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Procès
de réhabilitation
V-1 - 1ère
déposition de Guillaume Manchon en 1452 |
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En premier lieu messire Guillaume Manchon, prêtre, notaire de la cour archiépiscopale de Rouen, âgé de cinquante huit ans ou environ, témoin juré et entendu l'an du Seigneur 1452, le mardi, second jour du mois de mai.
1. Sur le Ier article, il affirme par serment que l'article est véridique, par ce qu'il a entendu et compris dans les écrits ; et cela est notoire.
2. Sur le IIe article, qui commence par « De même encore », il affirme par serment qu'il est véridique, en raison de ce qu'il a entendu, à savoir que Jeanne, prise par un hommede l'entourage du comte de Ligny, fut conduite au château de Beaurevoir et détenue là pendant trois mois ; et ensuite, en vertu de lettres du roi d'Angleterre et de monseigneur de Beauvais, conduite à Rouen et placée dans un cachot.
3. Sur le IIIe article qui commence par « De même lesdits Anglais », il affirme croire que si ladite Jeanne avait tenu le parti des Anglais, ils n'auraient pas procédé contre elle aussi rigoureusement qu'ils le firent. Et ne sait rien d'autre.
4. Sur le IVe article, il dit que l'évêque de Beauvais tenait le parti des Anglais et, avant que ledit évêque eût commencé de connaître de la cause, il vit que Jeanne était déjà enchaînée ; et ensuite, après qu'il eût commencé d'en connaître, Jeanne, ainsi enchaînée, fut donnée en garde à quatre Anglais, désignés par cet évêque et l'inquisiteur de la foi, et avertis solennellement qu'ils devaient la garder avec soin. Elle était traitée cruellement et les instruments de torture lui furent montrés à la fin du procès. Elle était alors vêtue d'habits d'homme, et se plaignait de ne pas oser
les quitter, craignant que la nuit ses gardiens ne lui fissent subir quelque violence ; et une fois ou deux elle se plaignit audit évêque de Beauvais, au sous-inquisiteur et à maître Nicolas Loiselleur que l'un desdits gardiens avait voulu la violer ; pour cette raison le sire de Warwick, sur le rapport fait par lesdits évêque, inquisiteur et Loiselleur, fit de grandes menaces aux gardiens s'ils s'avisaient ultérieurement de faire une autre tentative ; et deux autres gardiens furent désignés de nouveau.
5. Sur le Ve article, à savoir si cet évêque était ou non le juge compétent de Jeanne, il dit qu'il s'en rapporte au droit ; mais on disait qu'elle avait été faite prisonnière en dehors de son territoire et de sa juridiction et qu'elle n'était pas de son diocèse. Et il sait que l'évêque procéda contre elle jusqu'à la sentence définitive, comme cela est contenu dans le procès, auquel il se réfère.
6. Sur le VIe article, il déclare n'avoir jamais vu Jeanne faire quoi que ce soit d'hérétique ou de contraire à la foi catholique ; au contraire il vit qu'elle demandait de recevoir le sacrement de la confession et d'entendre la messe ; quant à ce qui a été avancé contre elle, en matière de vêtements d'homme, de visions d'anges et de saints, etc., et autres points énumérés dans le procès, il s'en rapporte aux gens savants. Il dit cependant que d'après la renommée elle avait été jugée avec haine et hostilité, et non pas selon la vérité ; c'est pourquoi le témoin vit plusieurs personnes pleurer après sa condamnation ; et à la fin de sa vie elle s'abandonna avec grand dévotion à Dieu, à la bienheureuse Vierge Marie et aux saints.
7. Sur le VIIe article, il s'en rapporte au procès.
8. Sur le VIIIe article, il déclare que les réponses de Jeanne sont assez connues par le procès. Il sait cependant que maître Jean de La Fontaine et deux frères de l'ordre des prêcheurs furent envoyés à Jeanne six semaines avant le prononcé de la sentence, pour l'avertir de se soumettre à l'Église, parce que, au jugement de tous, elle ne paraissait pas comprendre la nature de l'Église. Ce La Fontaine, il est vrai, par crainte des Anglais et à cause de leurs menaces, fut contraint de s'enfuir ; quant aux autres maîtres, ils réussirent à grand peine à obtenir la paix. Il ajoute que maître Jean Lohier, se trouvant alors dans la cité de Rouen et appelé à donner son avis sur le procès, voyant par les autres qu'on ne pouvait juger en sûreté, dit qu'à son avis on ne procédait pas bien ; et il s'en alla, refusant de siéger plus longtemps.
9. Sur le IXe article, il déclare s'en rapporter au procès.
10. Sur le Xe article, il s'en rapporte au droit. Déclare cependant qu'après sa condamnation à résipiscence, elle reprit des vêtements féminins et en fut satisfaite ; mais demanda qu'on la mît avec des femmes dans une prison d'Église, pour être détenue par des ecclésiastiques. Par la suite elle reprit les vêtements d'homme, disant pour s'excuser que si elle avait été mise dans une prison d'Église, elle ne l'aurait pas fait, mais qu'elle n'avait pas osé rester en vêtements féminins avec les gardiens anglais.
11. Sur le XIe article, il s'en rapporte au droit.
12. Sur le XIIe article, il déclare que sur les faits de la capture, du procès, de l'incarcération, de la condamnation et de l'exécution, il y a la voix publique et la renommée. Dit en outre, lui qui parle, que comme notaire il écrivit les réponses et les justifications de ladite Jeanne ; et il arriva que deux autres écrivains, cachés secrètement à proximité, omirent dans leur relation toutes les justifications ; et les juges voulurent que lui, témoin, rédigeât à leur guise, ce qu'il ne fit pas.
Primo dominus Guillelmus Manchon, presbyter, notarius
curiæ archiepiscopalis Rothomagensis, ætatis quinquaginta
octo annorum, vel circa, juratus et examinatus armo Domini MCCCCLII.,
die martis, secunda mensis maii.
Super I. articulo, dicit, per suum sacramentum, articulum
esse verum, quia audivit, et per litteras etiam intellexit ; et
hoc est notorium.
Super II. articulo, qui incipit : « Item quod etiam,
etc. », suo sacramento dicit esse verum, quomam audivit quod,
postquam fuit dicta Johanna capta per unum de societate comitis
de Ligny, fuit ducta ad castrum de Beaurevoir, et ibidem detenta
per tres menses ; et deinde, per litteras regis Angliæ et
domini Belvacensis, fuit adducta apud Rothomagum, et posita in quadam
camera.
Super III. articulo, qui incipit : « Item quod
dicti Anglici, etc. », dicit quod credit quod, si ipsa Johanna
tenuisset partem Anglicorum, non ita rigorose processissent contra
ipsam Johannam sicut fecerunt. Et nescit aliud deponere.
Super IV. articulo, dicit quod episcopus Belvacensis
tenebat partem Anglicorum ; et vidit quod, antequam dictus episcopus
inciperet cognoscere de causa, jam erat ferrata dicta Johanna, et
deinde, postquam incepit cognoscere, dicta Johanna, sic ferrata,
fuit tradita ad custodiendum quatuor Anglicis, ab illo episcopo
et Inquisitore fidei deputatis et adjuratis quod fideliter illam
custodirent. Et crudeliter tractabatur, fueruntque sibi ostensa
tormenta in fine processus. Et tunc erat induta indumento virili,
atque conquerebatur quod non audebat se exuere, formidans ne, de
nocte, ipsi custodes sibi inferrent aliquam violentiam ; atque semel,
aut bis, conquesta fuit dicto episcopo Belvacensi, Subinquisitori
et magistro Nicolao Loyselleur, quod alter dictorum custodum voluerat
eam violare ; quibus Anglicis propterea, a domino de Warvik, juxta
relationem ipsorum episcopi, inquisitoris et Loyselleur, minæ
magnæ illatæ sunt, si ulterius id attentare præsumerent
; et, de novo, duo alii custodes commissi.
Super V. articulo, dicit quod, si ille episcopus ipsius
Johannæ erat judex competens, vel non, se refert ad jus ;
sed dicebatur quod apprehensa fuerat infra territorium et juridictionem
suam, et quod de dioecesi sua non erat. Et scit quod contra eam
processit usque ad diffinitivam [sententiam], prout in processu
continetur, ad quem se refert.
Super VI. articulo, dicit quod nunquam vidit quod ipsa
Johanna faceret aliquid hæreticum, vel aliquid quod esset
contra fidem catholicam ; imo vidit quod ipsa petebat sacramentum
confessionis et missam audire ; tamen de propositis contra eam,
de vestibus, visionibus Angelorum et Sanctorum, etc., et aliis quæ
deducta sunt in processu, se refert ad peritos. Dicit tamen quod
fama erat quod ex odio et inimicitia, et non pro veritate, judicabatur
; itaque plures ex condemnatione sua vidit idem testis flentes ;
et in fine dierum committebat se Deo, beatæ Mariæ Virgini
et Sanctis, cum magna devotione.
Super VII. articulo, se refert ad processum.
Super VIII. articulo, dicit quod de responsis ipsius
constat per processum. Scit tamen quod magister Johannes De Fonte
et duo fratres ordinis Prædicatorum fuerunt, per sex hebdomadas
ante prolationem sententiæ, ad ipsam Johannam advertendam
ut se judicio Ecclesiæ submitteret, cum, judicio omnium, videretur
non intelligere factum ipsius Ecclesiæ. Qui quidem De Fonte,
propter metum Anglicorum et minas sibi illatas, aufugere coactus
est ; alii vero magistri cum laboribus pacem suam pertractarunt.
Dicit præterea quod magister Johannes Lohier, tunc temporis
in hac civitate Rothomagensi exsistens, vocatus dicere opinionem
suam super processu, videns quod per alios tute judicari non poterat,
votum suum
dedit quod non bene procedebant, et recessit, nolens ulterius insistere.
Super IX., dicit quod se refert ad processum.
Super X. articulo, se refert ad jus. Dicit tamen quod,
postquam fuit condemnata ad revocandum et assumpsit habitum muliebrem,
ipsa contenta de hujusmodi habitu, ut videbat (1), petiit mulieres
sibi dari cum ea, et mitti ad carceres Ecclesiæ, et quod detineretur
per viros ecclesiasticos ; et postmodum assumpsit habitum virilem,
se excusando quod, si fuisset missa ad carceres Ecclesiæ,
non assumpsisset ipsum habitum virilem, et quod, cum habitu muliebri,
non fuisset ausa se tenere cum custodibus Anglicis.
Super XI. se refert ad jus.
Super XII. dicit quod, de captione, processu, incarceratione, condemnatione
et exsecutione sic factis, est publica vox et fama. Item dicit quod
ipse loquens, tanquam notarius, scripsit responsa et excusationes
dictæ Johannæ ; et contigit quod duo alii scriptores
clam erant prope absconsi, qui in scriptura sua omittebant omnes
excusationes ; et voluerunt judices quod loquens scriberet modo
suo, quod non fecit.
Sources :
- Texte latin : Quicherat - t.II p.297.
- Traduction : Pierre Duparc.
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