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Procès
de réhabilitation
V-4 - Déposition de Laurent Guesdon |
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Honnête personne Laurent Guesdon, bourgeois de Rouen
et avocat en cour laie, clerc marié, entendu le douzième jour
de mai,
Sur le contenu des Ier, IIe, IIIe et IVe articles, il déclare avoir connu cette Jeanne seulement
après qu'elle eût été amenée en la ville de Rouen, où il la
vit pour la première fois. Il ne la vit plus ensuite jusqu'à
la prédication de Saint-Ouen.
Sur le contenu des Ve et VIe articles, il ignore
avec quel zèle les juges procédèrent en ce procès ; mais croit
que si Jeanne avait été du parti des Anglais, on n'aurait pas
procédé pareillement contre elle.
Sur les autres articles jusqu'au XXIIIe, il sait seulement qu'elle était dans la prison du château de Rouen, et non dans la prison ordinaire ; mais il ignore comment et
pourquoi.
Interrogé ensuite sur ce qu'il sait du contenu des articles
XXIIIe, XXIVe, XXVe, XXVIe, XXVIIe et XXVIIIe, il déclare et atteste,
comme il l'a déjà dit, qu'il fut présent à la première prédication faite à Saint-Ouen ; après cette prédication le témoin sait bien qu'on recommandait à Jeanne de faire certaines
choses qu'elle refusait ; mais ignore de quoi il s'agissait.
Interrogé de même sur le contenu des XXIXe,
XXXe, XXXIe, XXXIIe et XXXIIIe articles, il déclare qu'il fut présent à la dernière prédication faite au Vieux Marché de Rouen, et il s'y trouvait
avec le bailli, car le témoin était alors lieutenant du bailli;
et fut prononcée une sentence par laquelle Jeanne était
abandonnée à la justice séculière. Après le prononcé de cette
sentence, immédiatement et sans intervalle, elle fut remise
aux mains du bailli ; sans plus, et sans attendre que le bailli (*) ou le témoin, auxquels il appartenait de rendre une sentence,
l'eût fait, le bourreau saisit Jeanne et la conduisit à l'endroit
où le bois avait été préparé et où elle fut brûlée. Et il lui
parut que ce n'était pas de bonne procédure, car peu après
un malfaiteur, nommé Georges Folenfant, fut, pareillement
après sentence de la justice ecclésiastique, remis à la justice séculière ; ensuite ce Georges fut conduit à la cohue (1) ; là, il fut condamné par la justice séculière, et ainsi
ne fut-il pas mené aussi rapidement au supplice.
Le témoin croit aussi que Jeanne est morte en catholique,
car elle mourut en criant le nom du Seigneur Jésus ; et c'était
grande pitié ; et presque tous les gens présents étaient émus
aux larmes. Il déclare en outre qu'après la mort de Jeanne,
les cendres qui restaient furent recueillies par le bourreau
et jetées dans la Seine. Ne sait rien d'autre, dûment interrogé,
sur le contenu de ces articles.
Honestus vir Laurentius Guesdon, burgensis Rothomagensis, et advocatus in curia laicali, clericus conjugatus,
die xii. maii examinatus.
Super contentis in I., II., III. et IV. articulis,
deponit quod eamdem Johannam solum novit a tempore
quo adducta fuit in villa Rothomagensi ; et quia
multi affectabant eam videre, ipse ivit ad castrum
Rothomagense, et eamdem prima vice ibidem vidit.
Nec eam post vidit, quousque fuit prædicata in Sancto
Audoeno.
De contentis in V. et VI. articulis : nescit quo zelo
judicantes in processu processerunt ; sed credit quod,
si ipsa Johanna fuisset de parte Anglicorum, quod taliter
non fuisset processum contra eam.
De aliis articulis usque ad XXIII. articulum, solum
scit quod erat in carceribus castri Rothomagensis, non
in carceribus coramunibus ; sed qualiter aut quomodo
nescit.
Deinde, interrogatus quid sciat ipse deponere de
contentis in XXIII., XXIV., XXV., XXVI., XXVII.
et XXVIII. : dicit et deponit, ut jam dixit, quod ipse
fuit in prima prædicatione facta in Sancto Audoeno ;
post quam prædicationem bene scit loquens quod aliqua
eidem Johannæ præcipiebantur quæ recusabat
facere ; sed quid erat, nescit.
Item, interrogatus super contentis in XXIX., XXX.,
XXXI., XXXII, et XXXIII. deponit quod ipse fuit
in ultima prædicatione facta in Veteri Foro Rothomagensi,
et ibi erat cum baillivo, quia tunc ipse loquens
erat locum tenens baillivi ; et fuit lata quædam sententia
per quam ipsa Johanna relinquebatur justitiæ
sæculari. Post cujus sententiæ prolationem, illico et sine intervallo, ipsa posita in manibus baillivi, tortor, sine plure, et absque eo quod per baillivum aut loquentem,
ad quos spectabat ferre sententiam, aliqua ferretur
sententia, accepit eamdem Johannam, et eam
duxit ad locum ubi erant jam ligna parata ; et combusta
fuit. Et sibi videbatur non bene processum, quia paulo
post quidam malefactor, vocatus Georgius Folenfant,
fuit pari modo redditus per justitiam ecclesiasticam
justitiæ sæculari per sententiam ; post quam sententiam
fuit ipse Georgius ductus a la cohue (1), et ibidem
per justitiam sæcularem condemnatus, nec ita
repente fuit ductus ad supplicium.
Et credit ipse loquens quod ipsa Johanna catholice
obierit, quando obiit exclamando nomen Domini Jhesus ; et erat maxima pietas ; et quasi omnes præsentes movebantur ad lacrimas. Deponit etiam
quod, post ipsius Johannæ obitum, cineres qui remanserunt,
fuerunt per tortorem recollecti et in Sequanam projecti. Nec aliud scit de contentis in eisdem
articulis, super eisdem debite interrogatus.
Sources :
- Texte latin original : Quicherat - Procès t.III p.186 et suiv.
- Traduction : Pierre Duparc.
Notes :
1 "Auditoire du baillage" pour Quicherat, "le marché" pour Duparc. La version Duparc est plus logique (ndlr)
(* ndlr) Le bailli de Rouen était Raoul Le Bouteiller. Certains auteurs le considèrent comme un Français "renié" mais en fait son vrai nom est Ralph Boteler, un seigneur anglais. Le Bouteiller est son nom francisé comme souvent c'était le cas à l'époque.
Un fait très important est à noter. Ce même Boteler était le capitaine du Chateau du Crotoy à l'époque où Jeanne y a été enfermée pendant son transfert vers Rouen (décembre 1430). Jeanne le connaissait donc. Voir les livres en ligne "Le confesseur de la Pucelle au Crotoy par Huguet (1928)
A noter aussi que d'autres témoignages indiquent que ce Boteler n'a pas cherché à prononcer de sentence et a simplement dit aux soldats "Menez, menez...". Récemment affecté comme bailli à Rouen et de surcroit Anglais, connaissait-il la procédure laïque ?
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