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Les
mauvais traitements infligés à Jeanne d'Arc
dans
sa prison de Rouen |
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l paraît
très probable que Jeanne fut d'abord enfermée dans
une cage de fer qui avait été construite à
Rouen. Massieu, qui remplissait le rôle d'huissier au procès,
affirma qu'il avait entendu dire à Etienne Castille, serrurier,
qu'il avait construit lui-même, pour Jeanne, une cage, où
elle était détenue debout et enchainée, par
le cou, les mains et les pieds, et qu'elle avait été
dans le même état depuis le temps où elle avait
été emmenée à Rouen jusqu'au commencement
du procès instruit contre elle (1).
Massieu ne la vit pas personnellement dans cet état, parce
qu'il ne fut chargé de la faire sortir de sa prison qu'à
partir de la première séance publique (21 février
1431).
Pierre Cusquel, bourgeois de Rouen, porte le même
témoignage. Il dit que, dans sa maison, on pesa une cage
de fer dans laquelle on disait que Jeanne serait enfermée,
mais il ne la vit pas renfermée dans ladite cage. La maison
dont parle Cusquel était celle de l'Ecu de France,
située en face de la cour de l'Official, rue Saint-Romain.
Ce logis avait été fieffé par le Chapitre au
maître de l'Oeuvre de la Cathédrale, Jean Salvart,
dit Jeanson ou Jenson, fidèle ami des Anglais, qui l'avaient
comblé de biens et pour lesquels il avait construit le Vieux-Palais
(2). Cusquel était ouvrier de
Salvart, et c'est là qu'il vit peser la cage destinée
à Jeanne d'Arc. Ce fut précisément grâce
à l'influence de son maître qu'il put visiter plusieurs
fois l'héroïne au château, ce qui rend sa déposition
si intéressante au procès de réhabilitation.
L'affirmation de Cusquel confirme celle de Castille.
Il y insiste, car il y revient une seconde fois en ces mots :
"Il ajoute que l'on fit une cage de fer pour l'y tenir debout
; qu'il la vit peser dans sa maison, mais qu'il n'y vit pas Jeanne
enfermée."
On doit donc croire que les choses se passèrent
comme le dit Castille, "depuis l'arrivée de Jeanne
à Rouen, jusqu'au commencement de son procès",
époque a laquelle on aura supprimé la cage, sur le
conseil des juges ou pour tout autre motif, ce qui explique que
ni Massieu, ni Cusquel ne l'y aient vu renfermée.
Jeanne eut alors un lit dans sa prison. Les témoins
Boisguillaume, Massieu et Tiphaine l'ont affirmé, et l'héroïne
elle-même, dans son interrogatoire du 24 février, répond
"qu'elle remercia la voix qui s'adressait à elle,
étant assise sur son lit".
Tous les témoins sont d'accord pour attester
que Jeanne fut traitée dans sa prison d'une manière
cruelle et barbare. Massieu entre à cet égard dans
les détails les plus circonstanciés : "Elle
demeura en garde audit lieu entre les mains de cinq Anglois, dont
en demeuroit de nuyt trois en la chambre, et deux dehors, à
l'huys de la dicte chambre. Et sait de certain celluy qui parle
que de nuyt elle estoit couchée ferrée par les jambes
de deux paires de fer à chaaîne, et attachée
moult estroitement d'une chaaîne traversante par les pieds
de son lict, tenante à une grosse pièce de boys de
longueur de cinq ou six pieds et fermente à clef ; par quoy
ne pouvoit mouvoir de place".
Ce témoignage est confirmé par Cusquel
qui "entra deux fois dans la prison de Jeanne et la vit dans
des entraves de fer, et attachée par une longue chaîne
à une poutre. Tiphaine, prêtre et médecin, la
vit aussi les fers aux jambes.
Et comme si ces précautions ne suffisaient pas
pour prévenir tout danger d'évasion, on interdisait
toute communication avec elle. D'après Pierre Boucher, prêtre,
"on ne parlait avec elle, qu'avec la permission de quelque
Anglais et de ceux chargés de la garder". La chambre
où ceux-ci étaient enfermés avec elle avait
trois clefs, dont l'une pour Mgr le Cardinal (Winchester), l'autre
pour l'Inquisiteur, et la troisième pour Jean Benedicite
(le chanoine d'Estivet, promoteur) ; et "les Anglais craignaient
beaucoup qu'elle ne s'échappât".
C'est ce qui détermina l'évêque
de Beauvais à "remettre la garde de Jeanne à
noble homme Jean Gris, écuyer, à Jean Berwoit et Guillaume
Talbot, leur enjoignant de bien et fidèlement garder la même
Jeanne en ne permettant à personne de lui parler sans la
permission de Cauchon", ce que ceux-ci jurèrent
solennellement sur les Évangiles. Cette consigne sévère
fut si bien observée que les juges eux-mêmes ne pouvaient
avoir accès auprès d'elle sans la permission de Jean
Gris.
Ces trois geôliers, pour remplir leurs fonctions
plus sûrement, avaient choisi cinq Anglais, que l'huissier
Massieu qualifie "d'hommes du plus misérable aspect,
en français, houcepailliers, qui la gardaient, et ils désiraient
beaucoup la mort de Jeanne, et se moquaient d'elle fort souvent
et elle-même les reprenait de leur conduite."
Jeanne se plaignait souvent d'eux, disant qu'ils la
tourmentaient et la maltraitaient beaucoup. C'est ce qui la força
plus tard à reprendre des habits d'homme après son
abjuration. Elle s'excusa sur ce que "en habit de femme,
elle n'aurait pas pu rester avec ses gardiens anglais."
Ces misérables, en effet, eurent plusieurs fois,
à son égard, la conduite la plus odieuse et tentèrent
même de la violer, ainsi que nous le verrons plus loin.
Aux violences physiques se joignirent les violences
morales et les procédés les plus écoeurants.
C'est dans cette chambre de la tour que Cauchon et Loiseleur,
"ce Tartufe au service de l'Inquisition" comme
l'appelle M. Joseph Fabre, demandèrent à l'espionnage
les premiers éléments du procès. D'après
les dépositions formelles de Manchon et de Colles, dit Boisguillaume,
qui furent choisis, dès le 9 janvier, pour notaires et greffiers
du procès, Loiseleur, au mépris de son caractère
de prêtre, n'aurait pas craint de s'introduire dans la prison
de Jeanne en se faisant passer pour "cordonnier et prisonnier
du parti du Roi de France et du pays de Lorraine", afin
de surprendre sa confiance et de provoquer ses confidences. Ce misérable
chanoine l'aurait engagée à ne pas croire ces "gens
d'Église, parce que, lui disait-il, si tu les crois, tu seras
perdue." Il serait même arrivé à la
confesser. Jean d'Estivet, le promoteur du procès, aurait
également pénétré dans sa prison, en
se donnant aussi pour prisonnier, et aurait fini par l'injurier,
en la traitant de "paillarde et d'ordure."
D'après Pierre Cusquel, certaines personnes auraient
affirmé que "maître Nicolas Loiseleur contrefaisait
sainte Catherine et amenait ainsi Jeanne à lui dire ce qu'il
voulait."
Manchon raconta plus tard que Loiseleur "feignyt
qu'il estoit du pays de la dicte Pucelle, et par ce moyen trouva
manière d'avoir actes, parlement et familiarité avec
elle, en lui disant des nouvelles du pays à lui plaisantes
; et demanda estre son confesseur, et ce qu'elle lui disoit en secret,
il trouvoit manière de le faire venir à l'ouye des
notaires", qui "furent mis secrettement en une
chambre prouchaine ou estoit un trou par lequel on pouvoit escouter,
affin qu'ils pussent rapporter cc qu'elle disoit ou confessoit au
dit Loiseleur pour trouver moyen de la prendre captieusement".
Manchon eut la loyauté et le courage de protester
contre le rôle odieux qu'on voulait lui faire jouer. Il l'affirma
du moins lors du procès de réhabilitation. Il dit
en effet "qu'après que lui déposant et Boisguillaume
eurent été pris comme notaires pour faire le procès
de la dite Jeanne, Mgr de Warwick ; l'évêque de Beauvais
et Nicolas Loiseleur leur dirent qu'elle parlait merveilleusement
de ses apparitions et que pour savoir plus complètement la
vérité, ils avaient avisé que lui, maître
Nicolas, feindrait d'être du parti de Lorraine dont était
Jeanne, et de l'obéissance du roi de France , entrerait en
en habit court (3) dans la prison, et que les
gardiens se retireraient, et qu'ils seraient seuls dans la prison.
Et il y avait dans une chambre contiguë à cette même
prison un trou fait spécialement dans ce but, près
duquel ils ordonnèrent au déposant et à son
et à son collègue de se placer pour écouter
ce qui serait dit par Jeanne, et c'est là qu'ils étaient
sans pouvoit être vus de Jeanne. Alors Loiseleur se mit à
interroger Jeanne, en inventant des nouvelles sur l'état
du roi et sur ses révélations ; Jeanne lui répondit,
croyant qu'il était de son pays. Et quand l'évêque
et son compagnon eurent dit au déposant et à son collègue
de consigner les réponses faites, le déposant répondit
qu'il ne devait pas le faire, et qu'il n'était pas convenable
de commencer le procès d'une façon pareille, et que
si elle disait de telles choses lors du jugement régulier,
il les consignerait volontiers. Et il dit que toujours depuis Jeanne
eut une grande confiance dans le dit Loiseleur au point qu'il l'entendit
plusieurs fois en confession après de pareilles scènes,
et généralement Jeanne n'était conduite au
jugement qu'après que Loiseleur s'était entretenu
avec elle".
M. de Beaurepaire, en signalant quelques divergences
qui existent entre les récits des notaires Manchon et Boisguillaume
dit qu'on pourrait éprouver quelques doutes sur leur sincérité.
Il lui semble peu vraisemblable que Loiseleur et d'Estivet aient
pu tromper la Pucelle à ce point, car ils paraissaient trop
souvent devant elle, avec Cauchon, pour ne pas craindre d'être
démasqués (4). Mais le
savant archiviste ne va pas jusqu'à récuser absolument
ces deux témoins. Il estime qu'il faudrait rapporter la scène
en question antérieurement au procès ou la couvrir
des ténèbres de la nuit (5).
Ne pourrait-on pas ajouter que l'obscurité relative
qui régnait dans la prison et les faveurs d'un déguisement
pourraient faire admettre la possibilité d'une pareille supercherie
?
Le même auteur observe encore que les aveux qu'il
aurait été enjoint aux notaires de surprendre, dans
ces entretiens intimes, n'ont rien de sacramentel, d'après
lesdites dépositions et que, sans cesser d'être odieuse,
la conduite de Loiseleur pourrait n'être point sacrilège.
Il est possible que les manoeuvres coupables de ce chanoine de Rouen
n'aient pas revêtu la forme de l'administration d'un sacrement,
ce n'est là qu'une question de principe ou de violation du
secret de la confession; mais quelle que soit l'interprétation
de déclarations, qu'on ne peut écarter, même
si on fait la part des années écoulées et,
de ce que les déposants avaient beau jeu, en 1450 pour s'attribuer
un rôle avantageux lors du procès, on ne peut méconnaître
qu'il est impossible de disculper Loiseleur de cette véritable
infamie, qu'il commit dès le début du procès,
en acceptant le rôle odieux d'espion et en profanant la religion
et les choses saintes (6).
La prison de Jeanne devait être témoin
d'un autre attentat, qui paraîtrait aussi révoltant
si l'on ne se rappelait qu'il rentrait dans les habitudes judiciaires
de l'époque. C'est là que, sur l'ordre de la duchesse
de Bedford (7), Anne Bavon et une autre
matrone de Rouen, soumirent Jeanne à un examen intime afin
de s'assurer de sa virginité. On sait que ces constatations
jouaient un rôle important au moyen-âge dans les affaires
de magie, de sorcellerie et d' hérésie. Boisguillaumes
a même accusé Bedford d'avoir été le
honteux témoin de cette visite (8),
d'un endroit secret où il s'était caché : "Dux
Bedfordiæ erat in quodam loco secreto, ubi videbat Johannam
visitari". Si le lieu de la scène n'est pas déterminé
par les enquêtes, il paraît fort vraisemblable que ce
fut dans la prison de Jeanne, dans la tour vers les champs. Inutile
d'ajouter que cet examen, favorable à la Pucelle, ne fut
pas consigné dans les procès-verbaux du procès.
Dans cette énumération des violences et
des outrages exercés contre Jeanne par ses bourreaux, nous
ne saurions passer sous silence une scène racontée
par Haimond, sieur de Macy, qui dépeint la sauvagerie des
Anglais envers elle. Jean de Luxembourg, qui l'avait vendue aux
Anglais, eut l'impudeur de la visiter dans sa prison, en compagnie
de Warwick, de Stafford et de Louis de Luxembourg, son frère.
Il lui tint même ce propos rapporté par Macy "Jeanne,
je suis venu ici pour vous racheter, pourvu que vous vouliez me
promettre que vous ne prendrez jamais les armes contre nous".
A quoi Jeanne répondit avec bon sens et finesse : "En
non Dé, vous vous moquez de moi, parce que je sais bien que
vous n'en avez ni le vouloir ni le pouvoir", et ces mots,
elle les répéta plusieurs fois, parce que monseigneur
le comte persistait dans son dire, et elle ajouta : "je
sçay bien que les Anglois me feront mourir croyant qu'après
ma mort ils gagneront sur le royaume de France ; mais quand même
ils seraient cent mille godons (9) de plus
qu'ils ne sont présentement, ils n'auraient pas ce royaume".
Et le comte de Stafford s'indigna de ces paroles, et tira sa dague
à moitié pour la frapper, mais le comte de Warwick
l'en empêcha (10)."
Puisque nous résumons les tristes incidents dont
la tour de la Pucelle fut témoin, mentionnons la maladie
dont Jeanne fut atteinte vers le 18 avril et pour laquelle elle
fut soignée par Jean Tiphaine, prêtre, maitre ès-arts
et en médecine, sur l'ordre des juges, et en présence
de d'Estivet et de Guillaume de la Chambre. Tiphaine, pour connaître
la cause de son indisposition lui tâta le pouls et lui demanda
ce dont elle souffrait. Elle répondit qu'une carpe lui avait
été envoyée par l'évêque de Beauvais,
qu'elle en avait mangé et présumait que c'était
la cause de sa maladie. Le chanoine d'Estivet la contredit, lui
disant que c'était faux. Il l'injuria grossièrement
et ajouta : "C'est toi, paillarde, qui as mangé du
poisson salé (11) et autres choses qui
t'ont fait mal". Elle lui répondit qu'elle ne l'avait
pas fait. Enfin, Tiphaine apprit de plusieurs personnes qu'elle
avait été prise de vomissements.
On peut difficilement admettre l'hypothèse d'une
tentative d'empoisonnement par Cauchon sur la personne de la Pucelle.
Ce crime, en effet, aurait fait manquer aux Anglais le but qu'ils
se proposaient d'atteindre, l'abjuration de Jeanne et l'aveu par
elle qu'elle n'était pas envoyée de Dieu. Or, si Cauchon
était absolument pervers, il avait, par contre, une intelligence
et une habileté qui justifiaient les hautes fonctions dont
le gouvernement anglais l'avait investi dans la circonstance (12).
Le récit de Tiphaine et celui de Guillaume de
la Chambre, encore plus circonstancié, nous édifient
sur les outrages prodigués à la captive et sur la
haine mortelle que lui portaient les Anglais, qui ne redoutaient
rien tant que de la voir périr autrement que par la main
du bourreau.
"Le comte Warwick leur dit que le roi ne voulait
pour rien au monde qu'elle mourût de mort naturelle : car
le roi l'avait achetée cher, et il ne voulait pas qu'elle
pérît, si ce n'est par justice et qu'elle fut brûlée...";
le déposant et
Desjardins la palpèrent au côté droit et lui
trouvèrent la fièvre, et ils en firent leur rapport
au comte de Warwick qui leur dit : "Gardez-vous bien d'une
saignée, parce que c'est une rusée et elle pourrait
se donner la mort... Et néanmoins elle fut saignée
et se rétablit immédiatement. Une fois rétablie
survint maitre Jean d'Estivet, qui adressa des injures à
Jeanne et l'appela paillarde, ce qui la mit grandement en colère,
au point qu'elle eut de nouveau la fièvre et retomba malade.
Cela étant porté à la connaissance du dit comte
(de Warwick), il défendit au même d'Estivet de ne plus
avoir désormais à injurier Jeanne".
Le seul adoucissement que cette maladie valut à
Jeanne d'Arc fut de la débarrasser, du moins momentanément,
de ses fers, mais elle fut maintenue constamment dans sa prison.
Nous avons parlé de tentatives de viol. Manchon
raconte que quand Jeanne eut repris les habits de son sexe, elle
fut en butte aux plus violents outrages. C'est alors que, pendant
la nuit, Warwick dut accourir à ses cris pour la tirer des
atteintes brutales des soldats.
"Une ou deux fois, elle se plaignait audit évêque,
qu'un de ses autres gardiens avait voulu la violer ; et le seigneur
Warwick, sur le rapport desdits évêque, inquisiteur
et Loiseleur fit de grandes menaces à ses gardiens anglais
s'ils essayaient de recommencer, et l'on commit à nouveau
deux autres gardiens".
Un autre témoin, Martin Ladvenu, des Frères
prêcheurs, qui devait l'assister plus tard au Vieux-Marché,
affirma qu'il avait entendu, de la bouche même de Jeanne,
qu'un grand seigneur d'Angleterre était entré dans
sa prison et avait tenté de lui faire violence, c'est pourquoi
elle avait repris les habits d'homme.
Si un grand d'Angleterre se conduisait ainsi, on peut
se demander comment devait se comporter la soldatesque anglaise
préposée à la garde de Jeanne. Ces cinq houcepailliers
qui la gardaient jour et nuit, trois dans sa chambre et deux en
dehors de la prison, qui désiraient beaucoup sa mort, l'engageaient,
si elle voulait se sauver, à ne point se soumettre au jugement
de l'Église. Conseil abominable, puisqu'il aurait suffi pour
faire décréter la peine de mort contre Jeanne par
le tribunal ecclésiastique.
Faut-il joindre à tous ces outrages, ces interrogatoires
prolongés pendant de longues heures, où les juges
la pressaient de questions, avec le désir de la surprendre,
si bien qu'elle leur dit plusieurs fois : "Beaux seigneurs,
faictes l'un après l'autre". Frère Ysembard
de La Pierre a précisé le caractère insidieux
de ces interrogatoires en disant : "que l'on demandoit et
proposoit à la povre Jehanne interrogatoires trop difficiles,
subtilz et cauteleux tellement que les grans clers et gens bien
lettrez qui estoient là présens, à grant peine
y eussent seu donner response, par quoy plusieurs de l'assistance
en murmuroient".
Chose admirable, en effet, cette jeune paysanne qui n'a pas
vingt ans "comparaîtra", sans conseil, devant la
toute-puissance anglaise qui la tourmentera savamment dans son corps.
Comme a dit S.Luce, elle sera en butte au savoir dévoyé
et hypocrite qui la torturera plus savamment encore dans son esprit.
Les questions les plus captieuses lui seront posées et l'on
verra suivant la belle expression du Père Ayroles, la jeune
fille se mouvoir à l'aise, au milieu de ces traquenards,
semblable à l'oiseau volant au-dessus des pièges qui
ne les effleure que pour les renverser d'un coup d'aile.
"Tu seras délivrée par grande
victoire", lui avaient dit les saintes. Rien n'était
plus vrai car elle ne fut jamais plus grande ni plus belle. Impossible
de faire éclater plus d'à-propos, de justesse, de
hardi courage, de prudence, de naïve candeur, de réserve,
de piété, de céleste sagesse tout en restant
la simplicité même !
La captivité de Jeanne a été résumée
pour se représenter l'horrible situation de la pauvre captive
chargée de fers, brisée par la fatigue, épuisée
par la contention d'esprit nécessaire pour répondre
à ces fallacieuses questions, en butte aux violences des
gardes, et torturée à chaque instant du jour et de
la nuit par eux et leurs chefs.
Le procès de réhabilitation a qualifié
ainsi la conduite des Anglais et des juges de la Pucelle dès
son arrivée à Rouen : "Item et lesdits Cauchon
et Le Maître et leurs complices, ont mis ladite Jeanne, jeune
et tendre pucelle, sur le champ, dès le début de son
procès, dans une dure prison, contre la forme du droit, et
l'ont chargée et liée de fers et de chaînes,
d'une façon impie et injuste, et ils l'ont enfermée
dans une forte prison du chateau de Rouen, prison non de justice,
mais de cruauté et de violence, non ecclésiastique,
mais séculière ; et ils en ont confié la garde
aux mains de laïques armés, ses mortels ennemis, c'est-à-dire
d'Anglais armés qui, poussés par une haine mortelle,
lui prodiguaient sans cesse les outrages, les menaces, les terreurs
et les railleries. Et cependant cette jeune fille, mise alors en
la main de l'Église, déposée dans une prison
de l'Église, et non de répression, avec une liberté
suffisante, aurait dû être traitée humainement
au moins durant le cours du procès intenté, comme
le veulent les lois et comme le demande toute justice. Et ceci a
été et est vrai".
On ne peut résumer plus exactement cette phase
de l'histoire de Jeanne d'Arc à Rouen. Et c'est encore avec
plus d'admiration que l'on entendra au procès les réponses
qu'elle fera à ses bourreaux.
Voir la prison de Jeanne à
Rouen.
Source
: Albert Sarrazin - "Jeanne d'Arc et la Normandie au XV°
siècle" - 1896.
Illustrations :
- Le chanoine Loiseleur surprend les confidences de Jeanne dans
la Tour du chateau de Rouen. (tableau de Paul Delaroche (1824).
- Le comte de Warwick, gouverneur du chateau, représenté
à sa réception par le doge de Venise.(Dessin tiré
d'un ms. du british museum - 1439).
Notes :
1 Quicherat - Procès TIII - Elle a été emmenée
à Rouen fin-décembre 1430 et a commencé à
être jugée le 21 février 1431.
2 Georges Dubosc "la maison d'un juge de Jeanne d'Arc".
3 C'est à dire en habit de laïque.
4 Jeanne a montré toute sa vie publique qu'elle n'était
pas facile à manipuler ce qui corrobore l'impression de Beaurepaire
(ndlr).
5 De Beaurepaire "Recherches sur le procès de condamnation".
6 L'évêque Cauchon et le chanoine d'Estivet, complices
et "inventeurs" de cette infamie montrent à quel
point Jeanne a été jugée par des scélérats
qui n'avaient plus de religieux et de chrétien que l'habit
qu'il portait sur eux. (ndlr).
7 Rappelons qu'elle était la fille du Duc de Bourgogne, qu'elle
vivait dans le chateau et qu'aucun témoignage ne la cite
comme ayant montré la moindre pitié vis à vis
de Jeanne. Elle mourra jeune et sans enfant en 1433 soit deux ans
après Jeanne.
8 A noter qu'il est le seul à témoigner de ce fait
(ndlr)
9 Sobriquet pour désigner les Anglais à cette époque
(tiré d'un de leur jurons habituels).
10 Warwick avait la responsabilité de la garde de la prisonnière.
11 Parfois traduit aussi par "harengs".
12 Cela ressemble davantage à un empoisonnement par accident
(ndlr).
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