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Procès
de réhabilitation
Déposition de Martin Lavenu en 1450 |
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Religiosus et honestus vir, frater Martinus Lavenu, ejusdem ordinis fratrum predicatorum, et prefati conventus sancti Jacobi Rothomagensis, qui ejusdem Johanne specialis confessor et director in extremis extitit, fuit interrogatus, predictis die et anno, super
certis punctis, ut prius.
Et primo, super inordinata affectione tractantium causam et processum
ipsius Johanne dicit quod, judicio suo, fuerunt multi qui,
potius amore Anglieorum et favore quem habebant ad illos, in dicto
processu se gerebant et movebantur, quam zelo justitie aut fidei. Et
maxime de domino Petro Cauchon, pro tunc Belvacense episcopo, de
cujus [inordinato] affectu idem loquens duo signa allegat : primum
est, quia, cum idem episcopus se gereret pro judice, tradidit eam custodiendam
in carceribus secularibus et inter manus suorum capitalium
adversariorum ; et, cum potuisset precipere quod ecclesiasticis carceribus
poneretur, et prohibere ne in secularibus detineretur, hoc tamen
ab inicio processus usque ad ejus consommationem permisit ; ymo
idem loquens asserit et reffert quod in prima cessione seu instantia,
eodem presente et audiente, fuit per prefatum episcopum ab assistentibus
consilium requisitum, in quibus carceribus melius et decentius
esset quod poneretur. Fuit autem, ut sibi videtur, nemine contradicente,
ab omnibus conclusum et dictum quod melius erat et decentius
quod in ecclesiasticis carceribus custodiretur quam in aliis. Tunc
episcopus intulit quod hoc non faceret, quia displiceret Anglicis.
Secundum autem signum ad idem propositum tradit quod, illa die
in qua pro relapsa ab episeopo prefato et aliis multis juclicabat ur,
propterea quia in carceribus habitum virilem resumpsisse invenerant,
idem episcopus exiens prefatos carceres et videns comitem de [Warwick] et Anglicos multos, illum circunstantes, cum applausu et magna exultatione, alta voce et intelligibili dixit : [Farouelle !]. Il en est fait, vel equipolencia verba.
Item, dicit quod eidem Johanne fiebant interrogatoria nimis dificilia
et valde captiosa ; et hoc, ejusdem loquentis judicio, ad ipsam capiendum
in verbis, que prout ipse bene scit, valde simplex mulier erat, ut
pene solum sciens suum Pater noster, Ave Maria et Credo.
Item, idem loquens asserit quod sepedicta Johanna eidem revelavit
[quod] in carcere illo, post suam [abjurationem] fuit violenter
multum infestata et oppressione et ejus corruptione etiam a quodam
magnate Anglicorum ; et publice dicebat quod illa causa fuerat quare
mota fuerat ad resumendum habitum virilem. Unde, prout ipse loquens
asserit, prefata Johanna circa finem vite dicit sepedicto episcopo : « Ecce, per vos [morior] ; quia, si me in ecclesiasticis carceribus
posuissetis et ab ecclesiasticis viris fuissem custodita, et non ab Anglicis
meis adversariis, non sic michi accidisset. »
Item, dicit idem loquens quod, quando fuit ipsa Johanna in Veteri
Foro ultimate predicata et judicio seculari derelicta, quamvis in
quodam ambone essent sedentes judices seculares, nichilominus non
fuit per illos vel aliquem eorum judicata, seu ad mortem condempnata,
sed absque sentencia per duos clientes de escafaldo descendere coacta,
et usque ad locum incendii deducta ; et per eosdem tortori tradita.
Unde, in signum hujus, quodam tempore post, [quidam] 34 dictus
Georgius Folenfant in causa fidei et crimine heresis deprehensus, fuit
similiter derelictus judicio [seculari]. Unde judices fidei, videlicet
dominus Ludovicus de Luxemburgo, archiepiscopus Rothomagensis,
et frater Guillermus de Valle, magister et vicarius Inquisitoris,
miserunt predictum fratum Martinum ad ballivum ville Rothomagensis,
advisando eum quod non fieret de dicto Georgio, sicut
factum fuerat dudum de Johanna sepedicta, que absque sententia et
finali aut diffinitivo judicio transierat, et igni tradita fuerat.
Item, asserit quod tortor, post incendium, horaque quasi quarta,
post prandium, dicebat quod nunquam in executione alicujus tantum
timuerat, sicut in crematione ipsius Johanne, propter varias causas.
Primo propter magnam et celebrem famam ejusdem Johanne. Item
propter crudelem et [inconsuetum] modum eam affigendi ; quia
videlicet [fecerunt] fieri Anglici unum escafaldum de plastro ; et,
ut dicebat, ipse tortor non poterat commode eam expedire, neque
ad eam actingere. Unde super morte ipsius Johanne et crudeli forma
moriendi, supra modum dolebat et compaciebatur.
Item, de magna et mirabili ejus contrictione ac continua confessione
nominis Jesu Christi, atque devota sanctorum et sanctarum imploratione,
eodem modo deponit sicut predictus frater Ysambardus, eo
quod semper eidem Johanne valde propinquus fuit usque ad ejus
transitum, ipsam valde sollicite in viam salutis dirigens.
Religieuse et vénérable personne frère Martin Lavenu, du même
ordre des Frères précheurs et dudit couvent de saint Jacques de Rouen,
qui fut spécial confesseur et directeur de Jeanne en ses derniers jours,
fut interrogé aux jour et année susdits sur certains points, comme
dessus.
Tout d'abord à propos des sentiments pervers de ceux qui menèrent
la cause et le procès de Jeanne, il est d'avis que beaucoup se conduisaient
durant ce procès mus bien plus par amitié et attachement aux
Anglais, que par zèle de la justice et de la Foi. Principalement, de monseigneur
Pierre Cauchon, pour lors évêque de Beauvais, celui qui parle
donne deux preuves de ses sentiments pervers : Premièrement, cet évêque agissant comme juge, livra Jeanne à la garde des prisons
laïques, entre les mains de ses ennemis mortels. Or, tandis qu'il aurait
pu décider qu'elle serait gardée en prisons ecclésiastiques et s'opposer à ce qu'elle soit détenue en prisons laïques, du commencement du
procès jusqu'à sa consommation, il le toléra. Bien plus, le déposant
affirme et rapporte que, présent en la première session ou instance, il
entendit l'évêque demander aux assistants conseil sur les prisons où
il convenait le mieux qu'elle fût gardée. Or, tous, sans que nul, lui
semble-t-il, s'y opposât, déclarèrent qu'il était préférable et plus convenable
qu'elle fût gardée en prisons ecclésiastiques plutôt qu'en autres.
Sur quoi l'évêque répliqua qu'il ne ferait pas ainsi, parce que cela
déplairait aux Anglais. Secondement, il apporte comme seconde
preuve à ce même propos que, le jour où elle fut déclarée relapse par
l'évêque susdit et beaucoup d'autres, parce qu'ils l'avaient trouvée
dans sa prison, de nouveau revêtue de l'habit d'homme, cet évêque
sortant de la prison, et voyant le comte de Warwick entouré de beaucoup
d'Anglais, déclara à voix haute et claire, au milieu des applaudissements
et de l'exultation générale : Farouelle! il en est fait. Ou semblables
paroles.
Item, il déclare que l'on posait à Jeanne des questions trop difficiles
et très captieuses. A son avis, c'était pour la prendre au piège dans ses
réponses ; car il sait bien que c'était une femme très simple et ne
sachant guère que son Pater, Ave Maria et Credo.
Item, le déposant affirme que Jeanne lui avait avoué que dans cette
prison après son abjuration, elle fut assaillie très violemment par un
grand seigneur anglais qui la voulait forcer et violer. Elle déclara
publiquement que c'est pour cette raison qu'elle fut pressée de reprendre
habit d'homme. Aussi comme l'affirme le déposant, Jeanne, au moment
de mourir, dit à l'évêque : C'est par vous que je meurs. Car si vous m'aviez
mise en prison d'Église et si j'avais été gardée par hommes d'Église et
non par les Anglais, mes ennemis, cela ne me serait pas arrivé.
Item, le déposant déclare que, lorsque Jeanne fut finalement prêchée
au Vieux-Marché et finalement abandonnée aux juges laïques, ces
juges laïques, qui siégeaient sur un échafaut, ne prononcèrent et nul
d'entre eux ne prononça contre elle jugement ni condamnation à
mort. Mais, sans prononcer de sentence, elle fut par deux sergents
contrainte de descendre de l'échafaut et menée au bûcher, où ils la
livrèrent au bourreau. En preuve de quoi il rapporte que, quelque
temps après, un certain Georges Folenfant, impliqué en matière de foi,
pour crime d'hérésie, fut de même abandonné au juge [laïque]. Les
juges de la foi, savoir messire Louis de Luxembourg, archevêque de
Rouen, et frère Guillaume Duval, maître et vicaire de l'Inquisiteur,
envoyèrent ledit frère Martin au bailli de Rouen, pour l'avertir qu'il
n'en soit pas fait dudit Georges comme il avait été fait naguère de
Jeanne, qui mourut et fut livrée au feu sans sentence ni jugement
final ou définitif.
Item, il affirme que le bourreau, après le supplice, environ vers la
quatrième heure, après le dîner, déclara que jamais il n'avait tant
redouté de supplicier quelqu'un, comme dans le supplice de Jeanne.
Cela pour bien des raisons : d'abord pour le grand et fameux renom de
Jeanne, puis en raison de la façon cruelle et inaccoutumée de l'attacher.
En effet, les Anglais avaient fait faire un échafaut de plâtre, en sorte
que le bourreau disait n'avoir pas pu facilement la faire mourir ni
l'atteindre. Aussi sa douleur et sa compassion étaient-elles extrêmes »
vu la mort et le supplice cruel de Jeanne.
Item, au sujet de sa grande et admirable contrition, et de la façon
continue dont elle prononça le nom de Jésus Christ et invoqua dévotement
les saints et les saintes ; il dépose, comme le susdit frère Ysambart,
car il demeura toujours tout près de Jeanne, jusqu'à ce qu'elle mourut,
la conduisant avec grande sollicitude dans la voie du salut.
Sources :
- Texte original latin, traduction : Paul Doncœur, Documents et recherches sur la Pucelle, tome III, p.34 et suiv.
Notes :
1 Richard Beauchamp, comte de Warwick et gouverneur du jeune roi Henri VI. Cet homme, d'âme dure et de politique inflexible, semble avoir été l'agent principal de la mort de Jeanne d'Arc. On verra par les dépositions consignées au procès qu'il contribua de son argent aux frais du jugement.
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