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Procès
de réhabilitation
V-4 - Déposition
de l'évêque Jean de Mailly |
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Révérend père dans le Christ, monseigneur Jean de Mailly, évêque de Noyon, âgé de soixante ans environ, témoin produit, reçu, juré et entendu par lesdit seigneurs juges en présence des notaires, le quatorzième jour du mois de janvier, et ensuite rappelé le deuxième jour du mois d'avril, sur les articles présentés dans le procès dit et déclara ce qui suit.
Et d'abord interrogé sur le contenu des Ier, IIe, IIIe et IVe articles, il dit et déclare, sous serment prêté en parole, n'avoir pas eu connaissance de Jeanne avant qu'elle ne fût amenée dans la ville de Rouen, où il la vit deux ou trois fois ; ne se rappelle pas avoir assisté au procès, ni avoir donné un avis.
Interrogé sur le contenu des Ve, VIe, VIIe et VIIIe articles, il ne sait rien.
Sur le contenu des IXe et Xe, il ne se rappelle pas avoir entendu qu'elle eût été inspectée ; sait cependant que si elle a été inspectée et trouvée vierge, cela n'a pas été
mis dans le procès.
Sur le XIe et jusqu'au XXIIIe article, il ne sait rien.
Sur le contenu des XXIIIe, XXIVe et XXVe, il dit et déclare bien se rappeler que, la veille de la prédication faite à Saint-Ouen, il fut présent lors d'une exhortation faite à Jeanne ; mais ne se souvient pas de ce qui fut alors fait. Il fut aussi présent le lendemain, lors de la
prédication faite à Saint-Ouen par maître Guillaume Évrard ;
il y avait deux ambons, soit en français deux « échafauds » ;
dans l'un se trouvaient l'évêque de Beauvais, lui qui parle
et de nombreuses autres personnes ; dans l'autre il y avait
maître Guillaume Évrard, le prédicateur, et Jeanne.
Des paroles prononcées par le prédicateur il n'a aucun
souvenir ; cependant il se rappelle bien une déclaration de
Jeanne, faite ce jour là ou la veille : à savoir si dans ses dits
ou dans ses faits il y avait quelques chose de mal, si elle avait bien ou mal parlé, si elle avait bien ou mal agi, cela provenait
d'elle, et son roi ne lui avait rien fait faire. Il dit aussi qu'après
cette prédication il vit qu'on ordonnait à Jeanne de faire
ou de dire quelque chose, et il croit qu'il s'agissait de l'abjuration ; on lui disait : « Jeanne, faites ce qu'on vous conseille.
Voulez-vous vous faire mourir ? ». Et, vraisemblablement poussée par ces paroles, elle fit l'abjuration. Après cette
abjuration plusieurs disaient que ce n'était rien d'autre qu'une
comédie et qu'elle ne faisait que se moquer. Et un Anglais
parmi d'autres, docteur et clerc, faisant partie des gens du
seigneur cardinal d'Angleterre, déclara à l'évêque de Beauvais qu'il procédait en cette affaire avec trop de douceur,
et se montrait favorable à Jeanne ; l'évêque lui répondit
qu'il mentait ; et alors le cardinal d'Angleterre dit au docteur
de se taire. Déclare aussi qu'ensuite plusieurs des assistants
disaient ne pas se soucier beaucoup de cette abjuration, car ce n'était qu'une comédie ; et, comme il semble au témoin,
Jeanne ne se souciait pas beaucoup de cette abjuration, n'en
tenait pas compte ; et ce qu'elle fît en abjurant ainsi, elle le
fit vaincue par les prières des assistants.
Interrogé sur le contenu du XXVIe article, il déclare
avoir entendu dire, il ne sait plus par qui, que les vêtements
d'homme lui furent remis par la fenêtre ou à travers les
barreaux [de la prison]. Ne sait rien d'autre.
Sur le contenu des autres articles, il déclare seulement avoir été présent lors du dernier sermon, le jour où elle fut brûlée ;
il y avait là trois ambons, des « échaffauds » en français ; à
savoir l'un où étaient les juges, un autre où étaient plusieurs
prélats, parmi lesquels le témoin, et encore un autre où se trouvait le bois préparé pour brûler Jeanne. La prédication une fois terminée, sentence fut rendue, par laquelle Jeanne était abandonnée à la justice séculière. Après le prononcé de cette sentence Jeanne se mit à faire plusieurs exclamations pieuses et à se lamenter : elle disait, entre autres choses,
que jamais elle n'avait été incitée par le roi à faire ce qu'elle
avait fait, soit en bien, soit en mal. Alors le témoin qui parle
s'en alla, ne voulant pas voir brûler Jeanne. Il déclare aussi
qu'il vit plusieurs des assistants pleurer.
Interrogé sur certaines prétendues lettres de garantie
que le roi d'Angleterre délivra à l'évêque de Beauvais et aux
autres qui avaient participé à ce procès, lettres où l'on indique
la présence de l'évêque de Noyon, déclare bien croire qu'il
fut présent ; mais ne se rappelle pas grand chose. Sait cependant que l'évêque de Beauvais ne conduisait pas ce procès à ses frais, comme il le croit, mais aux frais du roi d'Angleterre, et que les dépenses qu'on faisait, on les faisait grâce
aux Anglais.
Dûment interrogé, il ne sait rien d'autre.
Reverendus in Christo pater, dominus Johannes
de Mailly, episcopus Noviomensis (1), ætatis LX annorum,
vel circa, testis productus, receptus, juratus et
examinatas per eosdem dominos judices, in notariorum
præsentia, die xiv. mensis januarii, et postmodum
super articulis in processu exhibitis recollectus
die II. mensis aprilis, dixit et deposuit ut infra sequitur.
Et primo, interrogatus de et super contentis in I.,
II., III. et IV. articulis, dicit et deponit, ejus medio juramento in verbo prælati præstito, quod de Johanna
nullam habuit notitiam antequam esset adducta
in villa Rothomagensi, ubi eam vidit duabus
vel tribus vicibus ; nec recordatur fuisse in processu,
nec dedisse opinionem.
Interrogatus de contentis in V., VI., VII. et VIII.
articulis, nihil scit.
De contentis in IX. et X. non recordatur audivisse
quod fuerit visitata ; scit tamen quod si fuisset visitata
et inventa virgo, quod hoc non fuisset positum
in processu.
Super XI. usque ad XXIII. nihil scit.
De contentis in XXIII., XXIV. et XXV. dicit et
deponit quod satis recordatur quod, die ante prædicationem
factam in Sancto Audoeno, fuit præsens in
quadam exhortatione facta eidem Johannæ ; sed quid
fuit factum aut actum non recordatur. Fuit etiam
præsens in crastino, quando facta fuit prædicatio in
Sancto Audoeno, per magistrum Guillelmum Evrardi ;
et erant duo ambones seu duo scaphalda, gallice escharfaulx
; et in uno illorum erat episcopus Belvacensis
et ipse loquens, et alii quam plures ; et in alio erat
magister Guillelmus Evrardi, prædicator, et ipsa Johanna.
De verbis dictis per prædicatorem non recordatur ;
bene tamen recordatur quod ipsa Johanna dixit illa
die seu præcedente, quod si in dictis vel factis suis
erat aliquod malum, sive bene vel male dictum, vel
factum, hoc procedebat ab ea, nec suus rex aliquid
fecerat sibi fieri. Dixit etiam quod post hujusmodi prædicationem, vidit quod ipsa Johanna fuit jussa aliquid
facere aut dicere, et credit quod erat abjuratio ; et eidem Johannæ dicebatur : « Johanna, faciatis illud quod vobis consulitur. Vultis vos facere mori ? » Et
his verbis, ut verisimiliter est, mota, abjurationem
fecit. Et post hujusmodi abjurationem, plures dicebant
quod non erat nisi truffa, et quod non faciebat
nisi deridere. Et inter aliquos unus Anglicus, doctor et vir ecclesiasticus, qui erat de gentibus domini Cardinalis
Angliæ, dixit episcopo Belvacensi quod ipse
procedebat in hujusmodi materia cum nimio favore,
et quod se ostendebat eidem Johannæ favorabilem ;
cui ipse episcopus Belvacensis respondit quod mentiebatur
; et tunc cardinalis Angliæ dixit eidem doctori
quod taceret. Dicit etiam quod postmodum plures de
assistentibus dicebant quod de illa abjuratione non
multum curabant, et quod non erat nisi truffa ; et ut
videtur loquenti, ipsa Johanna de illa abjuratione
non multum curabat, nec faciebat de eadem compotum, et quod illud quod fecit in hujusmodi abjuratione,
fecit precibus adstantium devicta.
Interrogatus de contentis in XXVI., deponit quod
audivit dici ab aliquibus de quibus non recordatur,
quod vestes viriles sibi fuerunt traditæ per fenestram
seu trilliam. Nec aliud scit.
De contentis in cæteris arliculis, solum dicit
quod ipse fuit præsens in ultimo sermone, die qua
fuit combusta ; et erant ibidem tres ambones, seu escharfaulx gallice, videlicet unus ubi erant judices,
et alius ubi erant plures prælati, inter quos erat
ipse loquens, et unus ubi erant ligna parata ad comburendum
eamdem Johannam ; et, finita prædicatione,
fuit lata sententia per quam ipsa Johanna relinquebatur
justitiæ sæculari. Post cujus sententiæ prolationem ipsa Johanna incepit facere plures pias exclamationes et lamentationes ; et inter alia dicebat quod
nunquam fuerat inducta per regem ad faciendum ea
quæ faciebat, sive bene, sive male ; et illotunc recessit
ipse loquens, nec voluit videre cremari eamdem
Johannam. Dicit etiam quod vidit plures de adstantibus
lacrimari.
Interrogatus super quibusdam assertis litteris garantizationis (2), quas rex Angliæ dedit episcopo Belvacensi
et aliis qui se de hujusmodi processu interponebant,
et in quibus litteris cavetur episcopum Noviomensem fuisse præsentem : deponit quod bene credit
quod interfuit ; sed non multum recordatur. Scit tamen
quod episcopus Belvacensis non deducebat hujusmodi
processum suis expensis, ut credit, sed expensis
regis Angliæ et quod misiæ quæ fiebant, fiebant
per Anglicos.
Nec aliud scit super eisdem articulis debite interrogatus.
Sources :
- Texte latin : Quicherat - Procès t.III p.53 et suiv.
- Traduction : Pierre Duparc, t.IV, p.37 à 39.
Notes :
1. L'évêque de Noyon était Jean de Mailly, conseiller du roi d'Angleterre, président de la Chambre des comptes de Paris, depuis rentré en grâce auprès de Charles VII, et entendu comme témoin dans le procès de révision (Quicherat).
2. Voyez la lettre de garantie du roi d'Angleterre. L'évêque de Noyon fait bien partie des bénéficiaires (voir fin de la lettre).
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