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Procès de réhabilitation
IV-4 - Déposition de Jean Moreau |
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Honnête personne Jean Moreau, habitant de la ville de Rouen, âgé de cinquante-deux ans, témoin cité, produit
juré et interrogé le dixième jour du mois de mai sur le contenu des articles présentés en cette cause,
Et d'abord sur le contenu des Ier, IIe, IIIe et IVe articles, il déclare et atteste que lui, témoin,
est natif de Viéville près de Lamothe en Bassigny, non loin
de Domremy, lieu d'origine de Jeanne. Il n'a cependant
connu ni Jeanne, ni ses parents ; mais la vérité est que, à l'époque où Jeanne se trouvait auprès du roi de France,
vinrent en la ville de Rouen Nicolas Saussart et Jean Chando,
marchands chaudronniers, desquels il apprit comment Jeanne était partie de la région lorraine. Ils racontaient que Jeanne
se rendit à Vaucouleurs voir Jean (1) de Baudricourt,
lui assurant qu'il fallait la conduire, ou la faire conduire,
auprès du roi de France, tant et si bien que Baudricourt
fut content de la faire conduire auprès du roi, alors à Chinon.
Quand elle y fut arrivée, on lui désigna un autre que le roi, à elle qui ne l'avait jamais vu ; mais elle dit que ce n'était pas le roi. Enfin, après examen de clercs et de docteurs, elle
parla au roi. Le témoin n'eut aucune autre connaissance de
Jeanne jusqu'à ce qu'il la vît à deux prédications, faites contre elle, à savoir l'une à Saint-Ouen, l'autre au Vieux
Marché de Rouen.
Sur le contenu des Ve et VIe articles, il sait seulement qu'au temps où Jeanne se trouvait dans la ville de
Rouen et qu'on faisait son procès, un homme notable vint
de la région lorraine à Rouen ; il rencontra le témoin parce
qu'il était de son pays ; et il lui dit venir de la région lorraine jusqu'à cette cité de Rouen, parce qu'il avait été commis
spécialement pour faire une information au lieu d'origine
de Jeanne et savoir quelle était sa réputation ; ce qu'il avait
fait et transmis au seigneur évêque de Beauvais, croyant
recevoir une compensation pour son travail et ses dépenses ; mais l'évêque de Beauvais lui avait dit qu'il était un traître
et un mauvais homme, et qu'il n'avait pas fait ce qu'il devait,
ce qu'on lui avait enjoint de faire. L'homme se plaignit au
témoin de n'avoir pu avoir son salaire, parce que ces informations ne paraissaient pas utiles à l'évêque ; il déclara au témoin n'avoir rien trouvé, par cette information sur Jeanne,
qu'il n'eût désiré trouver sur sa propre sœur ; et cependant
il avait fait les informations dans cinq ou six paroisses proches
de la ville de Domremy et aussi dans cette ville. D'après cet
homme il avait trouvé que Jeanne était très pieuse, qu'elle fréquentait souvent une petite chapelle, où elle avait l'habitude de porter des guirlandes à une statue de la Sainte Vierge
qui se trouvait là ; et parfois elle gardait les animaux de son
père.
Sur le contenu des VIIe, VIIIe et IXe articles, il ne sait rien.
Sur le contenu du Xe article, il a entendu dire, au temps du procès, qu'elle avait été examinée pour savoir si
elle était vierge ou non; et qu'on l'avait trouvée intacte.
Interrogé de même et entendu sur ce qu'il peut déclarer
ou attester à propos du contenu des XIe, XIIe, XIIIe et XIVe articles, il déclare avoir seulement
entendu dire ceci : elle suppliait souvent ceux qui l'interrogeaient, pour qu'elle eût à répondre seulement à l'un d'eux ou à deux d'entre eux, car ils la troublaient beaucoup par
quantité de questions posées en même temps.
Sur le contenu des XXIIIe, XXIVe et XXVe articles, les autres étant omis, car il ne sait
rien à leur propos, il déclare sous serment qu'il fut présent à
Saint-Ouen, lors de la prédication faite sur Jeanne ; dans cette
prédication celui qui parlait outrageait beaucoup Jeanne,
lui disant qu'elle avait agi contre la majesté royale, contre
Dieu et la foi catholique, qu'elle avait erré dans la foi, et
que, si elle ne se détournait pas dorénavant de tels agissements, elle serait brûlée. Et il entendit en particulier Jeanne,
répondre au prédicateur qu'elle avait pris un habit d'homme
car elle avait à vivre parmi des hommes d'armes, avec lesquels il était plus sûr et plus convenable de se trouver en habit
d'homme, plutôt qu'en habit de femme ; [ajoutant] qu'elle
avait bien fait d'agir ainsi. Le témoin vit aussi à son dire
qu'on lisait à Jeanne une certaine cédule, mais il ignore ce
qu'elle contenait ; se souvient cependant qu'on y disait que
Jeanne avait commis le crime de lèse-majesté, et qu'elle
avait trompé le peuple. Il sait aussi qu'après la prédication
elle fut remise à un sergent, lequel, au même lieu, la livra
au bourreau, sans qu'une sentence eût été prononcée par le bailli ; elle fut conduite par le bourreau au feu, et dans ce
feu il l'entendit demander de l'eau bénite. Elle criait « Jésus »à haute voix. Elle demanda aussi une croix. Il a entendu
dire que ce jour là, ou la veille, elle avait reçu le Corps du
Christ.
Ne sait rien d'autre.
Honestus vir Johannes Moreau, commorans in villa
Rothomagensi, ætatis LII annorum, testis citatus,
productus, juratus et examinatus die X. mensis maii
super contentis in articulis in hac causa traditis.
Et primo, super contentis in I., II., III. et IV. articulis,
dicit et deponit quod ipse loquens est oriundus de Vivilla prope Motam en Bassigny, quæ non multum
distat a loco de Dompremy ; de quo oriunda fuit
ipsa Johanna. Non tamen de ipsa Johanna aut ejus
parentibus habuit notitiam ; sed veritas est quod, tempore
quo ipsa Johanna erat versus regem Franciæ,
applicuerunt ad villam Rothomagensem Nicolaus
Saussart et Johannes Chando, mercatores chauderonniers,
quibus audivit dici et referri modum recessus
ipsius Johannæ a partibus Lotharingiæ. Et dicebant
quod ipsa Johanna ivit apud Valliscolorem ad Johannem
de Baudricourt, eidem intimando quod oportebat
quod eam duceret versus regem aut faceret eam duci ;
in tantum quod ipse fuit contentus eam facere duci
apud regem, qui tunc erat à Chinon. Et quum ibidem
accessisset, sibi fuit dictum, quum regem nunquam
cognovisset, de alio quod erat rex ; quæ dixit quod non erat. Et tandem examinata per clericos et doctores,
locuta fuit regi. Nec aliam habuit notitiam de eadem
Johanna quousque eam vidit in duabus prædicationibus
contra eam factis, una videlicet in Sancto Audoeno, et alia in Veteri Foro Rothomagensi.
Super contentis in V. et VI., solum scit quod, tempore
quo ipsa Johanna erat in villa Rothomagensi, et
quod fiebat processus contra eam, quidam notabilis
homo de partibus Lotharingiæ venit ad villam Rothomagensem; cum quo ipse loquens habuit notitiam, eo
quod erat de partibus ; et eidem dixit quod veniebat
de partibus Lotharingiæ, et quod accesserat ad hanc civitatem Rothomagensem, quia fuerat commissus
specialiter ad faciendum informationes in loco originis
ipsius Johannæ, et quid dicebat fama de ea : quas fecerat,
et eas attulerat domino episcopo Belvacensi, credens habere satisfactionem de labore et expensis ; et
ipse episcopus eidem dixerat quod erat proditor et
malus homo, et quod non fecerat debitum in eo quod sibi fuerat injunctum. Et de hoc conquerebatur loquenti
ipse homo, qui, ut dicebat, non poterat persolvi
de suo salario, quia istæ informationes non videbantur dicto episcopo utiles ; eidem loquenti dicendo
quod per dictas informationes nihil invenerat
in eadem Johanna quin vellet invenire in sorore
propria, licet fecisset ipsas informationes in quinque
vel sex parochias propinquas dictæ villæ de Dompremy,
et etiam in eadem villa. Dicebat etiam ipse homo quod
invenerat quod ipsa Johanna erat multum devota, et
quod sæpe frequentabat unam parvam cappellam in
qua consueverat portare serta imagini beatæ Mariæ
ibidem exsistenti ; quodque aliquando custodiebat
animalia patris sui.
Super contentis in VII., VIII. et IX. nihil scit.
Item, de contentis in X. articulo, audivit dici,
tempore quo fiebat processus, quod fuerat visitata an
esset virgo, vel non, et quod fuerat inventa incorrupta.
Item, interrogatus et examinatus quid ipse sciat
deponere seu attestari de contentisin XI., XII., XIII.
et XIV.: deponit quod solum audivit dici quod sæpe
deprecabatur interrogantes eam quod solum haberet
respondere uni vel duobus tantum, et quod eam multum
turbabant de tantis interrogationibus sic insimul
factis.
De contentis in XXIII., XXIV. et XXV., aliis
omissis, quia de eisdem nihil scit : deponit, medio
juramento, quod ipse fuit præsens in Sancto Audoeno, in prædicatione de eadem Johanna facta ; in qua prædicatione,
ipse qui prædicabat dicebat eidem Johannæ
multa opprobria, eidem dicendo quod fecerat contra
regiam majestatem, quod contra Deum et fidem catholicam fecerat ; plura quoque erraverat in fide, et
quod, nisi amodo a talibus præcaveret, esset combusta.
Et inter alia audivit quod ipsa Johanna respondit
prædicatori quod acceperat habitum virilem eo quod
habebat interesse cum hominibus armatis, cum quibus
erat sibi tutius et convenientius conversari in habitu virili quam muliebri, et quod ea quæ faciebat et fecerat,
bene fecerat. Vidit etiam ipse loquens, ut dicit,
quod eidem Johannæ legebatur quædam schedula ;
sed quid in eadem continebatur nescit ; recordatur
tamen quod dicebatur quod commiserat crimen læsæ
majestatis, et quod seduxerat populum. Et scit quod
post prædicationem, fuit reducta ad castrum ; sed quid postmodum actum est, nescit, usque ad diem
quo fuit combusta.
De contentis autem in cæteris articulis, deponit
quod ipse fuit in ultima prædicatione, et in die qua
obiit ipsa Johanna. Et fuit facta prædicatio per quemdam
de cujus nomine non recordatur ; et ipse prædicator
dicebat quod ipsa Johanna male fecerat, et quod
sibi fuerat semel indultum suum peccatum, et quod
Ecclesia de cætero non poterat sibi prodesse. Et vidit
quod post prædicationem, fuit tradita cuidam clienti,
et ibidem cliens tradidit eam tortori, absque et cessante
eo quod aliqua fuerit sententia prolata per baillivum ;
et fuit ducta ad ignem, in quo igne audivit quod petivit
aquam benedictam. Et clamabat Jhesus alta voce.
Petiit etiam crucem. Audivit etiam dici quod eadem die seu in hesterna die, receperat corpus Christi.
Nec
aliud scit.
Sources :
- Texte latin original : Quicherat - Procès t.III p.191 et suiv.
- Traduction: source Pierre Duparc.
Notes :
1 Robert de Baudricourt.
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