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Procès de réhabilitation
V-4 - Déposition de Pierre Daron |
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Honorable personne Pierre Daron, lieutenant du seigneur bailli de Rouen, témoin produit, reçu, juré et entendu par le seigneur inquisiteur en présence des notaires de cette
cause, et sur mandat des autres seigneurs juges, le treizième jour du mois de mai, disant être âgé d'environ soixante ans,
Et d'abord interrogé sur ce qu'il peut déclarer ou attester à propos du contenu des Ier, IIe, IIIe articles,
il dit et déclare sous serment avoir eu connaissance de Jeanne
seulement quand elle fut amenée en la ville de Rouen ; le
témoin était alors procureur de la ville de Rouen ; il avait
une grande curiosité de voir Jeanne et cherchait un moyen
favorable pour la voir. Il rencontra Pierre Manuel, un avoué
du roi d'Angleterre, qui désirait également beaucoup la voir,
et ils partirent ensemble pour cela ; ils la trouvèrent au château, dans une tour, enchaînée, dans des entraves, avec une
grosse pièce de bois par les pieds ; et elle avait plusieurs
gardes anglais. Ce Manuel s'entretint avec Jeanne, en présence du témoin, lui disant, par plaisanterie, qu'elle ne serait
pas venue là, si elle n'y avait été amenée ; et il lui demanda
si elle savait bien, avant sa capture, qu'elle allait être prise. Elle répondit qu'elle s'en doutait bien. Et comme on lui
demandait ensuite pourquoi, si elle prévoyait sa capture, elle ne se tenait pas sur ses gardes le jour où elle fut prise,
elle répondit qu'elle ne connaissait ni le jour, ni l'heure, ni
quand cela arriverait. Ils ne parlèrent pas davantage avec
elle. Il déclare aussi l'avoir vue une autre fois, pendant le procès
engagé contre elle, quand on la conduisait de la prison à la
grande salle du château.
Sur le contenu des Ve, VIe, VIIe et VIIIe articles, il ne sait rien, sinon que certains furent blâmés
par les Anglais, car ils refusaient de participer à ce procès,
et surtout maître Nicolas de Houppeville.
Sur le contenu du IXe article, il ne sait rien, si ce
n'est, comme il l'a dit plus haut, qu'il la vit dans sa prison,
dans une tour, attachée avec une grosse pièce de bois par
les pieds.
Sur le contenu des Xe, XIe, XIIe, XIIIe
et XIVe articles, il déclare bien se rappeler que plusieurs
clercs furent rassemblés pour le procès ; et les notaires de
ce procès étaient maître Pierre Manchon et messire Guillaume Colles, autrement nommé Boisguillaume ; mais dans
quel esprit agissaient-ils, il n'en sait rien. Déclare cependant
avoir entendu dire par certains, au cours du procès, que
Jeanne dans ses réponses faisait merveille et qu'elle avait
une mémoire surprenante ; en effet interrogée une fois sur
un point déjà traité, même huit jours après, elle répondait : « J'ai été interrogée tel jour », ou « il y a huit jours que j'ai été interrogée là-dessus et j'ai répondu ainsi ». Boisguillaume, l'un des notaires, déclarant qu'elle n'avait pas répondu, mais certains des assesseurs prétendant que Jeanne disait vrai, on fit lecture de la réponse au jour indiqué, et on trouva que Jeanne avait raison ; Jeanne s'en réjouit et dit à Boisguillaume que, s'il se trompait une autre fois, elle lui tirerait
l'oreille.
Sur les articles suivants, du XVe au XXIIIe,
il ne sait rien.
Sur le contenu des XXIIIe, XXIVe et
XXVe articles, il déclare qu'il fut présent au sermon fait à Saint-Ouen, mais il ne saurait rien en dire, car il était
très loin, aussi ne pouvait-il rien entendre.
Sur le contenu du XXVIe article, il déclare, d'après
le bruit courant alors, qu'elle fut amenée après la première
sentence à prendre des vêtements d'homme.
Sur le contenu des XXVIIe et XXVIIIe articles, il ne sait rien.
Sur le contenu des autres articles déclare et atteste qu'il
fut présent au sermon fait au Vieux Marché, le jour où Jeanne
mourut ; il la vit livrer et remettre à la justice séculière,
et, après avoir été ainsi livrée, sans aucun délai et sans autre
sentence d'un juge laïc, elle fut remise au bourreau et conduite
sur une estrade où avait été préparé le bûcher pour la brûler. Il croit qu'elle termina sa vie en catholique, car elle faisait
plusieurs pieuses exclamations et lamentations, invoquant
le nom du Seigneur Jésus ; et il l'entendit dire, entre autre
paroles : « Ah! Rouen, Rouen, seras-tu ma maison ? » On
avait grande pitié d'elle, et plusieurs étaient émus aux larmes ;
et beaucoup étaient mécontents qu'elle eût été exécutée dans
la ville de Rouen. Sait aussi que Jeanne, jusqu'à son dernier
moment, criait toujours « Jésus ! » Il ajoute qu'ensuite ses
cendres et ses restes furent assemblés et jetés dans la Seine.
Ne sait rien d'autre.
Honorabilis vir Petrus Daron, locum tenens baillivi
Rothomagensis, testis productus, receptus, juratus
et examinatus per dominum inquisitorem in præsentia
notariorum hujusmodi causæ, et de mandato aliorum
judicum, die XIII. mensis maii ; ætatis, ut dicebat,
LX annorum, vel eocirca.
Et primo, interrogatus quid ipse sciat deponere
seu attestari de contentis in I., II., III. et IV. articulis : dicit et deponit, ejus medio juramento, quod solum
de eadem Johanna habuit notitiam a tempore quo
adducta fuit in villa Rothomagensi ; et ipse loquens
erat tunc procurator villæ Rothomagensis ; qui, quadam
curiositate multum affectabat eamdem Johannam
videre, quærens media propitia ad eam videndum.
Et invenit Petrum Manuel, advocatum regis Angliæ,
qui similiter multum affectabat eam videre, et iverunt
insimul eam visum ; quam invenerunt in castro, in
quadam turri, ferratam in compedibus, cum quodam
grosso ligno per pedes, et habebat plures custodes
Anglicos. Et eidem Johannæ locutus est ipse Manuel
in ipsius loquentis præsentia, dicendo eidem Johannæ
jocose quod ibidem non venisset, nisi fuisset adducta ;
et eam interrogavit si bene sciebat ante ejus captionem
quod deberet capi. Quæ respondit quod bene dubitabat.
Et quum ulterius sibi diceretur quare, quum
dubitaret de sua captione, cur non custodiebat se illa
die qua fuit capta : respondit quod non sciebat diem
neque horam quibus debebat capi, nec quando illud
contingeret. Nec aliud cum eadem locuti fuerunt.
Dicit etiam quod alia vice eam vidit, durante processu
qui fiebat contra eam, quando ducebatur de carcere
ad magnam aulam castri.
De contentis in .V., VI., VII. et VIII. nihil scit,
nisi solum quod aliqui fuerunt notati per Anglicos,
quia interesse noluerunt bujusmodi processui, et
maxime magister Nicolaus de Houppeville.
De contentis in IX. nihil scit, nisi, ut supra deposuit,
quod vidit eam in carcere, in quadam turri,
alligatam cum quadam grossa pecia ligni per pedes.
De contentis in X., XI., XII., XIII. et XIV. de ponit quod bene recordatur quod plures clerici fuerunt
congregati pro processu ; et erant notarii hujusmodi
processus magister Guillelmus Manchon et dominus
Guillelmus Colles, alias Boysguillaume ; sed
quo animo procedebant nihil scit. Dicit tamen quod
audivit dici ab aliquibus, durante illo processu, quod
ipsa Johanna in suis responsionibus faciebat mirabilia,
et quod habebat mirabilem memoriam, quia, dum
quadam vice interrogaretur de aliquo de quo fuerat
perantea, etiam octo diebus elapsis, interrogata,
respondebat : « Ego fui tali die interrogata, » vel « sunt octo dies quod ego fui de illo interrogata, et sic respondi. » Licet Boysguillaume, alter notarius,
diceret quod non respondisset, aliqui de assistentibus
dicentes quod verum dicebat ipsa Johanna, fuit lecta
responsio illius diei, et fuit inventum quod ipsa Johanna
bene dicebat : de quo gavisa est ipsa Johanna,
dicendo eidem Boysguillaume quod, si alias deficeret,
ipsa traheret aurem.
De XV., usque ad XXIII. articulum, nihil scit.
De contentis in XXIII., XXIV. et XXV. articulis,
deponit quod ipse fuit præsens in sermone facto apud
Sanctum Audoenum, de quo nihil sciret deponere,
quia multum erat distans, taliter quod nihil poterat
audire.
De contentis in XXVI., deponit quod fama erat
quod ipsa fuit inducta post primam sententiam ad capiendum
vestes viriles.
De contentis in XXVII. et XXVIII. nihil scit.
De contentis in cæteris articulis, dicit et deponit
quod fuit præsens in sermone facto in Veteri Foro,
die qua ipsa Johanna fuit vita functa, et vidit eam tradi et dimitti justitiæ sæculari, et postquam fuit justitiæ
sæculari relicta, sine aliquo intervallo et absque
alia sententia judicis laici, ipsa Johanna fuit tradita
tortori et ducta in quodam ambone, ubi erant parata ligna ad eam comburendum. Et credit eam catholice
finivisse dies suos, quia faciebat plures pias exclamationes
et lamentationes, invocando nomen Domini
Jhesus ; et, inter alia verba, audivit ipsam Johannam
dicentem : « Ha ! Rouen, Rouen, seras-tu ma maison ? »
Et erat maxima pietas de ea ; et movebantur plures ad
lacrimas ; erantque multi male contenti quod ipsius Johannæ exsecutio fiebat in villa Rothomagensi. Et
scit quod ipsa Johanna usque ad ultimum vitæ exitum
semper clamabat Jhesus! Et dicit quod postmodum cineres
et reliquiæ ipsius fuerunt congregati et projecti
in Sequanam. Nec aliud scit.
Sources :
- Texte latin original : Quicherat, Procès t.III, p.199 et suiv.
- Traduction: Pierre Duparc, t.IV, p. 147 à 149.
Notes :
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