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Procès de réhabilitation
V-3 - Déposition de Guillaume de Ricarville. |
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L'an susdit, le huitième jour du mois de mars, noble homme Guillaume de Ricarville, seigneur temporel de Ricarville et
maître de l'hôtel du roi, âgé de soixante ans environ, témoin produit, juré, entendu et interrogé sur lesdits articles en présence de vénérables et discrètes personnes Guillaume Bouillé, professeur de théologie sacrée, et Jean de Mainil, docteur ès lois et official de Beauvais,
Déclare s'être trouvé dans la ville d'Orléans, assiégée par les Anglais, avec le sire de Dunois et plusieurs autres capitaines, quand arriva la nouvelle du passage par la ville de Gien d'une bergerette appelée la Pucelle, accompagnée de deux ou trois nobles hommes du pays de Lorraine, où elle était née ; cette Pucelle déclarait venir pour faire lever le siège d'Orléans, et ensuite pour conduire le roi se faire sacrer à Reims, comme cela lui était commandé de la part de Dieu. Malgré tout cependant elle ne fut pas reçue facilement par le roi ; mais celui-ci voulut d'abord qu'on l'examinât, que l'on s'enquît de sa vie et de sa condition, pour savoir si elle devait à juste titre être reçue. Cette Pucelle fut, sur l'ordre du roi, examinée par plusieurs prélats, docteurs et clercs, qui la trouvèrent de bonne vie, de condition recommandable et de réputation louable ; et on ne trouva rien en elle qui dût la faire renvoyer.
Interrogé ensuite sur la vie de cette Pucelle parmi les hommes d'armes, dit et déclare qu'elle eut une vie très belle, qu'elle était sobre au boire et au manger, chaste aussi, pieuse, entendant chaque jour la messe, confessant ses péchés très souvent et en outre recevant la sainte eucharistie chaque semaine avec une dévotion fervente. Elle reprenait les hommes d'armes quand ils blasphémaient le nom de Dieu, ou faisaient de vains serments ; quand ils commettaient quelques méfaits ou faisaient des actes de violence, elle les réprimandait aussi. Et lui qui parle n'a jamais remarqué qu'elle eût fait chose méritant un blâme ; au contraire il croit, attendu sa manière de vivre et ses actes, qu'elle fut inspirée par Dieu.
Ne sait rien d'autre.
Anno prædicto, die VIII. mensis martii, nobilis vir, Guillelmus
de Ricarville, dominus temporalis de Ricarville, et magister hospitii
regis, ætatis LX annorum, vel eocirca, testis productus, juratus
et examinatus, ac interrogatus super eisdem articulis, præsentibus
venerabilibus viris et discretis Guillelmo Bouillé, sacræ
theologiæ professore, et Johanne du Mesnil, legum doctore
et officiali Belvacensi ;
Dicit quod, ipso exsistente infra villam Aurelianensem,
ab Anglicis obsessam, cum domino de Dunoys et pluribus aliis capitaneis,
venerunt nova quod per villam de Gyen transiverat una bergereta,
vocata la Pucelle, quam duo aut tres nobiles viri de patria Lotharingiæ,
ex qua trahebat ortum, conducebant ; quæ Puella dicebat quod
ibat pro levando obsidionem
Aurelianensem, et quod postea duceret regem Remis ad sacrandum,
sicut erat sibi præceptum ex parte Dei. His tamen non obstantibus,
ipsa non fuit de levi recepta apud regem ; quin imo voluit ipse
rex quod primo examinaretur, et sciretur de sua vita et statu, et
si deberet licite recipi. Quæ quidem Puella, de præcepto
ipsius regis, fuit examinata per plures prælatos,
doctores et clericos, qui invenerunt eam bonæ vitæ,
commendati status et laudabilis famæ ; nec fuit in ea repertum
aliquid propter quod deberet repelli.
Interrogatus præterea de vita ipsius Puellæ
inter armatos : dicit et deponit quod erat pulcherrimæ vitæ,
valde sobria in potu et cibo, casta quoque, devota, audiens quotidie
missam, et sæpissime confitens peccata sua, necnon sacram
Eucharistiam qualibet septimana cum ferventi devotione recipiens.
Redarguebat armatos quando blasphemabant nomen Dei aut jurabant
in vanum ; et quando perpetrabant aliqua mala, aut faciebant violentias,
reprehendebat eos. Nec ipse qui loquitur unquam percepit quod ipsa
fecerit aliquid dignum reprehensione ; imo credit quod, attento
suo modo vivendi et factis ejus, quod ipsa fuit inspirata a Deo.
Nec aliud scit.
Sources :
- Texte latin : Quicherat, Procès t.III, p.21.
- traduction : Pierre Duparc, t.IV, p.
Notes :
1. Ce gentilhomme était panetier à la cour, du temps de Jeanne d'Arc ; il fut ensuite écuyer d'écurie
et enfin conseiller maître d'hôtel. Prisonnier des Anglais en 1437, il se racheta avec une somme de cinq cents écus
dont le gratifia le Dauphin. Charles VII l'envoya à Bordeaux le 17 juillet 1459 pour régler une contestation qui s'était
élevée entre la municipalité de cette ville et plusieurs navires anglais mouillés dans la Gironde. Il vivait encore en 1472 et recevait pension de Louis XI.
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