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Procès
de réhabilitation
V-4 - Déposition de Jean Monnet |
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>Maître Jean Monnet, professeur de théologie sacrée, chanoine de Paris, âgé de cinquante ans environ, témoin produit, reçu, juré et interrogé sur les articles avancés en cette cause,
le troisième jour d'avril,
Et d'abord interrogé sur ce qu'il sait, pour déposer et témoigner au sujet du contenu des Ier, IIe, IIIe et IVe articles, il déclare n'avoir rien su de Jeanne,
ni de ses père et mère et de ses parents, avant d'être allé à
Rouen avec Jean
Beaupère, dont j'étais le serviteur (1). Nous y vînmes en compagnie des maîtres Pierre Maurice, Thomas de Courcelles et de plusieurs autres, qui étaient mandés pour assister au procès ; c'est alors que j'ai vu Jeanne
plusieurs fois.
Interrogé en outre sur ce qu'il sait, pour déposer au sujet du contenu des Ve, VIe, VIIe et VIIIe articles dépose qu'après que les maîtres Jean Beaupère, Thomas de
Courcelles, Pierre Maurice et les autres qui avaient été mandés, furent
arrivés à Rouen, le procès ne tarda pas à commencer (2); il assista à trois ou quatre séances et il écrivait les questions posées à Jeanne et ses réponses, non pas comme notaire,
mais comme clerc et secrétaire de maître Jean Beaupère ;
et le témoin a reconnu son écriture sur un papier du procès
fait en français.(3)
Le témoin se rappelle entre autres avoir entendu Jeanne
s'adresser à lui-même, qui parle, et aux notaires, pour leur
dire qu'ils ne rédigeaient pas bien, et elle leur fit faire à plusieurs reprises des corrections. Dit aussi que plusieurs fois
au cours de l'interrogatoire, quand il s'agissait de questions
auxquelles elle jugeait ne pas devoir répondre, elle disait
s'en rapporter à la conscience de ceux qui l'interrogeaient, pour savoir si elle devait ou non répondre. Dit en outre que
le procès fut engagé contre Jeanne, parce qu'elle paraissait
trop nuisible aux Anglais, et leur avait déjà fait des dommages
considérables. Croit enfin que le procès fut engagé aux frais
des Anglais ; mais au sujet de l'ardeur qui poussait les juges,
il s'en rapporte à leur conscience.
Sur le IXe article, il ne sait rien, sinon seulement qu'elle était détenue au château de Rouen.
Sur le Xe article, le témoin déclare avoir entendu dire
que Jeanne, pendant le procès, fut examinée pour savoir si
elle était vierge ou non, et elle fut trouvée vierge ; de cela
il se souvient, car on dit alors, pendant qu'on examinait sa
virginité, que Jeanne avait été blessée au fondement par l'équitation.
Interrogé en outre sur le contenu des XIe, XIIe,
XIIIe et XIVe articles, il dit et déclare qu'on posait à Jeanne des questions bien difficiles, auxquelles un maître
en théologie aurait répondu avec difficulté ; et il semble au
témoin qu'en cela Jeanne était fort accablée. Dit aussi que pendant ce procès elle fut malade ; mais ne sait si elle reçut
la visite de médecins.
Sur le contenu des XVe, XVIe, XVIIe et
XVIIIe articles ne sait rien ; et sur certains points s'en
rapporte au procès.
Sur le contenu des XXe et XXIe, il dit et
déclare ignorer qui a fait ou forgé ces douze articles, et s'ils
furent bien ou mal extraits des aveux de cette Jeanne. Sait
cependant que maître Jean Beaupère se rendit à Paris et y
porta ces douze articles.
Sur le contenu du XXIIe article, il déclare seulement
avoir entendu dire que certains allaient sous un déguisement
s'entretenir avec Jeanne ; mais il ignore qui était celui qui
agençait de telles choses.
Sur le contenu des XXIIIe, XXIVe et
XXVe articles, le témoin dit et déclare qu'il fut
présent lors de la prédication faite à Saint-Ouen, et se tenait
dans un ambon aux pieds de maître Jean Beaupère, son maître ; lorsque la prédication fut terminée, comme on commençait à lire la sentence, Jeanne déclara que, si elle était
conseillée par des clercs voyant tout selon leur conscience,
elle ferait volontiers ce qui lui serait conseillé. A ces mots
l'évêque de Beauvais demanda au cardinal d'Angleterre,
qui était là, ce qu'il fallait faire, étant donné la soumission de Jeanne. Le cardinal répondit alors à l'évêque qu'il devait
recevoir Jeanne à la pénitence. La sentence, que l'évêque
avait commencé de lire, fut alors écartée, et il reçut Jeanne à la pénitence. Le témoin vit la cédule d'abjuration qui fut
alors lue, et il lui parut que c'était une petite cédule, d'environ six ou sept lignes ; et le témoin déclare bien se rappeler
que Jeanne s'en rapportait à la conscience des juges, pour
décider si elle devait se rétracter ou non. Dit en outre que
le jour de ces événements, on disait que le bourreau se trouvait sur la place, attendant qu'elle fût livrée à la justice
séculière.
Sur le contenu des autres articles, il ne sait rien, car, dit-il,
il quitta la ville de Rouen le lundi ou le dimanche précédant
la mort de Jeanne. Ne sait rien d'autre.
Magister Johannes Monnet, sacræ theologiæ professor,
canonicus Parisiensis, ætatis L annorum, vel
eocirca, testis productus, receptus, juratus et examinatus
super articulis in hujusmodi causa productis,
die iii. aprilis.
Et primo, interrogatus quid ipse sciat deponere seu
attestari de et super contentis in L, II., III. et IV.
articulis : deponit quod de eadem Johanna, suisve patre
et matre ac parentibus, nullam habuit notitiam
nisi a tempore quo ipse loquens ivit Rothomagum,
cum magistro Johanne Beaupère, cujus ipse loquens
erat servitor, et in societate magistrorum Petri Mauricii,
Thomæ de Courcellis, et plurium aliorum qui
erant mandati ad interessendum processui ; durante
quo processu eamdem Johannam vidit pluries.
Item, interrogatus quid ipse sciat deponere de contentis
in V., VI., VII. et VIII. articulis : deponit quod,
dum ipsi magistri Johannes Beaupère, Thomas de
Courcellis et Petrus Mauricii et alii mandati venerunt Rothomagum, paulo post inceptus fuit processus contra
eamdem Johannam, et ipse loquens interfuit tribus
vel quatuor vicibus et scribebat interrogationes factas
ipsi Johannæ et responsiones ipsius, non ut notarius, sed ut clericus et servitor ipsius magistri Johannis
Beaupère, et suam scripturam agnovit ipse loquens in
papyro, seu processu facto in gallico.
Et inter alia recordatur ipse loquens quod eidem
Johannæ audivit dici, loquendo eidem loquenti et notariis,
quod non bene scribebant, et multotiens faciebat
corrigere. Dicit etiam quod pluries, in suis interrogationibus
et responsionibus, dum interrogaretur super aliquibus de quibus videbatur sibi quod non debebat
respondere, dicebat quod se referebat conscientiis interrogantium,
an deberet respondere vel non. Dicit insuper quod processus fuit contra eam inceptus quia
ipsa Johanna erat nimis præjudiciabilis Anglicis, et
quod sibi jam plurima damna fecerat. Credit tamen
quod expensis Anglicorum processus hujusmodi ducebatur ; sed quo zelo procedebant judicantes, se refert
eorum conscientiis.
Super IX. articulo nihil scit, nisi solum quod erat
in castro Rothomagensi detenta.
Super X. articulo deponit ipse loquens quod audivit
dici quod ipsa Johanna, durante processu, fuit visitata
an esset virgo vel non, et fuit inventa virgo ; et
de hoc habet memoriam, quia tunc fuit dictum quod ipsa Johanna fuit læsa in inferioribus de equitando,
dum visitaretur super virginitate.
Insuper interrogatus de et super contentis in XI.,
XII., XIII. et XIV., dicit et deponit quod eidem Johannæ
fiebant multum difficiles quæstiones et interrogationes, quibus unus magister in theologia cum difficultate
respondisset, et videtur eidem loquenti quod
ipsa Johanna multum gravabatur in hoc. Dicit etiam
quod durante hujusmodi processu fuit infirma ; sed si
fuerit visitata per medicos, nihil scit.
De contentis in XV., XVL, XVII. et XVIII. articulis
nihil scit ; et de aliquibus se refert processui.
Super contentis in XX. et XXI. dicit et deponit
quod de illis articulis nescit quis eos confecit aut fabricavit,
vel si fuerint bene vel male ex confessionibus
ipsius Johannæ extracti. Scit tamen quod
magister Johannes Beaupère accessit Parisius, et attulit
illos duodecim articulos.
Super contentis in XXII. deponit solum quod audivit
dici quod aliqui ibant locutum cum eadem Johanna,
cum habitu dissimulato ; sed quis erat ille qui
talia faciebat nescit.
De contentis in XXIII., XXIV. et XXV. articulis,
dicit et deponit ipse loquens Quod ipse fuit in prædicatione
facta apud Sanctum Audoenum, et erat ipse
loquens in ambone, sedens ad pedes magistri Johannis
Beaupere, ejus magistri ; et dum prædicatio fuit
finita, cum inciperetur legi sententia, ipsa Johanna
dixit quod, si esset consulta a clericis, et quod videretur
conscientiis suis, ipsa libenter faceret illud quod
sibi consuleretur ; et his auditis, ipse episcopus Belvacensis
inquisivit a cardinali Angliæ, qui ibidem erat, quid agere deberet, attenta dictæ Johannæ submissione.
Qui cardinalis tunc eidem episcopo respondit
quod eamdem Johannam debebat recipere ad pœnitentiam. Et fuit tunc dimissa illa sententia quam
inceperat legere, et eamdem Johannam recepit ad
pœnitentiam. Et tunc vidit ipse loquens quamdam
schedulam abjurationis, quæ tunc fuit lecta, et eidem
loquenti videtur quod erat una parva schedula, quasi
sex vel septem linearum ; et bene recordatur, prout
dicit, quod ipsa se referebat conscientiis judicantium
si se deberet revocare vel non. Dicit insuper quod,
illo die quo fuerunt facta prædicta, dicebatur quod
tortor erat in platea, exspectans quod traderetur justitiae
sæculari.
De contentis in cæteris articulis nibil scit, quia, ut
dicit, recessit a villa Rothomagensi in die Lunæ vel
dominica præcedente mortem ipsius Johannæ. Nec
aliud scit.
Sources :
- Texte latin : Quicherat - Procès t.III p.62 et suiv.
- Traduction : Pierre Duparc, t.IV, p44 à 46.
Notes :
1 Les étudiants s'attachaient ainsi à la personne de maîtres distingués dans le cours de leurs études, leur servant tout à la fois de secrétaire et de majordome. C'était un moyen d'alléger les frais scolaires et de se créer des protecteurs. Encore aujourd'hui des étudiants s'attachent dans le même but à des célébrités pour les écritures, ou donnent des répétitions, font des surveillances dans les collèges.
2 Il y a eu une confusion dans l'édition de ces deux alineas (éd. Duparc). Correction apportée.
3 Preuve encore ici qu'à l'époque de la réhabilitation, les juges possédaient la totalité du dossier original en Français.
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