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Procès de réhabilitation
V-4 - Déposition de Jean Riquier |
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Vénérable personne messire Jean Riquier, prêtre, chapelain en l'église de Rouen et curé de l'église paroissiale d'Heudicourt,
au diocèse de Rouen, âgé d'environ quarante-sept
ans, témoin cité, produit, juré et interrogé,
Sur le contenu des Ier, IIe, IIIe et IVe articles, il déclare et atteste, sous serment, savoir ce
qui suit : à savoir qu'il vit cette Jeanne pour la première
fois lors de la prédication faite à Saint-Ouen, et une autre
fois lors de la prédication faite au Vieux Marché ; c'était une
jeune fille d'environ vingt ans. Elle était, croit-il, fidèle catholique, car à son dernier jour elle demanda à recevoir le sacrement de l'eucharistie, qu'elle eut. Le témoin n'a pas eu d'autre
connaissance d'elle.
Sur le contenu des Ve, VIe, VIIe et VIIIe articles, il déclare vrai que Jeanne fut amenée en cette
cité de Rouen et qu'un procès fut mené contre elle en matière
de foi. Le témoin était alors choriste de l'église de Rouen,
et parfois il entendait les prêtres de l'église parler de ce procès ; il entendit ainsi maître Pierre Morice et Nicolas
Loiseleur et d'autres dont il ne se souvient pas, dire que les
Anglais la craignaient au point de ne pas oser, elle vivante,
et jusqu'à sa mort, mettre le siège devant la ville de Louviers
; il était nécessaire, pour plaire aux Anglais, de faire rapidement son procès afin de trouver l'occasion de la faire
mourir. Il croit que tout ce qui fut fait, le fut à la demande
et aux frais des Anglais. Le bruit courait alors que beaucoup
des assesseurs à ce procès se seraient volontiers abstenus, et
qu'ils venaient au procès plus poussés par la crainte qu'autrement.
Sur le contenu du IXe article, il déclare qu'il ne vit
pas Jeanne dans sa prison, car on disait que personne n'aurait
osé lui parler. Sait cependant qu'elle était au château, attachée, disait-on, par une chaîne de fer, et les Anglais la gardaient.
Sur le contenu du Xe article, il ne sait rien.
Sur le contenu des XIe, XIIe, XIIIe et XIVe articles, il déclare et atteste ne pas avoir été présent
au cours du procès, mais la voix publique était qu'on posait à Jeanne de très difficiles questions, et qu'elle demandait
un délai quand elle n'osait pas répondre. Ajoute que le procès fut conduit selon la volonté des Anglais, mais très long ; et
il entendit certains dire que les Anglais étaient mécontents
de telles longueurs et reprochaient à quelques personnes
de ne pas aller plus vite. Déclare aussi savoir, par ouï-dire,
que Jeanne répondait avec sagesse, au point qu'aucun des docteurs qui l'interrogeaient n'aurait mieux répondu.
Sur le contenu des Ve et VIe articles, il déclare
avoir entendu de certaines personnes que Jeanne prétendait
ne rien vouloir dire ou affirmer contre la foi catholique.
Sur le contenu des XVIIe, XVIIIe, XIXe, XXe, XXIe et XXIIe articles, il ne sait rien dire en déposition.
Mais sur le contenu des XXIIIe, XXIVe
et XXVe articles, il déclare avoir été présent à la
première prédication faite à Saint-Ouen, dans laquelle il
entendit entre autres maître Guillaume Érard tenir sur le
roi de France de méchants propos, qu'il ne se rappelle plus exactement ; alors Jeanne intervint pour défendre le roi : « Ne parlez pas du roi, car c'est un bon catholique ; mais
parlez de moi ».
Interrogé de même sur le contenu des autres articles, il déclare sous serment qu'il assista à la prédication faite au
Vieux Marché, le jour où mourut Jeanne, et il croit qu'elle
mourut en catholique, comme il l'a déjà dit. Il sait qu'elle
fut abandonnée par les clercs, et, aussitôt, il vit les sergents et hommes d'armes anglais la prendre et la conduire directement au lieu du supplice ; il ne vit pas que quelque sentence eût été rendue par un juge séculier.
Il déclare aussi et atteste que maître Pierre Morice vint
la voir le matin, avant qu'elle fût conduite à la prédication
du Vieux Marché ; Jeanne lui dit : « Maître Pierre, où serai-je
ce soir ? » Et maître Pierre répondit : « N'avez-vous pas bonne
confiance en Dieu ? » Elle dit que si, et qu'avec l'aide de Dieu elle serait au paradis. Cela le témoin l'a appris dudit maître
Pierre. Et, ajoute-t-il, lorsque Jeanne vit mettre le feu au bûcher, elle se mit à crier à haute voix « Jésus », et toujours,
jusqu'à sa mort, elle cria « Jésus » Après sa mort les Anglais,
craignant qu'on ne parlât d'évasion, dirent au bourreau de
repousser un peu le feu : ainsi les assistants pourraient-ils
la voir morte, et on ne raconterait pas qu'elle s'était évadée.
Il déclare aussi que maître Jean Alépée, à cette époque chanoine de Rouen, qui se trouvait à côté de lui, témoin, prononça ces paroles, en pleurant beaucoup : « Si mon âme
pouvait être là où je crois que se trouve l'âme de cette
femme ! ».
Ne sait rien d'autre sur le contenu de ces articles.
Venerabilis vir, dominus Johannes Riquier, presbyter,
cappellanus in ecclesia Rothomagensi, et curatus
ecclesiæ parochialis de Heudicuria, dioecesis Rothomagensis, ætatis XLVII (1) annorum, vel eocirca,
testis citatus, productus, juratus et examinatus.
Super contentis in I., II., III. et IV. articulis, dicit
et deponit, ejus medio juramento, se scire ea quæ sequuntur : videlicet quod eamdem Johannam primo
vidit in prædicatione facta in Sancto Audoeno, et alia
vice in prædicatione facta in Veteri Foro ; et erat juvenis
quasi XX annorum, vel eocirca. Et, ut credit, erat
catholica et fidelis, quia in fine dierum petiit habere
sacramentum Eucharistiæ, quod habuit. Nec aliam
notitiam de ea habuit ipse loquens.
De contentis in V., VI., VII. et VIII. articulis,
dicit quod verum est quod ipsa Johanna fuit adducta
ad hanc civitatem Rothomagensem, et contra eam
processus agitatus in materia fidei. Et erat tunc ipse
loquens chorarius ecclesiæ Rothomagensis, et aliquando
a dominis ecclesiæ audiebat loqui de hujusmodi
processu ; et inter cætera audivit dici a magistro
Petro Morice et Nicolao Loyseleur, et aliis de quibus
non recordatur, quod ipsi Anglici tantum timebant
eam quod non audebant, ipsa vivente, ponere obsidionem ante villam de Locoveris, quousque esset
mortua, et quod necessarium erat eis complacere ;
quod fieret celeriter processus contra eam, et quod adinveniretur occasio mortis suæ. Et credit quod
quidquid factum fuit, id actum exstitit ad intercessionem
et expensas Anglicorum. Et fama tunc erat quod
multi qui assistebant hujusmodi processui, libenter
abstinuissent, et quod plus timore quam alias hujusmodi
processui aderant.
Super contentis in IX. articulo, deponit quod eam
non vidit in carcere, quia dicebatur quod nullus audebat
ei loqui. Scit tamen quod erat in castro, et, ut audivit, erat ferrata et eam custodiebant Anglici.
De contentis in X. nihil scit.
De contentis in XI., XII., XIII. et XIV. articulis, dicit et deponit quod non fuit in deductione processus ;
sed fama erat quod ipsa Johanna interrogabatur multum
difficilibus quæstionibus, et quod, quando timebat respondere, petebat dilationem. Dicit ulterius
quod processus secundum voluntatem Anglicorum
fuit, et multum prolixus ; et audivit ab aliquibus quod
Anglici erant male contenti quod erat ita prolixus, et
increpabant aliquos quare citius non perficiebant. Dicit
eliamquod tunc audivit dici quod ipsa Johanna ita prudenter
respondebat quod, si unus de doctoribus qui eam
interrogabant respondisset, non melius respondisset.
De contentis in XV. et XVI. articulis, dicit quod
audivit dici ab aliquibus quod ipsa Johanna dixit quod
nihil vellet dicere aut affirmare quod esset contra fidem
catholicam.
Super contentis in XVII., XVIII., XIX., XX.,
XXI. et XXII., nihil sciret deponere.
De contentis vero in XXIII., XXIV. et XXV.
deponit quod fuit præsens in prima prædicatione facta
in Sancto Audoeno, in qua inter cætera audivit quod
quum magister Guillelmus Erart, prædicator, diceret
aliqua sinistra de rege Franciæ de quibus proprie
non recordatur, ipsa Johanna dixit excusando regem
Franciæ : « Nolite loqui de rege, quia est bonus catholicus ; sed loquamini de me. »
Item, interrogatus de contentis in cæteris articulis,
deponit, ejus medio juramento, quod ipse fuit præsens
in prædicatione facta in Veteri Foro, die obitus
ipsius Johannæ, quam credit tunc catholice decessisse,
ut jam dixit. Et scit quod fuit derelicta a viris ecclesiasticis,
et statim vidit quod clientes et Anglici armati
eam ceperunt et directe ad locum supplicii eam duxe runt ; nec vidit quod aliqua sententia fuerit lata a
judice sæculari.
Dicit etiam et deponit quod magister Petrus Mauricii
eam visitavit de mane, antequam ad prædicationem
factam in Veteri Foro duceretur ; cui ipsa
Johanna dixit : « Magister Petre, ubi ego ero hodie de sero ? » Et ipse magister Petrus respondit : « Nonne habetis vos bonam spem in Domino ? » Quæ
dixit quod sic, et quod, Deo favente, esset in Paradiso
; et quæ audivit a magistro Petro prædicto. Dicit
etiam quod dum ipsa Johanna vidit apponere ignem in
lignis, ipsa incepit clamare voce magna Jhesus ! et
semper, quousque fuit in exitu, clamavit Jhesus ! Et
dum fuerit mortua, quia Anglici dubitabant ne diceretur
quod evasisset, dixerunt tortori quod modicum retrocederet ignem, ut adstantes possent eam videre
mortuam, ne diceretur quod evasisset.
Dicit etiam quod magister Johannes Ad-Ensem,
qui erat tunc temporis canonicus Rothomagensis, erat
juxta loquentera ; cui audivit dici talia verba, mirabiliter
lacrimando : « Utinam anima mea esset in loco in quo credo animam istius mulieris ! »
Nec aliud scit de contentis in eisdem articulis.
Sources :
- Texte latin original : Quicherat - Procès t.III p.191 et suiv.
- Traduction : source Pierre Duparc, t.IV, p.138 à 141.
Notes :
1 Manuscrits ND. quadraginta sex.
Voir déposition 1452.
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