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Procès
de réhabilitation
V-3 - Déposition de Jean Luillier |
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L'an susdit, le seizième jour du mois de mars, en présence de vénérables personnes, maîtres Guillaume Bouillé, doyen de Noyon, et Jean Martin, vicaire de l'inquisiteur, de l'ordre des frères précheurs, professeurs de théologie sacrée, et en outre de Jean Cadier, bachelier ès lois, [parut]
Jean Luillier l'ainé, bourgeois d'Orléans, âgé d'environ cinquante-six ans ;
Interrogé sur l'arrivée de la Pucelle dans la ville d'Orléans,
déclare qu'elle était fort désirée par tous les habitants
de cette cité, à cause de sa renommée et de la rumeur qui
courait : on disait en effet qu'elle avait déclaré au roi être
envoyée par Dieu pour faire lever le siège mis devant la
ville ; or les citoyens et tous les habitants se trouvaient dans
un tel danger, à cause des assiégeants ennemis, qu'ils ne
savaient à qui recourir pour être sauvés, sinon à Dieu.
De même interrogé s'il était dans la cité quand elle y entra,
répond affirmativement ; et dit qu'elle fut reçue avec autant de
joie et applaudissement par tous, des deux sexes, petits et
grands, que si elle avait été un ange de Dieu ; car ils espéraient,
grâce à elle, être délivrés des ennemis, comme cela
arriva par la suite.
De même interrogé sur ce qu'elle avait fait dans la ville
après son entrée, déclare qu'elle les exhorta tous à espérer
en Dieu : s'ils avaient bon espoir et confiance en Dieu, ils
seraient sauvés de leurs ennemis. Dit en outre qu'elle voulut
faire des sommations aux Anglais assiégeant la cité, avant
de permettre qu'on donnât l'assaut pour les repousser; et
ainsi fut fait, car elle-même somma les Anglais par une lettre
contenant en substance qu'ils eussent à se retirer du siège
et à repartir pour le royaume d'Angleterre ; sinon ils seraient
obligés de se retirer par force et violence. Dit en outre que
dès lors les Anglais furent effrayés et n'eurent plus la même
force de résistance qu'auparavant ; on put ainsi voir souvent
un petit nombre de gens de la ville, combattant contre une
grosse troupe d'Anglais, les presser de telle sorte que ces Anglais assiégeants n'osaient plus sortir de leurs bastilles.
De même interrogé sur la levée du siège, déclare bien se
rappeler qu'au mois de mai, le septième jour du mois,
l'an du Seigneur mille quatre cent vingt-neuf, assaut fut
lancé contre les ennemis se trouvant sous le boulevard du
pont ; on disait qu'au cours de cet assaut elle avait été blessée
d'une flèche ; et cet assaut se prolongea du matin jusqu'au
soir, au point que ceux de la cité voulaient faire retraite dans
la ville. Alors la Pucelle vint leur recommander de ne pas
reculer, ni de se retirer dans la cité. Ayant ainsi parlé, elle
se saisit de son étendard et le plaça sur le bord du fossé,
et aussitôt, devant elle, les Anglais frémirent et eurent
peur ; les gens du roi reprirent courage et se mirent à monter
pour donner l'assaut au boulevard, sans trouver de résistance
; le boulevard fut alors pris, et les Anglais qui s'y trouvaient
s'enfuirent, mais tous moururent. Déclare en outre
que Classidas et les autres principaux capitaines anglais de
la bastille, croyant se retirer dans la tour du pont d'Orléans,
tombèrent dans le fleuve et s'y noyèrent. Une fois la bastille
prise, tous les partisans du roi rentrèrent dans la cité
d'Orléans.
Interrogé en outre sur ce qui se passa par la suite, déclare
qu'un autre jour, à savoir le lendemain, de bon matin, les
Anglais sortirent de leurs tentes et se mirent en ordre de
bataille pour combattre, à ce qu'il paraissait. L'ayant appris
et entendu, la Pucelle se leva de son lit et s'arma ; mais elle
ne voulut pas qu'on attaquât alors les Anglais, ni qu'on leur
demandât rien ; au contraire elle recommanda de les laisser
partir ; et en fait ils partirent, sans que personne les poursuivit ;
dès lors la ville fut délivrée des ennemis.
De même interrogé pour savoir si le siège fut levé et la
cité délivrée des ennemis par le ministère de cette Pucelle,
ou grâce à elle, plutôt que par la puissance des hommes
d'armes, il répond que lui, et également tous ceux de la cité,
croient que si la Pucelle n'était pas venue de la part de Dieu
les secourir, tous les habitants et la cité seraient vite tombés
dans la sujétion et le pouvoir des assiégeants ennemis ; et lui ne croit pas que les habitants et les hommes d'armes se
trouvant dans la cité auraient pu résister longtemps contre les forces des ennemis, alors tellement supérieures à eux.
Anno prædicto, die xvi. mensis martii, in præsentia venerabilium virorum, magistrorum Guillelmi Bouillé, decani Noviomensis, et Johannis Martini, vicarii inquisitoris, ordinis Fratrum Prædicatorum, sacræ theologiæ professorum, necnon Johannis Cadier, baccalarii in legibus : Johannes Luillier, burgensis Aurelianensis, senior (1), ætatis LVI annorum, vel circiter,
Interrogatus de adventu ipsius Puellæ ad villam Aurelianensem : dicit quod multum desiderabatur ab
omnibus incolis ipsius civitatis propter famam aut rumorem currentem, quia dicebatur quod dixerat regi se missam ex parte Dei pro levando obsidionem ante dictam villam positam ; ipsi autem cives et omnes habitantes erant in tanta necessitate positi per adversarios tenentes dictam obsidionem, quod nesciebant ad quem recurrere pro remedio, nisi solum ad Deum.
Item interrogatus si erat in civitate, quando ipsa applicuit ibi : dicit quod sic ; et quod recepta fuit cum tanto gaudio et applausu ab omnibus utriusque sexus, parvis et magnis, ac si fuisset Angelus Dei, propterea quod sperabant per medium ipsius eripi ab hujusmodi inimicis, sicut et postea factum est.
Item interrogatus quid ipsa fecit in illa civitate post ingressum suum : dicit quod exhortabatur omnes ut sperarent in Domino ; et, si haberent bonam spem et fiduciam in Deo, quod eriperentur ab adversariis. Dicit insuper quod ipsa voluit summare Anglicos obsidentes civitatem, antequam permitteret dare insultum ipsis adversariis ad repellendum eos ; et ita factum est, quia ipsa summavit eosdem Anglicos per unam litteram continentem in substantia, quod ipsi Anglici recedere vellent de obsidione et irent ad regnum Angliæ ; alias cogerentur recedere per vim seu violentias. Dicit ulterius quod ab illa hora Anglici fuerunt territi, nec habuerunt tantam potestatem resistendi sicut prius ; imo pauci de dicta villa sæpe pugnabant contra magnam multitudinem Anglicorum, et taliter cogebant aliquotiens ipsos Anglicos exsistentes in obsidione quod non audebant exire de suis bastilliis.
Item, interrogatus de levatione obsidionis : dicit quod in mense maii, die xxvii, anni Domini mccccxxix, bene recordatur quod fuit insultus datus contra adversarios exsistentes infra bolevardum Pontis ; in quo insultu dicebatur quod fuerat vulnerata de una sagitta ; et duravit ipse insultus ab hora matutinali usque ad vesperam, et in tantum quod illi de civitate volebant se retrahere ad civitatem ; et tunc ipsa Puella venit, præcipiendo ne recederent nec se retraherent adhuc ad civitatem. Quo dicto, ipsa cepit vexillum suum in manibus ejus, et posuit supra bordum fossati, et instanti, ipsa ibi exsistente, Anglici fremuerunt et pavidi effecti sunt ; armati autem regis resumpserunt animum, et coeperunt ascendere dando insultum contra boulevardum, nec reperierunt quamcumque resistentiam ; et ex tunc dictum boulevardum fuit captum, et Anglici exsistentes in illo conversi sunt in fugam, omnes autem mortui. Dicit præterea quod Classidas et alii principales capitanei Anglicorum dictæ bastilliæ, credentes se retrahere in turri pontis Aurelianensis, ceciderunt in fluvium et submersi sunt, et, capta tunc bastillia, omnes de parte regis regressi sunt in civitatem Aurelianensem.
Interrogatus ulterius quid factum est postea : dicit quod alio die, videlicet in crastino, summo mane, exierunt de suis tentoriis et ordinaverunt se in exercitu pro pugnando, ut apparebat. Quo scito et audito, dicta Puella surrexit de lecto, et armavit se ; sed non voluit quod aliquis lunc invaderet dictos Anglicos, nec aliquod peteretur ab eis ; imo præcepit quod permitterentur abire ; sicut et de facto abierunt, nemine eos tunc persequente ; et ex illa hora dicta villa fuit ab hostibus liberata.
Item, interrogatus si illa obsidio fuit levata et civitas erepta ab inimicis per ministerium seu per medium ipsius Puellæ magis quam per potentiam armatorum : respondet quod ipse et similiter omnes de civitate credunt quod, si dicta Puella non venisset ex parte Dei, ad adjutorium eorum, ipsi de propinquo fuissent omnes habitantes et civitas sub ditione et potestate adversariorum obsidentium redacti ; nec credit ipsos habitantes, neque armatos in ipsa exsistentes, potuisse diu resistere contra ipsam potestatem adversariorum qui tantum tunc contra eos prævalebant.
Sources :
- Texte latin : Quicherat, Procès t.III p.23.
- Traduction : Pierre Duparc, t.IV, p.16 à 18.
Notes :
1 C'est-à-dire l'aîné. Un Jean Luillier était mercier à Orléans en 1421.
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