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Procès
de réhabilitation
V-4 - Déposition
du Sire de Termes : Thibaud d'Armagnac |
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[Témoins produits en cette cause, reçus, jurés et interrogés par nous, Jean, par la miséricorde divine archevêque de Reims, juge désigné par l'autorité apostolique, en présence
de vénérable et religieuse personne frère Thomas Verel,
professeur de théologie sacrée, de l'ordre des frères précheurs,
vicaire et substitut du seigneur inquisiteur de la foi, et de
Gérard de la Salle, prêtre, notaire public, désigné par nous
en l'absence des notaires de la cause, en la ville de Paris,
l'an du Seigneur mille quatre cent cinquante-six, aux jours contenus dans les dépositions des témoins. Les déclarations, dépositions et attestations de ceux-ci suivent en cette forme :]
En premier noble et prudent seigneur, Thibauld d'Armagnac, ou de Termes, chevalier, bailli de Chartres, âgé d'environ cinquante ans, interrogé sur le contenu des articles présentés en cette cause le septième jour de mai,
Et d'abord sur le contenu des Ier, IIe, IIIe et IVe articles, il déclare avoir fait la connaissance de Jeanne seulement lorsqu'elle vint dans la ville d'Orléans,
pour faire lever le siège mis par les Anglais ; le témoin se
trouvait dans cette ville d'Orléans pour la garder, en compagnie du sire de Dunois. Lorsqu'ils apprirent l'arrivée de
Jeanne, ledit sire comte de Dunois, le témoin et plusieurs
autres traversèrent le fleuve de Loire et allèrent chercher
Jeanne, qui était du côté de Saint-Jean-le-Blanc ; et ils conduisirent Jeanne dans cette ville d'Orléans. Après cette
arrivée, le témoin la vit au cours des assauts contre les bastilles de Saint-Loup et des Augustins, de Saint-Jean-le-Blanc
et du pont ; dans ces assauts Jeanne fut si vaillante et se
comporta de telle sorte, qu'il n'eût pas été possible à quelque homme de mieux agir en fait de guerre. Et tous les capitaines admiraient sa vaillance, son activité, et les peines et
fatigues qu'elle supportait.
Le témoin croit que c'était un être bon et honnête, et ce
qu'elle faisait relevait plus du divin que de l'humain, car
elle reprochait souvent leurs vices aux hommes d'armes ;
il a même entendu dire par un certain maître Robert Baignart,
professeur de théologie sacrée, de l'ordre des frères
précheurs, qui avait reçu plusieurs fois sa confession, que cette
Jeanne était une femme de Dieu, et ce qu'elle faisait venait
de Dieu, enfin que son âme et sa conscience étaient bonnes.
Il déclare aussi qu'après la levée du siège d'Orléans, le témoin, avec plusieurs autres hommes d'armes, se rendit en
la société de Jeanne à Beaugency, où étaient les Anglais.
Le jour où les Anglais perdirent la bataille de Patay, le témoin et feu La Hire, sachant les Anglais rassemblés et prêts
au combat, dirent à Jeanne que les Anglais venaient et en
ordre, prêts à combattre. Celle-ci répondit aux capitaines : « Frappez hardiment : ils prendront la fuite et ne resteront pas longtemps ici ». Alors, à ces paroles, les capitaines
se préparèrent à combattre et aussitôt les Anglais furent
mis en fuite. Or Jeanne avait annoncé aux Français qu'aucun
d'entre eux ne serait tué ou blessé sauf peut-être un petit
nombre ; ce qui arriva, car de tous nos hommes un seul fut
tué, un noble de la compagnie du témoin.
Il dit aussi le témoin qu'il se trouva avec notre sire le roi
devant la ville de Troyes, et jusqu'à la ville de Reims en la
compagnie de ladite Jeanne.
Et tout ce qui a été fait par Jeanne, il croit que cela relève
plus du divin que de l'humain ; car, comme le dit le témoin,
elle se confessait très souvent, recevait le sacrement de l'eucharistie et était très pieuse en entendant la messe. Dit
aussi qu'en dehors du fait de guerre elle était simple et innocente ; mais, dans la conduite et la disposition des troupes,
dans les faits de guerre et dans l'organisation du combat
et l'encouragement aux troupes, elle se comportait comme
si elle avait été le plus habile capitaine du monde, entraîné
de tout temps à la guerre. Ne sait rien d'autre.
[Testes in hac causa producti, et per nos, Johannem, miseratione divina archiepiscopum
Remensem, judicem auctoritate apostolica deputatum, in præsentia
venerabilis et religiosi viri, fratris Thomæ Verel, sacræ theologiæ
professoris, ordinis Fratrum Prædicatorum, vicarii et substituti domini
inquisitoris fidei, et Gerardi Delasalle, presbyteri, notarii publici, ad hoc
in absentia notariorum causse per nos deputati, recepti, jurati et examinati,
in villa Parisiensi, anno domini MCCCCLVI , diebus in ipsorum testium depositionibus
contentis. Dictaque et depositiones et attestationes eorumdem sequntur in hæc verba :]
Et primo, nobilis et prudens dominus Theobaldus
d'Armignac, alias de Termes, miles, baillivus Carnotensis, ætatis L annorum, vel cocirca, examinatus super contentis in articulis in hac causa productis,
die vii. maii.
Et primo, interrogatus de contentis in I., II., III.
et IV. articulis ipsorum articulorum : deponit quod
de eadem Johanna solum habuit notitiam quando ipsa
recessit ad villam Aurelianensem, ad levandum obsidionem ibidem per Anglicos positam : in qua villa
Aurelianensi, et pro ejus custodia, ipse loquens erat
in societate domini Dunensis. Et dum sciverunt ipsam Johannam advenisse, dictus dominus comes Dunensis,
ipse loquens et plures alii transfretaverunt fluvium
Ligeris, et iverunt quæsitum eamdem Johannam,
quæ erat de latere Sancti Johannis Albi ; et eamdem
Johannam adduxerunt ad dictam villam Aurelianensem.
Post cujus adventum ipse loquens eam vidit in
insultibus factis in bastiliis Sancti Laudi et Augustinensium,
Sancti Johannis Albi et Pontis ; in quibus
insultibus ipsa Johanna fuit ita valens et ita se gessit,
quod non esset possibile cuicumque homini melius
agere in facto guerræ. Et mirabantur omnes capitanei
de sua valentia et diligentia, ac poenis et laboribus
per eam supportatis.
Et credit quod erat bona et proba creatura, et quod
ea quæ faciebat plus erant divinitatis quam humanitatis,
quia reprehendebat sæpe vitia armatorum ; et (ut audivit
etiam dici a quodam magistro Roberto Baignart, sacræ
theologiæ professore, ordinis Fratrum Prædicatorum,
quod ipse eam audiverat pluries in confessione),
quod ipsa Johanna erat mulier Dei, et quod ea quæ faciebat
erant a Deo ; quodque ipsa erat bonæ animæ et
bonæ conscientiæ.
Dicit etiam quod, post levatam obsidionem Aurelianensem, ipse loquens cum pluribus aliis armatis ivit in
societate dictæ Johannæ à Baugency, ubi erant Anglici.
Et die qua Anglici perdiderunt bellum apud
Patay, ipse loquens et defunctus La Hire, scientes Anglicos
esse congregatos et ad bellum paratos, dixerunt
eidem Johannæ quod Anglici veniebant et erant in bello parati ad pugnam. Quæ respondit, dicendo capitaneis
: « Percutiatis audacter, ipsi fugam capient ; » nec
diu ibidem starent. Et tunc ad ejus verbum, capitanei se
disposuerunt de invadendo, et illico Anglici conversi fuerunt in fugam. Et prædixerat ipsa Johanna Gallicis,
quod de gentibus suis nulli vel pauci interficerentur,
nec haberent damnum : quod ita accidit, quia de omnibus
hominibus nostris, fuit interfectus solus quidam
nobilis de societate loquentis.
Dicit etiam ipse loquens quod ipse fuit cum domino
nostro rege ante villam Trecensem et usque ad villam
Remensem, in societate dictæ Johannæ.
Et de omnibus factis per eamdem Johannam plus
credit esse divinitatis quam humanitatis, quia, ut dicit
loquens, ipsa sæpissime confitebatur, recipiebat sacramentum
Eucharistiæ, eratque devotissima audiendo
missam. Dicit tamen quod extra factum guerræ erat
simplex et innocens ; sed in conductu et dispositione
armatorum, et in facto guerræ, et in ordinando bella
et animando armatos, ipsa ita se habebat ac si fuisset
subtilior capitaneus mundi, qui totis temporibus suis
edoctus fuisset in guerra. Nec aliud scit.
Sources :
- Texte original latin : Quicherat - Procès t.III p. 118.
- Traduction: source Pierre Duparc, t.IV, p. 84 à 86.
Notes :
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