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21 novembre 2024  

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V-2 - Déposition de Jean Morel


     Et d'abord Jean Morel, de Greux, près du village de Domremy, laboureur, âgé de soixante-dix ans ou environ (1), premier témoin dans cette enquête, sur le cas de cette Jeannette, communément appelée la Pucelle, produit, juré et reçu dans ledit village de Domremy, en présence des susdits Pierre et Jean, entendu par nous, Dominique, l'an du Seigneur [1456 n. st.], le mercredi vingt-huitième jour du mois de janvier requis de dire par serment ce qu'il sait de l'affaire pour laquelle il est produit comme témoin, à savoir sur le contenu des interrogatoires soit articles donnés pour l'information à faire dans le cas de Jeannette la Pucelle, après qu'on lui ait remis en mémoire son serment, et exposé comment le témoin portant un faux témoignage fait de mauvaises actions en même temps et en une seule fois : car il méprise son Créateur ; deuxièmement il trompe le juge ; troisièmement il lèse son prochain ; et finalement il édifie pour la géhenne et se rend ainsi infâme à perpétuité (2) .

  Sur le 1er de ces articles de l'interrogatoire, commençant par « D'abord sur le lieu d'origine, etc... » et de même sur les IIe et IIIe articles suivant, interrogé il déclara par serment que la Jeannette dont il s'agit naquit à Domremy et fut baptisée dans l'église paroissiale Saint-Remy de ce lieu. Son père s'appelait Jacques d'Arc, et sa mère Ysabelle, laboureurs, demeurant tous deux à Domremy tant qu'ils vécurent ; c'étaient, comme il l'a vu et su, de bons et fidèles catholiques, de bons laboureurs, de bonne renommée et d'honnête conduite, comme laboureurs, car il a parlé souvent avec eux. Le même témoin dit aussi qu'il fut l'un des parrains de Jeanne ; et ses marraines furent la femme d'Étienne le Royer et Béatrice, veuve de Thiesselin (3), demeurant audit village de Domremy, ainsi que Jeannette, veuve de Thiesselin de Vittel, demeurant en la ville de Neufchateau.

  Sur le IVe des articles commençant par « De même si dans sa jeunesse, etc... » interrogé, il déclara par serment que la Jeannette dans son premier âge fut, à ce qu'il lui semble, bien et convenablement élevée dans la foi et les bonnes moeurs, et telle qu'à peu près tout le monde l'aimait dans le village de Domremy; elle savait en effet, semblable aux autres jeunes filles, ses articles de foi, le Pater noster, l' Ave Maria.

  Sur l'article suivant, le Ve, commençant par « De même sur son comportement », interrogé, il déclare que la Jeannette était honnête dans son comportement, comme peut l'être semblable fille, car ses parents n'étaient pas très riches ; dans sa jeunesse et jusqu'à son départ de la maison paternelle, elle allait à la charrue et parfois gardait les animaux dans les champs ; elle faisait les travaux de femme, en filant et accomplissant tout le reste.

  Sur l'article suivant, le sixième, commençant par « De même si fréquemment » interrogé, il déclara par serment que ladite Jeannette, comme il la vit, allait souvent à l'église, au point que parfois les autres jeunes se moquaient d'elle (4); même elle allait parfois à l'église ou ermitage de Notre-Dame de Bermont, près du village de Domremy, alors que ses parents la croyaient aux champs, à la charrue ou ailleurs. Il déclara aussi que, lorsqu'elle entendait sonner la messe et qu'elle était aux champs, elle venait à l'église du village pour entendre la messe, comme le témoin assura l'avoir vu.

  Sur l'article suivant, le VIIe, commençant par « De même quelles étaient ses occupations, etc... » interrogé, il déclara que ladite Jeannette filait, allait à la charrue et gardait les animaux, comme il a déjà déposé dans le Ve article.

  Sur l'article suivant, le VIIIe, commençant par « De même si à cette époque, etc... » interrogé, il déclara qu'il vit ladite Jeannette se confesser au temps pascal et lors des autres fêtes solennelles ; il la vit se confesser à dom Guillaume Fronté, alors curé de l'église paroissiale Saint-Remy de Domremy.

  Sur le IXe article de l'interrogatoire, commençant par « De même qu'en est-il de cette opinion répandue, etc... », interrogé, il déclara par serment qu'à propos de l'arbre appelé « des dames », il entendit dire autrefois que des femmes ou personnes surnaturelles — on les appelait fées — allaient anciennement danser sous cet arbre ; mais, à ce qu'on dit, après une lecture de l'évangile de saint Jean, elles n'y vont plus. Déclara aussi qu'à l'époque actuelle, le dimanche où l'on chante dans la sainte église de Dieu au début de la messe Letare Jerusalem, dans ces régions appelé communément dimanche « des Fontaines », des jeunes filles et jeunes gens de Domremy vont sous cet arbre, et parfois aussi au printemps et dans l'été aux jours de fête, pour danser ; parfois ils déjeunent à cet endroit ; et en revenant ils vont à la fontaine aux Rains (5), se promenant et chantant, boivent de l'eau à cette fontaine et tout autour s'amusent à cueillir des fleurs. Il déclare aussi que Jeanne la Pucelle y allait parfois avec les autres jeunes filles et faisait comme les autres ; il n'entendit jamais dire que Jeannette fût allée seule, ni pour d'autres raisons, à cet arbre et à cette fontaine — la fontaine est plus près du village que l'arbre —, si ce n'est pour se promener et s'amuser, comme les autres jeunes filles. Et il n'a rien déclaré de plus.

  Sur l'article suivant, le Xe, commençant par « De même qu'on enquête, etc... » interrogé, il déclara que, quand ladite Jeannette partit de la maison paternelle, elle alla deux ou trois fois à Vaucouleurs pour parler au bailli ; et il entendit dire que le seigneur Charles, alors duc de Lorraine, voulut la voir et lui envoya un cheval de poil gris, suivant ses dires. Il ne sait rien ajouter à sa déposition sur le contenu de l'article, si ce n'est qu'au mois de juillet, lui, témoin qui parle, alla à Châlons lorsqu'on disait que le roi allait à Reims pour se faire sacrer, et là il vit ladite Jeanne qui lui donna une veste rouge qu'elle avait revêtue.

   Sur l'article suivant, le XIe, commençant par « De même si dans ledit, etc... », requis, il déclara ne rien savoir sur le contenu de l'article.

  Sur l'article suivant, le XIIe, commençant par « De même si Jeanne quand, etc... », requis, il déclara que, quand Jeanne alla à Neufchâteau à cause des bandes armées, elle fut toujours en la compagnie de ses père et mère ; ils restèrent quatre jours à Neufchâteau et ensuite regagnèrent le village de Domremy. Et cela le témoin le sait, car il fut avec d'autres dudit village à Neufchâteau et vit alors Jeannette et ses père et mère.

  Ne sait rien de plus.

  Cité il vint ; et a déposé sans passion ni haine, sans être sollicité ni payé, sans partialité ni crainte. Et il lui fut enjoint, etc.


   Les villages de Domrémy et Greux

     Iohannes Morelli, de Greu, iuxta seu prope villam de Dompno Remigio, laborator, etatis LXX annorum vel circa, primus testis in hac causa inquisicionis, super facto ipsius Iohannete, vulgariter la Pucelle nuncupate, coram nobis productus, iuratus, et receptus, in dicta villa de Dompno Remigio, ac in presencia predictorum dominorum Petri et Iohannis presbiterorum, per nos dictumque Dominicum, notarium, examinatus, anno Domini M CCCC LV, die mercurii vicesima octavo mensis ianuarii, requisitus, per suum iuramentum quid sciat de materia super qua in testem producitur ; videlicet de contentis in interrogatoriis sive articulis datis pro informacione facienda de facto ipsius Iohannete la Pucelle, suo autem iuramento, per eum ad sancta Dei evangelia prestito, ad eius memoriam reducto, et sibi exposito qualiter falsidicus testis, falsum testimonium perhibens, multa mala simul et semel commictit : nam Creatorem suum contempnit ; secundo iudicem fallit ; tercio proximum suum ledit ; et finaliter edifficat ad gehennam ; et sic perpetuo redditur infamis.

Et primo, super I° eorumdem articulorum sive interrogatoriorum articulo, incipiente : "Primo, de loco originis, etc..., eciam II° et  III° sequentibus articulis, requisitus,
  "Dicit per dictum suum iuramentum quod dicta Iohanneta, de qua agitur, fuit oriunda de dicto Dompno Remigio, et fuit baptizata in parrochiali ecclesia Sancti Remigii, eiusdem loci. Et vocabatur eius pater lacobus Darc, et eius mater Ysabelleta, de dicto Dompno Remigio laboratores, insimul, dum vivebant, commorantes. Qui, prout vidit et scivit, erant boni et fideles catholici, bonique laboratores, et bone fame, et honeste conversacionis ut laboratores, quia pluries cum eis conversatus est. Dixit eciam idem testis loquens quod ipse fuit unus ex patrinis dicte Iohannete. Et fuerunt eius matrine uxor Stephani Rotarii et Beatrix, relicta Thiescelini, in dicta villa de Dompno Remigio commorantes, ac Iohanneta, relicta Thiescelini de Vitello, in villa de Novo Castro commorans."

Super IV° eorumdem articulorum sive interrogatoriorum articulo incipiente : "Item, si in primitiva, etc...," requisitus,
  "Dixit per suum iuramentum quod ipsa Iohanneta in sui prima etate, ut sibi videtur, fuit et erat bene et decenter in fide et bonis moribus imbuta ; et erat talis quod quasi omnes eiusdem ville de Dompno Remigio eam diligebant. Sciebat enim ipsa Iohanneta suam credenciam, Pater Noster et Ave Maria, sicut similes iuvencule sciunt."

Super V° sequente articulo, incipiente : "Item, quod de conversacione eius, etc...," requisitus,
  "Dixit quod ipsa lohanneta erat honesta in conversacione, ut talis et similis filia est ; quia sui parentes non erant multum divites. Ibatque, in eius iuventute usque ad recessum domus sui patris, ad aratrum et aliquociens animalia custodiebat in campis, opera mulieris faciebat, nendo, et cetera omnia faciendo."

Super VI° sequente articulo, incipiente : "Item, si frequentaret, etc...," requisitus,
  "Dixit per suum dictum iuramentum, quod, prout vidit, ipsa Iohanneta libenter et sepe ibat ad ecclesiam, itaque ab aliis iuvenculis aliquociens deridebatur (4); eciam aliquociens ipsa ibat ad ecclesiam sive heremum Beate Marie de Bermont, iuxta dictam villam de Dompno Remigio ; et, dum sui parentes credebant ipsam fore in campis ad aratrum aut alias. Dixit eciam quod quando ipsa audiebat pulsare missam, et esset in campis, ipsa veniebat ad villam et ecclesiam, ad audiendum missam, prout idem testis asseruit se vidisse."

Super VII° sequente articulo, incipiente : "Item, quo exercicio, etc...", requisitus,
  "Dixit quod ipsa Iohanneta nebat et ibat ad aratrum ac animalia custodiebat, ut iam deposuit in quinto articulo."

Super VIII° sequente articulo, incipiente : "Item, si eodem tempore, etc..." requisitus,
  "Dixit quod vidit ipsam Iohannetam confiteri tempore pascali, et in aliis festivis solennitatibus vidit ipsam confiteri domino Guillermo Fronté, eiusdem ecclesie parrochialis Beati Remigii de Dompno Remigio tunc curato."

Super IX° eorumdem articuloruin sive interrogatoriorum articulo incipiente : "Item, quid habet fama communis, etc...,", requisitus,
  "Dixit per suum iuramentum quod de arbore, que dicitur dominarum, audivit alias dici quod mulieres et persone fatales, que vocabantur lees, ibant antiquitus choreatum sub illa arbore. Sed, ut dicitur, postquam evangelium beati Iohannis legitur et dicitur, amplius non vadunt. Dixit eeiam quod, modernis temporibus, in dominica qua cantatur in sancta Dei ecclesia in introitu misse Letare lherusalem, in istis partibus vulgariter dicta des Fontaines, puelle et iuvenes de Dompno Remigio vadunt subtus illam arborem, et aliquociens tempore veris et estatis, diebus festivis ad coreandum ; et aliquando ibidem comedunt ; et redeundo veniunt supra fontem ad Rannos, spaciando et cantando, et de aqua illius fontis bibunt, et circumcirca ludendo flores colligunt. Dixit eciam quod ipsa Iohanna la Pucelle, cum aliis puellis, dictis temporibus, aliquociens ibat, et sicut cetere faciebat. Nec unquam dici audivit quod Iohanneta articulata sola, nec propter aliam causam, iret ad arborem, nee ad fontem, qui fens est propinquior villa quam sit arbor ; nisi ad spaciandum et iocandum, sicut et alie iuvencule. Nec alias deposuit."

Super X° sequente articulo, incipiente : "Item, requiratur, etc...," requisitus,
  "Dixit quod, quando dicta Iohanneta recessit a domo sui patris, ipsa ivit bina aut trina vice ad Valliscolorem, locutum baillivo ; et audivit dici quod dominus Karolus, tunc dux Lothoringie, voluit eam videre, et tradidit sibi unum equum, ut dicebatur, pili nigri. Nec alias sciret deponere de contentis in eodem, nisi quod, tempore iulii, ipse testis loquens fuit Cathelani, dum dicebatur quod rex ibat Remis ad ipsum consecrandum ; ibidemque reperiit dictam Iohannam, que dedit sibi unam vestem rubeam, quam ipsa habebat inductam."

Super XI° sequente articulo, incipiente : "Item, si in dicta, etc...,"requisitus,
  
"Dixit se de contentis in eodem nichil scire."

Super XII° sequente articulo, sive interrogatorio, incipiente : "Item, si quando, etc...," requisitus,
  "Dixit quod, quando ipsa Iohanna fuit ad Novum Castrum propter armatos, ipsa fuit semper in comitiva suorum patris et matris, qui in dicto Novo Castro steterunt per quatuor dies ; et postea ad dictam villam de Dompno Remigio recesserunt. Et hoc scit idem testis, quia cum aliis dicte ville in Novo Castro fuit, ac dictam Iohannetam suosque patrem et matrem tunc vidit."

Plura nescit. Citatus venit. Nec amore, nee odio, prece, precio, favore vel timore hoc deposuit.
Et fuit sibi iniunctum, etc...



Sources :
- Texte latin : "La rédaction épiscopale du procès de 1455-1456", Paul Doncoeur et Yvonne Lanhers, 1961.
- Traduction: Pierre Duparc, t.III, p.240 à 243.

- Articles du questionnaire

Notes :
1 Agé de soixante-dix ans en 1456, il en avait donc vingt-cinq quand il fut parrain de Jeannette. Ainsi qu'il a été déjà dit, il fut un des sept répondants du village de Greux, dans l'onéreux traité de droit de garde imposé par le damoiseau de Commercy aux habitants des deux localités; en 1426, il représente encore son village dans la demande d'indemnité réclamée par Poignant; en 1461, il intervient pour déterminer la partie du village de Domrémy qui est au roi de France, et celle qui fait partie du Barrois.

2 Monition qui sera répétée à chaque témoin. Elle a été reportée intégralement pour Jean Morel, 1er témoin comparaissant. Pour les autres déposants, elle est réduite à "per suum iuramentum".

3 Thiesselin par erreur du déclarant ou du clerc, il s'agit en fait d'Estellin.

4 Quicherat (T.II, p. 389) a omis ici les mots qui se trouvent dans les manuscrits authentiques : Itaque ab aliis juvenculis aliquociens deridebatur, "ce qui la faisait moquer parfois par les autres jeunes filles".

5 Fontaine aux Rains qui était toute proche de la fontaine aux Groseillers.


Procès de réhabilitation
Témoins du pays de Jeanne

Questionnaire de Domrémy

Les dépositions :

Jean Morel
M. Dominique Jacob
Béatrice, vve Estellin
Jeannette, fme Thévenin
Jean Moen
M. Etienne de Sionne
Jeannette, vve Thiesselin
Louis de Martigny
Thévenin Royer
Jacquier de Saint-Amance
Bertrand Lacloppe
Perrin Drappier
Gérard Guillemette
Hauviette, fme Gérard de Sionne
Jean Waterin
Gérardin d'Epinal
Simonin Musnier
Zabillet, fme Gérardin
Mengette, fme Jean Joyart
M. Jean Colin
Colin, fils de Jean Colin
M. Jean de Metz
Michel Lebuin
Geoffroy du Foug
Durand Laxart
Catherine, fme Henri Royer
Henri Royer
M. Albert d'Ourches
Nicolas Bailly
Guillot Jaquier
M. Bertrand de Poulengy
M. Henri Arnolin
M. Jean Le Fumeux
Jean Jaquard



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