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Procès de réhabilitation
V-2 - Déposition de Jean Morel |
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Et d'abord Jean Morel, de Greux, près du village de Domremy,
laboureur, âgé de soixante-dix ans ou environ (1), premier témoin dans cette enquête, sur le cas de cette Jeannette,
communément appelée la Pucelle, produit, juré et reçu dans ledit village de Domremy, en présence des susdits Pierre et Jean, entendu par nous, Dominique, l'an du Seigneur [1456 n. st.], le mercredi vingt-huitième jour du mois de janvier
requis de dire par serment ce qu'il sait de l'affaire pour laquelle il est produit comme témoin, à savoir sur le contenu
des interrogatoires soit articles donnés pour l'information à faire dans le cas de Jeannette la Pucelle, après qu'on lui ait remis en mémoire son serment, et exposé comment le témoin portant un faux témoignage fait de mauvaises actions en
même temps et en une seule fois : car il méprise son Créateur ; deuxièmement il trompe le juge ; troisièmement il lèse son prochain ; et finalement il édifie pour la géhenne et se rend ainsi infâme à perpétuité (2) .
Sur le 1er de ces articles de l'interrogatoire, commençant
par « D'abord sur le lieu d'origine, etc... » et de même sur
les IIe et IIIe articles suivant, interrogé il déclara
par serment que la Jeannette dont il s'agit naquit à Domremy et fut baptisée dans l'église paroissiale Saint-Remy
de ce lieu. Son père s'appelait Jacques d'Arc, et sa mère
Ysabelle, laboureurs, demeurant tous deux à Domremy tant
qu'ils vécurent ; c'étaient, comme il l'a vu et su, de bons et
fidèles catholiques, de bons laboureurs, de bonne renommée
et d'honnête conduite, comme laboureurs, car il a parlé souvent
avec eux. Le même témoin dit aussi qu'il fut l'un des
parrains de Jeanne ; et ses marraines furent la femme d'Étienne
le Royer et Béatrice, veuve de Thiesselin (3), demeurant audit
village de Domremy, ainsi que Jeannette, veuve de Thiesselin
de Vittel, demeurant en la ville de Neufchateau.
Sur le IVe des articles commençant par « De même si
dans sa jeunesse, etc... » interrogé, il déclara par serment que la
Jeannette dans son premier âge fut, à ce qu'il lui semble, bien et
convenablement élevée dans la foi et les bonnes moeurs, et
telle qu'à peu près tout le monde l'aimait dans le village de
Domremy; elle savait en effet, semblable aux autres jeunes
filles, ses articles de foi, le Pater noster, l' Ave Maria.
Sur l'article suivant, le Ve, commençant par « De
même sur son comportement », interrogé, il déclare que la
Jeannette était honnête dans son comportement, comme peut
l'être semblable fille, car ses parents n'étaient pas très riches ;
dans sa jeunesse et jusqu'à son départ de la maison paternelle,
elle allait à la charrue et parfois gardait les animaux
dans les champs ; elle faisait les travaux de femme, en filant
et accomplissant tout le reste.
Sur l'article suivant, le sixième, commençant par « De
même si fréquemment » interrogé, il déclara par serment que
ladite Jeannette, comme il la vit, allait souvent à l'église,
au point que parfois les autres jeunes se moquaient d'elle (4);
même elle allait parfois à l'église ou ermitage de Notre-Dame
de Bermont, près du village de Domremy, alors que ses parents
la croyaient aux champs, à la charrue ou ailleurs. Il déclara aussi que, lorsqu'elle entendait sonner la messe et
qu'elle était aux champs, elle venait à l'église du village pour
entendre la messe, comme le témoin assura l'avoir vu.
Sur l'article suivant, le VIIe, commençant par « De même quelles étaient ses occupations, etc... » interrogé, il déclara
que ladite Jeannette filait, allait à la charrue et gardait
les animaux, comme il a déjà déposé dans le Ve article.
Sur l'article suivant, le VIIIe, commençant par « De
même si à cette époque, etc... » interrogé, il déclara qu'il vit
ladite Jeannette se confesser au temps pascal et lors des
autres fêtes solennelles ; il la vit se confesser à dom Guillaume
Fronté, alors curé de l'église paroissiale Saint-Remy de Domremy.
Sur le IXe article de l'interrogatoire, commençant
par « De même qu'en est-il de cette opinion répandue, etc... »,
interrogé, il déclara par serment qu'à propos de l'arbre appelé « des dames », il entendit dire autrefois que des femmes ou
personnes surnaturelles — on les appelait fées — allaient
anciennement danser sous cet arbre ; mais, à ce qu'on dit,
après une lecture de l'évangile de saint Jean, elles n'y vont
plus. Déclara aussi qu'à l'époque actuelle, le dimanche où
l'on chante dans la sainte église de Dieu au début de la messe Letare Jerusalem, dans ces régions appelé communément
dimanche « des Fontaines », des jeunes filles et jeunes gens de
Domremy vont sous cet arbre, et parfois aussi au printemps
et dans l'été aux jours de fête, pour danser ; parfois ils déjeunent à cet endroit ; et en revenant ils vont à la fontaine
aux Rains (5), se promenant et chantant, boivent de l'eau à
cette fontaine et tout autour s'amusent à cueillir des fleurs. Il déclare aussi que Jeanne la Pucelle y allait parfois avec les
autres jeunes filles et faisait comme les autres ; il n'entendit
jamais dire que Jeannette fût allée seule, ni pour d'autres
raisons, à cet arbre et à cette fontaine — la fontaine est plus
près du village que l'arbre —, si ce n'est pour se promener et
s'amuser, comme les autres jeunes filles. Et il n'a rien déclaré
de plus.
Sur l'article suivant, le Xe, commençant par « De
même qu'on enquête, etc... » interrogé, il déclara que, quand
ladite Jeannette partit de la maison paternelle, elle alla deux
ou trois fois à Vaucouleurs pour parler au bailli ; et il entendit dire que le seigneur Charles, alors duc de Lorraine, voulut
la voir et lui envoya un cheval de poil gris, suivant ses dires. Il ne sait rien ajouter à sa déposition sur le contenu de l'article,
si ce n'est qu'au mois de juillet, lui, témoin qui parle,
alla à Châlons lorsqu'on disait que le roi allait à Reims pour
se faire sacrer, et là il vit ladite Jeanne qui lui donna une
veste rouge qu'elle avait revêtue.
Sur l'article suivant, le XIe, commençant par « De
même si dans ledit, etc... », requis, il déclara ne rien savoir sur le
contenu de l'article.
Sur l'article suivant, le XIIe, commençant par « De
même si Jeanne quand, etc... », requis, il déclara que, quand Jeanne
alla à Neufchâteau à cause des bandes armées, elle fut toujours
en la compagnie de ses père et mère ; ils restèrent quatre
jours à Neufchâteau et ensuite regagnèrent le village de Domremy.
Et cela le témoin le sait, car il fut avec d'autres dudit
village à Neufchâteau et vit alors Jeannette et ses père et
mère.
Ne sait rien de plus.
Cité il vint ; et a déposé sans passion
ni haine, sans être sollicité ni payé, sans partialité ni crainte. Et il lui fut enjoint, etc.
Iohannes
Morelli, de Greu, iuxta seu prope villam de Dompno Remigio, laborator,
etatis LXX annorum vel circa, primus testis in hac causa inquisicionis,
super facto ipsius Iohannete, vulgariter la Pucelle nuncupate, coram
nobis productus, iuratus, et receptus, in dicta villa de Dompno
Remigio, ac in presencia predictorum dominorum Petri et Iohannis
presbiterorum, per nos dictumque Dominicum, notarium, examinatus,
anno Domini M CCCC LV, die mercurii vicesima octavo mensis ianuarii,
requisitus, per suum iuramentum quid sciat de materia super qua
in testem producitur ; videlicet de contentis in interrogatoriis
sive articulis datis pro informacione facienda de facto ipsius Iohannete
la Pucelle, suo autem iuramento, per eum ad sancta Dei evangelia
prestito, ad eius memoriam reducto, et sibi exposito qualiter falsidicus
testis, falsum testimonium perhibens, multa mala simul et semel
commictit : nam Creatorem suum contempnit ; secundo iudicem fallit
; tercio proximum suum ledit ; et finaliter edifficat ad gehennam
; et sic perpetuo redditur infamis.
Et primo, super I° eorumdem articulorum sive interrogatoriorum
articulo, incipiente : "Primo, de loco originis, etc..., eciam
II° et III° sequentibus articulis, requisitus,
"Dicit per dictum suum iuramentum quod dicta Iohanneta,
de qua agitur, fuit oriunda de dicto Dompno Remigio, et fuit baptizata
in parrochiali ecclesia Sancti Remigii, eiusdem loci. Et vocabatur
eius pater lacobus Darc, et eius mater Ysabelleta, de dicto
Dompno Remigio laboratores, insimul, dum vivebant, commorantes.
Qui, prout vidit et scivit, erant boni et fideles catholici, bonique
laboratores, et bone fame, et honeste conversacionis ut laboratores,
quia pluries cum eis conversatus est. Dixit eciam idem testis loquens
quod ipse fuit unus ex patrinis dicte Iohannete. Et fuerunt eius
matrine uxor Stephani Rotarii et Beatrix, relicta Thiescelini, in
dicta villa de Dompno Remigio commorantes, ac Iohanneta, relicta
Thiescelini de Vitello, in villa de Novo Castro commorans."
Super IV° eorumdem articulorum sive interrogatoriorum articulo
incipiente : "Item, si in primitiva, etc...," requisitus,
"Dixit per suum iuramentum quod ipsa Iohanneta
in sui prima etate, ut sibi videtur, fuit et erat bene et decenter
in fide et bonis moribus imbuta ; et erat talis quod quasi omnes
eiusdem ville de Dompno Remigio eam diligebant. Sciebat enim ipsa
Iohanneta suam credenciam, Pater Noster et Ave Maria,
sicut similes iuvencule sciunt."
Super V° sequente articulo, incipiente : "Item, quod
de conversacione eius, etc...," requisitus,
"Dixit quod ipsa lohanneta erat honesta in conversacione,
ut talis et similis filia est ; quia sui parentes non erant multum
divites. Ibatque, in eius iuventute usque ad recessum domus sui
patris, ad aratrum et aliquociens animalia custodiebat in campis,
opera mulieris faciebat, nendo, et cetera omnia faciendo."
Super VI° sequente articulo, incipiente : "Item, si
frequentaret, etc...," requisitus,
"Dixit per suum dictum iuramentum, quod, prout
vidit, ipsa Iohanneta libenter et sepe ibat ad ecclesiam, itaque
ab aliis iuvenculis aliquociens deridebatur (4); eciam aliquociens
ipsa ibat ad ecclesiam sive heremum Beate Marie de Bermont, iuxta
dictam villam de Dompno Remigio ; et, dum sui parentes credebant
ipsam fore in campis ad aratrum aut alias. Dixit eciam quod quando
ipsa audiebat pulsare missam, et esset in campis, ipsa veniebat
ad villam et ecclesiam, ad audiendum missam, prout idem testis asseruit
se vidisse."
Super VII° sequente articulo, incipiente : "Item, quo
exercicio, etc...", requisitus,
"Dixit quod ipsa Iohanneta nebat et ibat ad aratrum
ac animalia custodiebat, ut iam deposuit in quinto articulo."
Super VIII° sequente articulo, incipiente : "Item, si
eodem tempore, etc..." requisitus,
"Dixit quod vidit ipsam Iohannetam confiteri tempore
pascali, et in aliis festivis solennitatibus vidit ipsam confiteri
domino Guillermo Fronté, eiusdem ecclesie parrochialis
Beati Remigii de Dompno Remigio tunc curato."
Super IX° eorumdem articuloruin sive interrogatoriorum articulo
incipiente : "Item, quid habet fama communis, etc...,",
requisitus,
"Dixit per suum iuramentum quod de arbore, que
dicitur dominarum, audivit alias dici quod mulieres et persone fatales,
que vocabantur lees, ibant antiquitus choreatum sub illa arbore.
Sed, ut dicitur, postquam evangelium beati Iohannis legitur et dicitur,
amplius non vadunt. Dixit eeiam quod, modernis temporibus, in dominica
qua cantatur in sancta Dei ecclesia in introitu misse Letare
lherusalem, in istis partibus vulgariter dicta des Fontaines,
puelle et iuvenes de Dompno Remigio vadunt subtus illam arborem,
et aliquociens tempore veris et estatis, diebus festivis ad coreandum
; et aliquando ibidem comedunt ; et redeundo veniunt supra fontem
ad Rannos, spaciando et cantando, et de aqua illius fontis bibunt,
et circumcirca ludendo flores colligunt. Dixit eciam quod ipsa Iohanna
la Pucelle, cum aliis puellis, dictis temporibus, aliquociens
ibat, et sicut cetere faciebat. Nec unquam dici audivit quod Iohanneta
articulata sola, nec propter aliam causam, iret ad arborem, nee
ad fontem, qui fens est propinquior villa quam sit arbor ; nisi
ad spaciandum et iocandum, sicut et alie iuvencule. Nec alias deposuit."
Super X° sequente articulo, incipiente : "Item, requiratur,
etc...," requisitus,
"Dixit quod, quando dicta Iohanneta recessit a
domo sui patris, ipsa ivit bina aut trina vice ad Valliscolorem,
locutum baillivo ; et audivit dici quod dominus Karolus, tunc dux
Lothoringie, voluit eam videre, et tradidit sibi unum equum, ut
dicebatur, pili nigri. Nec alias sciret deponere de contentis in
eodem, nisi quod, tempore iulii, ipse testis loquens fuit Cathelani,
dum dicebatur quod rex ibat Remis ad ipsum consecrandum ; ibidemque
reperiit dictam Iohannam, que dedit sibi unam vestem rubeam, quam
ipsa habebat inductam."
Super XI° sequente articulo, incipiente : "Item, si
in dicta, etc...,"requisitus,
"Dixit se de contentis in eodem nichil scire."
Super XII° sequente articulo, sive interrogatorio, incipiente
: "Item, si quando, etc...," requisitus,
"Dixit quod, quando ipsa Iohanna fuit ad Novum
Castrum propter armatos, ipsa fuit semper in comitiva suorum patris
et matris, qui in dicto Novo Castro steterunt per quatuor dies ;
et postea ad dictam villam de Dompno Remigio recesserunt. Et hoc
scit idem testis, quia cum aliis dicte ville in Novo Castro fuit,
ac dictam Iohannetam suosque patrem et matrem tunc vidit."
Plura nescit. Citatus venit. Nec amore, nee odio, prece, precio,
favore vel timore hoc deposuit.
Et fuit sibi iniunctum, etc...
Sources :
- Texte latin : "La rédaction épiscopale du procès de 1455-1456", Paul Doncoeur et Yvonne Lanhers, 1961.
- Traduction: Pierre Duparc, t.III, p.240 à 243.
- Articles du questionnaire
Notes :
1 Agé de soixante-dix ans en 1456, il en avait donc vingt-cinq quand il fut parrain de Jeannette. Ainsi qu'il a été déjà dit, il fut un des sept répondants du village de Greux, dans l'onéreux traité de droit de garde imposé par le damoiseau de Commercy aux habitants des deux localités; en 1426, il représente encore son village dans la demande d'indemnité réclamée par Poignant; en 1461, il intervient pour déterminer la partie du village de Domrémy qui est au roi de France, et celle qui fait partie du Barrois.
2 Monition qui sera répétée à chaque
témoin. Elle a été reportée intégralement
pour Jean Morel, 1er témoin comparaissant. Pour les autres
déposants, elle est réduite à "per suum
iuramentum".
3 Thiesselin par erreur du déclarant ou du clerc, il s'agit en fait d'Estellin.
4 Quicherat (T.II, p. 389) a omis ici les mots qui se trouvent dans les manuscrits authentiques : Itaque ab aliis juvenculis aliquociens deridebatur, "ce qui la faisait moquer parfois par les autres jeunes filles".
5 Fontaine aux Rains qui était toute proche de la fontaine aux Groseillers.
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