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Procès
de réhabilitation
V-4 - Déposition de Fr. Jean de Lenizeul |
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Vénérable et religieuse personne frère Jean de Lénizeul, prêtre de l'ordre de saint Pierre Célestin, âgé d'environ
cinquante-cinq ans, témoin produit, reçu, juré et entendu l'an
susdit, le septième jour du mois de mai,
Interrogé d'abord sur ce qu'il sait pour en témoigner dans
sa déposition sur le contenu des Ier, IIe, IIIe et IVe des articles produits en cette cause,
il déclare n'avoir eu nulle connaissance de Jeanne, car il la
vit seulement aux deux prédications qui furent faites à
Rouen.
Interrogé ensuite sur le contenu des articles suivants, du
Ve au XXIIIe, il déclare seulement qu'à l'époque
où Jeanne était détenue à Rouen, lui était le serviteur de
feu maître Guillaume Érart. Il vint de Bourgogne avec son
maître jusqu'à la ville de Rouen, et lorsqu'ils y arrivèrent,
le témoin entendit parler de ce procès ; mais ce qui fut fait au cours de ce procès, il n'en sait rien, car il quitta la ville
de Rouen et alla à Caen, où il resta jusqu'à la fête de Pentecôte environ ; à cette fête, il revint à Rouen, et trouva son
maître qui lui déclara avoir la charge de faire une prédication au sujet de cette Jeanne ; cela lui déplaisait beaucoup,
et il dit aussi au témoin qu'il voudrait être en Flandre et
que l'affaire ne lui plaisait pas du tout.
Interrogé encore sur le contenu de ces articles, il dit et déclare
sous serment qu'il fut présent lors de la prédication faite
par sondit maître à Saint-Ouen ; mais ne se rappelle plus ce
qui fut dit, car il était placé loin. Se souvient de la rumeur
populaire à la fin du sermon ; elle était que Jeanne s'était
rétractée, qu'elle avait été ramenée dans le droit chemin,
de quoi beaucoup se réjouissaient ; mais ce qu'elle avait
rétracté, il l'ignore. Dit aussi qu'après cette rétractation
des vêtements de femme lui furent remis, par maîtres Pierre
Maurice et Nicolas Loiseleur, puis elle fut ramenée en prison.
Il a cependant ouï dire que ses vêtements d'homme lui avaient été renvoyés en prison, qu'elle les avait repris ; mais pour quelle raison, ou qui l'y a poussé, il l'ignore. Il sait aussi
qu'après la reprise de ces vêtements les juges se réunirent,
pour savoir ce qu'il fallait faire ; mais ignore ce qu'ils décidèrent ; cependant il a entendu dire généralement qu'elle
avait été jugée relapse, parce qu'elle avait repris ses vêtements d'homme et parce qu'elle disait que ses voix lui étaient
apparues.
Dit aussi qu'il vit Jeanne lors de la seconde prédication, à laquelle il assista ; et le matin, avant la prédication, il vit qu'on portait à Jeanne le Corps du Christ avec beaucoup
de solennité, en chantant des litanies et en disant « Priez
pour elle », avec une grande quantité de torches ; mais qui décida ou ordonna cela, il l'ignore. Le témoin n'assista pas à la réception du Corps du Christ, mais il entendit dire par
la suite qu'elle l'avait reçu très dévotement et avec grande
abondance de larmes. Peu après Jeanne fut conduite sur une estrade préparée au Vieux Marché, et là fut faite la prédication par maître Nicolas Midi ; mais ne se rappelle pas
ce qu'il y eut dans cette prédication, car il se trouvait loin
du prédicateur.
Dit aussi qu'il ne vit pas que Jeanne fût remise à la justice séculière ; mais peu après cette prédication il vit qu'elle était conduite au supplice, et, là même, la vit brûler. Dit cependant qu'elle criait à haute voix : « Jésus » à plusieurs reprises.
Ne sait rien d'autre.
Venerabilis et religiosus vir frater Johannes de Lenozoliis,
presbyter ordinis Sancti Petri Coelestini, ætatis
LVIII (1) annorura vel eocirca, testis productus,
receptus, juratus et examinatus anno prædicto, die VII mensis maii.
Et primo, interrogatus quid ipse sciat attestari seu
deponere de contentis in I., II., III. et IV. articulis
articulorum in hac causa productorum : deponit quod
nullam habuit de eadem Johanna notitiam, quia solum
eam vidit in duabus prædicationibus quæ fuerunt factæ
Rothomagi.
Deinde interrogatus de contentis in V. usque ad XXIII,
deponit quod de contentis in eisdem solura scit ipse
loquens quod, tempore quo ipsa Johanna erat Rothomagi detenta, ipse erat servitor defuncti magistri Guillelmi
Erart. Et venit ipse loquens de Burgundia cum
eodem magistro suo usque ad villam Rothomagensem,
et dum pervenerunt ibi, audivit loquens quod fiebat
mentio de hujusmodi processu ; sed quid in eodem
processu factum fuerit nihil scit ipse loquens, quia recessit a dicta villa Rothomagensi, et ivit Cadomi, et
stetit ibidem usque circa festum Pentecostes : in quo
festo rediit Rothomagi, et invenit magistrum suum,
qui sibi dixit quod habebat onus faciendi quamdam
prædicationem pro ipsa Johanna, de quo sibi displicebat
multum, dicendo eidem loquenti quod vellet esse
in Flandria, et quod materia sibi multum displicebat.
Deinde interrogatus de contentis in dictis articulis,
dicit et deponit, ejus medio juramento, quod ipse fuit
in prædicatione facta per dictum magistrum suum in
Sancto Audoeno ; sed quid fuerit dictum non recordatur,
quia a longe stabat. Et recordatur quod rumor
popularis erat in fine sermonis quod ipsa Johanna se
revocaverat, et quod reducta erat, de quo multi gaudebant
; sed quid revocaverat nescit. Et dicit quod post
hujusmodi revocationem, fuit sibi tradita vestis muliebris
per magistros Petrum Mauricii et Nicolaum Loyseleur,
et sic reducta in carcerem. Audivit tamen dici
quod vestis sua virilis fuit ei dimissa in carcere : quam
vestem virilem postmodum resumpsit ; sed qua de causa
aut quis movit eam, nescit. Scit tamen quod, post resumptionem
hujusmodi habitus, judicantes fuerunt congregati
ad sciendum quid esset faciendum ; sed quid concluserunt
nescit, nisi ex auditu commumter dicentium
quod fuerat judicata relapsa eo quod ipsa habitum virilem
resumpserat, et dicebat voces suas sibi apparuisse.
Dicit etiam quod vidit eamdem Johannam in secunda
prædicatione, in qua ipse loquens interfuit ; et de mane,
ante hujusmodi prædicationem, vidit eidem Johannæ
deferri corpus Christi multum solemniter, cantando
letaniam, et dicendo Orate pro ea, et cum magna
multitudine tædarum ; sed quis hoc deliberavit aut ordinavit
nihil scit. Nec fuit ipse loquens præsens in receptione,
licet audiverit dici postmodum quod multum
devote receperat et cum magna abundantia lacrimarum.
Et paulo post fuit ipsa Johanna ducta in ambone
parato in Veteri Foro, et ibi prædicatio facta per magistrum
Nicolaum Midi ; sed quid fuit factum in hujusmodi
prædicatione non recordatur, quia longe erat a
prædicatore.
Dicit etiam quod eam non vidit reddi justitiæ sæculari
; sed, modicum post hujusmodi prædicationem,
vidit eam duci ad supplicium, et ibidem vidit eam cremari.
Dicit tamen quod ipsa clamabat alta voce Jhesus,
iteratis vicibus.
Nec aliud scit.
Sources
- Texte latin : Quicherat - Procès t.III p.112 et suiv.
- Traduction : source Pierre Duparc, t. IV, p.79 à 81.
Notes de Quicherat :
1 Le manuscrit de Notre-Dame (et le manuscrit britannique utilisé par Duparc) mentionnent "Quadraginta quinque" soit 55 ans.
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