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Procès
de réhabilitation
Déposition
de Gobert Thibault |
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Honnête et sage personne Gobert Thibaut, écuyer de
l'écurie du roi de France, et élu sur le fait des subsides dans
la ville de Blois, âgé d'environ cinquante ans, à ce qu'il dit,
témoin produit devant lesdits seigneurs juges, reçu, juré et
interrogé le cinquième jour d'avril,
Et d'abord questionné sur ce qu'il sait pour déposer ou
témoigner à propos du contenu des Ier, IIe,
IIIe et IVe articles, il dit et déclare sous serment qu'il était dans la ville de Chinon, lorsque Jeanne arriva
auprès du roi, qui était lui aussi dans la ville de Chinon ;
alors cependant il n'eut pas grande connaissance de cette
Jeanne. Mais ensuite il en eut plus grande connaissance, car,
lorsque le roi voulut aller à Poitiers, Jeanne y fut conduite
et hébergée dans la maison de maître Jean Rabateau. Le
témoin sait aussi que Jeanne, dans la ville de Poitiers, fut
interrogée et examinée par feu maître Pierre de Versailles,
professeur de théologie sacrée, alors abbé de Talmont, lors
de son décès évêque de Meaux, et par maître Jean Érault,
aussi professeur de théologie sacrée ; le témoin alla avec eux,
sur l'ordre de feu l'évêque de Castres. Elle était, comme il
l'a dit plus haut, hébergée dans la maison dudit Rabateau,
où les susdits Versailles et Érault s'entretinrent avec Jeanne
en présence du témoin ; et alors qu'ils parvenaient à cette
maison, Jeanne vint au-devant d'eux, et frappa le témoin
sur l'épaule, en lui disant qu'elle voudrait bien avoir beaucoup d'hommes de son caractère. Alors ce Versailles dit à
Jeanne qu'ils étaient envoyés auprès d'elle par le roi ; elle
répondit : « Je crois bien que vous êtes envoyés pour m'interroger, ajoutant : Je ne sais ni A ni B ». Ils lui demandèrent alors pourquoi elle venait. Elle répondit : « Je viens
de la part du Roi des cieux, pour faire lever le siège d'Orléans, et pour conduire le roi à Reims, afin qu'il soit couronné
et sacré ». Elle leur demanda s'ils avaient du papier et de
l'encre, et dit à maître Jean Érault : « Écrivez ce que je vais
vous dire : Vous, Suffort, Classidas et La Poule, je vous somme,
de par le Roy des cieulx, que vous en allez en Angleterre ». Et
cette fois lesdits Versailles et Érault ne firent chose autre
dont il se souvienne ; et Jeanne demeura dans la ville de
Poitiers aussi longtemps que le roi. Elle disait aussi que son
conseil lui avait dit qu'elle devait au plus tôt aller voir le roi.
Le témoin vit ceux qui l'amenèrent au roi, à savoir Jean
de Metz, Jean Coulon et Bertrand Pollichon (1),
qu'elle tenait en grande familiarité et amitié ; une fois, en
sa présence, ceux-ci, qui avaient conduit Jeanne, déclarèrent à feu monseigneur de Castres, alors confesseur du roi, qu'ils étaient venus par la Bourgogne, en traversant des lieux
occupés par les ennemis ; cependant ils avaient toujours passé sans le moindre empêchement ; ils s'en émerveillaient fort.
Déclare en outre avoir entendu ledit défunt seigneur confesseur dire qu'il avait vu dans des écrits que devait venir
une certaine Pucelle, au secours du roi de France. Le témoin
n'a pas vu, et ne sait pas, si Jeanne fut interrogée autrement
qu'il ne l'a dit dans sa déposition. Cependant il a entendu
ce seigneur confesseur et les autres docteurs dire qu'ils
croyaient Jeanne envoyée par Dieu, et qu'ils la croyaient
celle dont parlait la prophétie ; aussi, étant donné son attitude, sa simplicité et son comportement, le roi pouvait avoir
recours à elle, car en elle on ne pouvait trouver ou apercevoir que du bon, et on ne voyait en elle rien de contraire à la foi
catholique.
Déclare certes qu'il ne fut pas présent lors des événements
dans la ville d'Orléans ; la renommée publique cependant
proclamait que tout avait été fait grâce à elle, et comme
miraculeusement. Le témoin ajoute que le jour où le sire de
Talbot, fait prisonnier à Patay, fut conduit à Beaugency,
il arriva en cette ville de Beaugency ; puis de Beaugency
Jeanne alla avec les troupes à Jargeau, qui fut prise par
assaut, et les Anglais furent mis en fuite ; de là Jeanne revint
dans la ville de Tours où se trouvait le roi notre sire ; et de la
ville de Tours ils firent route vers Reims, pour le sacre et le
couronnement du roi. Jeanne disait au roi et aux hommes
d'armes d'avancer avec audace et tout se passerait bien ;
qu'ils n'aient pas peur, car ils ne rencontreraient personne
pouvant leur nuire ; il n'y aurait nulle résistance. Elle disait
aussi que sans aucun doute elle aurait suffisamment de gens
et que beaucoup la suivraient.
Dit en outre le témoin que Jeanne fit rassembler les gens
d'armes entre les villes de Troyes et d'Auxerre, et on en
trouva beaucoup, car chacun voulait la suivre ; le roi et ses
gens vinrent sans empêchement jusqu'à Reims ; le roi ne
rencontra aucune opposition, mais les portes des cités et
des villes s'ouvraient devant lui.
Dit aussi le témoin, sous serment, que cette Jeanne était
une bonne chrétienne, aimant entendre la messe, même
chaque jour, recevant souvent le sacrement de l'eucharistie ;
elle était fort irritée quand elle entendait jurer, et c'était
un bon signe, à ce que disait le seigneur confesseur du roi,
qui enquêtait avec soin sur ses actions et sa vie.
Déclare aussi qu'en campagne elle était toujours avec
des hommes d'armes, et il a entendu dire par plusieurs familiers de Jeanne qu'ils n'avaient jamais eu de désir à son égard ;
si parfois il leur venait une impulsion charnelle, jamais cependant ils n'osèrent diriger leur pensée vers elle, et ils croyaient qu'elle ne pouvait être l'objet de concupiscence ; et très
souvent, s'ils parlaient du péché de chair en termes pouvant
entraîner à la concupiscence en la voyant approcher ils
ne pouvaient plus parler de cela, mais aussitôt abandonnaient
leur impulsion charnelle. Sur ce point le témoin en a interrogé
plusieurs, qui couchèrent parfois la nuit dans la compagnie
de Jeanne ; ils lui répondirent conformément à sa déposition, disant en outre que jamais ils n'eurent de désir charnel
lorsqu'ils la regardaient.
Ne sait rien d'autre sur le contenu
des articles.
Honestus vir et prudens Gobertus Thibault, scutifer
scutiferiæ regis Franciæ et electus super facto subsidiorum
in villa Blesensi, ætatis L annorum, vel circiter,
ut dicit, testis coram præfatis dominis judicibus
productus, receptus, juratus et examinatus, die v. mensis
aprilis.
Et primo, interrogatus quid ipse sciat deponere seu
attestari de contentis in I., II., III. et IV. articulis :
dicit et deponit, ejus medio juramento, quod ipse loquens
erat in villa de Chinon quando ipsa Johanna
applicuit versus regem, qui tunc erat in villa de Chinon
; sed de eadem Johanna illotunc non habuit magnam
notitiam. Sed de eadem habuit postmodum notitiam
ampliorem, quia, cum rex vellet ire ad villam Pictavensem, ipsa Johanna fuit ibJdem ducta, et fuit
hospitata in domo magistri Johannis Rabateau. Et scit ipse loquens quod ipsa Johanna fuit in villa Pictavensi
interrogata et examinata per defunctum magistrum
Petrum de Versailles, sacræ theologiæ professorem,
tunc abbatem de Talmont et tempore sui
obitus episcopum Meldensem, et per magistrum Johannem
Erault, sacræ etiam theologiæ professorem ;
cum quibus ipse loquens, de mandato defuncti domini
Castrensis episcopi, ivit. Et erat, ut prædixit, hospitata
in domo dicti Rabateau, in qua domo ipsi de
Versailles et Erault eidem Johannæ in loquentis præsentia
locuti fuerunt ; et dum ad illam domum pervenerunt, ipsa Johanna venit eis obviam, et percussit
loquentem super spatulam, eidem loquenti dicendo
quod bene vellet habere plures homines voluntatis loquentis. Tunc ipse de Versailles eidem Johannæ
dixit quod ipsi erant missi ex parte regis ad eam ;
quæ respondit : « Bene credo quod vos estis missi ad « me interrogandum ; » dicendo : « Ego nescio nec A« nec B. » Et fuit tunc per eosdem interrogata ad quid
veniebat. Respondit : « Ego venio ex parte Regis coelorum, ad levandum obsidionem Aurelianensem, et ad ducendum regem Remis, pro sua coronatione et consecratione. » Et tunc petiit eisdem si haberent
papyrum et incaustum, dicendo magistro Johanni
Erault : « Scribatis ea quae ego dicam vobis. Vous, Suffort, Classidas et La Poule, je vous somme, de par le Roy des cieulx, que vous en aliez en Angleterre. » Nec aliud fecerunt ipsi Versailles et Érault
illa vice, de quo recordatur ; et stetit ipsa Johanna in
villa Pictavensi totidem sicut fecit rex. Dicebat etiam ipsa Johanna quod consilium suum sibi dixerat quod
citius debuisset ire versus regem. Etvidit loquens illos
qui adduxerant eamdem Johannam versus regem, videlicet
Johannem de Metz, Johannem Coulon et Bertrandum
Pollichon, cum quibus habebat magnam
familiaritatem et amicitiam ; et fuit semel præsens,
quod ipsi qui eamdem adduxerunt loquebantur domino
defuncto Castrensi, tunc regis confessori, quod
ipsi trapsiverant per Burgundiam, et per loca occupata
per inimicos ; semper tamen transiverant sine
quocumque impedimento : unde multum mirabantur.
Dicit ulterius quod audivit dici dicto defuncto domino
confessori quod viderat in scriptis quod debebat
venire quædam Puella, quæ debebat juvare regem
Franciæ. Nec vidit ipse loquens, et nescit si aliter ipsa
Johanna fuit examinata, quamut supra deposuit. Audivit
tamen dici a dicto domino confessore et aliis
doctoribus quod ipsi credebant ipsam Johannam esse missam a Deo, et quod credebant eam esse de qua
prophetia loquebatur ; quodque, attentis ejus gestu,
simplicitate et conversatione, rex se poterat de eadem
juvare, cum in eadem nihil invenirent aut percipere
poterant nisi bonum, nec in ipsa percipiebant quidquam
fidei calholicæ contrarium.
Dicit tamen quod non fuit præsens in his quæ fuerunt
acta in villa Aurelianensi ; communis tamen fama
erat quod omnia per ejus medium erant facta, et quasi
miraculose. Et dicit ipse loquens quod, illa die qua
dominus de Tallebot fuit adductus in villa de Baugency,
qui fuerat captus à Patay, ipse loquens accessit ad dictam villam de Baugency, et de loco de Baugency
ipsa Johanna ivit cum viris armatis ad villam
de Jargueau, quæ fuit capta per insultum, et fuerunt
Anglici fugati ; et dehinc regressa est ipsa Johanna
in villa Turonensi, in qua erat dominus noster rex ;
et de villa Turonensi inceperunt iter ad eundum Remis,
pro consecratione et coronatione regis ; dicebatque
ipsa Johanna regi et gentibus armatis quod irent
audacter, et quod omnia prospere evenirent, quodque
non timerent, quia neminem invenirent qui eis nocere
posset, imo nullam resistentiam haberent ; dicendo
ultra quod non dubitabat quin haberet satis
gentes, et quod multi eam sequerentur.
Dicit etiam quod ipsa Johanna fecit congregari gentes
armorum inter villam Trecensem et villam Autissiodorensem,
et fuerunt multi inventi, quia quilibet
eam sequebantur ; et venerunt rex et gentes suæ sine
impedimento usque Remis ; nullam enim passus est
rex repulsam, sed portæ civitatum et villarum ultro
aperiebantur sibi.
Dicit etiam ipse testis, ejus medio juramento, quod
ipsa Johanna erat bona christiana, libenter audiens
missam et quotidie, sæpe recipiens sacramentum Eucharistiæ
; raultumque irascebatur quando audiebat
jurare, et hoc erat bonum signum, ut dicebat dominus
confessor regis, qui sollicite inquirebat de gestis et
vita ejus.
Dicit etiam quod in exercitu erat semper cum armatis,
et audivit dici a pluribus eidem Johannæ familiaribus,
quod de ipsa nunquam habuerant concupiscentiam,
esto quod aliquando adesset voluntas libidinis ;
nunquam tamen de ea præsumpserunt, et credebant quod non posset concupisci ; et multotiens, dum loquebantur
de peccato carnis et de aliquibus verbis
quæ trahere poterant ad libidinem, dum eam videbant
et appropinquabant, non poterant de hoc loqui,
imo repente amittebant motum carnis. Et de hoc interrogavit
plures qui aliquando cubuerunt de nocte
in societate dictæ Johannæ, qui sibi respondebant ut
supra deposuit, dicentes ultra quod nunquam habuerant
concupiscentiam carnalem, dum eamdem adspiciebant.
Nec aliud scit de contentis in eisdem articulis.
Sources :
- Texte latin : Quicherat - Procès t.III p.73 et suiv.
- Traduction : Pierre Duparc.
Notes :
1 Pollichon : surnom de Poulengy.
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