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Procès
de réhabilitation
Déposition
du Duc d'Alençon |
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Illustre et très puissant prince et seigneur, le seigneur
Jean, duc d'Alençon (1), âgé d'environ cinquante ans, produit,
reçu, juré et interrogé devant les seigneurs juges, le troisième
jour du mois de mai, l'an du Seigneur mille quatre cent
cinquante-six,
Interrogé d'abord sur ce qu'il sait pour déposer à propos
du contenu des Ier, IIe, IIIe et IVe
articles, il dit et déclare sous serment que, lorsque Jeanne
vint voir le roi, celui-ci se trouvait dans la ville de Chinon ;
le témoin était alors dans la ville de Saint-Florent (2), et au
cours d'une promenade pour chasser aux cailles, en français,
un de ses intendants vint le prévenir de l'arrivée auprès du
roi d'une Pucelle, qui se déclarait envoyée par Dieu, pour
mettre en fuite les Anglais et faire lever le siège mis par
ceux-ci devant la ville d'Orléans. Aussi dès le lendemain le
témoin se rendit auprès du roi à Chinon, et il y trouva cette
Jeanne, qui s'entretenait avec le roi. A l'arrivée du témoin,
Jeanne demanda qui il était, et le roi répondit que c'était
le duc d'Alençon. Alors Jeanne déclara : « Vous, soyez le
très bien venu ! Plus nombreux seront-ils ensemble du sang
royal de France, et mieux cela sera ». Le lendemain Jeanne
vint à la messe du roi et, lorsqu'elle vit le roi, elle s'inclina ;
puis le roi l'emmena dans une chambre, avec le témoin et
le sire de La Trémouille, que le roi retint, en ordonnant aux
autres de se retirer. Alors Jeanne adressa plusieurs requêtes
au roi, et entre autres pour qu'il donnât son royaume au
Roi des cieux : après cette donation le Roi des cieux agirait
comme il l'avait fait pour ses prédécesseurs, et le remettrait
en son état antérieur ; il y eut aussi beaucoup d'autres choses,
que le temoin ne se rappelle pas, mais dont on parla jusqu'au
repas. Après le repas le roi alla se promener dans les prés, et Jeanne y courut avec la lance ; le témoin, voyant comme
elle se comportait en tenant la lance et en courant avec la
lance, lui donna un cheval. Mais ensuite le roi décida que Jeanne serait examinée par les gens d'Église, et furent délégués à cet effet l'évêque de Castres, confesseur du roi et les évêques de Senlis, Maguelonne et Poitiers, maître Pierre
de Versailles, plus tard évêque de Meaux, maître Jourdan
Morin, et beaucoup d'autres dont il ne se rappelle pas les
noms. Ils demandèrent à Jeanne, en présence du témoin,
pour quelle raison elle était venue, et qui l'avait envoyée
au roi. Elle répondit qu'elle était venue de la part du Roi
des cieux, qu'elle avait des voix et un conseil qui lui indiquaient ce qu'elle avait à faire ; de cela cependant le témoin
ne se souvient pas. Mais plus tard Jeanne, qui prenait alors
ses repas avec le témoin, confia à celui-ci qu'elle avait été
beaucoup questionnée, mais qu'elle savait et pouvait plus
de choses qu'elle n'en avait dites à ceux qui l'interrogeaient.
Le roi cependant, après avoir entendu la relation desdits
commissaires chargés de l'interroger décida que Jeanne
irait à Poitiers, où elle serait de nouveau interrogée. Le
témoin n'assista pas à cet interrogatoire fait à Poitiers. Il
sait cependant que plus tard, au conseil du roi, on relata
ce qu'avaient dit ceux qui l'avaient examinée : ils n'avaient rien trouvé en elle de contraire à la foi catholique, et, attendu
l'état de nécessité, le roi pouvait avoir recours à elle. Après
cette relation le roi envoya le témoin vers la reine de Sicile (3),
afin de préparer le ravitaillement pour l'armée qui devait être conduite à Orléans ; il rencontra alors le sire Ambroise
de Loré et un sire Louis, dont il ne se rappelle plus le nom (4),
qui préparèrent le ravitaillement. Mais il fallait de l'argent
pour cela, et afin de l'avoir le témoin retourna auprès du
roi, lui annonça que le ravitaillement était prêt, et qu'il ne
manquait plus que l'argent pour les vivres et les hommes
d'armes. Le roi envoya alors quelques personnes pour délivrer l'argent nécessaire à l'accomplissement de cette entreprise ; ainsi les hommes d'armes avec les vivres furent prêts à partir pour la ville d'Orléans, afin d'essayer, si possible,
de faire lever le siège. Jeanne fut envoyée avec ces hommes
d'armes, et le roi lui fit faire une armure. Ainsi partirent les hommes d'armes et Jeanne ; mais ce qu'ils firent en route et dans la ville d'Orléans, le témoin n'en sait rien, si ce n'est
par ouï-dire, car il ne fut pas présent et n'alla pas avec ces
hommes d'armes. Cependant il vit par la suite les fortins établis devant la ville d'Orléans, et il constata leur force ;
il croit qu'ils furent pris plus par miracle que par la force
des armes, spécialement le fortin des Tournelles, au bout
du pont, et le fortin des Augustins ; si dans ceux-ci le témoin
s'était trouvé avec une petite troupe, il aurait bien pu espérer
résister pendant six à sept jours à toute la puissance des
ennemis, qui, lui semble-t-il, n'auraient pu s'en emparer ;
et, comme il l'a entendu rapporter par les hommes d'armes
et capitaines qui y furent, ceux-ci attribuaient presque tous
les événements d'Orléans à un miracle de Dieu venant d'en
haut et non à l'oeuvre des hommes. Il l'entendit dire plusieurs fois par sire Ambroise de Loré, naguère prévôt de Paris.
Le témoin ne vit plus Jeanne depuis qu'elle eût quitté le
roi jusqu'à la levée du siège d'Orléans. Il la revit à Selles en
Berri, d'où il rejoignit avec Jeanne les autres hommes d'armes
se trouvant près d'Orléans. Et ils firent tant qu'ils réunirent jusqu'à six cent lances des gens du roi, avec l'intention
d'aller à Jargeau, ville qu'occupaient les Anglais ; et cette
nuit-là ils couchèrent dans un bois ; le lendemain vinrent
d'autres hommes d'armes, conduits par le sire bâtard d'Orléans, le sire Florent d'Illiers et quelques autres capitaines ;
et tous rassemblés ils se trouvèrent environ mille deux cent
lances. Il y eut alors discussion entre les capitaines, car les
uns étaient d'avis de donner assaut à la ville, les autres étaient
opposés, affirmant que les Anglais avaient une grande puissance et étaient en grand nombre. Jeanne, voyant ces dissenssions
entre eux, leur dit de ne pas craindre le nombre
et de ne pas faire difficulté à donner l'assaut aux Anglais,
car Dieu conduisait leur entreprise ; elle ajouta que si elle
n'avait pas été sûre que Dieu menât l'affaire, elle aurait
préféré garder ses moutons et ne pas s'exposer à tant de périls. Sur ces paroles ils se mirent en route vers la ville de
Jargeau, croyant s'emparer des faubourgs et y passer la
nuit ; mais les Anglais, l'apprenant, vinrent à leur rencontre et d'abord les repoussèrent. Ce que voyant, Jeanne prit son étendard et partit à l'attaque en exhortant les hommes
d'armes à avoir bon courage ; et ils firent tant que cette nuit
là l'armée du roi s'installa dans les faubourgs de Jargeau.
Le témoin croit que Dieu menait l'affaire, car pendant la
nuit il n'y eut presque aucune garde, et, si les Anglais étaient
sortis de la ville, l'armée du roi aurait été en très grand péril.
Les gens du roi préparèrent l'artillerie, firent au matin diriger
bombardes et machines contre la ville ; après quelques jours
ils tinrent conseil sur ce qui paraissait à faire contre les
Anglais se trouvant dans Jargeau, pour reprendre la ville.
Pendant le conseil on rapporta que La Hire était en pourparlers avec le sire de Suffolk ; peur cela le témoin, et les
autres qui avaient la charge des hommes d'armes, furent
mécontents de La Hire ; et on lui demanda de revenir. Après
cet incident on décida de lancer l'assaut contre la ville, et
les hérauts crièrent : « A l'assaut » Jeanne dit alors au témoin
qui dépose : « Avant, gentil duc, à l'assaut ! » Et, comme il
paraissait au témoin qu'on agissait prématurément, en
partant si vite à l'assaut, Jeanne lui dit : « N'hésitez pas !
L'heure est prête quand il plaît à Dieu » ; elle ajouta qu'il
fallait travailler quand Dieu le voulait : « Travaillez et Dieu
travaillera » ; plus tard elle dit au témoin : « Ah ! gentil duc,
as-tu peur? Ne sais-tu pas que j'ai promis à ton épouse de
te ramener sain et sauf ? » C'était vrai en effet : quand le
témoin quitta sa femme pour venir à l'armée, celle-ci dit à
Jeanne qu'elle craignait beaucoup pour son mari, qu'il avait
déjà été prisonnier et de grosses sommes avaient été dépensées pour son rachat, qu'elle l'aurait volontiers prié de rester.
Alors Jeanne répondit : « Dame, n'ayez pas peur ! Je vous le
rendrai sauf, dans l'état où il est, ou même meilleur ».
Il déclare aussi que, pendant l'assaut contre la ville de
Jargeau, Jeanne dit au témoin, qui se trouvait à une place,
de quitter cet endroit ; car, s'il ne s'en allait « cette machine »,
dit-elle montrant une machine installée dans la ville, « te
tuera ». Le témoin s'en alla, et peu après, au lieu même qu'il
avait quitté, fut tué par cette machine un certain Monseigneur du Lude (5); le témoin en conçut une grande peur, et
il s'émerveillait des paroles de Jeanne après cela. Ensuite
Jeanne partit à l'assaut et le témoin avec elle. Lors de l'avancée des assaillants le comte de Suffolk fît crier qu'il voulait
parler au témoin qui dépose ; mais il ne fut pas entendu, et
l'assaut poursuivi. Jeanne était sur une échelle, tenant à
la main son étendard, qui fut frappé ; elle-même fut atteinte à la tête d'une pierre, qui se brisa sur sa chapeline. Elle fut
cependant jetée à terre ; en se relevant elle dit aux hommes
d'armes : « Amis, amis, sus ! sus ! Nostre Sire a condamné les
Anglois. A cette heure ils sont à nous ; ayez bon courage ! »
En un instant la ville de Jargeau fut prise ; les Anglais firent
retraite vers les ponts, suivis par les Français ; et dans la poursuite plus de onze cents furent tués.
Une fois la ville prise, le témoin, Jeanne et les hommes
d'armes allèrent à Orléans, puis d'Orléans à Meung, ville
où se trouvaient des Anglais, à savoir l'Enfant de Warwick
et Scales. Avec peu de troupes le témoin passa la nuit dans
une église, près de Meung, où il fut en grand péril ; le lendemain il allèrent vers Beaugency, où ils rencontrèrent dans
les prés d'autres troupes royales et menèrent une attaque
contre les Anglais se trouvant dans la ville. Après cette
attaque, les Anglais abandonnèrent la ville et se réfugièrent dans le château ; on plaça alors des gardes devant le château
pour empêcher les Anglais de sortir. Alors qu'ils se trouvaient
ainsi devant le château, le témoin et Jeanne apprirent que
le connétable arrivait avec quelques troupes ; ils en furent,
eux et les autres de l'armée, mécontents et voulurent se
retirer de la ville, car ils avaient l'ordre de ne pas recevoir
le seigneur connétable dans leur compagnie. Aux dires du
témoin, Jeanne déclara que, si le connétable venait, elle
s'en irait. Mais le lendemain, avant l'arrivée du seigneur
connétable, on apprit que les Anglais venaient en grand
nombre et avec eux le sire de Talbot. Les troupes crièrent : « à l'arme » ; et alors Jeanne dit au témoin, qui voulait s'en
aller à cause de l'arrivée du sire connétable, qu'il était nécessaire de s'entraider. Les Anglais du château cependant le rendirent par composition ; ils partirent avec un saufconduit, délivré par le témoin, qui en ce temps était lieutenant du roi pour cette armée. Alors que ces Anglais se
retiraient, vint un homme de la compagnie de La Hire, pour
annoncer au témoin et aux capitaines du roi que les Anglais approchaient, qu'ils seraient bientôt en vue, et qu'ils étaient
environ mille hommes d'armes. Au bruit, Jeanne demanda
ce que disait cet homme, et, l'ayant appris, elle déclara au
sire connétable : « Ah ! beau connétable, vous n'êtes pas venu
de par moi ; mais puisque vous êtes venu, soyez le bienvenu ».
Beaucoup des gens du roi craignaient alors, disant qu'il était bon d'amener les chevaux, alors Jeanne déclara : « En
nom Dieu, il les faut combattre ! s'ils étaient pendus aux nues,
nous les aurons, car Dieu nous les envoie pour que nous les
punissions », affirmant qu'elle était sûre de la victoire, en
ajoutant les mots suivants : « Le gentil roi aura aujourd'hui
la plus grande victoire qu'il eut jamais . Et m'a dit
mon conseil qu'ils sont tous nôtres ». Et le témoin sait que,
sans grande difficulté, les Anglais furent défaits et tués, et
parmi eux Talbot fut pris. Il y eut alors grand massacre d'Anglais, puis les gens du roi vinrent à la ville de Patay
en Beauce ; dans cette ville ledit Talbot fut amené devant
le témoin et le sire connétable, en présence de Jeanne. Le
témoin déclara à Talbot qu'il ne devait pas croire le matin
qu'il en serait ainsi ; sur ce, Talbot répondit que c'était la
fortune de la guerre. On retourna ensuite auprès du roi, qui
décida d'aller en la ville de Reims, pour son couronnement
et son sacre.
Il entendit parfois Jeanne dire au roi qu'elle durerait un
an, et non beaucoup plus, et qu'il fallait penser, pendant
cette année là, à bien travailler, car elle prétendait avoir
quatre charges, à savoir : chasser les Anglais ; faire couronner
et sacrer le roi à Reims ; délivrer le duc d'Orléans des mains
des Anglais ; et faire lever le siège mis par les Anglais devant
la ville d'Orléans.
Il dit en outre que Jeanne était chaste et détestait beaucoup
ces femmes qui suivaient les armées. Le témoin la vit en effet, à Saint-Denis, au retour du couronnement du roi, qui
poursuivait l'épée tirée du fourreau, une fille vivant avec
les hommes d'armes, au point que dans sa poursuite elle en
cassa son épée. Elle était aussi fort irritée quand elle entendait des hommes d'armes jurer ; elle les réprimandait beaucoup et surtout le témoin, qui parfois jurait ; et lorsqu'il la
voyait il se retenait de jurer.
Il dit aussi que parfois en campagne il coucha avec Jeanne
et les hommes d'armes à la paillade ; il vit
parfois Jeanne s'habiller, et parfois il voyait ses seins, qui étaient beaux ; le témoin n'eut cependant jamais aucun
désir charnel à son endroit.
Il dit en outre, pour autant qu'il put s'en rendre compte,
l'avoir toujours estimée bonne catholique et femme honnête,
car il la vit plusieurs fois recevoir le corps du Christ ; et,
quand elle regardait le corps du Christ, elle versait très souvent d'abondantes larmes. Elle recevait la sainte eucharistie deux fois par semaine et se confessait souvent.
Il dit aussi que Jeanne, hors le fait de guerre, était d'un
comportement simple et jeune ; mais pour la guerre elle était très habile, tant pour porter la lance, que pour rassembler l'armée, ordonner le combat et préparer l'artillerie. Tous étaient pleins d'admiration de ce qu'elle pût se comporter si habilement et prudemment dans les actions militaires, comme si elle avait été un capitaine guerroyant depuis
vingt ou trente ans, et surtout à propos de la préparation
de l'artillerie, en quoi elle excellait.
Interrogé sur ce, ne sait rien de plus.
Illustris ac potentissimus princeps et dominus, dominus
Johannes, dux Alenconii, ætatis L annorum, vel circiter, productus, receptus, juratus et examinatus
coram præfatis dominis judicibus, die III. mensis
maii, anni præfati Domini MCCCCLVI.
Et primo, interrogatus quid ipse sciat deponere de
et super contentis in I., II., III. et IV. articulis : dicit
et deponit, ejus medio juramento, quod, dum ipsa
Johanna venit versus regem, rex erat in villa de
Chinon, et ipse loquens in villa Sancti Florentii;
et ipso loquente ibidem exsistente et spatiante ad fugandum
aux cailles, gallice, quidam bajulus loquentis
accessit ad ipsum, eidem notificando quod venerat
versus regem quædam puella asserens se missam ex
parte Dei, ad fugandum Anglicos et levandum obsidionem
positam per eosdem Anglicos ante villam Aurelianensem.
Qua de causa ipse loquens in crastino
ivit versus regem apud villam de Chinon exsistentem, et invenit dictam Johannam loquentem cum rege. Et
ipso loquente appropinquante, ipsa Johanna petiit
de loquente quis esset, et rex respondit quod erat dux
Alenconii. Tunc ipsa Johanna dixit : « Vous soyez le très bien venu. Quanto plures erunt de sanguine regis Franciæ insimul, tanto melius. » Et in crastino, ipsa
Johanna venit ad missam regis, et dum percepit regem, se inclinavit, et rex eamdem Johannam duxit
in cameram quamdam ; et cum eo erat ipse loquens et
dominus de la Tremoille, quos retinuit rex, aliis præcipiendo
quatenus recederent. Tunc ipsa Johanna fecit
regi plures requestas, et inter alias quod donaret
regnum suum Regi coelorum, et quod Rex coelorum,
post hujusmodi donationem, sibi faceret prout fecerat suis prædecessoribus, et eum reponeret in pristinum
statum ; et multa alia, de quibus ipse loquens non recolit,
fuerunt prolocuta usque ad prandium. Et post
prandium rex ivit spatiatum ad prata, et ibidem ipsa
Johanna cucurrit cum lancea, et propter hoc ipse
loquens, videns eamdem Johannam ita se habere in
portando lanceam et currendo cum lancea, dedit
eidem Johannæ unum equum. Postmodum vero rex
conclusit quod ipsa Johanna examinaretur per gentes
ecclesiæ ; et fuerunt deputati episcopi Castrensis, confessor
regis ; Silvanectensis, Magalonensis et
Pictavensis ; magister Petrus de Versailles, postmodum
episcopus Meldensis, et magister Jordanus Morin,
et quam plures alii de quorum nominibus non recolit. Qui eamdem Johannam interrogaverunt, in ipsius loquentis
præsentia, ad quid ipsa venerat, et quis eam
fecerat venire ad regem. Quæ respondit quod venerat
ex parte Regis coelorum, et quod habebat voces et
consilium quæ sibi consulebant quid haberet agere ;
de his autem non recordatur ipse loquens. Sed postmodum
ipsa Johanna, quæ tunc prandebat cum loquente, dixit loquenti quod ipsa fuerat multum examinata,
sed plura sciebat et poterat quam dixisset
eam interrogantibus. Rex autem, audita relatione dictorum commissorum ad eam examinandum, iterum voluit quod ipsa Johanna iret ad villam Pictavensem;
et ibidem iterum examinata fuit. Ipse tamen
loquens in hujusmodi examine facto Pictavis non fuit
præsens. Scit tamen quod postmodum in consilio regis
fuit relatum quod illi qui eam examinaverant, dixerant
quod in eadem nihil invenerant fidei catholicæ contrarium, et quod, attenta neccessitate, quod rex
de eadem se juvare poterat. Et his auditis, rex misit
loquentem versus reginam Siciliæ pro præparando
victualia ad ducendum Aurelianis pro exercitu
conducendo ; et ibidem invenit dominum Ambrosium
de Loré et dominum Ludovicum, de cujus
cognomine non recordatur, qui præparaverunt
victualia. Sed opus erat pecuniis, et ad habendum pecunias
pro dictis victualibus, ipse loquens regressus
est ad regem et sibi notificavit qualiter victualia
erant parata, et non restabant nisi pecuniæ pro victualibus
et armatis. Et tunc rex aliquos misit pro deliberando
pecunias necessarias ad opus hujusmodi
complendum ; in tantum quod armati cum victualibus
fuerunt præparati ad eundum ad villam Aurelianensem,
ad tentandum si levari posset obsidio. Cum
quibus armatis ipsa Johanna fuit missa; et fecit rex fieri eidem Johannæ armaturas. Et ita recesserunt
armati regis cum Johanna ; sed quid fecerunt eundo,
et de his quæ facta fuerunt in villa Aurelianensi, nihil scit ipse loquens, nisi ex auditu, quia non fuit præsens,
nec cum ipsis armatis ivit ; sed postmodum vidit
fortalitia exsistentia ante villam Aurelianensem, et
consideravit fortificationem eorum ; quæ credit potius
capta fuisse miraculose quam vi armorum, et maxime
fortalitium de Tournelles, in buto pontis, et fortalitium
Augustinensium, in quibus, si ipse loquens cum
paucis armatis fuisset, ipse bene fuisset ausus exspectare
per sex vel septem dies omnimodam potentiam
armatorum, et sibi videtur quod eum non cepissent ;
et, prout audivit referri ab armatis et capitaneis qui
ibidem interfuerant, quod quasi omnia facta Aurelianis
adscribebant Dei miraculo et quod illa non
fuerant facta opere humano, sed desuper acciderat.
Et hoc audivit dici pluries domino Ambrosio de Loré,
nuper præposito Parisiensi. Nec eamdem Johannam a
tempore sui recessus de rege vidit usque post levatam
obsidionem Aurelianensem. Et tantum fecerunt
quod fuerunt congregati insimul de gentibus regis usque
ad numerum sex centum lancearum, desiderantes ire
ad villam de Jargueau, quam tenebant Anglici occupatam ; et illa nocte cubuerunt in quodam nemore ;
et adveniente crastino, venerunt alii armati regis
quos conducebant dominus Bastardus Aurelianensis
et dominus Florentius d'Illiers, et quidam alii capitanei
; et ipsis ad invicem congregatis, invenerunt quod
ipsi erant circiter duodecim centum lanceæ ; et fuit tunc contentio inter capitaneos, quia aliqui erant opinionis
quod fieret insultus in villa, alii de contrario,
asserentes Anglicos habere magnam potentiam et esse
in magna multitudine. Ipsa tunc Johanna videns inter
eos difficultatem, dixit quod non timerent aliquam multitudinem,
nec facerent difficultatem de dando eisdem
Anglicis insultum, quia Deus conducebat eorum opus ;
dicens ipsa Johanna quod, nisi esset secura quod Deus
deducebat hoc opus, quod ipsa prædiligeret custodire
oves quam tantis periculis se exponere. Et his auditis,
duxerunt iter suum erga villam de Jargueau, credentes
accipere suburbia et ibidem pernoctare ; quod scientes
Anglici venerunt eisdem obviam, et prima facie repulerunt gentes regis. Quod videns ipsa Johanna,
accepto suo vexillo, ivit ad invasionem, commonendo
armatos quatenus haberent bonum cor. Et tantum fecerunt
quod illa nocte armati regis fuerunt hospitati in
suburbiis de Jargueau. Et credit loquens quod Deus
hujusmodi opus conducebat, quia illa nocte quasi nullæ
factæ sunt excubiæ, ita quod, si Anglici exivissent villam,
armati regis fuissent in magno periculo. Et paraverunt
armati regis l'artillerie, feceruntque de mane
trahere bombardas et machinas contra villam, et habuerunt
post aliquos dies inter se consilium quid
agendum videretur contra Anglicos exsistentes in villa
de Jargueau, pro recuperatione dictæ villæ. Ipsis in
consilio existentibus, relatum fuit quod La Hire loquebatur
cum domino de Suffort ; de quo ipse loquens, et
alii qui habebant onus hujusmodi gentium armatorum,
fuerunt male contenti de dicto La Hire ; et fuit mandatus
ipse La Hire, qui venit. Post cujus eventum fuit conclusum
quod fieret insultus contra villam, et clamaverunt præcones : « Ad insultum ! » ipsaque Johanna
dixit loquenti : « Avant, gentil duc, à l'assault » Et,
cum eidem loquenti videretur quod præmature agebant
ita cito incipere insultum, ipsa Johanna dixit loquenti
: « Nolite dubitare, hora est parata quando placet Deo; » et quod oportebat operari quando Deus volebat ; « operate, et Deus operabitur; » dicendo ulterius
eidem loquenti : « A! gentil duc, times-tu ? Nonne scis quod ego promisi uxori tuæ te reducere sanum et incolumem ? » Quia in veritate, dum ipse
loquens recessit a sua uxore pro veniendo cum eadem
Johanna ad exercitum, uxor loquentis dixit eidem
Johannetæ quod multum timebat de ipso loquente, et quod nuper fuerat prisionarius, et quod tantæ pecuniæ
fuerant expositæ pro sua redemptione, quod libenter
eumdem loquentem rogavisset de remanendo. Tunc
ipsa Johanna respondit : « Domina, nolite timere. Ego eum vobis reddam sanum, et in statu tali aut meliori quam sit. »
Dicit etiam quod, durante insultu contra villam de
Jargueau, ipsa Johanna dixit loquenti exsistenti in
quadam platea quod recederet ab illo loco, et quod nisi
recederet, « illa machina, » ostendendo quamdam machinam
exsistentem in villa, « te occidet. » Et recessit
loquens, et paulo post ex eadem machina, in eodem
loco a quo recesserat ipse loquens, fuit quidam occisus,
qui vocabatur Monseigneur du Lude ; de quo habuit magnum timorem ipse loquens, et multum mirabatur
de dictis ipsius Johannæ, attentis prædictis. Postmodum
ipsa Johanna ivit ad insultum, et ipse loquens
cum eadem. Et armatis invadentibus, comes de Suffort
fecit clamari quod volebat loqui cum loquente ; qui
tamen non fuit auditus, imo perfecerunt insultum.
Et erat ipsa Johanna in scala, tenens in manu sua vexillum
suum, quod vexillum fuit percussum, et ipsa
Johanna fuit percussa super caput de uno lapide quod
fuit diminutum super capellaniam ipsius Johannæ.
Ipsa tamen Johanna prostrata fuit ad terram ; et cum
surrexisset dixit armatis : « Amys, amys, sus! sus! Nostre Sire a condempné les Angloys. Ista hora sunt nostri ; habeatis bonum cor ! » Et in instanti ipsa villa
de Jargueau fuit capta, et Anglici recesserunt versus
pontes : quos insequebantur Gallici ; et in prosecutione
fuerunt occisi plus quam undecim centum.
Et villa capta, ipse loquens, Johanna et armati iverunt
ad villam Aurelianensem, et de villa Aurelianensi
iverunt apud Magdunum, ubi erant Anglici in villa,
videlicet l'Enfant de Warvic et Scalles. Ipse autem
loquens cum paucis armatis pernoctavit in quadam ecclesia,
juxta Magdunum, ubi ipse loquens fuit in
magno periculo ; et in crastino iverunt apud Baugency, in quibusdam pratis ubi invenerunt alios armatos regis,
et ibidem facta fuit quædam invasio contra Anglicos
exsistentes in villa de Baugency. Post quam invasionem
Anglici exposuerunt villam et intraverunt castrum
; et fuerunt positæ excubiæ coram castro, ne Anglici exirent. Et ipsis exsistentibus coram castro,
audiverunt nova quod dominus connestabularius cum
certis armatis veniebat ; unde fuit ipse loquens, ipsa Johanna et alii de exercitu male contenti, volentes recedere
a dicta villa, quia habebant in mandatis de non
recipiendo in sua societate dominum connestabularium.
Et dixit loquens ipsi Johannæ quod si ipse connestabularius
veniret, ipse recederet. Et in crastino, ante adventum
domini connestabularii, venerunt nova quod
Anglici veniebant in magno numero, in quorum societate
erat dominus de Talbot, et clamaverunt armati :« à l'arme ! » et tunc ipsa Johanna dixit loquenti, qui
volebat recedare propter adventum domini connestabularii,
quod opus erat se juvare. Et tandem Anglici
reddiderunt castrum per compositionem, et recesserunt
cum salvo conductu quem eisdem concessit ipse loquens, qui eodem tempore eral locum tenens pro rege
in hujusmodi exercitu. Et dum Anglici recesserunt,
venit quidam de societate La Hire, qui dixit loquenti et capitaneis regis quod Anglici veniebant, et quod eos
cito vultuatim haberent, et quod erant quasi mille
homines armorum. Quod audiens ipsa Johanna quæsivit
quid diceret ille homo armorum, et sibi notificato,
dixit domino connestabulario : « A! beau connestable, vous n'estes pas venu de par moy ; sed quia venistis, vos bene veneritis. » Multi autem de gentibus regis
timebant, dicentes quod bonum erat mandare equos.
Ipsa autem Johanna dixit; « En nom Dieu, il les fault combatre ; s'ilz estoient pendus aux nues nous les arons, quia Deus eos mittit nobis ut eos puniamus, » asserendo se esse securam de victoria, dicendo verbis gallicis : « Le gentil roy ara au jour duy la plus grant victoire qu'il eut pièça. Et m'a dit mon conseil qu'ils sont tous nostres. » Et scit loquens quod sine magna
difficultate Anglici fuerunt debellati et occisi, et inter
alios Talbot fuit captus. Fuit autem facta maxima occisio
Anglicorum, et postmodum venerunt gentes regis ad
villam de Patay in Belsia ; in qua villa fuit adductus dictus Talbot coram ipso loquente et domino connestabulario,
ipsa Johanna prsesente. Dixit enim ipse loquens
dicto Talbot quod non credebat de mane quod
sibi ita accideret ; qui quidem Talbot respondit quod
erat fortuna guerræ. Et deinde reversi sunt versus regem,
qui deliberavit postmodum ire ad villam Remensem,
pro sua coronatione et consecratione.
Audivitque aliquando dictam Johannam dicentem
regi quod ipsa Johanna duraret per annum et non
multum plus, et quod cogitarent illo anno de bene
operando, quia dicebat se habere quatuor onera, videlicet
: fugare Anglicos ; de faciendo regem coronari et
consecrari Remis ; de liberando ducem Aurelianensem
a manibus Anglicorum ; et de levando obsidionem
positam per Anglicos ante villam Aurelianensem.
Dicit insuper quod ipsa Johanna erat casta, et multum
odiebat illas mulieres quæ sequebantur armatos.
Vidit enim ipse loquens, in Sancto-Dionysio, in regressu
coronationis regis, quod ipsa Johanna prosequebatur cum gladio evaginato quamdam juvenculam exsistentem
cum armatis, adeo quod, eam insequendo, disrupit
suum ensem. Multum etiam irascebatur dum aliquos
armatos audiebat jurantes, ipsos multum increpabat et maxime ipsum loquentem, qui aliquando
jurabat ; et dum videbat eam, refrenabatur a juramento Dicit etiam quod aliquando in exercitu ipse loquens
cubuit cum eadem Johanna et armatis à la paillade, et
vidit aliquando quod ipsa Johanna se præparabat, et
aliquando videbat ejus mammas, quæ pulchræ erant ;
non tamen habuit ipse loquens unquam de ea concupiscentiam
carnalem.
Dicit ulterius quod, quantum percipere potuit, ipsam
semper tenuit pro bona catholica et proba muliere,
quia eam vidit pluries recipere corpus Christi ; et, dum
videbat corpus Christi, flebat multotiens cum magnis
lacrimis. Recipiebat etiam sacram eucharistiam bis in
septimana, et sæpe confitebatur.
Dicit etiam quod ipsa Johanna in omnibus factis
suis, extra factum guerræ, erat simplex et juvenis ; sed
in facto guerræ erat multum experta, tam in portu
lanceæ quam in congregando exercitu et ordinandis
bellis, et in præparatione de l'artillerie ; et de hoc mirabantur
omnes quod ita caute et provide agebat in
facto guerræ, ac si fuisset unus capitaneus qui facta
guerræ per XX aut XXX annos exercuisset, et maxime in
præparatione de l'artillerie, quia multum bene in hoc
se habebat.
Nec aliud scit super hoc interrogatus.
Sources :
- Texte latin : Quicherat - Procès t.III p.90 et suiv.
- Traduction : Pierre Duparc.
Notes de Quicherat :
1 C'est ce Jean d'Alençon qui, pour avoir correspondu clandestinement avec le roi d'Anglelerre, fut depuis condamné à la prison perpétuelle ; que Louis XI gracia à son avénement, et qui mourut en 1476 après s'être fait condamner une seconde fois.
2 Saint-Florent-les-Saumur.
3 Yolande d'Aragon, belle-mère de Charles VII, femme d'une grande capacité et qui avait beaucoup de part au gouvernement, lorsque les intrigues des favoris ne l'empêchaient pas d'agir. Le fait rapporté par le témoin est confirmé par l'article suivant que j'extrais d'un titre conservé à la bibliothèque d'Orléans : « A Geffroy Diron, d'Orliens, pour avoir vaqué par l'espace de vingt jours en deux voiages qu'il a faiz d'Orliens à Blois pour recevoir et mectre en sauf le blé que la roine de Cécille avoit fait amener audit lieu de Blois. » (Mandats et quittances des dépenses de la ville d'Orléans en 1429 et
1430, liasse 2, pièce 29.)
4 Peut-être Louis de Culant.
5 La Chronique dite de la Pucelle, qui rapporte le même événement, l'applique à ung gentilhomme d'Anjou, ce qui fait voir qu'il s'agit de cette seigneurie du Lude que Jean de Daillon acquit en 1457 du côté de sa belle-mère Jeanne de Vendôme-Ségré ; mais on ne trouve pas de qui cette dernière la tenait.
Remarques de J.B.J. Ayroles sur ce témoignage :
Perceval de Cagny nous a fait connaître ce qu'était le duc d'Alençon lorsqu'il eut le titre de généralissime de l'armée avec laquelle la Pucelle nettoya les bords de la Loire. Combien ses dispositions avaient changé en mai 1456, quand il fut appelé à déposer sur celle dont il eut l'honneur d'obtenir la particulière faveur ! La jalousie, des ambitions déçues, et peut-être aussi des dénis de justice, l'avaient fait passer du côté des Anglais, par lui si abhorrés aux jours de la Pucelle. Il complotait pour les faire rentrer dans cette France d'où ils venaient d'être expulsés.
Le 3 mai, jour de sa déposition, des soupçons de trahison pesaient déjà sur lui. Ils allaient être confirmés et le duc allait être arrêté dans les derniers jours du mois. Il fut interrogé sur la Pucelle à Paris devant
l'archevêque de Reims et l'évêque de Paris qui devaient le juger deux ans après.
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