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Procès
de réhabilitation
Déposition
de Jean Barbin |
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Vénérable et savante personne maître Jean Barbin, docteur ès lois, avocat de notre sire le roi en sa cour de Parlement, âgé de cinquante ans, témoin produit, reçu, juré et interrogé
devant les seigneurs juges, le dernier jour du mois d'avril, Et d'abord interrogé sur le contenu des premier, deuxième, troisième et quatrième articles présentés en cette cause, les autres étant omis, car il n'en saurait rien dire dans sa dépo¬
sition, dit et déclare sous serment que, à l'époque où Jeanne vint vers le roi dans la ville de Chinon, lui était dans la ville de Poitiers ; et il entendit dire que le roi, de prime abord, ne voulut pas faire confiance à cette Jeanne, mais il voulut qu'auparavant elle fût examinée par des clercs, et même, à ce qu'il a entendu, le roi envoya enquêter au lieu de naissance de Jeanne, pour savoir d'où elle était. Il envoya Jeanne, pour y être examinée, dans la ville de Poitiers, où se trouvait
alors le témoin, et où celui-ci pour la première fois eut connaissance de Jeanne. Celle-ci, quand elle arriva dans la ville, fut hébergée dans la maison de maître Jean Rabateau ; pendant qu'elle s'y trouvait hébergée, il entendit la femme dudit Rabateau dire que Jeanne était tous les jours, après le repas, agenouillée pendant un long moment, et même de nuit ; fréquemment elle entrait dans une petite chapelle de la maison, et là pendant un long moment priait. Beaucoup de clercs la visitèrent, à savoir maître Pierre de Versailles, professeur de théologie sacrée, évêque de Meaux quand il mourut, et maître Guillaume Aymeri, aussi professeur de
théologie sacrée, ainsi que d'autres gradués en théologie, dont il a oublié le nom, qui l'interrogèrent semblablement à leur guise. Le témoin entendit alors ces docteurs qui l'avaient interrogée et lui avaient posé plusieurs questions, relater qu'elle avait répondu avec beaucoup de sagesse, comme si elle avait été un bon clerc ; au point qu'ils admiraient ses réponses et croyaient que c'était l'inspiration divine, attendu sa vie et sa conduite. Finalement les clercs, après avoir procédé à ces questions et interrogatoires, conclurent qu'il n'y avait en elle rien de mal, ni qui fût contraire à la foi catholique ; aussi, vu la nécessité dans laquelle se trouvaient le roi et le royaume, puisque le roi et ses sujets étaient alors dans une situation désespérée, et sans espoir d'aide quelconque, à moins d'une intervention de Dieu, ils conclurent également que le roi pouvait avoir recours à elle. Au cours de ces délibérations maître Jean Érault, professeur de théologie sacrée, rapporta ce qu'il avait autrefois entendu dire par une certaine Marie d'Avignon, venue il y a un certain temps auprès du roi : elle lui avait dit que le royaume de France avait beaucoup à souffrir et devrait supporter nombre de calamités, ajoutant qu'elle avait eu beaucoup de visions touchant la désolation du royaume de France, et en particulier elle voyait quantité d'armures qui lui étaient présentées ; elle en était épouvantée, craignant d'être forcée d'accepter ces armures ; alors on lui dit de ne pas avoir peur, qu'elle n'aurait pas à porter ces armes ; mais, après elle, viendrait une Pucelle qui porterait ces armes et délivrerait
le royaume de France de ses ennemis. Et cet Erault croyait fermement que Jeanne était celle dont Marie d'Avignon avait parlé.
Déclare en outre que les hommes d'armes la considéraient comme si elle était une sainte, car elle se comportait dans l'armée, en paroles et en actions, selon Dieu, au point que personne n'aurait pu lui faire des reproches.
Déclare en outre avoir entendu maître Pierre de Versailles, qui se trouvait une fois dans la ville de Loches en compagnie de Jeanne, dire que des gens saisissaient les pattes de son cheval pour embrasser ses mains et ses pieds. Alors ledit maître dit à Jeanne qu'elle avait tort de supporter de telles choses, qui
ne lui convenaient pas, et qu'elle devait se défier de telles pratiques, car elle rendait les hommes idolâtres. Jeanne répondit : « En vérité, je ne saurais me protéger de telles choses, si Dieu ne me protége ».
En bref le témoin déclare qu'à son avis Jeanne était bonne catholique, et tout ce qui a été fait par elle a été fait par Dieu ; il est poussé à parler ainsi, car elle était louable à tout point de vue, qu'il s'agît de sa conduite, de nourriture et de boisson, ou d'autre chose ; et il n'entendit jamais dire
du mal d'elle ; mais toujours il entendit qu'elle était tenue et réputée pour être femme bonne et catholique.
Venerabilis et scientificus vir, magister Johannes
Barbin, legum doctor, advocatus domini nostri regis
in sua Parlamenti curia, ætatis L annorum, testis
coram eisdem dominis judicibus productus, receptus,
juratus et examinatus, die ultima mensis
aprilis.
Et primo, interrogatus super contentis in I., II.,
III. et IV. articulis in hac causa productis, aliis omissis,
quum de ipsis nihil sciret deponere : dicit et deponit,
ejus medio juramento, quod, tempore quo ipsa Johanna
ivit versus regem in villa de Chinon, ipse loquens
erat in villa Pictavensi ; et audivit dici quod
rex prima facie eidem Johannæ noluit adhibere fidem,
sed voluit quod prius examinaretur per clericos, et
misit etiam, ut audivit, in loco nativitatis ipsius Johannæ,
ad sciendum unde erat. Et ut ipsa Johanna
examinaretur, missa fuit ad villam Pictavensem, in
qua tunc ipse loquens erat, et in eadem villa Pictavensi
primitus de eadem Johanna notitiam habuit.
Quæ, dum in eadem villa accessit, fuit hospitata in
domo magistri Johannis Rabateau ; et tempore quo
erat ibidem hospitata, audivit dici ab uxore dicti Rabateau
quod ipsa erat quotidie post prandium per
magnum temporis spatium genibus flexis citius, et
etiam de nocte, et quod multotiens intrabat quamdam
parvam cappellam illius domus, et ibidem per magnum tempus orabat. Et eam visitaverunt multi clerici,
videlicet magister Petrus de Versailles, sacræ theologiæ
professor, tempore sui obitus episcopus Meldensis,
et magister Guillelmus Aymeri, etiam sacræ
theologiæ professor, et alii graduati in theologia,
de quorum nominibus non recordatur, qui similiter
eam interrogaverunt prout voluerunt. Et audivit tunc
ipse loquens ab eisdem doctoribus referri quod eam
examinaverant, et sibi plures fecerant quæstiones, quibus
multum prudenter respondebat, ac si fuisset unus
bonus clericus ; ita quod mirabantur de ejus responsionibus,
et credebant quod hoc erat divinitus, attenta ejus
vita et conversatione. Et finaliter fuit conclusum per
clericos post examinationes et interrogationes per eos
factas, quod non erat in ea aliquid mali, nec aliquid
fidei catholicæ contrarium ; et, visa necessitate in qua
tunc erat rex et regnum, quoniam rex et incolæ eidem
obedientes erant illo tempore in desperatione,
et sine spe cujuscumque adjutorii, nisi processisset a
Deo, quod rex de eadem se poterat juvare. Et in illis
deliberationibus quidam magister Johannes Érault,
sacræ theologiæ professor, retulit quod ipse alias audiverat
dici a quadam Maria d'Avignon, quæ pridem
venerat apud regem, cui dixerat quod regnum Franciæ habebat multum pati, et plures sustineret
calamitates, dicendo ulterius quod ipsa habuerat multas
visiones tangentes desolationem regni Franciæ, et
inter alia videbat multas armaturas quae eidem Mariæ
præsentabantur ; ex quibus ipsa Maria expavescens timebat ne cogeretur illas armaturas recipere ; et sibi
fuit dictum quod non timeret, et quod ipsa non deferret
hujusmodi arma, sed quædam Puella, quæ veniret
post eam, eadem arma portaret et regnum Franciæ
ab inimicis liberaret. Et credebal firmiter quod ipsa
Johanna esset illa de qua ipsa Maria d'Avignon fuerat
locuta.
Dicit insuper quod armati eam reputabant quasi
sanctam, quia ita se habebat in exercitu, in dictis et
factis, secundum Deum, quod a nullo reprehendi poterat.
Dicit ulterius quod audivit dici a magistro Petro
de Versailles quod, dum quadam vice ipse magister
Petrus esset in villa de Loches, in societate ipsius Johannæ,
quædam gentes capiebant pedes equi sui, et
osculabantur manus et pedes. Ipse autem eidem Johannæ
dixit quod male faciebat talia pati, quæ non
sibi spectabant, dicendo quod caveret a talibus, quia
faciebat homines idolatrare. Ipsa Johanna respondit : « In veritate, ego nescirem a talibus me custodire, nisi Deus me custodiret. »
Et breviter dicit loquens quod, videre suo, ipsa
Johanna erat bona catholica, et quod quidquid per
eam actum fuit, hoc fuit a Deo ; et ad hoc dicendum
movetur quia ipsa erat in omnibus commendanda,
tam in conversatione, quam in cibo et potu et aliis ;
nec unquam de eadem audivit dici aliquid sinistrum, sed eam semper audivit manuteneri et reputari pro bona et catholica muliere.
Sources :
- Texte latin : Quicherat - Procès t.III p.82.
- Traduction : Pierre Duparc, p.IV, p.57 à 59.
Notes :
1 Marie Robine, dite la Gasque d'Avignon, femme dont les prédictions
firent grand bruit au commencement du xve siècle. Voici ce que je trouve écrit
sur son compte dans le manuscrit de la Bibliothèque du roi, n° 10318-2. 2,
fol. 48 : « Elle eut une vision, comme elle récite en icelle vision, comment« Dieu mandoit au roy de France ( Charles VI) par ladicte Marie que il ne fist ne permist estre faict substraction au pape Benedict XIII, mais l'empeschast de tout son povoir. » (Quicherat).
Remarques de J.B.J. Ayroles sur ce témoignage :
Maître Jean Barbin fut un des plus célèbres avocats de son temps. En
1432 il succédait comme avocat général dans les causes civiles à Juvénal des
Ursins qui, archevêque de Reims, présidait la commission devant laquelle
maitre Barbin fit sa déposition à Paris, le 30 avril 1456. Il suffit d'ouvrir
les registres du Parlement dans les dernières années de sa résidence à
Poitiers, et ensuite dans sa réintégration à Paris, pour y trouver dans maintes pages les noms de maître Barbin et de maître Rabateau.
C'est
donc un éminent homme de loi qui va rendre témoignage à la Sainte.
Jean Barbin avait vingt-trois ans lorsqu'il vit Jeanne
d'Arc à Poitiers ; il est vraisemblable qu'il faisait alors ses débuts au
Parlement.
Il constate l'enquête ordonnée par Charles VII à Domrémy.
Une érudite brochure de M. Daniel Lacombe nous fait connaître Jean
Rabateau. Né à Fontaine-le-Comte de 1370 à 1375, il était avocat général pour le criminel lorsqu'il eut l'honneur de recevoir Jeanne d'Arc dans sa
maison. Ce n'était que le milieu d'une éclatante carrière. Membre du
Grand Conseil, président de la Chambre des comptes, un des quatre présidents du Parlement, vice-chancelier, Rabateau fut un des plus
importants magistrats de l'époque; il mourut en 1451.
Maître Barbin nous dit que Jeanne reçut l'hospitalité in domo, dans la
maison de maître Jean Rabateau. Les détails qu'il donne excluent l'idée
d'hôtellerie au sens moderne du mot. Les hôtelleries n'ont pas d'oratoire
; il y en avait un chez maître Rabateau, dans lequel Jeanne aimait à se recueillir : « Multoties intrabat quamdam capellam ipsius domûs ». Il
serait également inconvenant pour un avocat général de résider dans une
hôtellerie, dans la ville où ses fonctions le fixaient d'une manière permanente.
Comment y aurait-il trouvé le calme et la dignité réclamés par ses
fonctions? C'eût été encore plus inconvenant pour Jeanne. Elle qui fuyait
les réunions et les conversations bruyantes : Frequentiam et collocutionem
multorum fastidit se serait trouvée exposée aux regards des curieux
qui n'auraient pas manqué d'affluer, attirés par le désir de voir, ne fût-ce
qu'un moment, la jeune fille qui recevait les visites de ce que Poitiers
comptait de plus marquant, et s'attribuait si merveilleuse mission.
Ceux qui donnent au mot hôtel la signification d'hôtellerie ne remarquent
pas que, dans la langue du moyen âge, il signifie indistinctement
toute demeure habitée par l'homme. L'enseigne de La Rose n'est pas non
plus une preuve. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que l'on a pensé à distinguer
les maisons par des numéros. Précédemment une ornementation, une
peinture servait à les faire connaître. Il en est encore de même dans les
bourgades et les petites villes, où les numéros ne sont pas adoptés. Il est
vrai qu'en 1493, au rapport de Bouchot dans ses Annales d'Aquitaine
(III, p. 294), Christophe Dupeyrat racontait « qu'en sa maison, il y avait
une hôtellerie où pendait l'enseigne de la Rose, où ladite Jeanne était logée ».
En 1495, plus de soixante ans s'étaient écoulés depuis que la Pucelle y était venue. Dès 1437, Rabateau est venu se fixer à Paris avec le Parlement;
il a dû vendre sa maison de Poitiers, qui a pu devenir une hôtellerie; cela suffit pour expliquer les paroles de Dupeyrat, qui aura
brouillé les choses.
Un point plus intéressant est celui de la prophétie de Marie d'Avignon,
appelée encore Marie La Gasque, et Marie Robine. Le Songe du vieil Pèlerin
composé au commencement du xve siècle, un manuscrit de la Bibliothèque
nationale (fds fr. n° 22542), la dit très simple en Dieu, très dévote et catholique créature, que le bienheureux Pierre de Luxembourg aurait par révélation fait venir des parties de Gascogne. Le manuscrit latin 1467
(f° 52) dit qu'Essech, au diocèse d'Auch, était son lieu d'origine. Le jeune
saint aurait voulu en faire un témoin particulier de sa puissance de
thaumaturge puisque, arrivée parfaitement saine, son pied fut soudainement
tordu avec grande douleur, et sa main, libre et se mouvant sans
difficulté, fut instantanément fermée et serrée. La bénédiction du pseudo
Clément VII, qui avait fait du Bienheureux mort à dix-huit ans, un évêque et un cardinal, lui rendit publiquement l'usage du pied et de la
main ; guérison dont les clémentins abusèrent singulièrement pour
soutenir la légitimité de l'antipape, alors qu'à s'en tenir au présent récit dû à un clémentin forcené, il n'y a qu'à voir l'intervention miraculeuse
du Bienheureux qui, après avoir appelé miraculeusement la pieuse fille
auprès de son tombeau, voulait sans doute la marquer pour la vocation
extraordinaire que Dieu lui assigna. Marie la Gasque est signalée par
Scipion Dupleix dans son Histoire de France, par Bodot de Juilly dans
l' Histoire de Charles VII, jusque par Rapin Thoiras dans son Histoire
d'Angleterre, où il se montre assez ignorant ou assez impudent pour
nous dire que Jeanne d'Arc ne nous est connue que par la Chronique de
Monstrelet.
Quicherat dit que la Gasque annonça à Charles VI de grands malheurs, et
le détourna de se soustraire à l'obédience du pseudo-Benoit XIII, conseil
relativement bon, car cette soustraction ne devait avoir pour effet que
de faire surgir un troisième contendant à la tiare. Ce dernier détail est
tiré du manuscrit 5734 de la Bibliothèque nationale (fds fr.).
Adressé à Charles VII par un certain Dubois, le volume, que ce n'est pas
le lieu d'apprécier, est écrit en 1438 ou 39. Or on y lit au folio 60io, comme
prédit par la Gasque, ce qui devait se réaliser plus de vingt ans après,
et échappait à toute prévision en 1439.
Si, comme roi et personne privée, Charles VII obéissait à Dieu, il
devait avoir des prospérités sans pareilles, et depuis mille ans nul prince
n'aurait été si glorieux; mais, disait Dieu par la voyante, s'il fait le contraire
de ce que je lui demande, je ne lui aiderai, ni ne serai contre lui;
mais lui laisserai accomplir ses volontés par lesquelles lui-même se détruira en abrégeant ses jours et les trames de cette vie mortelle;
mais pour ce, ne perdra-t-il la vie perdurable ; mais il n'aura pas victoire
sur les terriennes seigneuries.
La Pucelle aussi promettait, si le roi était fidèle à Dieu, un règne
d'une incomparable prospérité. Charles VII fut loin, comme personne
privée et comme roi, de faire ce que Dieu lui demandait; il n'eut pas,
en dehors de la France qu'il reconquit, agrandissement de territoire ; il accomplit ses propres volontés ; le châtiment fut bien celui qu'annonçait
Marie d'Avignon ; il se créa de telles difficultés avec son fils qu'il détruisit
ses propres jours, ne voulant plus ou même ne pouvant plus manger.
Les sentiments de repentir, de piété, de confiance en Dieu qu'il
témoigna sur son lit de mort, font espérer qu'il n'aura pas perdu la vie
perdurable, c'est-à-dire celle de l'éternelle félicité. On aime à croire
que le roi de la Pucelle, le défenseur du Pape légitime Nicolas V
contre l'antipape Félix V, malgré l'introduction de la Pragmatique
Sanction et le scandale de ses moeurs, n'aura pas été éternellement
réprouvé.
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