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Procès
de réhabilitation
Déposition
d'Aymond de Macy |
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Sire Aymond, seigneur de Macy, chevalier, âgé de cinquante-six ans environ, a été présente et admis comme témoin, et a été interrogé par nous, archevêque susdit, en présence de Frère Thomas Vérel (Dominicain sous-inquisiteur), l'année et le jours susdits (1).
Interrogé sur les articles I, II, III, IV, produits dans la présente cause, il a répondu sous la foi du serment de la manière suivante : j'ai connu Jeanne, je la vis pour la première fois quand elle était
détenue prisonnière au château de Beaurevoir, pour le compte et au
nom du seigneur de Ligny. Je l'ai vue plusieurs fois en prison, et plusieurs
fois j'ai causé avec elle. Plus d'une fois, par manière de jeu, j'ai
essayé de lui toucher les mamelles, en m'efforçant de lui mettre les
mains dans le sein. Jeanne ne voulait pas le souffrir ; elle me repoussait
de toutes ses forces. C'était une fille d'honnête conduite tant dans ses
paroles que dans ses actes.
Jeanne fut conduite à la forteresse du Crotoy, où se trouvait alors prisonnier
un personnage très remarquable, du nom de maître Nicolas de Queuville , chancelier de l'Église d'Amiens, docteur dans l'un et l'autre droit. Il célébrait souvent dans la prison, et non moins souvent Jeanne assistait à sa messe; si bien que dans la suite j'ai entendu ce même maître Nicolas raconter qu'il avait ouï Jeanne en confession, qu'elle était bonne chrétienne et de très grande dévotion ; il disait beaucoup de bien de ladite Jeanne.
Jeanne fut ensuite conduite dans le château de Rouen, et renfermée
dans une prison du côté des champs. Pendant qu'elle était détenue dans cette même prison, le seigneur comte de Ligny vint à
Rouen ; et moi qui vous parle, j'étais en sa compagnie. Un jour le comte
de Ligny voulut voir Jeanne : il vint vers elle en compagnie des seigneurs
comtes de Warwick et de Stafford. Le chancelier d'Angleterre, alors évêque de Thérouenne, son frère, était présent :
je l'étais aussi. Le comte Ligny l'aborda par ces paroles : « Jeanne, je suis venu ici pour vous mettre à rançon, à condition que vous promettrez de ne jamais vous armer contre nous. » Elle répondit : « En nom Dé, vous vous moquez de moi, car je sais bien que vous n'en avez ni le vouloir,
ni le pouvoir. » Elle répéta plusieurs fois ces paroles, parce que le seigneur
comte persistait dans son dire, et elle ajouta : « Je sais bien que ces
Anglais me feront mourir, dans la créance qu'après ma mort ils gagneront le
royaume de France, mais quand ils seraient cent mille godons de plus qu'ils ne
sont maintenant, ils n'auront pas le royaume. » Ces paroles indigneront le
comte de Stafford, qui tira sa dague à moitié pour la frapper: mais le
comte de Warwick l'en empêcha.
A quelque temps de là, pendant que j'étais encore à Rouen, Jeanne fut conduite sur la place qui est devant Saint-Ouen. Là, fut faite une prédication par Nicolas Midi (3). Entre autres
choses, je l'ai entendu dire : « Jeanne, nous avons la plus grande pitié de vous; il faut que vous rétractiez ce que vous avez dit, ou que nous vous abandonnions à la justice séculière. » Jeanne répondait qu'elle
n'avait fait aucun mal; qu'elle croyait les douze articles de la foi et les
dix commandements de Dieu ; elle ajoutait qu'elle s'en rapportait à la cour
de Rome, et qu'elle voulait croire tout ce que croyait la sainte Église.
Malgré toutes ces paroles, on la pressait fortement de se rétracter. Elle
répondait : « Vous vous donnez beaucoup de peine pour me séduire. » Pouréviter le péril, elle dit qu'elle était contente de faire tout ce qu'on
voudrait. Alors un secrétaire du roi d'Angleterre, là présent, son nom était Laurent
Calot, tira de sa manche une petite feuille écrite, et la donna à
Jeanne pour qu'elle la signât. Jeanne répondait qu'elle ne savait ni lire
ni signer. Nonobstant cette réponse, le secrétaire Laurent Calot lui présentait
la feuille et la plume pour qu'elle signât; et Jeanne, en se moquant,
fit un rond. Laurent Calot prit alors la main de Jeanne avec la
plume et lui fit faire un signe dont je n'ai pas souvenance.
Je crois Jeanne en paradis.
Dominus Haimondus, dominus de Macy, miles, ætatis LVI annorum, vel circiter, testis productus, receptus,
juratus et examinatus per nos, archiepiscopum
præfatum, in præsentia ipsius fratris Thomæ Verel,
anno et die prædictis.
Interrogatus de contentis in I., II., III. et IV. articulis
articulorum in hujusmodi causa productorum : dicit
et deponit, ejus medio juramento, quod de eadem Johanna primo habuit notitiam, quia eam vidit carceribus mancipatam, in castro de Beaurevoir, pro et nomine
domini comitis de Ligny ; quam pluries vidit in carcere
et cum ea pluries locutus est. Et tentavit ipse loquens
pluries, cum ea ludendo, tangere mammas suas,
nitendo ponere manus in sinu suo : quod tamen pati
nolebat ipsa Johanna, imo ipsum loquentem pro posse
repellebat. Erat etiam ipsa Johanna honestæ conversationis,
tam in verbis quam in gestu.
Dicit etiam quod ipsa Johanna fuit ducta in castro
du Crotay, ubi tunc erat detentus prisionarius unus
multum notabilis homo, vocatus magister Nicolaus de
Queuville, cancellarius ecclesiæ Ambianensis, utriusque
juris doctor, qui sæpe in eisdem carceribus celebrabat,
et cujus missam sæpissime audiebat ipsa Johanna ;
et in tantum quod audivit dici post eidem magistro Nicolao
quod eamdem Johannam audierat in confessione,
et quod ipsa Johanna erat bona christiana et devotissima; et quam plura bona dicebat de eadem Johanna.
Dicit ulterius ipse loquens quod ipsa Johanna fuit
ducta in castro Rothomagensi, in quodam carcere versus
campos ; et in eadem villa, durante tempore, quo
ipsa Johanna erat detenta in eisdem carceribus, accessit
ipse dominus comes de Ligny, in cujus societate erat
ipse loquens. Et quadam die ipse dominus comes de Ligny voluit ipsam Johannam videre, et ad eam accessit
in societate dominorum comitum de Warvic et de
Stauffort, præsente cancellario Angliæ, tunc episcopo
Morinensi et fratre dicti comitis de Ligny, et
ipso loquente ; et eamdem Johaunam allocutus est ipse
comes de Ligny, dicendo ista verba : « Johanna, ego veni huc ad ponendum vos ad financiam, dum tamen velitis promittere quod nunquam armabitis vos contra nos. » Quæ respondit : « En non Dé, vos deridetis a me, quia ego bene scio quod vos non habetis nec velle, nec posse ; » et illa verba repetitis vicibus dixit,
quod ipse dominus comes persistebat in dictis verbis,
dicendo ulterius : « Je sçay bien que ces Angloys me feront mourir, credentes post mortem meam lucrari regnum Franciæ ; sed, si essent centum mille godons », gallice, « plus quam sint de præsenti, non habebunt regnum. » Et ex istis verbis indignatus fuit
comes de Stauffort, et traxit dagam suam usque ad
medium pro percutiendo eam ; sed comes de Warvic eum impedivit.
Et post aliqua tempora, ipso loquente
adhuc exsistente in villa Rothomagensi, ipsa Johanna
fuit ducta in platea ante Sanctum Audoenum, ubi fuit
facta quædam prædicatio quam fecit magister Nicolaus Midi, qui inter alia verba dicebat, ut audivit ipse
loquens : « Johanna, nos habemus tantam pietatem de te; oportet quod vos revocetis ea quæ dixistis, vel quod nos dimittamus vos justitiæ sæculari. » Ipsa autem
responderat quod nihil mali fecerat, et quod credebat
in duodecim articulis fidei et in decem præceptis Decalogi; dicendo ulterius quod se referebat Curiæ romanæ,
et volebat credere in omnibus in quibus sancta
Ecclesia credebat. Et his non obstantibus, fuit multum
oppressa de se revocando ; quæ tamen dicebat ista verba :« Vos habetis multam poenam pro me seducendo; et ut evitaret periculum, dixit quod erat contenta facere
omnia quæ vellent. Et tunc quidam secretarius regis
Angliæ, tunc præsens, vocatus Laurentius Calot, extraxit
a manica sua quamdam parvam schedulam scriptam, quam tradidit eidem Johannæ ad signandum; et ipsa respondebat quod nesciebat nec legere, nec
scribere. Non obstante hoc ipse Laurentius Calot, secretarius,
tradidit eidem Johannæ dictam schedulam
et calamum ad signandum; et per modum derisionis,
ipsa Johanna fecit quoddam rotundum. Et tunc ipse
Laurentius Calot accepit manum ipsius Johannæ cum
calamo, et fecit fieri eidem Johannæ quoddam signum
de quo non recordatur loquens.
Et credit quod sit in paradiso.
Sources :
- Texte latin : Quicherat - Procès t.III p. 120 et suiv.
- Traduction : Pierre Duparc, t.IV, p.86
Notes :
1 7 mai 1456.
2 De Queville ou mieux Quief de Ville, était probablement de la même famille que Guillaume de Quief de Ville, un des conseillers et des hommes de confiance de Charles VII dans les mauvais jours.
3 erreur, c'était Guillaume Erard
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