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Procès
de réhabilitation
L'enquête
de 1452 |
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n 1451, un évènement inattendu permit à Charles
VII de reprendre son projet et de donner à l'affaire
une forme plus juridique.
L'avènement de Mahomet II ayant mis en très
grand péril l'Empire d'Orient, le pape conçut quelques
inquiétudes pour ses propres domaines et envoya un légat
à Paris pour réconcilier les rois de France et d'Angleterre,
dont il réclamait le secours.
Ce légat fut le cardinal d'Estouteville, issu
d'une famille normande fort ancienne, et proche parent de
Charles VII par sa grand'mère, une soeur de Charles V devenue
dame d'Harcourt.
Ce prélat s'était distingué, dès
son jeune âge, dans les sciences sacrées, et avait
été élevé à la dignité
d'êvêque d'Ostie, puis au Cardinalat (1).
Il ne lui avait même manqué que troix voix pour être
élu pape, concurremment avec Nicolas V.
C'était donc un personnage des plus influents
de la cour pontificale. Il serait difficile de compter, dit le père
Ayroles (2), les évêchés,
abbayes, prieurés et archevêchés accumulés
sur sa tête, par suite d'un abus détestable, né
du schisme, et dont le concile de Trente n'eut que partiellement
raison. Mais il faut dire à la décharge de l'illustre
cardinal, qu'il fit un noble usage de tant de revenus, et qu'il
laissa partout, à Rome, à Paris, au Mont St Michel,
à Rouen etc... des marques de sa religieuse mugnificence.
Ce fut au cours de sa mission en France que le cardinal
vint à Rouen pour y ouvrir une information d'office sur le
procès de la Pucelle. Le 27 avril 1452, les conseillers de
la Ville délibérèrent "d'aller à
l'encontre de Monsr le cardinal d'Estouteville, légat de
notre Saint Père le Pappe, à sa joieuse venue, lui
faire la reverence de par la ville, jusques au nombre de trente
à quarante notables de personnes, tant officiers que bourgeois." On s'y rendit "le
1er jour de may 1452..., jusques à Saint-Sever, et lui arrivé,
l'on lui présenta de par la ville, pour l'onneur d'icelle
en l'hostel de Monsr l'Archevesque, où il fut là logié,
deux queues de vin excellent, l'un vin de Beaune et l'autre de vin
françois"
Il est certain que ce fut à l'instigation de
Charles VII que le cardinal-légat ouvrit à Rouen l'enquête
d'office sur le procès de Jeanne d'Arc, quoi qu'il n'en soit
rien dit dans le préambule de l'information préliminaire
faite en sa présence (3).
On y lit seulement "qu'à cause de la renommée
générale, et de beaucoup de rapports qui avaient
lieu chaque jour, durant sa légation, sur le procès
fait à Jeanne, après s'être adjoint le vénérable
maître Jean Bréhal, inquisiteur," il a fait et
a ordonné de faire quelques informations préliminaires
et préparatoires, tant à Rouen qu'ailleurs.
Assisté de Jean Bréhal, prieur du couvent
des Jacobins à Paris, et inquisiteur de la foi En France,
le cardinal d'Estouteville, d'office (ex officio mero), ouvrit l'instruction
qui porta sur douze articles (4).
Les témoins furent cités (5)
à comparaitre devant le "prêtre de la sainte Église
romaine, généralement appelé cardinal d'Estouteville,
dans le manoir archiépiscopal de Rouen."
Le prélat entendit cinq témoins : Manchon,
Miget, Isambard de La Pierre, Cusquel et Ladvenu, qui durent déposer
le 5 mai devant lui ; car dès le 6, appelé ailleurs,
il délégua ses pouvoirs à Philippe de La Rose,
trésorier de la cathédrale de Rouen.
Ainsi, d'Estouteville ne consacra guère que trois
jours à la révision du procès, l'un pour la
citation, l'autre pour l'audition des témoins, et le troisième
pour la délégation à Philippe de La Rose. (6)
Ce chanoine, investi officiellement d'une mission qui
devait lui permettre de relever le Chapitre de Rouen des fautes
commises par nombre de ses membres en 1431, donna une nouvelle extension
à l'enquête, par l'addition d'articles au formulaire
des interrogatoires et par de nouveaux témoins qu'il appela.
Il reprit l'information faite par le cardinal et, avec
Bréhal, interrogea les témoins sur les vingt-sept
articles produits par Me Guillaume Prevosteau, promoteur dans la
cause. Il interrogea seize témoins et, le 10 mai, quatre
jours après la délégation, les notaires Socius
et Dauvergne collationnaient et signaient leurs dépositions.
Le nom de Philippe de La Rose est donc attaché
fort honorablement à la cause de la réhabilitation
de la cause de la Pucelle à Rouen. Aussi avons nous relevé
avec intérêt, aux archives de la Seine-Inférieure
(maritime), à titre de curiosité, les premières
lignes du testament de ce chanoine, qui porte la date du 14
mai 1470. (7)
Par cet acte de volonté il fondait un obit pour
son anniversaire avec cent messes basses. Il donnait, en outre,
à la fabrique vingt livres, et au chapitre "cent
livres pour les employer en prières et oraisons, et établir
à perpétuité deux obits solennels de sorte
que l'on puisse distribuer tousles ans cent sols de rente légués
par ce testament, au profit des chanoines; chapelains, clercs etc...
Philippe de La Rose a laissé, en outre, à
la cathédrale de Rouen, un notable souvenir de sa générosité
: nous voulons parler de la belle balustrade de pierre qui ferme
la sachristie des chanoines, du côté du choeur, et
dont les ogives ornées se détachent comme une gracieuse
broderie sur l'ombre projetée par les hauts piliers qui l'enserrent
dans ce bas-côté , si plein de poésie, de la
vénérable basilique.
Cette clôture, "du plus brillant style ogival
décoratif du XV° siècle, découpée
à jour et ornée de cinq pilastres qui supportaient
des statues disparues à la révolution" se termine
par une porte de fer, délicatement ajourée,
qui fermait jadis l'entrée de ce célèbre trésor
de la cathédrale, où étaient exposés
les objets précieux d'orfèvrerie, les châsses
etc... d'une richesse incomparable.
Cette balustrade fut construite vers 1479, par Me Guillaume
Pontif, aux frais de notre archidiacre-trésorier, chrgé
de la garde de ce précieux trésor, qu'il voulait sans
doute protéger, sans le dissimuler aux regards des pieux
fidèles.
Il n'est trop juste de signaler à la gratitude
des nombreux et fervents admirateurs de la libératrice, le
rôle important que joua alors Philippe de La Rose, qui s'attacha,
l'un des premiers, avec zèle, à l'oeuvre de la réhabilitation.
En effet cet ecclésiastique distingué,
honoré de la confiance du cardinal, et investi d'une mission
officielle, contribua utilement à l'évolution de la
procédure qui devait plus tard gagner le Saint-Siège
à la cause de la révision du procès de Jeanne
d'Arc.
L'information d'office, avait pour conséquence
directe d'engager désormais l'église dans cette voie
par ses représentants les plus autorisés et les plus
compétents : l'inquisiteur et le légat du pape, secondés
par le trésorier du chapitre de Rouen.
Toutefois, la mission dont avait été chargé
d'Estouteville, de rapprocher les
rois de France et d'Angleterre, pour la défense en commun
de l'Europe menacée par les Turcs, n'était pas de
nature à faciliter l'oeuvre commencée. En soulevant
les voiles du procès, on allait mettre à jour forcément
les violences et les passions qui l'avaient inspiré et dirigé.
En cassant la sentence inique, on devait frapper de réprobation,
aux yeux de l'Europe, ceux qui l'avaient provoquée et rendue.
Ce n'était pas là faire grande avance
à l'Angleterre : aussi l'enquête serait demeurée
longtemps sans résultat, et la révision aurait même
pu avorter, si le roi n'avait eu l'heureuse idée d'écarter
la question politique et l'action d'une cour contre un jugement
rendu par une autre cour, pour faire intervenir la famille de Jeanne,
et réduire l'affaire, en apparence, aux proportions d'un
simple débat d'intérêt privé.
Les circonstances rappelèrent bientôt,
d'ailleurs, le cardinal d'Estouteville à Rouen. L'archevêque
Raoul Roussel, jadis assesseur au procès de condamnation,
étant décédé le 31 décembre 1452,
le Chapitre, appelé à élire son successeur,
le 23 février 1453, partagea ses voix entre le trésorier,
Philippe de La Rose et Richard Olivier, archidiacre d'Eu. (8)
On convint alors que celui qui pourrait être porté
le premier à l'autel par ses partisans serait le véritable
archevêque. Singulier expédient, qui remettait à
la force une décision qui ne devait appartenir qu'au mérite
et à la vertu ! Pendant la nuit, en effet, les compagnons
du Vieux-Marché stationnèrent sur le parvis pour introduire
Richard Olivier, à la première heure ; mais à
leur grand désappointement ils trouvèrent en entrant
Philippe de La Rose, que ses amis drapiers avaient fait passer par
une fenêtre !
Mécontent de ce résultat, Richard Olivier
adressa une protestation au Chapitre et partit pour Rome où
il fit approuver, dit-on, par le pape Nicolas V, la cession de son
droit au cardinal d'Estouteville. Ce dernier écrivit lui-même
au Chapitre qu'il venait d'être pourvu du siège de
Rouen. Philippe de La Rose et les chanoines protestèrent
d'abord contre cette violation de leurs droits mais Charles VII
leur ayant signifié son désir que l'archevêché
de Rouen fût "pourveu de personne à lui seure
et seable," le trésorier, forcément évincé,
se retira. De son côté, le Chapitre s'inclina devant
la volonté du roi, par considération pour son cousin
le cardinal, normand d'origine et bienfaiteur de l'église
de Rouen. Il fit d'ailleurs, comme autrefois sous la domination
anglaise, toutes réserves de ses droits, relativement à
l'incompatibilité qui existait entre le cardinalat et le
titre d'archevêque de Rouen ; ce siège ne pouvant être
confié à un cardinal non résidant, ni être
mis en commande, d'après les lettres émanées
du Saint-Siège lui-même. La bulle du pape Nicolas V,
relative à la nomination du cardinal, témoigne de
ces difficultés et de ces réserves : car elle confirme
que le Chapitre de Rouen dans le droit de nommer à l'archevêché,
droit qu'il tenait de la pragmatique sanction, tout en conférant,
néanmoins, "ledit archevêché à Guillaume
d'Estouteville, cardinal". A ce document précieux est
appendu le sceau de Nicolas V, relié au parchemin par un
cordonnet.
La lettre du roi (9), est
souscrite de la signature de Charles VII, est une signification
pure et simple de la volonté royale sous la forme précative
usitée alors : "Si vous signiffions ces choses, afin
que en ce ne faites difficulté".
L'archevêque de Narbonne, pourvu des lettres qui
donnaient pleine satisfaction au Chapitre, relativement au principe
de son droit d'élection, prit possession de l'archevêché
pour le cardinal, et prêta serment le 9 juin 1453, sur une
pierre élevée au centre de la salle capitulaire.
Le prélat fit son entrée solennelle le
28 juillet 1454.
On ne sait si le nouvel archevêque s'occupa du
procès de révision aussitôt après son
installation, car le pape Nicolas V persista dans ses hésitations
jusqu'à sa mort. Ce qui est certain, c'est qu'immédiatement
après l'élévation de Calixte III au souverain
pontificat (8 avril 1455), il quitta Rouen pour se rendre à
Rome, où il résida constamment auprès du pape
qui "avait besoin de ses sages conseils". (10)
Nous verrons bientôt que ce fut sous son inspiration,
sinon sous sa dictée, que le Souverain Pontife autorisa officiellement
la procédure de révision qui devait aboutir
à la réhabiltation de la glorieuse suppliciée.
Avec le nouveau pape, et sous l'influence du nouvel
archevêque de Rouen, la cause de Jeanne était gagnée
!
Source
: "Jeanne d'Arc et la Normandie au XV° siècle"
- Albert Sarrazin - 1896.
Notes
:
1 Il était
cardinal-prêtre du titre de Saint Sylvestre et de St martin
des Monts
2 La Pucelle devant l'Église ... p.234
3 Cela résulte d'une lettre du cardinal à Charles
VII, qui établit en même temps la participation de
Bouillé à la double-enquête faite à
Rouen en 1452. D'Estouteville déclarait accomplir le bon
plaisir du roi : "Et pour ce que je say que la chose touche
grandement votre honneur et estat, m'y suis employé de
tout mon pouvoir et m'y emploiyeray tousjours." (22 mai).
4 Au moment où l'on commençait à s'occuper
de la révision du procès, on était loin d'être
rassuré, à Rouen, sur les entreprises des Anglais.
On redoutait toujours un retour offensif des anciens ennemis qui
avaient opprimé la ville pendant tant d'années.
En 1455, on prenait encore des précautions pour la sûreté
de la ville contre les Anglais.
5 La citation est du 4 mai 1452.
6 Il se rendit ensuite avec Jean Bréhal à Rouen
où il établit des Indulgences à l'occasion
de la célébration de la fête du 8 mai, considérant,
sans doute, la réhabilitation comme réalisée
en fait, sinon en droit. (O'Reilly t.II, p.514)
7 Philippe de La Rose décéda en 1479. Il est enterré
dans la cathédrale de Rouen.
8 Le 1er mars 1452, le chapitre nomme Philippe de La Rose à
l'archevêché de Rouen. Opposition d'une partie du
Chapitre à cette nomination ; les voix s'étant partagées
entre lui et Richard Olivier, on décide d'envoyer une députation
au Roi.
9 "Chiers et ben amez. les gens de nostre cousin le cardinal
d'Estouteville sont venus par deuers nous et nous ont fait dire
et demonstrer comme nostre saint pere a promeu nostre dit cousin
a larceveschie de Rouen, lequel nostre cousin nous a escript quil
veult demourer sur le lieu et y faire residence et pour ce que
nous auons grant interest que a icelle eglise soit pourveu de
personne a nous seure et seable et que nous saurons nostre dit
cousin estre tel et qu'il est délibéré ainsi
quil nous a secript de venir demourer sur le lieu. Nous auons
este et sommes contens que nostred. cousin le cardinal ou
ses gens et procureurs portant les lectres de la
dicte promotion soient receuz a la possession et saisine d'icelle
eglise comme il est a coustume a faire en tel cas. Si vous signifions
ces choses afin que en ce ne faittes difficulté.
Donné a Saint Jehan dangeli le XXI° jour de juing."
Charles.
10 Il mourut à Rome en 1483, doyen du Sacré-Collège,
âgé de plus de quatre-vingts ans et ayant mérité
cet éloge de la Sainte Église romaine : "Comumna
et lumen santæ Romanæ Ecclesiæ" Lorsqu'il
fut surpris par la mort, il se préparait à revenir
à Rouen pour se consacrer tout à fait au service
de son église, et se préoccupait de sa sépulture,
d'après les lettres communiquées au Chapitre en
1482, par le Chanoine Jean Masquerel. Il fut inhumé dans
le monastère des Ermites de Saint- Augsutin de Rome, mais
son coeur fut envoyé à Rouen, où le Chapitre
le fit déposer solennellement à la Cathédrale.
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