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Procès
de réhabilitation
V-4 - Déposition
de Nicolas de Houppeville |
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Maître Nicolas de Houppeville, maître ès arts et bachelier
en théologie, âgé d'environ soixante-cinq ans, précédemment
interrogé comme témoin à présenter, et de nouveau interrogé
sur les articles, le treizième jour du mois de mai,
D'abord sur le contenu des Ier, IIe, IIIe
et IVe articles, il déclare avoir eu connaissance de Jeanne,
de son père, de sa mère, de ses parents seulement après que
cette Jeanne eût été amenée dans la ville de Rouen, où le
procès fut engagé contre elle. Il lui semble qu'elle était âgée
d'environ vingt ans ; elle était simple, ignorante du droit
et n'était pas en état de se défendre elle-même dans ce procès ;
elle conservait cependant une grande fermeté, et beaucoup
en déduisaient qu'elle avait un soutien spirituel.
Interrogé de même sur ce qu'il peut attester à propos du
contenu des Ve et VIe articles, il déclare n'avoir
jamais estimé que l'évêque avait engagé un procès, en
matière de foi, contre Jeanne pour le bien de la foi ou par zèle de justice, et afin de ramener Jeanne dans le bon chemin ; mais ce fut à cause de la haine conçue contre elle, car
elle favorisait le parti du roi de France. Il ne croit pas que
l'évêque agît par crainte ou sous une pression ; mais il le fit volontairement, bien que certains eussent participé, les
uns par complaisance envers les Anglais, les autres par
crainte ; il entendit en effet maître Pierre Minier dire qu'il
avait donné par écrit un avis, qui n'avait pas été agréable à l'évêque de Beauvais.
Déclare aussi que des menaces furent proférées par le
comte de Warwick contre frère Ysambert de La Pierre de
l'ordre des frères précheurs, qui intervint au procès ; on lui
dit qu'on le noierait dans la Seine, s'il ne se taisait, parce
qu'il conseillait Jeanne et rapportait ses paroles aux notaires. Il a appris cela par frère Jean Le Maistre, sous-inquisiteur.
Le témoin déclare aussi que vers le début du procès il
participa à quelques délibérations, où il fut d'avis que ni
l'évêque, ni ceux voulant prendre la charge du procès, ne
pouvaient être juges ; il ne lui paraissait pas de bonne procédure que ceux du parti opposé fussent juges, et attendu
qu'elle avait déjà été interrogée par le clergé de Poitiers et
par l'archevêque de Reims, métropolitain de l'évêque de
Beauvais. A la suite de cet avis le témoin encourut l'indignation violente de l'évêque, au point qu'il fut cité devant lui. Il comparut devant lui, affirmant qu'il ne lui était pas soumis, et que son juge était, non pas l'évêque, mais l'official
de Rouen ; et ainsi se retira-t-il. Après cependant, comme il
décidait de comparaître pour cette affaire devant l'official
de Rouen, il fut pris, conduit au château, et ensuite dans la prison royale ; et parce qu'il demandait pour quelle raison
on se saisissait de lui, on lui répondit que c'était à la requête
de l'évêque de Beauvais. Le témoin croit que c'était à cause
des paroles prononcées dans son avis, car, dit-il, maître
Jean de La Fontaine, son ami, lui fit parvenir un billet pour l'avertir qu'il était détenu en raison de ces paroles et que
l'évêque était fort indigné à son sujet. Cependant, sur les
instances du seigneur abbé de Fécamp, le témoin fut tiré de
prison ; il entendit alors dire que, suivant l'avis de quelques
personnes réunies par l'évêque, il devait être exilé en Angleterre ou ailleurs, loin de la cité de Rouen ; ce qu'empêchèrent cependant le seigneur abbé de Fécamp et quelques amis du témoin.
Déclare aussi que frère Jean Le Maistre, sous-inquisiteur,
n'intervenait à ce procès que forcé, et plein de crainte ; il
le vit extrêmement embarrassé pendant ce procès.
Sur les VIIe, VIIIe et IXe articles, il sait seulement que Jeanne était en prison, au château de Rouen,
et elle y était gardée par les Anglais.
Sur les Xe, XIe, XIIe, XIIIe et XIVe articles, il déclare qu'il n'assista pas au procès ; mais il
entendit maître Jean Le Maistre, sous-inquisiteur, dire que Jeanne se plaignit une fois des questions difficiles qu'on lui posait, qu'on la harcelait trop sur ces questions et surtout sur certaines ne concernant pas le procès, à son dire. Et
alors le bruit courait qu'on interdisait aux notaires d'écrire certaines des paroles de Jeanne.
Sur le contenu des XVe, XVIe et XVIIe
articles, il s'en rapporte au procès. Et de même sur le contenu
des XVIIIe, XIXe, XXe et XXIe
articles.
Sur le contenu du XXIIe article, il déclare et atteste, à propos des rumeurs courant alors dans la ville de Rouen,
que certaines personnes, se faisant passer pour hommes
d'armes partisans du roi de France, furent introduits secrètement auprès d'elle, pour la persuader de ne pas se soumettre à l'Église, sinon eux (1) poursuivraient le procès contre elle ; il était bruit aussi qu'à cause de ces conseils elle avait ensuite varié plusieurs fois sur le fait de la soumission. Il entendit alors dire que maître Nicolas Loyseleur était l'un de ces trompeurs, qui feignaient être du parti du roi de France.
Sur le contenu des autres articles déclare et croit que Jeanne fut bonne catholique ; il sait qu'elle reçut le Corps du Christ le jour de sa mort, et il la vit sortir du château pour aller au lieu du supplice toute en pleurs ; plus de cent-vingt hommes d'armes la conduisaient, dont les uns portaient des lances, les autres des glaives. Aussi le témoin, mû par la compassion, n'eut pas la force d'aller jusqu'au lieu du supplice. Et il croit que tout ce qui fut fait contre Jeanne, le fut par haine du roi de France et pour le diffamer. Suivant l'opinion commune, tout ce qui avait été fait par eux (1) dans ce procès était nul, et Jeanne avait été victime d'une très grande injustice.
Déclare aussi avoir entendu maître Pierre Minier dire
que son avis et celui de maîtres Richard de Grouchet et
Pierre Pigache n'avaient pas été reçus, parce qu'ils ne plaisaient pas, et qu'ils alléguaient le Décret (2). Ne sait rien d'autre.
Magister Nicolaus de Houppeville, in artibus magister
et baccalarius in theologia, aetatis LXV annorum,
vel eocirca, alias ut testis affuturus, examinatus,
et iterum, die XIII. maii super articulis examinatus.
Et primo, super contentis in I., II., III. et IV. articulis
: deponit quod de eadem Johanna, patre, matre
et parentibus ejus nullam habuit notitiam, nisi solum
dum ipsa Johanna fuit adducta ad villam Rothomagensem,
in qua villa fuit deductus processus contra
eam, Et sibi videtur quod erat ætatis quasi XX annorum,
et erat simplex et juris ignara, nec erat ex se
sufficiens ad se defendendum in ipso processu, licet
magnam constantiam habuerit, ex qua multi arguebant
quod habebat spirituale juvamen.
Item, interrogatus quid ipse sciat attestari de contentis
in V. et VI. articulis : deponit quod ipse nunquam
habuit æstimationem quod ipse episcopus contra
eamdem Johannam inceperit processum in materia
fidei pro bono fidei aut zelo justitiæ, ad eamdem Johannam
reducendum ; sed ex odio quod contra eam
conceperant, quia favebat partem regis Franciæ. Nec credit quod ipse episcopus per metum aut impressionem
hoc fecerit, sed voluntarius fecit, licet aliqui ibidem
interessent, alii propter favorem Anglicorum, alii
propter metum ; nam ipse audivit a magistro Petro
Minier quod ipse dederat opinionem suam in scriptis,
quæ non fuerat grata episcopo Belvacensi.
Dicit etiam quod minæ fuerunt illatæ per comitem
de Warvic fratri Ysamberto de Petra, ordinis Fratrum
Prædicatorum, qui interfuit in processu ; cui
fuit dictum quod submergeretur in Sequana, nisi taceret, ex eo quod eamdem Johannam dirigebat, et verba
sua referebat notariis. Et hoc audivit dici a fratre
Johanne Magistri, subinquisitore.
Dicit etiana ipse testis loquens quod ipse, circa principium
processus hujusmodi, fuit in aliquibus deliberati onibus, in quibus ipse testis fuit opinionis quod, nec
episcopus, nec illi qui volebant onus judicii suscipere, poterant esse judices ; nec sibi videbatur bonus modus
procedendi, quod ipsi qui erant de parte contraria essent
judices, attento quod jam fuerat examinata per clerum
Pictavensem et per archiepiscopum Remensem, ipsius
episcopi Belvacensis metropolitanum. Ex qua deliberatione
ipse loquens incurrit magnam indignationem
ab ipso episcopo, ita quod eumdem loquentem fecit
citari coram eo. Coram quo comparuit, se asserens
eidem non esse subjectum, et quod non erat suus judex, sed officialis Rothomagensis ; et sic recessit. Finaliter
tamen, quum hac de causa comparere vellet coram
officiali Rothomagensi, fuit captus et ductus ad castrum,
et dehinc ad carceres regis ; et quum inquireret
qua de causa caperetur, dictum fuit sibi quod erat ad
requestam episcopi Belvacensis. Et credit ipse loquens quod erat occasione verborum prolatorum in sua deliberatione,
quia, ut dicit, magister Johannes de
Fonte, amicus ipsius loquentis, eidem misit schedulam
qua cavebatur quod ipse erat detentus occasione
hujusmodi verborum, et quod ipse episcopus multum
erat indignatus de eo. Et tandem, ad preces domini
abbatis Fiscampnensis, ipse loquens fuit ab eisdem carceribus
expeditus ; et audivit tunc dici quod, per consilium
aliquoram quos ipse episcopus congregaverat,
ipse loquens debebat mitti in exsilium in Angliam,
vel alibi, extra civitatem Rothomagensem ; quod tamen
impediverunt ipsi dominus abbas Fiscampnensis
et aliqui amici ipsius loquentis.
Dicit etiam quod frater Johannes Magistri, subinquisitor,
coactus de hujusmodi processu se interponebat,
et multum timebat ; viditque eum plurimum
perplexum, hujusmodi processu durante.
Super VII., VIII. et IX. articulis, scit solum quod
ipsa Johanna erat in carcere, in castro Rothomagensi,
et ibi custodiebatur per Anglicos.
Super X., XI., XII., XIII. et XIV., deponit quod
non fuit in processu ; sed audivit dici a dicto magistro
Johanne Magistri, subinquisitore, quod ipsa Johanna
semel conquesta est de interrogatoriis difficilibus quæ
eidem fiebant, et quod nimis vexabatur super hujusmodi
interrogatoriis et maxime de aliquibus non tangentibus
processum, ut dicebat ipsa Johanna. Et tunc
erat rumor quod notarii prohibebantur aliqua scribere
ex dictis ipsius Johannæ.
Super contentis in XV., XVI. et XVII. se refert
processui. Et similiter de contentis in XVIII., XIX.,
XX. et XXI. De contentis in XXII., dicit et deponit quod tunc
fuerunt rumores in villa Rothomagensi quod aliqui,
fingentes se armatos de parte regis Franciæ, fuerunt
introducti cum ea occulte, suadentes sibi quod se non
submitteret Ecclesiæ, alioquin assumerent judicium
super eam ; erantque rumores quod propter illam persuasionem ipsa postmodum variavit in facto submissionis.
Et audivit tunc dici quod magister Nicolaus
Loyseleur erat de illis seductoribus, qui fingebant se esse de partibus regis Franciæ.
De contentis in cæteris articulis, dicit et credit ipsam
Johannam fuisse bonam catholicam, et scit quod
recepit die obitus corpus Christi, et vidit eamdem
Johannam exeuntem de castro ad locum supplicii,
plurimum lacrimantem ; et eam ducebant plus quam
sex viginti homines armorum, quorum aliqui portabant
lanceas et alii gladios. Unde ipse loquens, motus
compassione, non valuit ire usque ad locum supplicii.
Et credit quod quidquid fuit actum contra eamdem
Johannam, fuit in odium regis Franciæ, et ad ipsius
diffamationem. Et erat communis opinio, quod omnia
per eosdem in hujusmodi processu acta, erant
nulla, et quod eidem Johannæ fiebat maxima injustitia.
Dicit etiam quod audivit a magistro Petro Minerii quod sua opinio et opiniones magistrorum Ricardi de
Groucheto et Petri Pigache non fuerant receptæ,
quia non placebant et quia erant allegationes Decreti.
Nec aliud scit.
Sources
:
- Texte latin original : Quicherat - Procès t.III p.170 et suiv.
- Traduction : Pierre Duparc, t.IV, p.124 à 126.
Notes :
Voir sa déposition en 1452.
1 eux : les prétendus juges.
2 Décret de Gratien.
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