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Procès
de réhabilitation
Déposition
de Bertrand de Poulengy |
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Noble homme messire Bertrand de Poulengy, écuyer de
la maison du roi de France, âgé d'environ soixante-trois ans,
trente et unième témoin produit dans cette cause d'inquisition,
juré et interrogé dans cette cité de Toul l'an et le samedi
sixième jour de février susdits, requis par serment...
I à III.
A savoir sur le premier des articles commençant par « Premièrement
sur le lieu d'origine, etc... », et aussi sur les deuxième
et troisième articles suivant, requis, il déclara par serment que la Jeanne en question naquit, à ce qu'on dit, à Domremy ;
son père fut Jacques d'Arc, de ce village ; il ignore le nom de sa mère ; mais il est allé plusieurs fois dans leur maison et sait
que c'étaient de bons laboureurs, comme il l'a vu. Ne sait
rien d'autre sur le contenu de ces articles.
IV à VIII.
Sur le quatrième article suivant, commençant par « De
même si dans son plus jeune âge, etc... », requis, il déclara ne rien
savoir si ce n'est pas ouï-dire. Il entendit dire en effet que cette
Jeanne dans son jeune âge était une bonne fille, de bonne
tenue ; elle aimait aller à l'église, et presque chaque samedi
elle allait à l'ermitage Notre-Dame de Bermont et y portait des cierges. Déclara aussi qu'elle filait, gardait parfois les
animaux et les chevaux de son père. Ajouta qu'après son
départ de la maison paternelle il la vit, tant à Vaucouleurs
qu'ailleurs dans la guerre ; et il la vit se confesser souvent et
parfois à deux reprises dans la semaine ; elle recevait l'eucharistie
et était fort pieuse. Ne sait rien d'autre sur le contenu
de ces articles.
IX.
Sur l'article suivant, le neuvième, commençant par « De
même qu'en est-il, etc... », requis, il déclara avoir vu plusieurs
fois l'arbre en question, et il y alla pendant une douzaine
d'années avant d'avoir rencontré Jeanne. Il ajouta avoir entendu
dire que les jeunes filles et les jeunes gens du village
de Domremy et des autres villages voisins vont durant l'été
se promener et faire des rondes sous cet arbre. Ne sait rien
d'autre sur le contenu des articles.
X.
Sur l'article suivant, le dixième, commençant par « De
même qu'on enquête, etc... », requis, il déclara par serment que
Jeanne la Pucelle vint à Vaucouleurs, vers l'Ascension du
Seigneur, lui semble-t-il, et il la vit alors parler à Robert
de Baudricourt, le capitaine de la ville ; elle disait être venue vers Robert de la part de son Seigneur, pour qu'il mandât
au dauphin de tenir bon et de ne pas engager bataille contre
ses ennemis, car son Seigneur lui apporterait un secours
avant la mi-carême. Cette Jeanne disait en effet que le
royaume n'appartenait pas au dauphin, mais à son Seigneur ;
ce dernier cependant voulait que le dauphin devint roi et tint le royaume en commande ; elle ajoutait que, malgré ses
ennemis, le dauphin deviendrait roi et qu'elle le conduirait
pour le faire sacrer. Lequel Robert lui ayant demandé quel était son Seigneur, elle répondit : « Le roi du ciel. » Cela fait, elle retourna à la maison de son père avec un de ses oncles,
nommé Durand Laxart de Burey-le-Petit. Ensuite, vers le
début du carême, Jeanne revint à Vaucouleurs, cherchant
une compagnie pour aller vers le seigneur dauphin ; voyant
cela le témoin, lui, et Jean de Metz proposèrent ensemble
de la conduire au roi, alors dauphin. Après être allée en pèlerinageà Saint-Nicolas et s'être rendue grâce à un sauf-conduit
auprès du duc de Lorraine, qui voulait la voir, Jeanne revint à Vaucouleurs dans la maison d'Henri Le Royer de ladite
ville ; alors Bertrand, le témoin qui parle, et Jean de Metz firent tant, avec l'aide des autres gens de Vaucouleurs, qu'elle
put quitter ses vêtements féminins, de couleur rouge, pour ce
qu'ils lui firent préparer : une tunique et des vêtements
d'homme, des éperons, des chausses, une épée et autres choses
semblables, ainsi qu'un cheval ; puis avec ladite Jeanne, avec Julien, serviteur dudit témoin, Jean de Honnecourt,
serviteur de Jean de Metz, Colet de Vienne et Richard l'Archier,
ils se mirent en route pour aller vers le dauphin. Au
départ du pays, le premier jour, ils craignaient les bandes
de Bourguignons et d'Anglais, alors tout-puissants, et ils
marchèrent pendant une nuit. Le témoin déclara aussi que
cette Jeanne la Pucelle lui disait, à lui, témoin, à Jean de
Metz et aux autres allant avec eux, qu'il serait bon d'entendre
la messe ; mais ils ne le purent, tant qu'ils furent dans
les pays en guerre, pour ne pas être reconnus. Chaque nuit
elle était couchée avec lesdits Jean de Metz et le témoin,
elle était cependant revêtue de son pourpoint et ses chausses lacées
et fixées. Il déclara aussi qu'à cette époque lui, témoin, était
jeune ; cependant il n'avait pas le désir ni quelque envie
charnelle de connaître une femme, et il n'aurait pas osé solliciter
ladite Jeanne, à cause de la bonté qu'il voyait en elle.
Ledit témoin ajouta qu'ils restèrent onze jours en voyage
pour aller jusqu'au roi, alors dauphin, et en route ils eurent beaucoup d'inquiétudes ; mais Jeanne toujours leur disait de
ne rien craindre, car, une fois arrivés dans la ville de Chinon,
le noble dauphin leur ferait bon visage. Elle ne jurait jamais ;
et le témoin, selon ses dires, était très enflammé par ses paroles, car elle lui semblait être envoyée par Dieu ; jamais
en elle il ne vit quelque chose de mauvais, mais toujours elle
fut une fille si bonne qu'on aurait dit une sainte ; et ainsi
ensemble, sans grand encombre, ils cheminèrent jusqu'au
lieu de Chinon, où était le roi, alors dauphin ; et arrivés audit
lieu de Chinon, ils présentèrent ladite Pucelle aux nobles
et gens du roi, auxquels le témoin s'en rapporte pour les
actions de Jeanne. Il ne saurait rien ajouter à sa déposition.
XI.
Sur le chapitre suivant, le onzième, commençant par « De
même si dans ledit pays, etc... », requis, il déclara ne rien savoir,
si ce n'est qu'il entendit dire par quelques personnes que
l'enquête avait été corrigée ; mais ne sait qui agirent ainsi.
XII.
Sur l'article suivant, le douzième, commençant par « De
même si quand, etc... », requis, il déclara ne rien savoir.
N'en sait pas plus. Cité il vint, et a déposé sans passion
ni haine, sans être sollicité ni payé, sans crainte ni partialité.
Et il lui fut enjoint, etc...
Nobilis vir, dominus Bertrandus de Poulengeyo,
scutiffer scutifferie regis Francie, etatis LXIII annorum, vel circa,
tricesimus primus testis in huiusmodi inquisicionis causa productus,
iuratus et examinatus, in dicta civitate tullensi, anno et die sexta
februarii, predictis, requisitus, per suum iuramentum [...] Videlicet
Super I° eorumdem articulorum articulo, incipiente : «
Primo de loco originis » ; eciam super II° et III°
sequentibus articulis, requisites,
"Dixit per suum dictum iuramentum, quod Iohanna
articulata fuit oriunda de Dompno Remigio, ut dicebatur ; fuitque
eius pater Iacobus Darc, eiusdem ville. Nomen eius matris
ignorat. Sed in domo ipsorum pluries fuit, et scit quod erant boni
laboratores, prout vidit. Nec aliud scit de contentis in dictis
articulis."
Super IV° sequente articulo, incipiente : "Item, si
in primitiva etate, etc..." ; eciam super V°, VI°,
VII° et VIII° sequentibus articulis, requisitus,
"Dixit se nichil scire, nisi ex auditu. Audivit
enim dici quod ipsa Iohanna in sea iuvenili etate erat bona filia,
bone conversacionis. Ibatque libenter ad ecclesiam, et quasi quolibet
die sabbati ibat ad heremum beate Marie de Bermont ; et portabat
candelas. Dixit eciam quod nebat ac animalia et equos patris aliquando
custodiebat. Dixit insuper quod, postquam dicta Iohanna recessit
a domo patris, ipse testis vidit eam, tam in Valliscolore, quam
alibi in guerra. Et vidit eam pluries et aliquociens bis in ebdomada
confiteri. Et Eucaristiam sumebat, ac erat multum devota. Nec aliud
scit de contentis in eisdem articulis."
Super IX° sequente articulo, incipiente : "Item, quid
habet fama, etc...", requisites,
"Dixit idem testis quod pluries vidit illam arborem
articulatam ; ac sub eadem fuit per duodecim annos antequam vidisset
dictam Iohannam. Dicit eciam, prout dici audivit, quod puelle et
iuvenes pueri dicte ville de Dompno Remigio et aliarum villarum
vicinarum, tempore estatis, vadunt spaciatum et choreatum subtus
illam arborem. Nec aliud scit de contentis in codem."
Super X° sequente articulo, incipiente : "Item, inquiratur,
etc...", requisitus, per dictum suum iuramentum,
"Dixit quod ipsa Iohanna la Pucelle venit
ad Valliscolorem circa Ascensionem Domini (2),
ut sibi videtur ; et tunc vidit cam loqui Roberto de Baudricuria,
tunc cappitaneo dicte ville. Que dicebat quod ipsa venerat versus
ipsum Robertum, ex parte Domini sui, ut ipse mandaret Dalphino quod
se bene teneret, et quad non assignaret bellum suis inimicis ; quia
eius Dominus daret sibi succursum infra medium quadragesime. Dicebat
etenim ipsa Iohanna quod regnum non spectabat Dalphino, sed Domino
suo. Actamen Dominus suus volebat quod ipse Dalphinus efficeretur
rex, et quod haberet in commendam illud regnum. Dicendo quod, invitis
inimicis eiusdem Dalphini, fieret rex ; et ipsa duceret cum ad consecrandum.
Qui Robertus ab ea peciit quis esset eius Dominus. Que respondit
: "Rex celi". Et hoc facto, recessit ad domum patris,
cum quodam suo avunculo, nuncupato Durando Laxart, de Bureyo Parvo.
Et postea versus inicium quadragesime, ipsa lohanna rediit ad dictum
locum Valliscoloris, querendo societatem ad eundum versus dominum
Dalphinum. Et hec videns idem testis, ipse et Iohannes de Metis
proposuerunt insimul quod eam ducerent ad regem, tunc Dalphinum.
Et postquam ipsa Iohanna fuit in peregrinagio in Sancto Nicolao
et exstitit versus dominum ducem Lothoringie, qui eam cum salvo
conductu voluerat videre. Quodque ipsa lohanna reversa apud dictum
Valliscolorem et domum habitacionis Henrici Rotarii, dicte ville,
ipse Bertrandus, testis loquens, et Iohannes de Metis, tantum fecerunt,
cum adiutorio aliarum gencium de Valliscolore, quod ipsa dimisit
suas vestes mulieris, rubei coloris ; et fecerunt sibi fieri tunicam
et vestimenta hominis, calcaria, ocreas, ensem et similia, ac unum
equum. Et tunc ipsi, cum dicta Iohanna, et cum Iuliano servitore
ipsius testis, Iohanne de Honecourt, servitore Iohannis de
Metis, Coleto de Vienna et Richardo saggitario, iter suum acceperunt,
pro eundo versus Dalphinum. Et in exitu patrie, in prima die, timebant,
propter armatos Burgundorum et Anglicorum tunc regnancium, et iverunt
per unam noctem. Dixit eciam idem testis quod ipsa Iohanna la
Pucelle dicebat eidem testi, Iohanni de Metis, et aliis secum
itinerantibus, quod bonum esset quad audirent missam. Sed, dum erant
in patria guerre, non poterant ; et eo quad non cognosceretur. Qualibet
nocte iacebat cum eisdem lohanne de Metis et teste loquente, ipsa
tamen induta suo lodice et caligis suis ligulata et firmata. Dixit
eciam ipse testis, quod tunc temporis erat iuvenis, actamen non
habebat voluntatem nec aliquem motum carnalem cognoscendi mulierem.
Nec ausus fuisset requirere dictam Iohannam, propter eius bonitatem,
quam videbat in ea. Dixit eciam ipse testis quod ipsi manserunt
per undecim dies per iter eundo usque ad regem tunc Dalphinum. Et
eundo, habuerunt multa dubia. Sed dicta Iohanna semper dicebat eis
quod non timerent ; quia, ipsis perventis ad villam de Chinon,
nobilis Dalphinus faceret eis bonum vultum. Nunquam iurabat ; ac
erat ipse testis, ut dixit, multum infammatus suis vocibus, quia
sibi videtur quod erat ex Deo missa ; nec unquam in ipsa vidit aliquod
malum ; sed semper fuit ita bona film sicut fuisset sancta. Et taliter
insimul, sine aliquo magno impedimento, itineraverunt, quoad locum
de Chinon, ubi erat dictus rex, tunc Dalphinus, accesserunt.
Et, dum in dicto loco de Chinon fuerunt, dictam Puellam nobilibus
et gentibus regis presentaverunt, quibus idem testis de gestis eiusdem
Iohanne se reffert. Nec aliter proprie sciret deponere."
Super XI° sequente articulo, incipiente : "Item, si
in dicta patria, etc...", requisitus,
"Dixit se nichil scire, nisi ex auditu ab aliquibus,
quibus dici audivit quod corrigere fecerant informacionem. Sed nescit
qui fuerint."
Super XII° sequente articulo, incipiente : "Item, si
quando, etc..." ; requisitus,
"Dixit se nichil scire."
Plura nescit. Citatus venit. Nec amore [...]
Et fuit sibi iniunctum, etc...
Sources
:
- Texte original latin : "La rédaction épiscopale du procès
de 1455-1456" - Paul Doncoeur et Yvonne Lanhers - 1961.
- Traduction : source Pierre Duparc.
Notes :
1 en commende : de commendare "confier", se dit
de la concession d'un bénéfice accordé à
un religieux ou un laïc (Petit Robert).
2 L'Ascension tombe le 13 mai 1428.
La mi-carême était le 1er mars 1429.
NDLR : Cette première entrevue de Jeanne avec Baudricourt
vers l'Ascension, parait peu probable à cette date. Poulengy
est le seul témoin à en parler et de nombreux éléments
font penser à une erreur sur cette date. Voir dossier sur ce sujet.
Note de J.B.J. Ayroles sur B. de Poulengy : Bertrand de Poulengy, autant qu'on en peut juger
par une pièce authentique, était établi dans le pays, à titre de seigneur foncier, quelques années avant la mission de la Pucelle. Il avait sûrement sa résidence sous la prévôté de Gondrecourt ; mais pas dans un lieu dont il portât le nom, car il est impossible d'identifier ce nom avec aucun de ceux du Barrois et des Évêchés. Il est probable qu'il remplissait un office notable dans la capitainerie de Vaucouleurs, lorsque Jeanne s'y présenta.
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