Arc", t.IV, p. 25.
Notes :
1 C'était un gentilhomme du Languedoc, écuyer dans la maison du Roi, qui, à cause de sa grande réputation de sagesse, avait été choisi par Charles VII pour
veiller sur la Pucelle et lui servir d'intendant. Il ne la quitta pas d'un instant tant
qu'elle fut sous les armes, et la conduite qu'il tint auprès d'elle lui attira force
louanges et faveurs. En 1433 on le trouve employé à diverses missions auprès
des États de Languedoc. Le 11 septembre de la même année il fut investi de la
capitainerie du château de Cabaret, par le comte de Foix, alors lieutenant général
en Languedoc et en Guyenne. En 1437, lors de 1'entrée de Charles VII à
Paris, il figurait dans le cortège, « menant le cheval du roy tout à pied. » Peu
après il devint sénéchal de Beaucaire, conseiller et maitre d'hotel du roi, homme
d'armes de la grande ordonnance sous la conduite de Jean de Beuil. Il fut fait
chevalier le 23 juillet 1449, pendant la conquête de la Normandie, au moment où les Français réunis près du château d'Harcourt, se rangeaient en bataille
pour combattre Talbot. Enfin, dans un acte de 1454 il figure comme capitaine
du château de Pierre-Scise, à Lyon. Un Philippe d'Aulon, que Louis XI pensionnait à titre d'homme d'armes et de maître de son hôtel, était sans doute fils
de Jean d'Aulon (Manuscrits de la Bibl. du roi, Cabinet des titres; Monstrelet, 1. II, ch. 219 ; chron. de Berry, ed. Godefroi, p. 435; Hist. gén. de la mais.
de Fr., t. VIII, p. 140 ; Manuscrit Gaignières , n° 772-2, f° 452).
2 Tout ce qui est contenu depuis cet endroit jusqu'à la déposition du témoin,
est omis dans le manuscrit 5970. Nous suppléons d'après les manuscrits
ND. et de d'Urfé. (Quicherat)
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