|
Procès
de réhabilitation
Déposition d'Husson Lemaistre |
|
Honnête personne Husson Lemaistre, laïc, de son métier
chaudronnier, habitant de la ville de Rouen, âgé d'environ
cinquante-huit ans, natif de Viéville, près de Lamothe en
Bassigny, à trois lieues de distance de Domremy, produit,
reçu, juré et entendu par lesdits seigneurs juges et commissaires le onzième jour du mois de mai,
D'abord interrogé sur le contenu des Ier, IIe,
IIIe et IVe articles, parmi ceux produits en cette
cause, tous les autres étant omis, car il ne sait rien à leur
sujet, il déclare et atteste sous serment avoir bien connu le
père et la mère de cette Jeanne ; c'étaient de bonnes et
simples personnes, vivant en catholiques ; car, comme il
l'a dit, il est natif de Viéville, à trois lieues de distance de
la ville de Domremy, où est née cette Jeanne et où ses père
et mère habitaient. Il ne vit cependant Jeanne et n'en eut
connaissance que lorsqu'elle vint à Reims, au couronnement
du roi ; le témoin habitait alors cette ville. Et il y avait aussi
là le père de Jeanne et sire Pierre, son frère, avec le témoin
et sa femme ; ils étaient en grande familiarité, car ils étaient
compatriotes, et ils appelaient sa femme «voisine».
Déclare aussi le témoin qu'il se trouvait dans son pays
natal, quand Jeanne se rendit à Vaucouleurs, auprès de
sire Robert de Baudricourt, pour qu'il la conduisît, ou la
fît conduire, jusqu'au roi de France ; et on disait alors que c'était une grâce de Dieu, et que Jeanne était conduite par
l'esprit de Dieu.
Déclare aussi que Jeanne demanda audit sire Robert
de lui donner des gens pour la conduire auprès du sire dauphin, à ce qu'il entendit rapporter ; cette Jeanne dans la région était réputée bonne et honnête jeune fille ; elle avait fait
autrefois un séjour chez une femme vertueuse, appelée la
Rousse, demeurant à Neufchâteau ; elle se confessait volontiers et très souvent et recevait le Corps du Christ. Il a entendu
dire qu'à l'époque où elle était conduite de Vaucouleurs auprès du roi, certains hommes d'armes qui la conduisaient
faisaient semblant d'être du parti adverse ; et comme ceux qui étaient avec elle feignaient de vouloir s'enfuir elle leur
disait : « Ne fuyez pas, en nom Dé ! » Et, comme on le racontait, lorsqu'elle arriva près du roi, elle le reconnut, bien
qu'elle ne l'eût jamais vu auparavant. Elle conduisit enfin
le roi sans empêchement à Reims, où le témoin vit Jeanne ;
et de la ville de Reims le roi vint à Corbigny, puis à Château-Thierry, qui se rendit au roi ; et là, vint le bruit que les Anglais
arrivaient pour livrer bataille au roi ; Jeanne cependant dit
aux hommes du roi de ne rien craindre, que les Anglais ne
viendraient pas.
Ne sait rien d'autre, sur ce dûment interrogé.
Honestus vir Hussonis Lemaistre, laicus, operis
chauderonnier, commorans in villa Rothomagensi, aetatis L annorum, vel eocirca, oriundus de Viville
subtus Motam de Bassigny, distante a villa de Dompremy
tribus leucis ; productus, receptus, juratus et
examinatus per præfatos dominos judices et commissarios,
die xi. mensis maii.
Et primo interrogatus super contentis in I., II.,
III. et IV. articulis articulorum in hac causa productorum,
cæteris omnibus omissis, quia de ipsis
nihil scit : dicit et deponit, ejus medio juramento,
quod bene habuit notitiam de patre et matre ipsius
Johannæ, qui erant bonæ et simplices personæ, catholice
viventes ; quia, ut jam dixit, est oriundus
de Vivilla, distante tribus leucis a villa de Dompremy,
unde ipsa Johanna erat oriunda, et in qua pater
et mater ipsius morabantur. Non tamen vidit eamdem
Johannam, nec de eadem habuit notitiam nisi dum
venit Remis, in coronatione regis ; in qua villa ipse
loquens tunc morabatur ; et ibidem erant pater ipsius
Johannæ, et dominus Petrus, ejus frater, qui habebant
magnam familiaritatem cum loquente et uxore
sua, quia erant compatriotæ, et vocabant uxorem
suam « vicinam. »
Dicit etiam quod erat in partibus unde est oriundus
loquens, tempore illo quo ipsa Johanna ivit ad Valliscolorem
versus dominum Robertum de Baudricourt,
ut eam conduceret aut conduci faceret erga regem
Franciæ ; et dicebatur illo tunc quod erat gratia Dei,
et quod ipsa Johanna ducebatur spiritu Dei.
Dicit etiam quod ipsa Johanna requisivit eidem
domino Roberto ut sibi traderet gentes ad conducendum
eam erga dominura Dalphinum, prout tunc audivit
referri ; eratque ipsa Johanna in partibus reputala bona et honesta juvenis, et quod alias moram
traxerat cum quadam proba muliere, vocata la
Rousse, commorante apud Novum Castrum, et quod
libenter et sæpissime confitebatur et recipiebat corpus
Christi. Et audivit dici quod, tempore quo ipsa
Johanna ducebatur de Valliscolore apud regem, quidam de armatis qui eam conducebant, fingebant se esse
de parte adversa ; et quum illi qui erant cum ea fingerent
velle fugere, eisdem dicebat : « Nolite fugere, en nom Dé ; non facient nobis malum. » Et, ut dicebatur,
quum applicuit versus regem, cognovit eum,
licet eum perantea non vidisset. Et tandem adduxit
regem Remis sine impedimento, ubi ipse loquens
eamdem Johannam vidit ; et de villa Remensi rex
venit apud Corbigniacum (1), et postmodum apud
Castrum-Theodorici, quod fuit redditum regi, et ibidem venit fama quod Anglici veniebant ad pugnandum
contra regem ; ipsa tamen Johanna dixit gentibus
regis quod non timerent, et quod Anglici non venirent. Nec aliud scit super his debite interrogatus.
Sources :
- Texte latin original : Quicherat - Procès t.III p.199 et suiv.
- Traduction : Pierre Duparc, t.IV, p.146 & 147.
Notes :
1 Prieuré dépendant de Saint-Remi de Reims où les rois allaient après leur sacre pour guérir les écrouelles.
|