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22 novembre 2024  

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par Henri Wallon

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Le souvenir de Jeanne d'Arc à Rouen.

a cité qui a vu le martyre et la mort de Jeanne d'Arc se devait, plus qu'aucune autre, d'élever un souvenir digne de la sainte héroïne. Plus d'une cinquantaine de projets de monuments à Jeanne d'Arc ont été comptabilisés à Rouen.
Les souvenirs se trouvent sur les lieux même de l'épopée johannique comme le donjon du chateau de Philippe-Auguste où elle fut enfermée, la place du Vieux-Marché avec le pilori et l'emplacement du bûcher, l'abbaye de St-Ouen, la Seine où l'on jeta ses cendres, l'archevêché ou plusieurs séances de son procès eurent lieu, l'abbaye de St-Ouen dont le cimetière fut le lieu de son abjuration. Tout comme Orléans, mais à un degré moindre, cette ville organise depuis 1878 ses fêtes Jeanne d'Arc au mois de mai.

   

  La population de la ville a souvent montré qu'elle n'était pas complice des bourreaux de la Pucelle et Rouen s'honore depuis le XV° siècle de nombreux témoignages de reconnaissance, d'hommages du plus humble (enseignes de magasin...) au plus durable (monuments, noms de rue etc...). Deux croix furent élevées à la demande du tribunal de réhabilitation sur la place du Vieux-Marché (où elle existe encore) et à l'abbaye St-Ouen. Il faut d'ailleurs se souvenir que la ville de Rouen n'a été prise par les Anglais qu'après un siège interminable. Avant l'invasion anglaise elle était par son importance, la 3ème ville du royaume après Paris et Lyon. En 1455 à sa libération par Charles VII, une grande partie de la population a disparu dans les privations, la fuite et les tourments.

LA FONTAINE DE LA PUCELLE :

  Parmi les monuments anciens que les Rouennais ont élevé, il faut retenir en tout premier la fontaine située place de la Pucelle où l'on a longtemps cru que la vierge avait été brûlée. La fontaine a été le premier hommage à la gloire de Jeanne d'Arc. Elle a été construite vers 1525 au centre de la place de la pucelle, anciennement appelée place du Marché-aux-veaux. Elle remplaçait l'ancienne fontaine qui a été dessinée en 1518 par Jacques Le Lieur dans son magnifique livre sur les fontaines de Rouen.
  Elle est représentée par Israel Silvestre au XVII° siècle sur une très belle "eau-forte". On peut la décrire sommairement comme suit : la distribution de l'eau est assurée par trois têtes humaines, à l'étage supérieur, un programme unit Jeanne d'Arc aux femmes fortes de la bible. Au centre est placée Jeanne seule en robe simple, sans arme, comme dans la tenue qu'elle portait à sa mort.

               

  En 1604, la fontaine en mauvais état est rénovée au cours d'une campagne de restauration des monuments publics menée par l'architecte Harduin. En 1754, à nouveau dégradée, elle devient dangereuse pour les habitants du quartier et une nouvelle fontaine est commandée. Jeanne d'Arc y est maintenant représentée tête nue, habillée en drapé, une épée à la main, appuyée sur un bouclier. Cependant la gloire de la Pucelle commence à prendre de l'ampleur en France et la population rouennaise trouve de plus en plus cette fontaine insuffisante voire indigne d'un hommage à l'héroïne.
     Cette fontaine sera pourtant le seul monument à la gloire de Jeanne d'Arc à Rouen jusqu'en 1926 et sera détruite par les bombardements en 1944, comme une bonne partie du quartier.

                            

  Au XIX siècle, à la suite des nombreux travaux entrepris sur la mémoire de l'héroïne, grâce aux travaux de Quicherat entres autres, l'emplacement exact du bûcher est précisé sur la place du Vieux-Marché et non pas place du Marché-aux-veaux comme on l'avait cru jusqu'alors.

       

LE DONJON DU CHATEAU :

  
Philippe-Auguste a envahi la Normandie et a pris Rouen en juin 1204. Il fait édifié le château fort sur les hauteurs de la ville, sur les ruines d'un amphithéâtre antique romain. On sait peu de choses des bâtiments à l'intérieur du château, seulement qu'il y avait plusieurs chapelles (St-Louis, St-Romain...) et des logements d'habitation certainement adossés à la muraille (voir plan du chateau). Entre 1419 et 1449, les Anglais (le roi Henri, Bedford et sa femme entres autres) occuperont des logements richement meublés. Les fossés étaient aménagés de jardins. C'est dans ce château que Jeanne d'Arc est emprisonnée vers le 23 décembre 1430. La tour de la Pucelle, sa prison pendant le procès, est détruite en 1809 car devenue trop dangereuse pour le voisinage. Malheureusement les Français ne s'intéressaient pas encore suffisamment à Jeanne d'Arc pour sauver ce précieux bâtiment. Il est à noter que le démantelement du château avait commencé en 1591. Au milieu du XVIIème siècle, il ne reste presque rien. Quelques vitraux (des chapelles ?) subsistent encore dans deux musées.
   
                             

  Le donjon, dernière relique du chateau de Philippe-Auguste, a été le cadre d'une séance au cours du procès de condamnation. Jeanne y a été menacée de torture par ses "juges" et mise en présence des bourreaux et leurs instruments de torture. Certains historiens pensent qu'elle a pu y être aussi enfermée dans une cage en fer construite spécialement pour elle avant le début du procès, soit de fin décembre, date de son arrivée jusqu'au mois de février ! Elle a ensuite été enfermée dans la Tour de La Pucelle dont les soubassements sont encore visible au 102, rue Jeanne d'Arc. Son compagnon d'arme Poton de Xaintrailles y fut aussi enfermé un peu plus tard.

                   

  En 1840, enclavé dans le couvent des Ursulines, le donjon est dans un état tel que les religieuses envisagent de l'abattre. Rappelons quand même, pour sauvegarder la mémoire de ces bonnes religieuses, qu'à cette époque Jeanne d'Arc n'était pas encore sur les autels ! L'inspecteur des monuments historiques Achille Deville réussit à obtenir de l'état la subvention nécessaire pour entreprendre les travaux les plus urgents de consolidation. En 1865, le conseil général des Vosges qui avait acheté la maison natale de la pucelle supplie par courrier la ville de Rouen de faire de même avec le donjon. Une souscription nationale pour le rachat de la "Tour Jeanne d'Arc" est lancée en 1866 pour la somme de 25.000 francs de l'époque. Toute la France s'unit pour sauver le donjon du chateau de la destruction. En 1868, une convention d'achat est signée. C'est le célèbre architecte Viollet-le-Duc qui remettra la tour dans l'état où elle était à la construction sous Philippe-Auguste. Le deuxième étage et le toit sont entièrement reconstruits.

       

En 1894, un musée s'ouvre dans la Tour Jeanne d'Arc. La première œuvre exposée est la grande scupture de Mercié qui servira de modèle au monument national de Domrémy. Ce sera aussi la dernière oeuvre à quitter le musée en 1931, année de la fermeture de ce musée.
  Mark Twain y avait offert avec enthousiasme le manuscrit original de son essai "Joan of Arc" avec ses mots :" it's a matter of great pride to me to have any word of mine concerning the world's supremest heroine honored by a place in that museum ".

       

LA STATUE DE JEANNE AU BUCHER :

Le thème du bûcher, plusieurs fois évoqué par la ville n'est pas favorisé au XIX° et début du XX° siècle en raison du sentiment de culpabilité de la ville face au crime commis contre elle. Sur tous les projets présentés, seul celui de Real del Sarte verra le jour au début du XX° siècle. La satue est encore situé contre l'église Ste Jeanne d'Arc à l'heure actuelle. Un buste du même auteur se trouve à l'église St Rémy à Domrémy. Dans le socle y a été enfermée de la terre du bûcher de Rouen. La plaque souvenir du boulevard de l'opéra à Paris (commémoration de la blessure de Jeanne devant la porte St-Honoré en septembre 1429) est aussi du même auteur.

                            


LA SAGA DE LA STATUE DE LE VEEL :

  Mais tout cela ne satisfait pas encore complètement les Rouennais. Jules Michelet sera le déclencheur d'une véritable propostion d'hommage à Jeanne d'Arc. Son beau-fils A. Dumesnil propose la création d'une cité au nord de Rouen avec des noms de rue évoquant la carrière de la Pucelle (Domrémy, Reims etc...) et au milieu de laquelle s'élèverait une colonne de 20 mètres de haut sur le modèle de celle du Châtelet à Paris, un projet d'Auguste Préault. Un essai de financement franco-anglais sera un échec et ce projet finira par être abandonné vers 1865.

  C'est à cette période qu'est placée la statue équestre d'Emmanuel Frémiet place des Pyramides à Paris qui supplante Armand Le Véel auteur de la célèbre statue de Jeanne à cheval.

  Celui-ci proposera sa statue dans un nouveau projet en 1876 à la ville de Rouen. Juchée sur une colonne monumentale, le monument devait prendre place sur l'ancien boulevard Bouvreuil (du nom du chateau de Rouen) aujourd'hui appelé Boulevard Jeanne d'Arc mais un changement de conseil municipal à Rouen en 1879 sonne la fin du projet. Sa statue lui est retournée sans un mot d'explication.
  Cette œuvre magnifique est exposée depuis 1898 à l'archevêché d'Orléans. 

                                              


                            

LE MONUMENT DE LA COLLINE DE BONSECOURS :

  
Jules Adeline, architecte rouennais et fervent admirateur de l'héroïne, conçoit en 1881 un premier projet équestre et grandiose sur la colline Sainte-Catherine (du nom de l'ancien couvent qui y était situé, voir l'histoire de ce couvent ici.).

   

  En 1900, il projette ni plus ni moins qu'une statue de Jeanne d'Arc, dans le style de construction de « La Liberté » de Bartholdi (1). Au sommet de l'oriflamme, des rayons électriques auraient été projetés dans toutes les directions !   Le piédestal était prévu en granit, les escaliers et les hauts-reliefs en bronze. Sur la plate-forme la plus haute, la statue en cuivre dans un ton vieil or, faisant à elle seule plus de 50 mètres ! Des escaliers aménagés à l'intérieur de la statue auraient permis d'en atteindre le sommet. Un funiculaire devait relier la ville aux habitations autour du gigantesque monument.

       

  Le projet d'implantation d'un monument colossal sur les hauteurs dominant Rouen, va se développer, sans succès malheureusement, jusqu'en 1909, notamment par le projet d'une statue de 16 mètres sur un socle de 11,5 mètres construite sur le fort Sainte-Catherine.

  En 1886, un projet de Cathédrale-Musée encore sur la colline Ste Catherine, projet à la fois religieux et culturel, est lancé par Deschamps et Genty. Sans soutien de la ville, il tombe lui aussi à l'eau.

  Enfin en 1890, un monument à la mémoire de Jeanne d'Arc sur la colline Sainte Catherine est mis au programme du Grand Prix de Rome (grand prix destiné à aider les artistes en offrant une bourse pour des études à la villa-médicis à Rome). Les archives de ce concours ont été conservées dont ceux des 4 finalistes. Ces projets beaucoup trop grandioses resteront eux-aussi dans les cartons !

                    

                    

  Enfin une étude va aboutir, celle de Juste Lisch, inspecteur des monuments historiques, marié à une rouennaise.

  Son monument initialement prévu par le Cardinal Thomas près du donjon à l'intérieur du couvent des Ursulines, aurait privé des sœurs, décidément peu reconnaissantes à Jeanne d'Arc, d'une partie de leur jardin... ce qui souleva de vives discussions. Pour couper court, le monument fut élevé en 1892 sur le plateau des Aigles agrandi d'une terrasse.

  C'est le monument que l'on peut observer aujourd'hui sur la colline de Bonsecours, dominant la ville et situé face à la basilique du même nom (construite en 1840) . Quant au couvent, il a disparu depuis !


                       


L'ABBAYE DE SAINT-OUEN, LIEU DE L'ABJURATION :

  
Ce lieu fait l'objet d'un dossier complet :
- le cimetière et l'abbaye de Saint-Ouen.


LA PLACE DU VIEUX-MARCHÉ :

  
De 1892 à 1926, des discussions vont s'élever entre la ville et diverses sociétés et ligues pour l'implantation d'un monument national. Un ingénieur de la ville Gogeard entreprend des études archéologiques de la place du Vieux-marché. S'élève alors l'idée d'une reconstitution à l'identique de la place au temps de Jeanne d'Arc avec le bucher, les tribunes, le pilori, les halles etc... et même la reconstruction de l'église St-Sauveur. Nombreux sont ceux qui y verraient là un lieu enfin digne de l'héroïne nationale (2).

  L'inertie des représentants de la ville et la guerre de 1914-18 mettront fin à de nombreux projets.

   

  La place du Vieux-marché sera réaménagée à plusieurs reprises après 1926. Cela fera l'objet d'un autre article ultérieur.


Notes :
1
Statue de la Liberté dans le port de New-York, offerte par la France aux U.S.A... à une époque où ce pays incarnait un rêve de liberté.

2 La reconstruction à l'identique de la place du Vieux-marché, du pont et du site des Tourelles à Orléans seraient sans doute un extraordinaire hommage à Jeanne d'Arc mais ne rêvons pas !


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