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Procès
de réhabilitation
Déposition
de Guillaume de la Chambre |
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Vénérable personne maître Guillaume de la Chambre,
maître ès arts et en médecine, âgé d'environ quarante-huit
ans, à ce qu'il dit, témoin produit, reçu, juré et interrogé au
même jour, de la même manière et dans la même forme que
le témoin précédent,
Et d'abord interrogé sur le contenu des Ier, IIe,
IIIe et IVe articles produits dans cette cause
de nullité, il dit et déclare sous serment n'avoir connu Jeanne
que pendant le procès mené contre elle, auquel il assista
plusieurs fois avec d'autres docteurs et praticiens. A son avis, c'était une bonne jeune fille ; car il apprit ensuite de
maître Pierre Maurice qu'il avait entendu cette Jeanne en
confession, et qu'il n'avait jamais entendu pareille confession, qu'elle fût d'un docteur ou de quiconque ; attendu cette
confession, Jeanne, à son avis, marchait selon la justice et saintement avec Dieu.
De même interrogé sur le contenu des Ve, VIe,
VIIe et VIIIe articles, il dit et déclare, comme il l'a
déjà dit, qu'il assista au procès pendant plusieurs jours. Au
sujet de la passion des juges, il s'en rapporte à leur conscience ;
il sait cependant qu'il [n'] a [jamais] donné son opinion au cours du procès, bien qu'il eût souscrit : car cela, il l'a fait
forcé par le seigneur évêque de Beauvais ; et à ce propos il
avait plusieurs fois présenté des excuses à l'évêque, disant
que ce n'était pas de son métier d'opiner sur un tel sujet.
Finalement on lui dit que, s'il ne souscrivait pas comme les autres, il lui arriverait malheur dans cette ville de Rouen ; et pour cette raison il souscrivit. Il dit aussi que maître Jean
Lohier et maître Nicolas de Houppeville furent menacés
de la peine de noyade, s'ils refusaient d'assister au procès.
Interrogé sur le contenu du IXe article, il déclare que
cette Jeanne se trouvait dans la prison du château de Rouen,
et qu'il l'y vit.
Sur le contenu du Xe, il déclare avoir entendu dire que
Jeanne avait été examinée pour savoir si elle était vierge, et
elle fut trouvée telle. Le déposant sait aussi, comme il put
le constater selon la science médicale, qu'elle était intacte
et vierge car il la vit presque nue en la visitant pour une maladie ; il la palpa aux reins et, autant qu'il put voir, elle était très étroite.
Sur le contenu des XIe, XIIe, XIIIe et XIVe, il dit et déclare, à propos des interrogatoires, avoir
vu une fois le sire abbé de Fécamp qui interrogeait Jeanne ;
et maître Jean Beaupère intervenait avec beaucoup d'autres
questions diverses, auxquelles Jeanne ne voulut pas répondre
en même temps ; à tel point qu'elle leur dit qu'ils lui faisaient
une grande injustice en la poursuivant ainsi, et qu'elle avait
déjà répondu à ces questions.
Quant à la maladie dont il est question dans ces articles,
le déposant déclare que le cardinal d'Angleterre et le comte de Warwick l'envoyèrent chercher, lui qui parle, et devant
eux il comparut, ainsi que Guillaume Desjardins, maître
en médecine, et d'autres médecins. Alors ce comte de Warwick leur dit que Jeanne avait été malade, d'après ce qu'on
lui avait rapporté, et il leur ordonna de s'en enquérir, car
le roi ne voulait à aucun prix qu'elle mourût de mort naturelle ; le roi en effet tenait à elle, il l'avait achetée cher, et ne
voulait pas qu'elle mourût sans être jugée et brûlée ; qu'ils
fassent en sorte de l'examiner avec soin, afin de la guérir.
Le témoin et maître Guillaume Desjardins, avec d'autres,
allèrent alors la voir. Le témoin et ledit Desjardins la palpèrent sur le flanc droit et la trouvèrent fiévreuse ; aussi
conclurent-ils qu'il fallait une saignée, et ils en firent rapport
au comte de Warwick ; celui-ci leur dit : « Gardez-vous de
la saigner, car elle est rusée et pourrait se faire mourir ». Néanmoins elle fut saignée, et aussitôt après fut guérie. Après
cette guérison arriva un certain maître Jean d'Estivet, qui eut des paroles injurieuses contre Jeanne, l'appelant putain,
paillarde ; elle en fut si fort irritée qu'elle eut de nouveau
la fièvre et retomba malade. Ceci étant venu à la connaissance
du comte, il interdit à cet Estivet d'injurier à l'avenir Jeanne.
Sur le contenu du XVe article le déposant déclare
bien se rappeler qu'une fois, pendant un interrogatoire par
l'évêque et par d'autres assistants, elle dit que cet évêque
et les autres n'étaient pas ses juges.
Sur le contenu du XVIe dit de même avoir entendu
Jeanne déclarer qu'elle se soumettait à notre seigneur le pape.
Sur le contenu des XVIIe, XVIIIe, XIXe, XXe, XXIe et XXIIe articles, il déclare, quant aux chefs d'accusation, mentionnés
dans les vingtième et vingt et unième articles, ne pas savoir
qui les a forgés ; et sur eux ne croit pas avoir donné son avis.
Quant aux autres articles, il ne sait rien.
Sur le contenu des XXIIIe, XXIVe et
XXVe articles, il déclare avoir été présent lors du
sermon fait par maître Guillaume Évrard ; il ne se rappelle
pas cependant ce qui est rapporté du sermon ; mais se souvient bien de l'abjuration que fit Jeanne, bien qu'elle eût
beaucoup hésité ; elle était poussée à la faire par ce maître
Guillaume Évrard, qui lui disait d'agir comme il lui conseillait, et qu'elle serait libérée de sa prison. Elle le fit sous
cette condition, et non autrement, lisant ensuite une petite cédule contenant six ou sept lignes sur une feuille de papier
double ; et le témoin était si près qu'il pouvait vraiment voir
les lignes et leur forme.
De même interrogé sur le contenu du XXVIe article, il déclare avoir entendu dire que les Anglais la poussèrent à
reprendre son habit [d'homme], que les vêtements féminins
lui furent enlevés et remplacés par les habits d'homme ;
et à cause de cela on disait que Jeanne avait été injustement
condamnée.
De même interrogé sur le contenu des autres articles déclare
seulement à leur sujet qu'il fut présent lors de la dernière
prédication, faite au Vieux Marché de Rouen par maître
Nicolas Midi ; après la fin de ce sermon Jeanne fut brûlée.
Le bois pour la brûler était déjà en place, et elle faisait si
pieuses lamentations et exclamations que plusieurs pleuraient ; mais quelques Anglais riaient. Il l'entendit aussi dire
ces paroles, ou d'autres semblables pour le sens : « Ah! Rouen!
j'ay grant paour que tu n'ayes à souffrir de ma mort ! »
Et ensuite elle se mit à crier : Jésus, et à invoquer saint Michel,
puis enfin disparut dans le feu. Ne sait rien d'autre.
Venerabilis vir, magister Guillelmus de Camera, in
artibus et medicina magister, ætatis XLVIII annorum,
vel circiter, ut dicit, testis productus, receptus, juratus
et examinatus diebus, modo et forma ut testis præcedens.
Et primo interrogatus de contentis in I., II., III.
et IV. articulis articulorum in hac causa nullitatis productorum
: dicit et deponit, ejus medio juramento,
quod de ipsa Johanna habuit notitiam solum durante
processu contra eam agitato, in quo pluries interfuit
cum aliis doctoribus et practicis. Et, videre suo, erat
bona juvenis, quia, ut dicit, audivit postmodum dici a magistro Petro Mauricii quod eamdem Johannam audiverat in confessione, et quod nunquam talem confessionem,
nec a doctore, nec a quocumque audiverat,
et quod credebat quod juste et sancte ambulabat
cum Deo, attenta sua confessione.
Item, interrogatus de contentis in V., VI., VII. et
VIII. articulis, dicit et deponit quod, ut jam dixit, fuit
in processu per plures dies. De zelo autem quem habebant
judicantes, se refert eorum conscientiis ; scit
tamen quod antequam (1) dedit opinionem in processu,
licet se subscripserit, quia hoc fecit coactus per dominum
episcopum Belvacensem ; et de hoc pluries se erga
eumdem episcopum excusavit, dicendo quod non erat
sua professio in tali materia opinari ; finaliter sibi fuit
dictum quod, nisi se subscriberet sicut alii fecerant,
quod male accesserat ad villam Rothomagensem ; et
hac de causa se subscripsit. Dicit etiam quod minæ
fuerunt illatæ magistro Johanni Lohier et magistro
Nicolao de Houppevilla, sub poena submersionis, quia noluerunt interesse processui.
Interrogatus de contentis in IX. articulo, dicit
quod ipsa Johanna erat in carcere in castro Rothomagensi,
in quo eam vidit.
Super contentis in X. deponit quod audivit tunc
dici quod ipsa Johanna fuerat visitata an esset virgo
vel non, et talis fuit inventa ; et scit ipse loquens,
prout percipere potuit secundum artem medicinæ,
quod erat incorrupta et virgo, quia eam vidit quasi
nudam, cum visitaret eam de quadam infirmitate ;
et eam palpavit in renibus, et erat multum stricta, quantum percipere potuit ex aspectu.
Super contentis in XI., XII., XIII. et XIV., dicit
et deponit, quantum tangit interrogatoria, quod semel
vidit dominum abbatem Fiscampnensem, qui eamdem
Johannam interrogabat ; et magister Johannes Pulchripatris [cum eo] multa et diversa interrogatoria
interponebant, ad quæ insimul non voluisset respondere
ipsa Johanna, taliter quod eisdem dixit quod sibi
faciebant magnam injuriam eam taliter vexare, et
quod jam super illis interrogatoriis responderat.
Et quantum ad infirmitatem, de qua in dictis articulis
tangitur, deponit ipse loquens quod Cardinalis Angliæ
et comes de Warwic miserunt eumdem loquentem
quæsitum ; coram quibus ipse loquens, cum magistro
Guillelmo Desjardins, magistro in medicina, et aliis
medicis comparuit. Et tunc ipse comes de Warwic
dixit eisdem quod ipsa Johanna fuerat infirma, ut sibi fuerat relatum, et quod eos mandaverat ut de ea cogitarent,
quia pro nullo rex volebat quod sua morte
naturali moreretur ; rex enim eam habebat caram, et
care emerat, nec volebat quod obiret, nisi cum justitia,
et quod esset combusta ; et quod taliter facerent,
et cum sollicitudine visitarent eam, quod sanaretur. Et ad eam accesserunt ipse loquens et magister Guillelmus
Desjardins cum aliis. Quam Johannam ipse
loquens et Desjardins palpaverunt in latere dextro,
et invenerunt eam febricitantem ; quare concluserunt
phlebotomiam (2); et hoc retulerunt comiti de Warwic,
qui eisdem dixit : « Caveatis a phlebotomia, quia cauta est, et posset se interficere. » Et nihilominus
habuit phlebotomiam, post quam immediate fuit sanata. Qua sic sanata, supervenit quidam magister Johannes
de Estiveto, qui habuit certa verba injuriosa cum
dicta Johanna, et eam vocavit putanam, paillardam ;
de quo multum fuit irata ipsa Johanna, in tantum quod
denuo fuit febricitans, et in infirmitate priori. Et hoc deducto ad notitiam dicti comitis, inhibuit eidem de Estiveto
ne de cætero haberet eamdem Johannam injuriari.
De contentis in XV. deponit ipse loquens quod bene
recordatur quod, quadam vice, dum interrogaretur
per episcopum et aliquos de adstantibus, quod ipsa
dixit quod ipse episcopus et alii non erant sui judices.
De contentis in XVI. similiter dicit quod audivit
eamdem Johannam dicentem quod se submittebat domino
nostro Papæ.
De contentis in XVII., XVIII., XIX., XX., XXI.
et XXII., quantum ad articulos de quibus in XX. et
XXI., dicit quod nescit qui eos confecit, nec credit super
eisdem dedisse opinionem suam. De aliis nihil scit.
De contentis in XXIII., XXIV. et XXV. dicit
quod fuit præsens in sermone facto per magistrum
Guillelmum Evrardi ; non recordatur tamen de prolatis
in sermone ; sed bene recordatur de abjuratione
quam fecit ipsa Johanna, licet multum distulerit ad
eam faciendum ; ad quam tamen faciendum ipse magister
Guillelmus Evrardi eam induxit, eidem dicendo
quod faceret quod sibi consulebatur, et quod ipsa
esset a carceribus liberata. Et sub hac conditione et
non alias hoc fecit, legendo post aliam quamdam parvam schedulam, continentem sex vel septem lineas,
in volumine folii papyrei duplicati ; et erat ipse loquens
ita prope quod verisimiliter poterat videre lineas
et modum earumdem.
Item, interrogatus de contentis in XXVI. articulo,
deponit quod audivit dici quod Anglici induxerunt
eamdem ad resumendum suum habitum, et quod sibi
fuerant amotæ suæ vestes muliebres, et dati viriles
habitus ; et propter hoc dicebatur quod ipsa Johanna
fuerat injuste condemnata.
Item interrogatus de et super contentis in cæteris
articulis, deponit solum de contentis eorumdem,
quod ipse fuit præsens in ultima prædicatione facta in Veteri Foro Rothomagensi, per magistrum Nicolaum
Midi ; post cujus sermonis finem, ipsa Johanna
fuit combusta ; et erant jam parata ligna ad eam comburendum, et faciebat ita pias lamentationes
et exclamationes quod plures flebant ; aliqui autem
Anglici ridebant. Audivit etiam eam dicentem ista verba
vel in effectu similia : « Ha ! Rouen ! j'ay grant paour que tu ne ayes à souffrir de ma mort ! » Et postmodum
incepit clamare : JHESUS! et invocare Sanctum
Michaelem, et tandem igne exstincta est. Nec aliud scit.
Sources :
- Texte latin : Quicherat - Procès t.III p.46.
- Traduction : Pierre Duparc.
Notes (Quicherat) :
1 Il faudrait neutiquum pour le sens général de la phrase qui n'en a pas avec antequam.
2 Manuscrit ND, fleubolomiam ; 5970, fleutobomiam.
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