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Procès de réhabilitation
V-1 - Déposition de Pierre Miget en 1456 |
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Et d'abord frère Pierre Miget, professeur de théologie sacrée, prieur du prieuré de Longueville-Giffard au diocèse de Rouen, de l'ordre de Cluny, âgé de soixante-dix ans, déjà entendu comme témoin à comparoir le seize décembre de l'année mille quatre cent cinquante-cinq, et ensuite rappelé le douze mai suivant, témoin reçu, produit et interrogé,
Et d'abord sur le contenu des IIe, IIIe et IVe articles présentés de la part des plaignants, interrogé
sur le père et la mère de Jeanne, il ne sait rien dire en déposition ou témoignage, ni sur cette Jeanne, sauf depuis le moment où elle fut amenée à Rouen, ville où il la vit plusieurs fois pendant le procès mené contre elle. Il lui semble qu'elle
répondait à ceux qui l'interrogeaient en catholique et avec
prudence, sur les questions en matière de foi, attendu son âge et son état, bien qu'à son avis elle persistât trop dans
les visions qu'elle prétendait avoir eues ; elle lui parut très
simple et, si elle avait été en liberté, il croit qu'elle aurait été aussi bonne catholique qu'une autre. Il entendit dire
qu'elle avait, à sa demande, reçu le Corps du Christ. Il sait
aussi que, le jour où elle fut livrée à la justice séculière, elle
se prit à crier et à se lamenter, en invoquant le nom de Dieu ;
et elle se comportait de telle manière que plusieurs en étaient
fort tristes. Le témoin ne put la voir et même s'en alla, mû
par la pitié jusqu'aux larmes, comme beaucoup d'autres, et spécialement le seigneur évêque de Thérouanne, qui mourut cardinal.
Interrogé ensuite sur le contenu des Ve et VIe
articles et ce qu'il sait, déclare pour le cinquième qu'il fut
présent lors du déroulement du procès fait à Jeanne, au moins
lors de la plus grande partie et dans les délibérations, où il
entendit qu'on faisait mention de certaines informations ;
il ne vit cependant pas celles-ci, ni ne les entendit lire.
Quant au VIe article déclare croire, autant qu'il put
s'en rendre compte par les faits qui suivirent, que les Anglais
poursuivaient cette Jeanne d'une haine mortelle, la haïssaient
et désiraient sa mort par tous les moyens, car elle était venue
en aide au roi de France très chrétien. Et, comme il l'entendit
d'un certain chevalier anglais, les Anglais la craignaient plus
que cent hommes d'armes ; ils prétendaient qu'elle se servait
de sortilèges, la craignant à cause des victoires obtenues
grâce à elle. Ils décidèrent d'intenter un procès contre elle,
et les juges, à son avis, le commencèrent poussés et pressés
par les Anglais ; ceux-ci en effet la tinrent toujours dans leur
garde et leur prison, et ne permirent pas qu'elle fût détenue
dans une prison ecclésiastique.
Le témoin ajoute que, après le premier sermon fait à Saint-Ouen, Jeanne avait été exhortée à se rétracter, mais elle
avait différé ; un ecclésiastique dit alors à maître Pierre
Cauchon, évêque de Beauvais, qu'il en était responsable.
L'évêque lui répondit : «Vous mentez ! Moi je dois, par mon état, chercher le salut de l'âme et du corps de cette Jeanne ».
Et le témoin lui-même fut dénoncé au seigneur cardinal
d'Angleterre comme responsable de la conduite de Jeanne ;
de quoi le témoin se justifia devant le seigneur cardinal, craignant que son corps fût en danger. Et il croit que personne n'aurait osé aider ou défendre Jeanne, à moins d'y être autorisé. Croit aussi que certains des juges ne furent pas
entièrement libres, et que d'autres cependant furent volontaires ; il lui semble, attendu la haine des Anglais contre
elle, qu'on peut à bon droit déclarer le procès injuste, et par conséquent la sentence injuste ; il lui semble aussi que par
ce procès on tendait à montrer l'infamie du roi de France.
Sur le contenu du VIIe article, il ne sait rien, en dehors
de la déposition faite ci-dessus.
Sur le contenu du IXe article, et concernant l'âge
de Jeanne, il déclare croire qu'elle avait vingt ans. Et elle était assez simple pour croire que les Anglais devraient la
libérer moyennant rançon, et qu'ils ne s'efforçaient pas de
la faire mourir. Sur la prison déclare que les Anglais la détinrent dans une prison privée, soit laïque, attachée par des
chaînes, et personne ne lui parlait ; au contraire elle était
gardée par quelques Anglais, qui ne permettaient à personne de
lui parler. Ne sait cependant si elle fut dans des entraves de fer.
Sur le contenu du Xe, il ne sait rien.
Sur le contenu des XIe, XIIe, XIIIe et XIVe articles, il ne sait rien de plus que dans sa déposition
ci-dessus.
Sur le contenu du XVe, il déclare bien se rappeler que
Jeanne a plusieurs fois déclaré s'en remettre à notre seigneur
le pape pour ses paroles et ses actions.
Sur le contenu du XVIIe article, il déclare avoir entendu
plusieurs fois dans le procès, au cours des interrogatoires,
Jeanne affirmer et attester qu'elle ne voulait rien soutenir
contre la foi catholique, et, si dans ses paroles et ses actes
il y avait chose déviant de la foi, elle voulait s'en séparer ;
elle proclama plusieurs fois expressément qu'elle soumettait
tous ses dits et ses faits au jugement de l'Église et de notre
seigneur le pape.
Sur le contenu des XXe et XXIe articles,
les autres étant omis, il s'en rapporte aux déclarations de
Jeanne et aux articles fabriqués, comme on peut le constater.
Sur le contenu du XXIIe article, il déclare avoir
entendu dire que, au cours du procès, il y avait des gens
cachés derrière les courtines, pour, disait-on, écrire certaines
choses sur les paroles et déclarations de Jeanne ; mais ce qu'il en fut, il n'en sait rien ; et il entendit cela de maître
Guillaume Manchon, notaire de ce procès avec deux autres.
Le témoin s'en est même plaint aux juges, en disant que
cela ne lui paraissait pas une bonne manière de procéder.
Quoi qu'il en soit de ces notaires cachés, il croit véritablement que les notaires qui signèrent le procès furent fidèles,
et qu'ils rédigèrent fidèlement ce qui s'est passé au cours
du procès.
Sur le contenu des XXIIIe, XXIVe et XXVe articles, il déclare vrai que furent prononcées
contre elle deux sentences, comme il est mentionné dans le
procès, et qu'ensuite elle fut livrée à la justice séculière. Il
ignore si quelque sentence fut prononcée par la justice séculière ; mais, aussitôt prononcée la sentence par l'évêque,
Jeanne fut abandonnée par lui, saisie par les hommes d'armes
anglais et conduite au supplice avec grande rage. Quant au
fait de l'abjuration, mentionnée dans un article, déclare que Jeanne la prononça ; elle était rédigée par écrit ; et cela dura
tout autant, ou à peu près, qu'un « Notre Père ».
Sur le contenu du XXVIe article, il sait seulement
ce qu'il a entendu dire, à savoir qu'un homme alla de nuit
la voir, en tenue de prisonnier, et feignant d'être un prisonnier du parti du roi de France, pour persuader Jeanne de persister dans ses déclarations, et alors les Anglais n'oseraient
pas lui faire de mal ; comme il l'apprit de Guillaume Manchon, l'un des notaires, ce fut un certain maître Jean (2) Loyselleur qui feignit être le prisonnier. Ne sait rien sur les
habits d'homme qui furent apportés, dont il est fait mention dans l'article ; il ne lui paraît pas que, pour avoir porté un
vêtement d'homme, elle dût être jugée hérétique ; au contraire il lui paraît que celui qui, pour cette seule raison,
l'aurait jugée hérétique, devrait être puni de la peine du talion.
Sur le contenu du XXVIIe article, il ne sait rien.
Sur le contenu des XXVIIIe, XXIXe, XXXe, XXXIe, XXXIIe et XXXIIIe
articles, outre sa déposition, déclare que beaucoup de ceux
présents au procès étaient fort irrités, jugeant l'exécution
très rigoureuse et mauvaise ; et c'était la voix publique que
le jugement était mauvais.
Le témoin dit en outre qu'autrefois, dans un vieux livre,
où on racontait la prophétie de Merlin, il trouva écrit qu'une
certaine pucelle devait venir d'un certain Bois Chenu, de
la région lorraine.
Sur tous et chacun de ces articles, à lui lus et exposés,
sur leur contenu, le témoin ne sait rien d'autre en dehors
de sa déposition ci-dessus.
Et primo, frater Petrus Migecii, sacræ theologiæ
professor, prior prioratus de Longavilla-Giffardi, Rothomagensis dioecesis, ordinis Cluniacensis, ætatis LXX
annorum, alias die XVI. decembris, anno MCCCCLV., ut
testis affuturus, examinatus, et postmodum, die XII.
mensis maii inde sequentis, recollectus ; testis productus,
receptus et examinatus dicta die XVI. decembris.
Et primo, super contentis in II., III. et IV, articulis
articulorum de parte ipsorum actorum traditorum, interrogatus
: de patre et matre Johannæ nihil sciret
deponere seu attestari, nec de eadem Johanna, nisi a
tempore quo fuit adducta apud villam Rothomagensem,
in qua villa eamdem vidit pluries, durante processu
contra eam agitato. Et sibi videtur quod catholice et prudenter de pertinentibus ad fidem, attenta
ejus ætate et statu, respondebat interrogantibus eam,
licet sibi videatur quod nimis persistebat in visionibus
quas dicebat se habere ; et sibi videbatur multum simplex ; et quod, si ipsa esset in sua libertate, credit quod
ipsa fuisset ita bona catholica sicut una alia bona catholica.
Et audivit quod ipsa receperat corpus Christi ad ipsius Johannæ instantiam. Scit etiam quod, die qua
fuit tradita justitiæ sæculari, ipsa coepit clamare et lamentari,
vocando nomen Domini Jhesu ; et ita se habebat
quod quam plures multum dolebant ; et ipse loquens eam non potuit videre, imo recessit, pietate
motus usque ad fletum, prout et plures ita fecerunt, et maxime dominus episcopus Morinensis, dum obiit
cardinalis Morinensis.
Deinde interrogatus de contentis in V. et VI. articulis,
quid ipse sciat deponere : deponit quantum ad V.,
quod ipse fuit præsens in deductione processus facti contra
dictam Johannam, seu in majori parte, et in consultationibus
in quibus audivit quod fiebat mentio quarumdam informationum ; eas tamen non vidit nec legi
audivit.
Et quantum ad VI., deponit quod, ut credit et prout
percipere potuit ex effectibus inde secutis, quod Anglici
eamdem Johannam capitali odio persequebantur,
et eam odiebant, ac illius mortem omnibus modis sitiebant,
quia fuerat in auxilio christianissimi regis
Franciæ. Et, ut audivit a quodam milite anglico, Anglici
eam plus timebant quam centura armatos ; et quod
dicebant quod utebatur sorte, eam timentes propter
victorias per eam obtentas ; processumque contra eam
intentari decreverunt, et quem, [ut] æstimat, per motum
et impressiones Anglicorum inceperunt judicantes,
quoniam semper eam detinuerunt Anglici sub
eorum custodia et detentione, nec permiserunt eam
detineri in carceribus ecclesiasticis.
Et subdit ipse loquens quod, finito primo sermone
facto apud Sanctum Audoenum, quum monita fuisset
dicta Johanna de se revocando, et ipsa differret, fuit
dictum magistro Petro Cauchon, episcopo Belvacensi, per unum ecciesiasticum anglicum, quod ipse erat fautor
ipsius Johannæ. Cui dictus episcopus respondit : « Vos mentimini ; ego debeo ex professione mea quærere salutem animæ et corporis ipsius Johannæ. » Et
ipsemet loquens fuit delatus apud dominum Cardinalem Angliæ, quod erat fautor ipsius Johannæ : de quo se
excusavit loquens erga dominum Cardinalem, timens
periculum corporis. Et credit quod nullus fuisset ausus
sibi præbere consilium aut defensionem, nisi sibi
fuisset concessum. Et credit aliquos de judicantibus
non fuisse ex toto liberos ; alios autem credit fuisse voluntarios ; et sibi videtur quod, attento odio Anglicorum
contra eam concepto, merito potest dici processus
injustus, et per consequens sententia injusta ; et, ut sibi
videtur, quod per hujusmodi processum tendebant ad infamiam regis Franciæ.
De contentis in VII. articulo nihil scit, nisi ut supra
deposuit.
Super contentis in IX. articulo, quantum ad ipsius
Johannæ ætatem, deponit quod credit ipsam fuisse
XX annorum. Et erat ita simplex quod credebat quod
Anglici eam deberent expedire mediante pecunia, nec
credebat quod tenderent ad ejus mortem. Quantum ad
carceres, dicit quod Anglici posuerunt eam in carceribus
privatis seu laicalibus, et cum catenis retinebant,
nec aliquis cum ea loquebatur ; imo custodiebatur ab
aliquibus Anglicis, qui nullum permittebant cum ea
loqui. Non tamen scit quod fuerit in compedibus ferreis.
De contentis in X. nihil scit.
Super contentis in XI., XII., XIII. et XIV. nihil
scit, nisi ut supra deposuit.
Super contentis in XV., dicit quod bene recordatur
quod ipsa Johanna pluries dixit quod de dictis et factis
suis se referebat domino nostro Papæ.
Super contentis in XVII. articulo, deponit quod audivit
ab ea pluries in processu, dum ipsa interrogaretur, quod ipsa asseruit et obtestata fuit quod ipsa nil
vellet tenere contra catholicain fidem, et quod,
si in dictis et factis suis aliquid esset quod a fide deviaret,
volebat a se repellere ; quodque expresse professa
est pluries quod se et omnia dicta et facta sua judicio Ecclesiæ et domini nostri Papæ submittebat.
De contentis in XX. et XXI. aliis omissis, nihil
scit, et se refert ad confessionem dictæ Johannæ et articulos
confectos, ex quibus potest constare.
De contentis in XXII. articulo, deponit quod audivit
dici quod, durante deductione processus, erant aliqui
latentes retro courtinas, qui dicebantur scribere aliqua
de dictis et confessionibus ipsius Johannæ ; sed quid de hoc actum est, nihil scit ; et hoc audivit a magistro
Guillelmo Manchon, notario in hujusmodi processu
cum aliis duobus. De hoc etiam conquestus est ipse loquens
judicibus, dicendo quod sibi non videbatur bonus
modus. Et quidquid sit de illis notariis latentibus,
credit verissime quod notarii qui signaverunt processum,
fuerunt fideles, et quod fideliter redegerunt ea quæ fuerunt de processu.
Supercontentis in XXIII., XXIV. et XXV., deponit
quod verum est quod fuerunt latæ contra eara duæ sententiæ,
proul in processu continetur, et quod fuit relicta
justitiæ sæculari. Nec scit quod aliqua fuerit lata
sententia per justitiam sæcularem ; sed illico lata sententia
per episcopum et ipsa derelicta, fuit capta per Anglicos
armatos et ducta ad supplicium cum magna furia.
Quantum autem ad factum abjurationis, de qua in
articulo, dicit quod facta fuit per eam, et erat in scriptis,
et durabat totidem, vel circiter, sicut Pater
noster.
De contentis in XXVI., scit solum quod audivit dici,
quod unus homo ivit ad eam de nocte, in habitu captivi,
fingendo se esse captivum de parte regis Franciæ,
et persuadens eidem Johannæ quod persisteret in assertionibus suis, et quod Anglici non auderent sibi inferre
aliquod malum ; et (prout audivit a Guillelmo
Manchon, altero notario), quod fuit quidam magister
Johannes Loyseleur qui se fingebat captivum. Nec
scit aliquid de vestibus virilibus appositis, prout in articulo
fit mentio ; nec videtur sibi quod propter assumptionem
habitus virilis debuerit judicari hæretica
; imo sibi videtur quod qui sola illa occasione eam
judicarit hæreticam, deberet puniri poena talionis.
De contentis XXVII. nihil scit.
De contentis in XXVIII., XXIX., XXX., XXXI.,
XXXII. et XXXIII., ultra per eum deposita, dicit
quod multi de præsentibus in processu erant bene irati, et reputabant exsecutionem multum rigorosam et male
factam ; et erat vox communis quod male judicabatur.
Dicit etiam ipse testis quod alias in quodam libro
antiquo, ubi recitabatur professio (1) Merlini, invenit
scriptum quod debebat venire quædam puella ex quodam
nemore canuto, de partibus Lotharingiæ.
De omnibus autem et singulis articulis sibi lectis et
expositis, ac de corum contentis nihil aliud, nisi ut
supra deposuit, sciret deponere. Nec aliud scit.
Sources :
- Texte latin original : Quicherat - Procès t.III p.129 et suiv.
- Traduction : Pierre Duparc, T.IV, p.92 à 96.
Notes :
1. prophetia ?
2. Nicolas
Voir autres dépositions :
- déposition de 1452-1
- déposition de 1452-2
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