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Procès de réhabilitation
V-4 - Déposition de Jean Tiphaine |
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[Suivent les noms, prénoms et attestations ou dépositions
des témoins produits, reçus, jurés et interrogés à Paris aux
jours ci-dessous désignés, dans la cause en nullité du procès
engagé et des sentences autrefois prononcées contre Jeanne,
communément appelée la Pucelle, par feu monseigneur
Pierre Cauchon, autrefois évêque de Beauvais, et frère Jean Le Maistre, sous-inquisiteur de la perversité hérétique.]
Et d'abord vénérable et discrète personne maître Jean Tiphaine, prêtre, maître ès arts et en médecine, chanoine de la Sainte Chapelle royale de Paris, âgé d'environ soixante ans, produit auparavant, le dix du mois de janvier, par révérendissime et révérend pères dans le Christ et seigneurs, messeigneurs l'archevêque de Reims et l'évêque de Paris, juges en cette affaire, et par frère Jean Bréhal, professeur de théologie sacrée, l'un des inquisiteurs de la perversité hérétique au royaume de France, afin d'informer lesdits juges, puis témoin juré sur les articles présentés en ce procès, et interrogé le deuxième jour du mois d'avril.
Et premièrement interrogé, après serment, sur ce qu'il
peut attester ou déclarer à propos du contenu des Ier,
IIe, IIIe et IVe articles, il dit et déclare
avoir connu cette Jeanne seulement après qu'elle eût été conduite dans la ville de Rouen, à l'occasion du procès engagé
contre elle. Et lui, témoin qui parle, fut prié de venir une
première fois, et il refusa ; mais prié une seconde fois il vint,
vit Jeanne, entendit les interrogations et ses réponses ; et
elle faisait de très belles réponses. Cette fois où il vint au
procès, les juges et les assistants se tenaient dans une petite
pièce, derrière la grande salle du château ; et elle répondait
très prudemment et sagement, avec beaucoup de courage.
Sur les Ve, VIe, VIIe et VIIIe articles, il
déclare, comme il l'a déjà dit, n'avoir pas voulu venir la
première fois qu'il fut convoqué à ce procès ; mais la seconde
fois il y alla, car il craignait les Anglais, et avait peur d'encourir
leur colère s'ils constataient son refus de venir. Mais
il ne sait pas avec quelle passion les Anglais procédaient
contre elle.
Sur le contenu du IXe article, il déclare que Jeanne
se trouvait dans une prison, à l'intérieur d'une tour du château,
et il la vit enchaînée par les jambes ; il y avait aussi un lit.
Sur le contenu du Xe article, il ne sait rien.
Sur le contenu des XIe, XIIe, XIIIe et XIVe
articles, il dit et déclare, à propos des interrogatoires,
que, le jour où il fut présent, maître Beaupère était le principal
interrogateur à poser des questions ; cependant Jacques
de Touraine, de l'ordre des frères mineurs, l'interrogeait parfois. Il se souvient bien qu'une fois ce maître Jacques
lui demanda si elle avait jamais été dans un lieu où des
Anglais avaient été tués ; alors Jeanne répondit : « En nom
Dieu si ay. Comme vous parlez doucement ! Pourquoi ne
quittaient-ils pas la France et n'allaient-ils pas dans leur
patrie ? » Et il y avait un grand seigneur anglais dont il ne
se rappelle plus le nom, qui l'ayant entendue déclara : « Vraiment
c'est une femme bonne. Si elle pouvait être anglaise ! » Et cela il le disait devant le témoin qui parle et maître
Guillaume Desjardins. Il déclare en outre le témoin qu'il n'y
a docteur si savant et subtil qui n'eût été bien embarrassé
et épuisé, s'il avait été interrogé comme Jeanne, par tant
de maîtres, devant une telle assistance.
Interrogé en outre sur la maladie que Jeanne eut pendant
ce procès, il déclare avoir été alors envoyé par les seigneurs
juges pour la visiter ; et il fut conduit près d'elle par un
dénommé d'Estivet ; en présence de cet Estivet, de maître
Guillaume de la Chambre, maître en médecine, et de plusieurs
autres, il prit son pouls pour savoir la cause de sa maladie, et il lui demanda ce qu'elle avait et où elle avait mal.
Elle répondit qu'une carpe lui avait été envoyée par l'évêque
de Beauvais, qu'elle en avait mangé, et croyait que c'était
la cause de sa maladie. Alors cet Estivet, toujours présent,
lui répliqua, disant qu'elle parlait mal ; il l'appela paillarde,
en déclarant : « Toi, paillarde, tu as mangé poissons en saumure
et autres choses qui ne te conviennent pas ». Elle lui
répondit qu'il n'en était rien ; et cette Jeanne et d'Estivet échangèrent beaucoup de paroles injurieuses. Dans la suite
cependant le témoin, voulant en savoir davantage sur la
maladie de Jeanne, apprit de quelques personnes, présentes
là même, qu'elle avait souffert de nombreux vomissements.
Le témoin ne sait rien d'autre ; et interrogé sur ce, il ne se
rappelle pas avoir jamais donné dans le procès opinion autre
que celle sur la maladie (1).
[Item, sequuntur nomina, cognomina et attestationes seu depositiones testium,
in causa nullitatis processus et sententiarum alias contra Johannam, vulgariter
dictam la Pucelle, per defunctum dominum Petrum Cauchon, olim
episcopum Belvacensem, et fratrem Johannem Magistri, hæreticæ pravitatis
subinquisitorem, in villa Parisiensi productorum, receptorum, juratorum et
examinatorum diebus infrascriptis, (coram dominis archiepiscopo Remensi,
episcopo Parisiensi et fratre Johanne Brehal.)]
ET PRIMO venerabilis et discretus vir, magister Johannes Tiphaine, presbyter, in artibus magister et
in medicina, canonicus Sacræ Cappellæ Parisiensis regalis, ætatis LX annorum, vel eocirca, alias per reverendissimum
et reverendum in Christo patres et dominos,
dominos Remensem archiepiscopum et Parisiensem
episcopum, judices in hac parte, et fratrem Johannem
Brehal, sacræ theologiæ professorem, hæreticæ pravitatis
in regno Franciæ alterum inquisitorem, die x.
mensis januarii, ad eorumdem judicum informationem
productus, receptus, et postmodum super articulis
in processu hujusmodi traditis juratus, et die II.
mensis aprilis examinatus.
Et primo, interrogatus, ejus medio juramento,
quid ipse sciat attestari seu deponere de contentis in
I., II., III. et IV. articulis ; dicit et deponit quod eamdem
Johannam solum novit a tempore quo fuit adducta
ad villam Rothomagensem, pro deducendo processum
contra eam. Et fuit ipse loquens mandatus ut interesset,
et pro prima vice noluit ire, sed secundo mandatus
interfuit, et eam vidit ac audivit interrogari
eam et respondere ; et faciebat multas pulchras responsiones.
Illa autem vice qua fuit in hujusmodi processu,
erant ipsi judices et assistentes in quadam parva aula,
retro majorem aulam castri ; et respondebat multum
providenter et sapienter, cum magna audacia.
In V., VI., VII. et VIII. deponit quod, ut jam dixit,
prima vice qua vocatus fuit in hujusmodi processu,
ipse ire noluit ; sed secunda vice ipse ivit, quia timebat
Anglicos, et ne eis visum fuisset quod ire noluisset,
et ob hoc eorum indignationem incurrisset. Sed
quo zelo contra eam procedebant nescit.
De contentis in IX. deponit quod ipsa Johanna erat in carceribus, in quadam turri castri, et eam
ibidera vidit ferratam per tibias, et erat ibidem cubile.
De contentis in X. nihil scit.
De contentis in XI., XII., XIII. et XIV. articulis,
dicit et deponit, quantum tangit interrogationes,
quod illa die qua ipse loquens fuit præsens, magister Pulchripatris erat principalis interrogator, et faciebat
interrogationes, et tamen Jacobus de Turonia,
de ordine Fratrum Minorum, aliquando interrogabat
eam. Et bene recordatur quod ipse magister Jacobus
semel ab eadem petiit si unquam fulsset in loco in quo
fuissent Anglici interfecti ; quæ Johanna respondit :« En nom Dieu, si ay. Comme vous parlez doulcement ! Quare non recedebant ipsi a Francia, et ibant ad suam patriam ? » Et erat ibidem unus magnus dominus
de Anglia, de cujus nomine non recolit, qui dixit, his auditis : « Vere ipsa est bona mulier. Si esset Anglica ! » Et hoc dicebat testi loquenti et magistro
Guillelmo Desjardins. Dixit ulterius ipse loquens
quod nullus est ita magnus doctor et subtilis, si esset interrogatus per tantos dominos et in tanta comitiva,
sicut erat ipsa Johanna, quin fuisset bene perplexus et
remissus.
Insuper interrogatus de infirmitate ipsius Johannæ,
quam habuit tempore hujusmodi processus : deponit
quod ea exsistente infirma, ipse fuit mandatus ex parte
dominorum judicum ad eam visitandum, et ad eamdem fuit ductus per quemdam cognominatum de Estiveto
; ipseque loquens, in præsentia dicti de Estiveto,
magistri Guillelmi de Camera, magistri in medicina,
et aliorum plurium, ad sciendum causam ægritudinis
suæ, palpavit pulsum suum, et interrogavit quid habebat et unde dolebat. Quæ respondit quod sibi fuerat
missa quædam carpa per episcopum Belvacensem, de
qua comederat, et dubitabat quod esset causa suæ infirmitatis
; et tunc ipse de Estiveto ibidem præsens redarguit
eam, dicendo quod male dicebat ; et vocavit
eam paillardam, dicendo : « Tu, paillarda, comedisti« halleca et alia tibi contraria. » Cui ipsa respondit quod
non fecerat ; et habuerunt ad invicem ipsa Johanna et
de Estiveto multa verba injuriosa. Postmodum tamen
ipse loquens, peramplius scire volens de ipsius Johannæ
infirmitate, audivit ab aliquibus ibidem præsentibus
quod ipsa passa fuerat multum vomitum.
Nec aliud scit ipse loquens, nec recordatur, super
hoc interrogatus, quod unquam in processu dederit
aliquam opinionem, nisi super ipsius infirmitate.
Sources :
- Texte latin : Quicherat - Procès t.III p.46.
- Traduction : source Pierre Duparc, t.IV, p.32 à 34.
Notes :
1 Il est cependant indiqué au procès-verbal de la condamnation comme ayant opiné dans le sens de l'abbé de Fécamp. (Quicherat).
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