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Procès
de réhabilitation
Déposition de Jean Toutmouillé en 1450 |
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Venerabilis et religiosus vir, frater Johannes Toutmouillé, ordinis predicatorum, sacre theologie egregius professor, de conventu sancti Jacobi Rothomagensis prefati ordinis, juratus et examinatus, dicta die quinta die marcii, etatis XLII annorum, vel circa.
Et primo de affectione judicum et eorum qui causam seu processum
ipsius Johanne tractaverunt, deponit quod, quia in processu vel
sessionibus nunquam astitit vel fuit presens, ideoque de visu non
posset deponere, sed tamen dicit quod fama communis et publica
fuit quod, appetitu vindicte [perverse] movebantur. Et hujus signum
dat, quia, ante mortem predicte Johanne, instituerant Anglici ponere
Locoveris obsidionem ; sed statim [propositum] mutaverunt,
cogitantes et dicentes quod nullam obsidionem ponerent, donec ipsa
exterminata esset. Unde ad hujus evidentem probationem facit
quod, statim post ejusdem Johanne combustionem, iverunt, et ante
Locoveris obsidionem posuerunt, estimantes quod, ea vivente, nunquam
in rebus bellicis prosperitatem haberent.
Item, quod idem loquens dicit quod, illa die qua sepedicta Johanna
fuit judicio seculari derelicta et incendio tradita, de mane fuit in
carcere presens cum fratre Martino Lavenu, qui ab episcopo Belvacense
mittebatur ad eam, ut mortem proximam sibi denunciaret, et
ut ad veram pacientiam ipsam induceret, et illam de confessione
audiret ; que omnia predictus Martinus multum sollicite et caritative
fecit. Et cum eidem Johanne annunciaret quod opportebat eam, propter
suum relapsum, per ignem et incendium illa die mori, et quod ita
judices sui ordinaverant, audita terribili morte que sibi [inminebat], multum dolenter clamose et lacrimabiliter atque cum omni
gestu intensissimi doloris cepit dicere : « Heu ! quomodo sic mecum
crudeliter agitur, ut corpus meum, quod integrum et nunquam corruptionem
expertum est, igne comburatur ! Eligerem enim potius, si
fieri posset, septies capite truncari quam igne cremari. »
Item, intulit et adjecit, ut idem loquens dicit, quod conquerebatur,
dicens : « Si fuissem in custodia Ecclesie, cui me submiseram, et per
viros ecclesiasticos custodita, et non per viros armorum et adversarios,
nunquam sic michi contigisset. Et de hoc coram Deo Summo judice
[de] tantis gravaminibus appello ». Unde mirabiliter ipsa ibidem
conquesta est, prout loquens dicit, de oppressionibus et violentiis
sibi in eodem carcere a tempore sue revocationis, per custodes et alios
per ipsos ad eam introductos, illatis et factis seu intemptatis. Et post
hec supervenit prefatus Belvacensis episcopus judex, cui ipsa statim
dixit : « O episcope, per vos ego morior ! » Et cum ille intulisset : « O Johanna, non habebatis pacientiam ; hoc est in causa, quia non tenuistis quod promisistis et relapsa estis. » Cui statim ipsa respondit : « Heu, si me posuissetis in carceribus [ecclesie] et custodibus ecclesiasticis et competentibus, non sic michi accidisset. Ideo coram Deo de vobis appello. » Quibus peractis, idem loquens ab eo loco
exivit et nichil ulterius audivit.
Vénérable et religieuse personne, frère Jean Toutmouillé, de
l'ordre des Prêcheurs, illustre professeur de sacrée théologie, du couvent
de Saint-Jacques de Rouen de ce même ordre, juré et examiné, ce
cinquième jour de mars, à l'âge de quarante-deux ans ou environ (1).
Et premièrement, des sentiments des juges et de ceux qui menèrent
la cause ou le procès de Jeanne, il dépose que, n'ayant jamais assisté
aux séances de ce procès, il n'en peut parler de visu. Il dit cependant
qu'il était de commune et publique renommée, qu'ils avaient agi par
esprit de vengeance. Il donne en preuve ce fait, qu'avant la mort de
Jeanne, les Anglais avaient décidé d'assiéger Louviers. Mais tout à
coup, ils y renoncèrent, convaincus et répétant qu'ils ne mettraient
pas le siège avant que Jeanne fût brûlée. Et ce qui le prouve à l'évidence,
c'est qu'aussitôt la mort de Jeanne, ils allèrent mettre le siège
devant Louviers, convaincus que, tant qu'elle vivrait, ils n'auraient
aucun succès à la guerre.
Item, celui qui parle dit que, le jour même où Jeanne fut abandonnée
au juge laïque et au bûcher, il avait, le matin, accompagné frère Martin
Lavenu, envoyé vers elle par l'évêque de Beauvais, pour lui annoncer
sa mort prochaine, l'amener à une vraie résignation et entendre sa
confession. Ledit Martin accomplit tout cela avec soin et charité.
Ayant annoncé à Jeanne que, en raison de son relaps, il lui fallait
mourir par le feu du bûcher, ce jour même, qu'ainsi en avaient décidé
ses juges, à l'annonce de la terrible mort qui l'attendait, elle poussa
des cris de douleur et pleurant, en exprimant une immense douleur,
elle se mit à dire : Hélas ! comment peut-on me traiter si cruellement,
que mon corps vierge qui n'a jamais été violé, soit brûlé au feu. J'aimerais
mieux, s'il était possible, être sept fois décapitée plutôt que d'être brûlée
ainsi !
Ledit témoin ajoute qu'elle se lamentait en disant : Si j'avais été
en prison d'Église à qui je m'étais soumise, et si j'avais été gardée par des
hommes d'Église et non par des hommes d'armes, mes ennemis, cela
ne me serait jamais arrivé. J'en appelle devant Dieu, le juge souverain,
pour de tels tourments dont on m'accable ! Elle se plaignit alors vivement
des tourments et violences qui lui avaient été faites ou qui avaient été
tentées sur elle, dans cette prison, depuis son abjuration, par les gardes
ou d'autres hommes introduits auprès d'elle par ceux-ci. Enfin, survint l'évêque de Beauvais, son juge, auquel elle dit aussitôt : Évêque,
je meurs par vous. A quoi, celui-ci répondit : O Jeanne, vous ne vous
soumettiez pas. Cela vous arrive parce que vous n'avez pas tenu votre
promesse et que vous êtes relapse. A quoi elle répliqua : Hélas, si vous
m'aviez mise en prison d'Église et confiée à des gardiens d'Église, comme il convient, cela ne me serait pas arrivé. C'est pourquoi j'en appelle de vous à Dieu ! »
Après quoi, le déposant quitta ce lieu et n'entendit plus rien (2).
Sources :
- Texte original latin, traduction : Paul Doncœur, Documents et recherches sur la Pucelle, tome III, p.38 et suiv.
Notes :
Cette déclaration sur le manuscrit original est en Latin.
1. Ndlr : C'est la seule audition de Jean Toutmouillé. Il ne sera pas réinterrogé ni en 1452, ni en 1455/56.
2. Ndlr : Il est intéressant de confronter cette déclaration de Toutmouillé avec celle qui lui est attribuée dans les actes postérieurs au procès de condamnation (actes que les notaires ont refusé de signer). Ces deux déclarations se situent lorsque J. Toutmouillé se rend à la prison le matin de la condamnation à mort (31 mai 1431) et pourtant sont totalement différentes.
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