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Procès de réhabilitation
V-1 - 2ème déposition d'Ysambard de La Pierre en 1452 |
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Religieuse et honnête personne frère Ysambard de La Pierre, prêtre, bachelier en théologie, âgé de soixante ans ou environ, de l'ordre des frères prêcheurs, juré et entendu ledit jour de mardi.
1. Sur le Ier article, il déclare que lui, témoin, fut présent au cours de tout l'interrogatoire et du procès de ladite Jeanne
avec frère Jean Le Maistre, sous-inquisiteur, et que cet article
contient la vérité.
2. Sur le IIe article, il déclare simplement qu'il contient la vérité ; et la renommée, dans cette cité de Rouen, était que les Anglais n'auraient pas osé assiéger la ville de Louviers pendant la vie de Jeanne et jusqu'à sa mort.
3. Sur le IIIe article, il déclare que quelques-uns des assesseurs procédaient dans la poursuite du procès avec partialité, comme l'évêque de Beauvais ; mais certains, comme par exemple plusieurs docteurs anglais, étaient mus par la méchanceté et la vengeance, et d'autres docteurs de Paris étaient mus par l'espoir d'une récompense ; plusieurs enfin étaient poussés par la peur, comme ledit sous-inquisiteur et d'autres dont il ne se souvient plus. Et tout fut conduit sur l'ordre du roi d'Angleterre, du cardinal de Winchester, du comte de Warwick et d'autres Anglais, qui payèrent les dépenses faites pour ce procès. Le témoin déclare que le reste contenu dans l'article est vrai.
4. Sur le IVe article, il déclare que monseigneur Jean de bonne mémoire, alors évêque d'Avranches, parce qu'il refusait de donner son opinion en la matière, fut menacé par maître Jean Benedicite, alors promoteur de la cause ; et maître Nicolas de Houppeville, parce qu'il ne voulait pas assister au procès, ni donner son avis, fut en danger d'être exilé.
Déclare en outre qu'après la première prédication, dans laquelle Jeanne avait rétracté, lui, témoin, et maître Jean de La Fontaine, maître Guillaume Vallée de l'ordre des frères prêcheurs, et d'autres du rang des juges, allèrent au château pour conseiller à Jeanne de persévérer toujours dans son bon propos. Ce que voyant, les Anglais, remplis de colère et de fureur, les chassèrent du château avec des glaives et des bâtons ; en cette circonstance maître Jean de La Fontaine s'enfuit, quitta la ville et n'y revint pas. Et lui-même, témoin, reçut beaucoup de menaces du comte de Warwick, parce qu'il avait auparavant dit à Jeanne de se soumettre au concile général.
5. Sur le Ve article, il déclare que ladite Jeanne, interrogée si elle voulait se soumettre à notre seigneur le pape, répondit que oui, si seulement on l'envoyait et conduisait à lui ; mais elle refusait de se soumettre à ceux qui étaient présents, du moins à l'évêque de Beauvais, parce qu'ils étaient ses ennemis mortels ; et lorsque le témoin lui eut persuadé qu'elle se soumît au concile général alors assemblé dans lequel se trouvaient beaucoup de prélats et de docteurs du parti du roi de France, à cette nouvelle Jeanne dit qu'elle se soumettait audit concile. Alors l'évêque de Beauvais invectiva violemment le témoin en lui disant : « Taisez-vous, au nom du diable ! » Entendant cela, maître Guillaume Manchon, notaire de la cause, demanda à l'évêque s'il devait écrire cette soumission ; l'évêque répondit que non, et que ce n'était pas nécessaire ; aussi Jeanne dit à l'évêque : « Ha ! vous écrivez bien ce qui est contre moi, et vous ne voulez pas écrire ce qui est pour moi. » Et il croit que cela ne fut pas écrit ; d'où s'ensuivit dans l'assemblée un grand murmure.
6. Sur le VIe article, il a déposé immédiatement ci-dessus ce qu'il sait.
7. Sur le VIIe, il dépose comme dessus.
8. Sur le VIIIe, il dépose, de science certaine, comme il est indiqué dans cet article.
9. Sur le IXe, il déclare que Jeanne était jeune, âgée d'environ dix-neuf ans, ayant bonne intelligence, et elle répondait sagement ; mais elle n'était pas capable de répondre aux questions difficiles qu'on lui posait.
10. Sur le Xe, il dépose, seulement d'après certains ouï-dire, que quelques individus allèrent la nuit, à la dérobée, à la prison de Jeanne pour la persuader de ce qui est contenu dans l'article. Il ignore si c'est la vérité.
11. Sur le XIe, il déclare que l'article contient la vérité, quoi qu'elle ait donné réponse satisfaisante à certaines questions, comme on peut le constater par le procès.
12. Sur le XIIe, il déclare que parfois l'interrogatoire de Jeanne durait pendant trois heures de la matinée ; et parfois l'interrogatoire avait lieu tant le matin que l'après-midi. Il l'a entendue à plusieurs reprises se plaindre qu'on lui posait trop de questions.
13. 14. Sur les XIIIe et XIVe articles, il déclare qu'ils contiennent la vérité, car il entendit cela de la bouche de Jeanne.
15. 16. Sur les XVe et XVIe articles, il déclare ne rien savoir déposer sur eux, et s'en rapporte au procès.
17. Sur le XVIIe, il déclare que lors du procès, pendant longtemps, quand on interrogeait Jeanne sur sa soumission à l'Église, elle croyait qu'il s'agissait de cette réunion de juges et d'assesseurs alors présents et assistant, jusqu'à ce qu'elle fût instruite par maître Pierre Morisse du sens de ce mot ; et lorsqu'elle eût compris, elle se soumit toujours au pape, pourvu qu'on la conduisît à lui. Et croit que son ignorance de l'Église était la raison pour laquelle parfois elle n'accepta pas de se soumettre à l'Église.
18. 20. Sur les XVIIIe et XXe, il ne dit rien, si ce n'est qu'à son jugement ledit Manchon écrivit et relata fidèlement, et s'en rapporte au procès.
19. Sur le XIXe article, il déclare croire, comme il l'a déjà dit, que la sentence fut rendue contre elle par méchanceté et vengeance, plus que par amour de la justice.
21. Sur le XXIe, il déclare que les juges, à son avis, observaient suffisamment les règles du droit ; mais il a déposé plus haut sur leurs dispositions, à savoir qu'ils agissaient avec méchanceté et par vengeance.
22. Sur le XXIIe, il déclare qu'en certaines parties du procès des conseillers furent donnés à Jeanne. En ce qui concerne la nullité de la sentence, a déposé plus haut ; le témoin ajoute avoir cru, lors de la première prédication, et attendu le mode de procéder, qu'elle serait brûlée, car elle différait sa rétractation ; et elle avait été conduite en voiture jusqu'au cimetière de Saint-Ouen de Rouen.
23. Sur le XXIIIe, il article déclare que le contenu en est vrai.
24. Sur le XXIVe article, il déclare savoir qu'aucune sentence ne fut prononcée par le juge séculier, car il était présent ; mais après la prédication et une longue attente au même endroit, elle fut conduite au supplice par les clercs du roi ; le témoin et frère Martin Lavenu l'accompagnèrent jusqu'à la fin.
25. Sur le XXVe article, il déclare qu'il contient en entier la vérité ; ajoutant même que l'évêque de Beauvais, l'un des juges, pleura à cette occasion. En outre un homme d'armes anglais, qui la haïssait extrêmement et avait juré de placer de sa propre main un fagot sur son bûcher, après l'avoir fait et entendu Jeanne invoquer le nom de Jésus à ses derniers moments, fut frappé de stupeur et comme en extase : on le conduisit à une taverne près du Vieux Marché, où il reprit des forces en buvant. Et après avoir déjeuné avec un frère de l'ordre des prêcheurs, cet Anglais confessa — le témoin l'entendit — par l'intermédiaire de ce frère anglais, qu'il avait gravement péché, qu'il se repentait de tout ce qu'il avait fait contre Jeanne, qu'il la jugeait une femme bonne ; car il semble que cet Anglais avait vu dans le dernier souffle de Jeanne une colombe blanche sortant de la flamme. Il déclare aussi que le bourreau l'après-midi du même jour, vint au couvent desdits frères prêcheurs et dit au témoin et à frère Martin Lavenu sa grande crainte d'être damné, parce qu'il avait brûlé une sainte.
26. Sur le XXVIe article, il déclare vrai son contenu. En outre déclare croire que la principale raison de faire un procès contre elle fut de déshonorer le roi de France ; et on tendait à ce résultat en la jugeant ; car maître Guillaume Erard le proclama en un endroit de ladite cause, lorsqu'il dit : « Seule la France manquait habituellement de monstres ; mais maintenant voici un monstre horrible avec cette femme schismatique, hérétique et sorcière, grâce à laquelle le roi de France veut recouvrer son royaume. » A cet Erard Jeanne répondit : « O prêcheur ! vous parlez mal ! Ne parlez pas de la personne du roi Charles, notre sire, parce que c'est un bon catholique et ce n'est pas en moi qu'il a cru .»
27. Sur le XXVIIe, il déclare vrai ce qu'il a déposé.
Religiosus et honestus vir, frater Ysambardus de Petra, presbyter, in theologia baccalarius, ætatis LX annorum, vel
circa, ordinis Fratrum Prædicatorum, juratus et examinatus die martis prædicta.
Super I. articulo , dicit quod ipse loquens fuit præsens
in toto examine et processu dictæ Johannæ, cum fratre
Johanne Magistri, subinquisitore, quodque articulus ipse continet
veritatem.
Super II. articulo, dicit simpliciter ipsum articulum
continere veritatem ; et fama erat, in hac civitate Rothomagensi,
quod Anglici non erant ausi obsidere villam de Locoveris quamdiu
viveret ipsa Johanna, et donec mortua esset.
Super III. articulo, dicit quod aliqui de assistentibus in
processus deductione procedebant, videlicet episcopus Belvacensis,
ex favore ; quidam vero, ut puta nonnulli doclores Anglici, livore
vindictæ ; et alii doctores de Parisius, mercede conducti
; alii vero timore ducti, ut præfatus Subinquisitor, et nonnulli
alii, de quibus non recolit. Et hoc fuit ad procurationem regis
Angliæ, cardinalis Vintoniensis, comitis de Warvik et aliorum
Anglicorum, qui solverunt expensas ratione processus hujusmodi factas.
Cætera contenta in articulo dicit loquens fore vera.
Super IV. articulo, dicit quod bonæ memoriæ
dominus Johannes, tunc Abrincensis episcopus, quia recusavit dare
opinionem suam in materia hujusmodi, fuit comminatus per magistrum
Johannem Benedicite, tunc promotorera causæ ; et, ad id, magister
Nicolaus de Houppevilla, quia noluit adesse processui nec suam opinionem
dare, fuit in periculo exsilii. Dicit ulterius quod, post primam
prædicationem, in qua dicta Johanna revocaverat, ipse loquens
et magister Johannes de Fonte, magister Guillelmus Vallée,
ordinis Fratrum Prædicatorum, et alii ex ordine judicum
iverunt ad castrum, ad dandum consilium eidem Johannæ quod
semper perseveraret in bono proposito. Quod videntes Anglici, cum
impetu et furia ejecerunt eos de castro, cum gladiis et fustibus
; cujus occasione, prædictus magister Johannes de Fonte aufugit,
et recessit ab hac civitate, nec inde rediit. Et ipsemet loquens
perpessus est multas minas a comite de Warvik, ex eo quod ipse loquens
antea dixerat dictae Johannæ quod se submitteret Concilio
generali.
Super V. articulo, dicit quod dicta Johanna interrogata,
an vellet se submittere domino nostro Papæ, respondit quod
sic, dum tamen mitteretur et duceretur ad ipsum ; sed nolebat se
submittere illis præsentibus, saltem dicto episcopo Belvacensi,
cum essent inimici ejus capitales ; et, cum ipse loquens persuaderet
sibi quod se submitteret Concilio generali tunc congregato, in quo
aderant multi prælati et doctores de parte regis Franciæ,
hoc audito, ipsa Johanna dixit quod eidem Concilio se submittebat.
Tunc episcopus Belvacensis aspere increpavit loquentem, dicendo
: « Taceatis, in nomine diaboli! » Quibus sic auditis,
dominus Guillelmus Manchon, notarius dictæ causæ, quæsivit
ab ipso episcopo an scriberet hujusmodi submissionem ; qui quidem
episcopus respondit quod non, et quod non erat necesse, dicta Johanna
dicente dicto episcopo : « Ha ! vos bene scribitis quæ
faciunt contra me, et non vultis scribere quæ faciunt pro
me ». Et credit quod non fuit scriptum ; unde subsecutum est
in consilio illo magnum murmur.
Super VI. articulo, deposuit immediate supra quidquid
scit.
Super VII. , deponit prout supra deposuit.
Super VIII., deponit, de certa scientia, prout cavetur in
eodem articulo.
Super IX., dicit quod dicta Johanna erat juvenis ætatis
xix annorum vel quasi, habens tamen bonum intellectum, et bene prudenter
respondebat ; sed non erat sufficiens respondere difficilibus interrogationibus
quæ sibi fiebant.
Super X., deponit, solum ex auditu a nonnullis dicentibus,
quod aliqui in dissimulato habitu de nocte ibant ad carceres dictæ
Johannæ, suadendo ei contenta in articulo. Si sit verum nescit.
Super X I . , dicit quod articulus continet veritatem,
quamvis ad aliqua interrogatoria daret sufficiens responsum, prout
constare potest per processum.
Super XII., dicit quod aliquando examen dictæ
Johannæ durabat per tres horas de mane ; et aliquando fiebat
examen tam de mane, quam post prandium. Audivit etiam eam pluries
conqueri quod fiebant sibi nimiæ quæstiones.
Super XIII. et XIV. articulis, dicit quod continent
ipsi articuli veritatem, quia ab ipsa Johanna hæc audivit
loquens.
Super XV. et XVI. articulis, dicit quod nihil scit super
his deponere, et se refert ad processum.
Super XVII., dicit quod per magnum spatium processus,
quando interrogabatur ipsa Johanna de submittendo se Ecclesiæ,
ipsa intelligebat de illa congregatione judicum et assessorum tunc
præsentium et assistentium, donec per magistrum Petrum Mauricii
fuit edocta quid esset ; et, postquam cognovit, semper se submisit
Papæ, dummodo duceretur ad ipsum. Et credit quod præmissa
ignorantia de Ecclesia erat causa quare aliquando distulit se submittere
Ecclesiæ.
Super XVIII. et XX., nihil dicit [nisi] quod, judicio
loquentis, dictus Manchon fideliter scripsit et retulit, et se refert
processui.
Super XIX. articulo, dicit quod credit, ut prædixit,
quod sententia fuit magis lata contra eam livore vindictæ
quam zelo justitiæ.
Super XXI., dicit quod satis observabant judices ordinem
juris, judicio loquentis ; sed de affectu eorum jam superius deposuit,
videlicet quod livore vindictæ procedebant.
Super XXII., dicit quod in aliquibus partibus processus
fuerunt eidem Johannæ dati consiliarii. Quantum autem ad nullitatem
sententiae, supra deposuit ; et addit loquens quod in prima prædicatione
credebat ipse loquens, attento modo procedendi, quod cremaretur,
quia differebat revocationem facere ; et fuerat adducta in quadriga
usque ad coemeterium Sancti Audoeni Rothomagensis.
Super XXIII. articulo, dicit contenta in eodem articulo fore
vera.
Super XXIV. articulo, dicit quod scit quod non fuit
lata aliqua sententia per judicem sæcularem, quia ibidem præsens
erat ; sed post prædicationem, longa exspectatione ibi facta,
fuit per clericos regios ad supplicium ducta ; quam secuti sunt
loquens et frater Martinus Ladvenu, usque in finem.
Super XXV. articulo, dicit articulum in toto continere veritatem
; addens etiam quod episcopus Belvacensis, alter judicum, ea occasione
flevit. Et subdit quod quidam Anglicus, vir armorum, qui mirabiliter
eam odiebat, et qui juraverat quod fasciculum propria manu poneret
in crematione dictæ Johannæ, cum hoc fecisset et audivisset
ipsam Johannam nomen Jhesu acclamantem in fine dierum suorum, effectus
est totus attonitus, et quasi in extasi, ductusque fuit ad quamdam
tabernam, prope Vetus Mercatum, ut, mediante potu, vires resumeret.
Et, post prandium cum quodam fratre ordinis Fratrum Prædicatorum,
ipse Anglicus, audiente loquente, confessus est, per organum illius
fratris, Anglici, se graviter errasse, et quod pænitebat de
hoc quod fecerat contra dictam Johannam, ut præfertur, quam
reputabat bonam mulierem ; nam, ut ei videbatur, viderat ipse Anglicus,
in emissione spiritus dictæ Johannæ, quamdam columbam
albam, exeuntem de Francia (2). Dicit etiam quod lictor, post prandium,
eadem die, venit ad conventum dictorum Fratrum Prædicatorum,
eidemque loquenti et fratri Martino Ladvenu dixit quod valde timebat
quin esset darnnatus, quia combusserat unam sanctam mulierem.
Super XXVI. articulo, dicit contenta in articulo fore vera.
Et ulterius dicit quod credit principaliorem causam, quare fuit
processus sic factus contra eam, [fuisse] ut infamarent regem Franciæ
; et tendebatur ad illum finem judicio suo ; quodque magister Guillelmus
Erardi satis hoc declaravit in uno passu, in prædicta causa,
ubi dixit in effectu : « Sola Francia solebat olim carere
monstris ; nunc vero ecce terribile monstrum, ut per unam mulierem
schismaticam, haereticam et sortilegam, ille qui se dicit regem
Franciæ, velit recuperare regnum suum ». Cui [Guillelmo]
Erardi ipsa Johanna respondit : « O prædicator, male
dicitis : non loquamini de persona domini regis Karoli, quin bonus
catholicus est, et in me non credidit. »
Super XXVII., dicit quod ea quae deposuit sunt vera.
Sources :
- Texte original latin : Quicherat - t.II p.348.
- Traduction: Pierre Duparc, t.III, p.209 à 213.
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