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Procès
de réhabilitation
Déposition
de Jean Beaupère |
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Venerable et circonspecte personne maistre Jehan Beaupère (1) maistre en theologie, chanoyne de Rouen, de l'aage de LXX ans ou environ,
Dit que, au regard des apparitions dont il [est] fait mention au
procés de ladicte Jehanne, que il a eu et a plus grant conjecture que
lesdictes apparitions estoient plus de cause naturelle et invention
humaine que de cause surnature. Toutesfoys de ce principalement se
rapporte au procés.
Item, dit que, audevant qu'elle fut menee a Sainct Ouen pour estre
preschee au matin, sil qui parle seul entra en la prison de ladicte
Jehanne, par congié, et advertit icelle Jehanne qu'elle seroit tantost
menee en l'ercharfault pour estre preschee. En luy disant que se elle
estoit bonne chrestienne, elle diroit audit escharfault que tous ses
faitz et ditz elle mectoit en l'ordonnance de nostre mere Sainte Eglise,
et en especial des juges ecclesiasticques. Laquelle respondi que ainsi
feroit elle. Et ainsi le dit elle audit escharfault, sur ce requise par
maistre Nicole Midi ; et, ce veu et considéré pour celle foys, elle fut
renvoyee aprés son abjuration, combien que par aucuns Angloys
fut impropeiré a l'evesque de Beauvoys et a ceulx de Paris qu'ilz
favorisoient aux erreurs d'icelle Jehanne.
Item, et que aprés icelle abjuration et que elle eust son habit de
femme que elle receut en ladicte prison, le vendredi ou samedi aprés,
fut raporté ausditz juges que ladicte Jehanne se repentoit aucunement
de avoir laissé l'abit de homme et prins l'abit de femme. Et pour ce, monsieur de Beauvoys, juge, envoya cil qui parle et maistre Nicole
Midi au chastel, en esperance de parler a ladicte Jehanne, et la induyre
et ammonester qu'elle perseverast et continuat le bon propos qu'elle avoir eu en l'escharfault, et qu'elle se donnast garde que elle ne rencheust.
Mais ne peurent iceulx [trouver] celuy qui avoit la clef de la
prison. Et ainsi que ilz actendoyent la garde d'icelle prison, furent
par aucuns Angloys, estans en la court dudit chastel, dictes parolles
comminatoires, comme raporta ledit Midi audit parlant ; c'est assavoir :
[qui] les jecteroit tous deux dedens la riviere, il seroit bien employé.
Pour quoy icelles parolles ouyes, s'en retournerent ; et sur le pont
dudit chastel, ouyt ledit Midi, comme il raporta audit parlant, semblables
parolles ou pres d'icelles par autres Angloys pronunciés.
Pourquoy les dessusditz furent espoventez ; et s'en vinrent sans parler
a ladicte Jehanne.
Item, dit que, a son advis, se ladicte Jehanne eust eu saiges et frans
directeurs, elle eust dit moult de parolles servans a sa justification, et
taeu plusieurs qui faisoient a sa condempnation (2).
Item, dit, quant a l'innocence d'icelle Jehanne, que elle estoit bien
subtile, de subtilité appartenante a femme, comme il luy sembloit.
Et n'a point seu par aucunes parolles d'elle, que el fust corrumpue de
corps.
Item, au regard de sa penitance final, n'en sauroit que dire. Car
le lundi aprés ladicte abjuration, party de Rouen pour aller a Balle,
de par l'université de Paris ; et elle fut condempnee le mercredy
ensuyvant ; et ne sceut aucunes nouvelle de sa condempnation, jusques
a ce que l'ouy dire en l'Isle en Flandres.
Sources :
- L'enquête ordonnée par Charles VII en 1450 et le codicille de Guillaume Bouillé, t.III, Paul Doncoeur & Yvonne Lanhers.
Notes :
1. On vit Jean Beaupère, l'un des plus compromis anglophiles, acharné contre Jeanne, arriver soudainement de Besançon et se présenter devant le Commissaire royal. Il venait maintenant faire valoir ses titres de « bon Français », afin de
revendiquer le canonicat de Rouen, qu'il avait reçu de la grâce de Henri VI, le 2 avril 1431, au plein milieu du procès de Jeanne ! (P. Doncoeur).
2. Jules Quicherat (t.II), se basant sur un manuscrit fautif, n'a pas repris ce paragraphe "Item, dit que, à son advis... condempnation".
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