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Procès
de réhabilitation
V-3 - Déposition
de Jean d'Orléans, comte de Dunois. |
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En premier, l'an du Seigneur mille quatre cent cinquante-six,
le 22e jour de février, de la part desdits Isabelle, Pierre
et Jean d'Arc, fut produit devant nous, reçu, juré et entendu,
et absous quant à sa déposition, le sire Jean, comte de
Dunois, qui a déposé tant sur les articles que sur les questions en la manière suivante, en présence de maîtres Guillaume
Bouillé, doyen de Noyon, et Jean Patin, sous-inquisiteur de
la perversité hérétique, de l'ordre des frères précheurs,
professeur de théologie sacrée.
Sur les quatrième et huitième articles, et sur le septième de l'interrogatoire du promoteur au sujet de son arrivée
auprès du roi, de sa conduite avec les hommes d'armes et
de ses talents militaires, de même au sujet de sa dévotion,
de sa charité et de ses autres vertus — les autres articles étant omis à la demande du promoteur — le très illustre
seigneur Jean, comte de Dunois et de Longueville, lieutenant
général de notre seigneur le roi pour le fait des guerres, âgé
d'environ cinquante et un ans,
Interrogé s'il croit vraiment que Jeanne fut envoyée par
Dieu pour accomplir des faits de guerre, plutôt que poussée
par une habileté humaine, répond croire que Jeanne fut
envoyée par Dieu, et que ses faits de guerre viennent d'une
inspiration divine plutôt que d'un talent humain.
Interrogé sur ce qui le pousse à parler ainsi, répond que
c'est pour plusieurs conjectures dont l'énoncé suit. D'abord,
quand il était dans la cité d'Orléans alors assiégée par les
Anglais, des nouvelles et des rumeurs parvinrent — il l'affirme — suivant lesquelles une certaine jeune fille, qu'on appelait communément la Pucelle, venait de passer à Gien
et prétendait aller vers le noble dauphin, afin de faire lever
le siège d'Orléans et de conduire le dauphin à Reims pour
le sacre ; et comme le seigneur déposant avait la garde de la cité, parce qu'il était lieutenant général pour le fait des guerres et qu'il voulait être plus amplement informé sur le
compte de cette Pucelle, il envoya au roi le sire de Villars,
sénéchal de Beaucaire, et Jamet de Tillay, qui fut ensuite
bailli de Vermandois ; à leur retour ceux-ci rapportèrent au
seigneur déposant et déclarèrent en public, devant tout le
peuple d'Orléans, fort désireux de savoir la vérité sur l'arrivée
de cette Pucelle, qu'ils l'avaient vue quand elle aborda le
roi dans la ville de Chinon. Ils dirent aussi que le roi, de prime
abord, ne voulait pas la recevoir ; ladite Pucelle attendit deux
jours avant qu'on lui permît de se présenter au roi, bien
qu'elle déclarât avec persévérance venir pour faire lever le
siège d'Orléans, et pour conduire le noble dauphin à Reims,
où il serait sacré ; et elle demandait instamment une troupe
d'hommes de guerre, des chevaux et des armes. Il se passa
un délai de trois semaines ou un mois, pendant lequel, sur
l'ordre du roi, ladite Pucelle fut examinée par des clercs, prélats
et docteurs en théologie sur ses dits et ses faits, afin de
savoir si elle pouvait être reçue sans risque, et pendant lequel
le roi fit réunir quantité d'hommes d'armes pour conduire un
convoi de ravitaillement à cette cité d'Orléans. Mais après
avoir entendu l'avis desdits prélats et docteurs, qui n'avaient
rien trouvé de mal en cette Pucelle, le roi l'envoya en compagnie
du seigneur archevêque de Reims, alors chancelier de
France, et du sire de Gaucourt, alors grand maître de l'hôtel
du roi, vers la ville de Blois, où étaient arrivés les seigneurs
qui conduisaient le ravitaillement, à savoir les seigneurs de
Rais et de Boussac, maréchaux de France, avec lesquels étaient le seigneur de Culan, amiral de France, La Hire, et
le seigneur Ambroise de Loré, nommé par la suite prévôt de
Paris. Tous ensemble, avec Jeanne la Pucelle, et les hommes
d'armes conduisant le ravitaillement, vinrent en armée ordonnée,
par la Sologne, directement jusqu'au bord de la Loire,
en face de l'église appelée Saint-Loup, dans laquelle se trouvaient
des Anglais nombreux et courageux. Aussi parut-il
audit seigneur déposant et aux autres capitaines que les
troupes royales, c'est-à-dire ces hommes d'armes accompagnant le ravitaillement, n'étaient pas suffisantes pour faire face et conduire les vivres jusque dans la cité ; et surtout il leur
parut que les nefs ou bateaux, nécessaires pour aller chercher
le ravitaillement, et difficiles à obtenir, devraient remonter
le courant de l'eau avec un vent tout à fait contraire. Alors
Jeanne s'adressa au seigneur déposant en ces termes : « Êtesvous
le bâtard d'Orléans ? » Il répondit : « Oui, je le suis, et
je me réjouis de votre arrivée ». Elle reprit : « Est-ce vous
qui avez donné le conseil de me faire venir ici, de ce côté de
la rivière, et de ne pas aller directement où se trouvent
Talbot et Anglais ? » Il répondit que lui, et d'autres plus sages
encore, avaient donné ce conseil, croyant agir au mieux et
plus sûrement. Jeanne reprit alors en ces termes : « En nom
Dieu, les conseils de Dieu, mon Seigneur, sont plus sûrs et
plus sages que les vôtres. Vous avez cru m'abuser, et vous vous êtes bien plus abusés vous-mêmes, car je vous apporte le
meilleur secours qui aura jamais été donné à un combattant
ou à une cité, c'est le secours du Roi des cieux. Il ne vient
pas cependant pour l'amour de moi : il vient de ce Dieu qui, à la requête de saint Louis et de saint Charlemagne, eut
pitié de la ville d'Orléans, et ne souffrit pas que les ennemis
eussent et le corps du seigneur d'Orléans et sa ville ».
Dit en outre ledit déposant qu'aussitôt, comme à l'instant,
le vent qui était contraire, et très opposé à la montée des
bateaux chargés de ravitaillement pour Orléans, changea
et devint favorable ; aussi les voiles furent immédiatement
tendues ; ledit déposant monta sur les bateaux, accompagné
de frère Nicolas de Géresme, maintenant grand prieur de
France, et ils passèrent au-delà de l'église Saint-Loup en dépit
des Anglais. Dès lors le déposant eut grand confiance en
Jeanne, plus qu'auparavant ; il la supplia de bien vouloir
traverser le fleuve de Loire et entrer dans la ville d'Orléans,
où elle était fort réclamée. Elle fit la-dessus des difficultés
déclarant ne pas vouloir abandonner sa troupe, des
hommes d'armes bien confessés, pénitents et de bonne volonté
; aussi refusait-elle de venir. Le déposant alla auprès
des capitaines qui avaient la charge de mener ces hommes d'armes ; il les supplia et requit, pour les besoins du roi,
d'accepter que Jeanne entrât dans la cité d'Orléans, et
quand à eux d'aller à Blois, avec leurs troupes, où ils traverseraient
la Loire pour se rendre à Orléans ; il n'y avait en
effet aucun passage plus proche. Les capitaines acquiescèrent à cette requête et consentirent à traverser à Blois. Alors
Jeanne partit avec le sire déposant, ayant en mains son étendard,
qui était blanc, avec l'image de Notre Seigneur tenant
une fleur de lys ; avec elle La Hire traversa aussi le fleuve
Loire, et ils entrèrent ensemble dans la ville d'Orléans. De
toute cette relation il paraît audit sire déposant que Jeanne,
dans sa conduite de la guerre, était menée plus par Dieu que
par un esprit humain, attendu le changement de vent arrivé
subitement après ses paroles donnant l'espoir d'un secours,
attendu l'entrée du ravitaillement malgré les Anglais, beaucoup
plus forts que l'armée royale, compte tenu en outre que
cette jeune fille affirmait avoir eu la vision de saint Louis et
de Charlemagne priant Dieu pour le salut du roi et de cette cité.
De même par autre conjecture il croit qu'elle agissait inspirée
par Dieu. En effet, lorsque ledit sire déposant voulut
aller chercher les hommes d'armes pour traverser à Blois et
porter secours à ceux de la cité [d'Orléans], Jeanne ne voulut
plus attendre et donner au déposant son accord pour le départ
; elle voulait au contraire soit faire sommation aux Anglais
assiégeant la cité pour la levée du siège, soit donner l'assaut.
Ce qu'elle fit. Elle somma les Anglais, par une lettre rédigée
dans sa langue maternelle, en des termes très simples, dont
la substance était qu'ils eussent à lever le siège et à partir pour
le royaume d'Angleterre ; sinon elle leur ferait si grand assaut
qu'ils seraient forcés de partir. Cette lettre fut envoyée au
sire Talbot ; et alors qu'auparavant, au dire du déposant,
des Anglais au nombre de deux cents faisaient fuir huit cents
ou mille hommes de l'armée royale, à partir de ce moment
quatre ou cinq cents hommes du roi, livrant combat à presque toutes
les forces anglaises, pressaient les Anglais du siège
au point que ceux-ci n'osaient pas sortir de leurs abris et
bastilles.
De même par autre conjecture croit qu'elle agissait de
par Dieu : en effet le [7] mai, de bon matin, au début de l'assaut
contre les ennemis établis sur le boulevard du pont,
Jeanne fut blessée d'une flèche ; celle-ci pénétra dans les chairs entre le cou et l'épaule d'un demi-pied. Néanmoins,
malgré cela, elle n'abandonna pas la bataille, ni ne prit de
remède pour la blessure. L'assaut cependant dura depuis
matines jusqu'à la huitième heure du soir, si bien qu'on n'espérait
plus une victoire ce jour là ; aussi ledit sire déposant en
avait assez et voulait que l'armée revînt vers la ville. Alors
la Pucelle s'approcha, lui demandant d'attendre encore un
peu ; elle-même, montant à cheval, se retira vers une vigne,
assez loin des troupes ; elle se tint en prière dans cette vigne
pendant un demi quart d'heure. Puis elle revint, prit aussitôt
en main son étendard, le plaça sur le bord du fossé ; à l'instant
où elle fut là, les Anglais tremblèrent et prirent peur ; les
soldats du roi reprirent courage et commencèrent à monter,
livrant assaut au boulevard, sans rencontrer aucune résistance.
Le boulevard fut alors pris, et les Anglais qui s'y trouvaient
mis en fuite et tous moururent. Ledit sire déposant
dit entre autres que Classidas et les principaux autres capitaines
anglais de cette bastille, croyant faire retraite dans
la tour du pont d'Orléans, tombèrent dans le fleuve et se
noyèrent. Or, ce Classidas avait été celui qui parlait de la
Pucelle le plus injurieusement, avec le plus de mépris et
d'ignominie. Une fois la bastille prise, le déposant et la Pucelle
retournèrent avec les autres Français dans la cité d'Orléans,
où ils furent reçus avec grande joie et reconnaissance ; et
Jeanne fut conduite à son logement pour que sa blessure reçût
des soins. Une fois les soins donnés par un chirurgien, elle
se restaura en prenant quatre ou cinq rôties dans du vin,
coupé de beaucoup d'eau, et elle ne prit aucune autre nourriture
ou boisson de tout le jour. Le lendemain, de bon matin,
les Anglais sortirent de leurs tentes et se rangèrent en bataille
pour le combat. A cette vue, la Pucelle se leva de son
lit et mit seulement un habit appelé en français jasseran ;
elle décida cependant que personne n'attaquerait les Anglais, ni leur réclamerait rien, mais qu'on les laisserait partir. Et
ils partirent en fait, sans que personne alors les poursuivît.
Dès ce moment la ville fut délivrée des ennemis.
De même dit le sire déposant qu'après le siège de la ville
d'Orléans la Pucelle, accompagnée du déposant et autres
capitaines, se rendit auprès du roi au château de Loches,
pour lui demander d'envoyer des gens de guerre reprendre
les châteaux et villes situés sur la Loire, à savoir Meung,
Beaugency et Jargeau ; ce qui permettrait de poursuivre plus
librement et plus sûrement au-delà jusqu'à Reims, pour le
sacre. Elle pressait le roi à ce sujet avec beaucoup d'insistance
et fréquemment, pour qu'il se hâtât, qu'il n'attendît pas
davantage. Alors le roi fit toute la diligence possible, envoya
le duc d'Alençon, ledit seigneur déposant et les autres capitaines
avec Jeanne afin de reprendre villes et châteaux ; de
fait on les remit dans l'obéissance royale en peu de jours,
grâce à la Pucelle, comme le croit le seigneur déposant, interrogé
sur cela et entendu.
De même déclare ledit seigneur, sur ce interrogé, qu'après
la levée du siège d'Orléans les Anglais rassemblèrent une
grande armée pour défendre les localités et châteaux susdits,
qu'ils tenaient. Le château et le pont de Beaugency étant
assiégés [par les Français], l'armée anglaise se dirigea
vers le château de Meung-sur-Loire, encore dans l'obéissance
des Anglais ; mais elle ne put secourir les assiégés du château
de Beaugency. Lorsque les Anglais apprirent que le château
avait été pris et placé dans l'obéissance du roi [de France],
ils se réunirent en une seule armée, si bien que les Français
crurent qu'ils allaient fixer un jour pour la bataille. Aussi
les Français ordonnèrent leur armée et se rangèrent en bataille,
en attendant les Anglais. Alors le sire duc d'Alençon,
en présence du seigneur connétable, du sire déposant et de
plusieurs autres, demanda à Jeanne ce qu'il devait faire.
Elle lui répondit à haute voix : « Avez-vous de bons éperons ? » A ces mots les assistants demandèrent à Jeanne : « Que
dites-vous ? Devrions-nous tourner les talons ? » Alors Jeanne
répondit : « Non ! Ce seront les Anglais qui ne se défendront pas et seront vaincus et il vous faudra des éperons pour leur
courir sus ». Il en fut ainsi : les Anglais s'enfuirent et, tant
morts que prisonniers, il y en eut plus de quatre mille.
De même déclare ledit seigneur bien se rappeler, en vérité,
que, le roi se trouvant au château de Loches, le déposant
et la Pucelle allèrent le voir après la levée du siège d'Orléans
; le roi était dans sa chambre, en français, de retrait,
avec le sire Christophe d'Harcourt, évêque de Castres, confesseur
du roi et le sire de Trêves, autrefois chancelier de
France ; avant de pénétrer dans cette chambre, elle frappa à la porte ; et, aussitôt entrée, elle se mit à genoux, tint embrassées
les jambes du roi en disant ces mots ou d'autres
semblables : « Noble dauphin, ne tenez plus davantage de
délibérations, et si longues ; venez au plus tôt à Reims pour
prendre une digne couronne ». Alors le susdit Christophe
d'Harcourt, s'adressant à elle, lui demanda si elle tenait
cela de son conseil ; et Jeanne répondit oui, elle avait été fort
poussée à cela. Ledit Christophe s'adressa de nouveau à
Jeanne : « Ne voulez-vous pas dire ici, en présence du roi, de
quelle façon se manifeste votre conseil, quand il vous parle ? »
Elle lui répondit en rougissant : « Je sais assez ce que vous voulez savoir, et je vous le dirai volontiers ». Le roi lui
dit alors : « Jeanne, vous plairait-il bien de faire une déclaration
sur ce qu'il demande, ici, en présence des assistants ? »
Elle répondit au roi oui, et s'exprima en ces termes, ou en
d'autres semblables : quand elle était mal contente de quelque
manière, parce qu'on ne la croyait pas en ce qu'elle disait de
la part de Dieu, elle se tirait à part et priait Dieu, se plaignant à lui de ce que ses interlocuteurs ne la croyaient pas facilement
; et une fois sa prière à Dieu faite, elle entendait alors
une voix lui dire : « Fille Dé, va, va, va, je serai à ton aide,
va » ; et quand elle entendait cette voix, elle se réjouissait
fort, et désirait en outre rester toujours dans le même état ;
et, ce qui est encore plus fort, en répétant les paroles de ses
voix elle avait des élans de joie admirables, en levant les yeux
vers le ciel.
De même le déposant, interrogé, déclare se rappeler qu'après lesdites victoires les princes du sang royal et les capitaines
voulaient que le roi allât en Normandie et non à Reims ;
mais la Pucelle fut toujours d'avis qu'il fallait aller à Reims
pour faire sacrer le roi ; et elle en donnait la raison, disant que,
une fois le roi couronné et sacré, la puissance de ses ennemis
irait toujours en diminuant, et que ceux-ci à la fin ne pourraient
plus nuire ni au roi, ni au royaume. Tous se rallièrent à cet avis. Le premier endroit où le roi s'arrêta et prit position
avec son armée fut devant la cité de Troyes. Là il tint conseil
avec les princes du sang et les autres capitaines pour aviser
si on s'arrêterait devant ladite cité, pour l'assiéger et la prendre
ou s'il était préférable de passer au-delà, en allant droit, à Reims, et en abandonnant la cité de Troyes. Le conseil
du roi se partagea en divers avis, hésitant sur ce qui serait
le plus utile. La Pucelle vint, entra au conseil, et dit ces paroles
ou d'autres semblables : « Noble dauphin, ordonnez à
vos troupes d'assiéger la ville de Troyes, sans poursuivre de
plus longues délibérations, car, en nom Dieu, avant trois
jours je vous ferai entrer dans cette cité, par amour ou par
puissance et force ; et la Bourgogne, pleine de fausseté, sera
très stupéfaite ». Alors la Pucelle avança aussitôt avec l'armée
royale, fixa les tentes au long des fossés, et prit telles
admirables précautions que n'auraient pas prises deux ou
trois chefs de guerre plus exercés et plus fameux. Elle travailla
tant cette nuit-là que le lendemain l'évêque et les
citoyens de la cité, effrayés et tremblants, se placèrent dans
l'obéissance royale. Comme on le sut plus tard, à partir du
moment où Jeanne donna son avis au roi de ne pas abandonner
la cité, ces citoyens perdirent courage et ne cherchèrent
qu'à fuir et se réfugier dans les églises. Une fois cette cité
rentrée dans l'obéissance au roi, celui-ci partit pour Reims,
où il trouva une entière soumission et où il fut sacré et couronné.
De même le déposant, interrogé sur la vie et les mœurs
de la Pucelle, déclare qu'elle avait l'habitude, tous les jours, à l'heure des vêpres ou crépuscule, de se retirer dans une église
et d'y faire sonner les cloches pendant une demi heure ; elle rassemblait les religieux mendiants qui suivaient l'armée
royale, se mettait alors en prière et faisait chanter par ces
frères mendiants une antienne à la sainte Vierge, mère de
Dieu.
Dit en outre ledit déposant, interrogé sur ce, que le roi
arrivant à La Ferté et à Crépy en Valois, le peuple vint au
devant de lui, plein d'allégresse et criant : « Noël ». Alors
la Pucelle, qui chevauchait entre l'archevêque de Reims et
ledit déposant, dit ces paroles : « Voici un bon peuple ! Je n'ai
jamais vu autre peuple qui tant se réjouît à la venue d'un
si noble roi ; et puissé-je être assez heureuse, à la fin de mes
jours, d'être inhumée en cette terre ! » Entendant cela, ledit
seigneur archevêque dit : « O Jeanne ! en quel lieu avez-vous
espoir de mourir ? » Elle répondit : « Où cela plaira à Dieu,
car je ne sais pas plus que vous ni le temps, ni le lieu. Et
puisse-t-il plaire à Dieu, mon créateur, que je me retire,
abandonnant les armes, et que j'aille servir mon père et ma
mère, en gardant leurs moutons, avec ma soeur et mes frères,
qui se réjouiraient beaucoup de me voir ».
De même ledit sire, interrogé sur la vie, les vertus et la
conduite de Jeanne au milieu des hommes d'armes, déclare et
atteste qu'elle dépassait en tempérance toute autre personne
vivante ; et il entendit souvent les propos du sire Jean d'Aulon,
chevalier, maintenant sénéchal de Beaucaire, placé et désigné
par le roi pour accompagner la Pucelle et la protéger,
parce qu'il était sage chevalier et d'une honnêteté exemplaire.
Ce chevalier disait ne pas croire qu'il existât femme
plus chaste qu'elle. Affirme en outre ledit déposant que lui
et d'autres de même, se trouvant en la compagnie de cette
Pucelle, n'avaient aucune intention ni désir d'avoir commerce
avec une femme ou d'en fréquenter une ; ce qui paraît au déposant
comme chose venant presque de Dieu. Dit enfin que
quinze jours après qu'il eût fait prisonnier le comte de Suffolk,
lors de la reddition de Jargeau, on envoya à ce comte un petit
papier contenant quatre vers : ils faisaient mention d'une Pucelle devant venir du Bois Chenu, chevauchant sur le dos
des archers et contre eux.
Pour terminer, dit entre autres ledit déposant, sur ce interrogé,
que Jeanne, afin de stimuler les soldats, plaisantait
sur des faits d'armes, ou beaucoup de choses touchant à la
guerre, qui peut-être n'avaient pas été exécutés ; cependant
quand elle parlait sérieusement de la guerre, de ses propres
actions et de sa vocation, jamais elle n'affirmait autre chose
que ceci : elle avait été envoyée pour faire lever le siège d'Orléans,
pour secourir le peuple opprimé de cette ville et des
lieux avoisinants, et pour conduire le roi à Reims afin qu'il
fût sacré.
Et primo, de anno Domini M CCCC LV., die XXIIa februarii, pro parte
predictorum Ysabellis, Petri et Iohannis Darc, coram Nobis
fuit productus, receptus, iuratus et examinatus, atque quoad actum
deponendi absolutus, dominus Iohannes, comes Dunensis, qui, tam
super articulis, quam interrogatoriis, deposuit in modum qui sequitur,
presentibus magistris Guillermo Boullé, decano noviomensi,
et Iohanne Patin, subinquisitore heretice pravitatis, ordinis
fratrum predicatorum, sacre theologie professoribus.
Super IV° et VIII° articulis, et super VII° interrogatorio
promotoris, de adventu apud regem, de conversacione dicte Iohanne
cum armatis et in artibus bellicis, similiter de devocione, pietate
et ceteris virtutibus ipsius, aliis de voluntate producentis omissis,
illustrissimus princeps, dominus Iohannes, cornes Dunensis et de
Longavilla, locumtenens generalis domini nostri regis in facto guerre,
etatis LI annorum, vel eocirca,
Interrogatus si ipsam Iohannam verissimiliter credat missam a
Deo fuisse ad actus bellicosos exercendos, magis quam ab industria
humana ?
"Respondet quod crédit ipsam Iohannam esse
a Deo missam, et actus eius in bello esse pocius divino aspiramine
quam spiritu humano."
Interrogatus quid movet eum ?
"Dicit quod propter multas coniecturas, que secuntur.
Et primo, asserit quod, ipso existente in civitate aurelianensi,
tunc obsessa ab Anglicis, venerunt nova seu rumores quod per villam de Gyen transierat quedam iuvencula, vulgariter dicta Puella,
asserens se accedere ad nobilem Dalphinum, pro levando obsidionem
aurelianensem et pro conducendo ipsum Dalphinum Remis, ad sacrandum
; et, quia ipse dominus deponens habebat custodiam dicte civitatis,
eratque locumtenens regis in facto guerre generalis, ut amplius
informaretur de veritate illius Puelle, misit ad regem dominum de
Villars, senescallum de Beaucaire, et Iametum de Tillay,
qui postea fuit baillivus viromandensis ; qui, revertentes a rege,
retulerunt domino deponenti et dixerunt publiée, in presencia
tocius populi aurelianensis, multum desiderantis scire veritatem
adventus eiusdem Puelle, quod ipsi viderant ipsam Puellam applicari
apud regem, in villa de Chinon. Dicebantque quod ipse rex
prima fronte noluit eam recipere ; ymo fuit dicta Puella per spacium
duorum dierum exspectans antequam accedere permicteretur ad presenciam
ipsius regis ; licet ipsa Puella perseveranter diceret quod veniebat
ad levandum obsidionem aurelianensem, et conducendum dictum nobilem
Dalphinum Remis, ut consecraretur ; requirens instanter societatem
hominum, equos et arma. Transacto autem trium ebdomadarum aut unius
mensis spacio, quo pendente tempore rex iusserat dictam Puellam
examinari per clericos, prelatos et doctores théologie, super
dictis suis et factis, ad sciendum si secure posset eam recipere,
rex ipse fecit congregari multitudinem armatorum, pro conducendo
victualia apud dictam civitatem aurelianensem. Sed, audita opinione
dictorum prelatorum ; et doctorum, scilicet quod nichil erat mali
in dicta Puella, misit eamdem ; in societate domini archiepiscopi
remensis, tunc cancellarii Francie, ac domini de Gaucourt, nunc
magni magistri hospicii regis, ad villam de Bloys, in qua
venerunt domini qui conducebant victualia, scilicet domini de
Res et de Boussac, marescalli Francie cum quibus erant
dominus de Culen, admiraldus Francie, la Hire, et
dominus Ambrosius de Loré postea factus prepositus
parisiensis ; qui omnes insimul, cum armatis conducentibus victualia
et Iohanna Puella, venerunt a parte de la Sauloigne, in excercitu
ordinato, usque ad ripam de Ligeris, de directo, usque et iuxta
ecclesiam que dicitur Sancti Lupi, in qua erant Anglici multi et
fortes. Et, quia excercitus regis, seu armatorum conducencium huiusmodi
victualia, non videbatur dicto domino deponenti et aliis dominis
capitaneis suffîciens ad resistendum, et conducendum ipsa
victualia infra civitatem, ymo maxime, quia opus erat habere naves
seu bastellos, quas seu quos cum difficultate habere poterant, pro
eundo quesitum dicta victualia, quia opportebat ascendere contra
cursum aque, et ventus erat totaliter contrarius, tunc ipsa Iohanna
dixit verba que sequuntur : "Estis vos bastardus aurelianensis
?" Qui respondit : "Ita sum, et letor de adventu
vestro". Tunc ipsa dixit eidem domino deponenti : "Estis
vos qui dedistis consilium quod venerim huc, de isto latere riparie
; et quod non iverim de directo ; ubi erat Tallebot et Anglici ?"
Qui deponens respondit quod ipse et alii, sapienciores eo, dederant
illud consilium, credentes melius facere et securius. Tunc ipsa
Iohanna dixit in isto modo : "En nom Dieu, consilium Dei
Domini nostri est securius et sapiencius quam vestrum. Vos credidistis
me decipere ; et vos vosmetipsum plus decipitis, quia ego adduco
vobis meliorem succursum quam venerit unquam cuicumque militi aut
civitati ; quia est succursus a Rege celorum. Non tamen amore mei,
sed procedit ab ipso a Deo, qui, ad requestam sancti Ludovici et
sancti Karoli Magni, habuit pietatem de villa aurelianensi, nec
voluit pati quod inimici haberent corpus domini aurelianensis et
eius villam". Dicitque preterea dictus deponens quod statim,
et quasi in momento, ventus, qui erat contrarius et maxime impediens
ne ascenderent naves, in quibus erant victualia, ad civitatem aurelianensem,
mutatus est et factus ei propicius. Quare statim tensa sunt vela,
et dictus deponens intravit bastellos seu naves ; et cum eo frater
Nicolaus de Geresme, nunc magnus prior Francie ; et transiverunt
ultra ecclesiam Sancti Lupi, invitis Anglicis. Extunc dictus deponens
habuit bonam spem de ea, et plus quam ante, sibique tunc supplicavit quod ipsa vellet transire fluvium Ligeris, et intrare
villam aurelianensem, ubi plurimum erat desiderata. De qua re fecit
difficultatem, dicens quod nollebat dimictere gentem suam, seu armatos
homines, qui erant bene confessi, penitentes et bone voluntatis
; et propterea recusabat venire. Dictus deponens ivit ad capitaneos
guerre, qui habebant onus conducendi dictos armatos, quibus supplicavit
et requisivit quod, pro utilitate regis, ipsi vellent contentari
quod dicta Iohanna intraret civitatem aurelianensem, et quod ipsi
capitanei cum societate sua irent apud Blesis, ubi transirent Ligerim,
pro veniendo aurelianensem, quia alibi non reperiebatur passagium
propinquius. Quam requestam dicti capitanei receperunt, et consenserunt
transire Blesis. Et tunc ipsa Iohanna venit cum dicto domino déponente,
portans in manu sua suum vexillum, quod erat album, et in quo erat
figura Domini nostri, tenens florem in manu sua lilii. Transivitque
cum ea fluvium Ligeris la Hire. Intraverunt simul in villa
aurelianensi. Ex quibus iam recitatis, videtur dicto domino deponenti
quod dicta Iohanna, et eius facta in excercitu bellico erant pocius
a Deo quam ab homine, actentis mutacione venti subito facta, postquam
locuta est, dando spem succursus, et introductione victualium, invitis
Anglicis, qui longe forciores erant excercitu regio ; considerato
preterea quod illa iuvencula asserebat in visione habuisse quod
sancti Ludovicus et Karolus magnus orabant Deum pro salute regis
et illius civitatis.
Item, per aliam coniecturam credit facta sua esse a
Deo : quia dictus dominus deponens, dum vellet ire quesitum armatos
qui transibant Blesis, ad prebendum adiutorium illis de civitate
predicta, ipsa Iohanna vix volebat exspectare, et dare consensum
eidem deponenti, ut iret ad eos ; ymo volebat summare Anglicos obsidentes
illam civitatem, antequam intentarent levare illam obsidionem, aut
dare eis insultum. Quod et fecit, quia summavit dictos Anglicos,
per unam licteram suo materno ydyomate confectam, verbis bene simplicibus
; continentem in substancia quod ipsi Anglici recedere vellent de
obsidione, et irent ad regnum Anglie ; alias ipsa daret eis ita
magnum insultum quod cogerentur recedere. Et fuerunt misse dicte
lictere domino de Tallebot ; et ab illa hora ille dominus
qui deponit asserit quod Anglici, qui prius in numero ducenti fugabant
octo centum aut mille de excercitu regis, a post et extunc quatuor
centum aut quinque armatorum seu pugnancium pugnabant in conflictu
quasi contra totam potestatem Anglicorum ; et sic cogebant Anglicos
existentes in obsidione aliquociens, quod non audebant exire de
suis fefugiis et bastilliis.
Item, per aliam coniecturam crédit facta sua
a Deo esse, quia die septima maii, bene mane, dum inchoaretur insultus
contra adversarios existentes infra bollevardum Pontis, dicta Iohanna
fuit vulnerata ex una sagicta, que penetravit carnem suam inter
collum et spatulas, de quantitate dimidii pedis. Nichilominus, hoc
non obstante, non cessavit a conflictu, nec cepit medicamentum contra
vulnus. Duravitque insultus ab hora matutina usque ad octavam de
vespere, sic quod non erat quasi spes de victoria illo die. Propter
quod dictus dominus deponens satagebat et volebat quod excercitus
retraheretur ad civitatem. Et tunc dicta Puella venit ad eum, et
requisivit quod adhuc paulisper exspectaret. Ipsaque ex illa hora
ascendit equum, et sola recessit in unam vineam, satis longe a turba
hominum ; in qua vinea fuit in oracione quasi per spacium dimidii
quarti hore. Ipsa autem, regressa ab illo loco, statim cepit suum
vexillum in manibus eius, posuitque se supra bordum fossati ; et
in instanti, ipsa ibi existente, Anglici fremuerunt et pavidi effecti
sunt. Armati vero regis resumpserunt animum, et ceperunt ascendere,
dando insultum contra boullevardum, non reperientes quamcumque resistenciam.
Et ex tunc dictum boullevardum fuit captum, et Anglici existentes
in illo conversi sunt in fugam ; omnes autem mortui. Et inter cetera
dicit dictus dominus deponens quod Classidas, et alii principales
capitanei Anglicorum dicte bastillie, credentes se retrahere in
turri pontis aurelianensis, ceciderunt in fluvium et submersi sunt.
Ipse autem Classidas fuerat ille qui plus iniuriose et cum
maiori ignominia seu vilipensione loquebatur de dicta Puella. Capta
vero ipsa bastillia, reversi sunt dictus deponens et ipsa Puella,
cum aliis Gallicis, infra civitatem aurelianensem, in qua recepti
sunt cum ingenti gaudio et pietate. Fuitque ipsa Iohanna ducta ad
hospicium suum, ut prepararetur vulnus eius. Qua preparacione facta
per cirurgicum, ipsa cepit refectionem suam, sumendo quatuor vel
quinque vipas in vino mixto multa aqua, nec alium cibum aut potum
sumpsit pro toto die. In crastino vero, summo mane, Anglici exierunt
de suis tentoriis, et ordinaverunt se in excercitu pro pugnando.
Quo viso, dicta Puella surrexit de lecto, et armavit se solum uno
habitu, gallice jasseren, Non tamen voluit tunc quod aliquis
invaderet dictos Anglicos, nec aliquid peteretur ab eis ; sed quod
permicterentur abire ; sicut et de facto abierunt, nemine eos tunc
persequente. Ex qua hora dicta villa fuit ab hostibus liberata.
Item, dicit dominus deponens quod, post obsidionem ville
aurelianensis levatam dicta Puella, cum dicto domino deponente et
aliis capitaneis guerre, accessit ad regem existentem in Castro de Loches, pro requirendo eum ut mandaret armatos ad recuperandum
castra et villas supra fluvium Ligeris situatas, videlicet Meun,
Baugency et Gergueau, ad finem ut liberius et securius
procederet ultra, ad suam consecracionem Remis. De qua re ipsa instantissime
et frequenter instigabat regem, ut festinaret, nec tardaret amplius.
Ex tunc, rex fecit omnem diligenciam possibilem, misitque ducem
Alenconii, dictum dominum deponentem et alios capitaneos, cum dicta
Iohanna, pro recuperacione dictarum villarum et castrorum. Que ville
et castra fuerunt reducte de facto ad obedienciam regis, infra paucos
dies, per medium ipsius Puelle, ut credit dictus dominus deponens,
super hoc interrogatus et examinatus.
Item, deponit dictus dominus, super hoc interrogatus,
quod, post liberacionem ville aurelianensis ab obsidione Anglicorum,
ipsi Anglici congregaverunt magnum excercitum armatorum, pro defendendo
villas et castra predictas, quas tenebant. Et obsidione existente
ante castrum et pontem de Baugency, excercitus Anglicorum
applicuit apud castrum de Meun supra Ligerim, quod erat adhuc
in obediencia Anglicorum. Sed, quia ipsi Anglici non potuerunt tunc
succurrere illis Anglicis qui erant obsessi in Castro de Beaugency,
postquam venit ad eorum noticiam quod dictum castrum fuit captum
et reductum ad obedienciam regis, dicti Anglici posuerunt se et
univerunt in uno excercitu, taliter quod Gallici credebant ipsos
Anglicos velle presentare dietam ad pugnandum. Propter quod et ipsi
Gallici ordinaverunt excercitum suum, et disposuerunt se in bello
ad exspectandum dictos Anglicos. Tunc dominus dux Alenconii, in
presencia domini conestabularii, dicti domini deponentis, et aliorum
plurium, peciit a dicta Iohanna quid ipse deberet facere. Ipsa vero
respondit prefato domino alta voce sic : "Habeatis omnes
bona calcaria !" Quo audito, assistentes pecierunt eidem
Iohanne : "Quid dicitis ? Nos ergo terga vertemus ?"
Tunc ipsa Iohanna respondit : "Non ; sed erunt Anglici qui
se non defiendent sed devincentur ; eruntque vobis neccessaria calcaria
ad currendum post eos." Sicut et ita fuit, quia ipsi fugerunt
; et fuerunt, tam mortui, quam captivi, plus quam quatuor milia.
Item, deponit dictus dominus quod bene recordatur et
est verum quod, rege existente in Castro de Loches, dictus
deponens et ipsa Puella iverunt ad eum, post levacionem obsidionis
aurelianensis. Et, dum rex esset in camera sui secreti, gallice
de retrait, in qua erant secum dominus Christoforus de
Harecourt, episcopus castrensis, confessor ipsius regis, et
dominus de Treves, qui alias fuerat cancellarius Francie,
dicta Puella, antequam intraret cameram, percussit ad hostium ;
et, quam cito ingressa fuit, posuit se genibus flexis, et amplexata
est tibias regis, dicens talia verba, vel similia : "Nobilis
Dalphine, non teneatis amplius tot et tam prolixa consilia ; sed
venite quam cicius ad capiendum Remis dignam coronam !" Et
tunc prefatus dominus Christoforus de Harecourt, colloquendo
cum ea, petivit si suum consilium sibi dicebat hec. Ipsa vero Iohanna
respondit : "sic ; quodque erat plurimum stimulata de huiusmodi
re". Et tunc prefatus Christoforus dixit ipsi Iohanne : "Non
velletis vos dicere hic, in presencia regis, modum vestri consilii,
quando loquitur vobis ?" Cui illa respondit, rubescendo
: "Ego concipio", inquit, "satis illud
quod vos vultis scire ; et ego libenter dicam vobis". Ad
quam Iohannam rex ait : "Iohanna, an placeat bene vobis
declarare illud quod petit, in presencia assistencium hic ?"
Et ipsa respondit régi quod sic ; et dixit talia verba, aut
similia : quod, quando erat displicens aliquo modo, quia faciliter
non credebatur ei de hiis que dicebat ex parte Dei, retrahebat se
ad partem et orabat Deum, conquerendo sibi quia faciliter ei non
credebant illi quibus loquebatur. Et oracione facta sua ad Deum,
tunc audiebat unam vocem dicentem sibi : "Fille Dé,
Va ! Va ! Va ! Je seray a ton aide ! Va !" Et quando audiebat
dictam vocem, multum gaudebat ; ymo desiderabat semper esse in illo
statu ; et, quod forcius est, recitando huiusmodi verba suarum vocum,
ipsa miro modo exsultabat, levando suos oculos ad celum.
Item, dicit et recordatur dictus deponens interrogatus,
quod, post predictas victorias, domini de sanguine regis et capitanei
volebant quod rex iret ad Normanniam et non Remis. Sed dicta Puella
semper fuit opinionis quod opportebat ire Remis, ad consecrandum
regem ; addebatque racionem sue opinionis, dicens quod, dum rex
esset coronatus et sacratus, potencia adversariorum diminueretur
semper, nec possent finaliter nocere sibi neque regno. Cuius opinioni
omnes consenserunt. Et primo, locus in quo rex stetit et fixit gradum,
cum suo excercitu, fuit ante civitatem trecensem. Quo ibidem existente,
et tenente consilium cum dominis de suo sanguine, ceterisque capitaneis
guerre, pro advisando si staret ante dictam civitatem, et poneret
obsidionem ad capiendum eam, vel si esset expediens transire ultra,
eundo de directo Remis et dimictendo ipsam civitatem trecensem ;
dicto vero consilio regis in diversas opiniones diviso, et dubitante
quodnam esset utilius, dicta Puella venit et intravit consilium,
dicens talia verba, vel similia : "Nobilis Dalphine, iubeatis
venire gentem vestram et obsidere villam trecensem ; nec protrahatis
amplius longiora consilia, quia, in nomine Dei, ante tres dies,
ego vos intro ducam infra civitatem trecensem, amore vel potencia,
seu fortitudine ; et erit falsa Burgundia multum stupefacta."
Et tunc dicta Puella statim eum excercitu regis transivit, et fixit
tentoria sua iuxta fossata ; fecitque mirabiles diligencias, quas
eciam non fecissent duo vel tres usitati et magis famati homines
armorum, et taliter laboravit in nocte illa quod, in crastino, episcopus
et cives illius civitatis dederunt obedienciam regi, frementes et
trementes ; ita quod postea repertum est quod, a tempore illo quo
dedit consilium regi de non recedendo a civitate, ipsi cives perdiderunt
animum, nec querebant refugium nisi fugere ad ecclesias. Illa autem
civitate ad obedienciam regis reducta, rex ivit Remis, ubi reperiit
totam obedienciam ; fuitque ibi sacratus et coronatus."
Item, interrogatus ipse deponens de vita et conversacione
ipsius Puelle,
"Deponit quod ipsa habebat illum morem, in hora
vesperorum seu crepusculi noctis, omnibus diebus, quod se retrahebat
ad ecclesiam, et faciebat pulsari campanas quasi per dimidiam horam
; congregabatque religiosos mendicantes, qui sequebantur exercitum
regis ; et illa hora se ponebat in oracione, faciebatque decantari
per illos fratres mendicantes unam antiphonam de Virgine beata matre
Dei.
Dicit ultra super hoc interrogatus dictus deponens quod,
rege veniente apud la Ferté et apud Crespy en Valoys,
veniebat populus obviam regi, exsultans et damans ; "Noël
!" tunc ipsa Puella, equitando inter archiepiscopum remensem
et dictum dominum deponentem, dixit verba que sequuntur : "Ecce
bonus populus ! Nec vidi quemeumque alium populum qui tantum letaretur
de adventu tam nobilis regis. Et utinam ego essem ita felix, dum
ego finirem dies meos, quod ego possem inhumari in ista terra !"
Quo audito, prefatus dominus archiepiscopus dixit : "O Iohanna,
in quo loco habetis vos spem moriendi ?" Ad quod respondit
: "Ubi placebit Deo ; quia ego non sum secura, neque de
tempore, neque de loco, amplius quam vos scitis ; et utinam placeret
Deo Creatori meo, quod ego nunc recederem, dimictendo arma, et irem
ad serviendum patri et matri in custodiendo oves ipsorum, cum sorore
et fratribus meis, qui multum gauderent videre me"."
Item, interrogatus dictus dominus de vita, virtutibus
et conversacione ipsius Iohanne inter armatos,
"Dicit et deponit quod, de sobrietate a nullo vivente
superabatur ; et multociens audivit dictus deponens a domino Iohanne d'Olon, milite, nunc senescallo de Beaucaire, quem
rex posuerat et constituerat quasi pro custodia ipsius, sicut sapienciorem
et probitate recommendatum militem, in societate dicte Puelle, quod
non credit aliquam mulierem plus esse castam quam ipsa Iohanna Puella
erat. Affirmat preterea dictus deponens quod ipse similiter et alii,
dum erant in societate ipsius Puelle, nullam habebant voluntatem
seu desiderium communicandi seu habendi societatem mulieris ; et
videtur ipsi deponenti quod erat res quasi divina.
Dicit denique quod, post quindecim dies a tempore quo
dominus comes de Chuffort effectus est prisionnarius eius,
in capcione de Gergueau, fuit transmissa dicto comiti de
Chuffort una cedula papirea, in qua continebantur quatuor versus,
facientes mencionem quod una Puella ventura est du Boys Chanu,
et equitaret super dorsum architenencium et contra ipsos.
Denique inter cetera dicit dictus deponens, super hoc
interrogatus, quod, licet dicta Iohanna aliquociens iocose loqueretur
de facto armorum, pro animando armatos, de multis spectantibus ad
guerram, que forte non fuerunt ad effectum deducta ; tamen, quando
loquebatur seriose de guerra, de facto suo et sua vocacione, nunquam
affirmative asserebat, nisi quod erat missa ad levandum obsidionem
aurelianensem ac succurrendum populo oppresso in ipsa civitate et
locis circumiacentibus, et ad conducendum regem Remis, pro consecrando
eumdem regem.
Sources :
- Texte latin : "La rédaction épiscopale d procès de 1455-1456" - Paul Doncoeur et Yvonne Lanhers, 1961
- Traduction : Pierre Duparc, t.II, p.2 et suiv.
Présentation du témoin :
Les informations commencèrent à Orléans
par le comte de Dunois. C'était justice. Il avait reçu
l'envoyée du Ciel à Orléans en qualité
de lieutenant général du roi pour le fait de la guerre.
La brillante rescousse de Montargis avait déjà révélé
son talent. Le bâtard d'Orléans, comme on l'appelait
et comme il s'appelait alors lui-même, combattit à
côté de la Libératrice jusques à la tentative
contre Paris. Il lui était réservé d'accomplir
ce que les intrigues de cour empêchèrent la Pucelle
de réaliser, recouvrer Paris et chasser les Anglais. C'était
fait lorsque, le 22 février 1456, le bâtard d'Orléans,
devenu le comte de Dunois, vint lui rendre le bel hommage que l'on
va lire. Le conquérant de la Normandie et de la Guyenne était
au comble de la gloire, et le personnage le plus influent auprès
de Charles VII. Dunois était homme de foi. On voit au château
de Beaugency un cabinet de retrait, d'environ 3 ou 4 mètres
de côté, où ses armes sont plusieurs fois reproduites.
On y lit en gros caractères trois fois répétée
cette prière du psalmiste : Cor mundum crea in me, Deus;
créez en moi Seigneur, un cœur pur.
Il voulut être enterré à Notre-Dame de
Cléry où l'on montre son tombeau. Puisque Dunois était
âgé de cinquante et un ans en 1456, il devait en avoir
de vingt-six à vingt-sept en 1429.
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