|
Procès
de réhabilitation
V-2 - Déposition de Jean de Nouillompont dit "de Metz" |
|
Noble homme Jean de Nouillompont, dit de Metz (1), demeurant en la ville de Vaucouleurs, âgé de cinquante-sept ans
environ, vingt-deuxième témoin produit dans cette cause
d'inquisition, juré et interrogé audit Vaucouleurs, l'an susdit
du Seigneur [1456 n. st.], le samedi dernier jour du mois
de janvier, requis par serment [...].
A savoir sur le premier des articles, commençant par « Premièrement au sujet du lieu d'origine, etc. », et aussi sur l'article
suivant, le deuxième, requis déclara avoir entendu dire
que la Jeanne en question est née à Domremy, et, au moment
de son départ dudit village, il vit ses père et mère, qui lui
parurent être bons catholiques. Ne sait rien d'autre.
Sur l'article suivant, le troisième, commençant par « De
même qui furent, etc. », requis déclara ne rien savoir.
Sur l'article suivant, le quatrième, commençant par « De
même si dans son plus jeune âge, etc. », et aussi sur les cinquième,
sixième, septième, huitième, neuvième et dixième
articles suivant, à lui exposés avec soin et un par un, requis
déclara par serment savoir ce qui suit. A savoir lorsque ladite
Jeanne la Pucelle vint au lieu et à la ville de Vaucouleurs, au
diocèse de Toul, le témoin qui parle la vit habillée de pauvres
vêtements de femme, de couleur rouge ; et logeait dans la
maison d'un certain Henri le Royer dudit Vaucouleurs. Le
témoin s'adressant à elle lui dit : « Ma mie, que faites-vous ici?
Convient-il que le roi soit chassé du royaume et que nous
soyons anglais? » Laquelle Pucelle lui répondit : « Je suis
venue ici, à la chambre du roi (2), parler à Robert de Baudricourt,
pour qu'il veuille me conduire ou me faire conduire au roi.
Il ne se soucie pas de moi, ni de ce que je lui dis ; cependant
avant la mi-carême il faut que je sois auprès du roi, dussé-je y
perdre les jambes jusqu'au genou. Car nul au monde, ni rois,
ni ducs, ni fille du roi d'Écosse (3) ou autres, ne peut recouvrer
le royaume de France ; il n'y a pour lui de secours que de moi ;
pourtant je préférerais filer auprès de ma mère, cette pauvre
femme, car ce n'est pas de ma condition ; mais il faut que
j'aille, et que j'agisse ainsi, parce que mon Seigneur le veut. »
Et le témoin lui demandant qui était ce Seigneur, elle répondit
que c'était Dieu. Alors ledit Jean, le témoin, promit à la Pucelle, en lui touchant la main en signe de foi (4), qu'il la
conduirait avec l'aide de Dieu vers le roi. Il lui demanda
ensuite quand elle voulait partir ; elle lui répondit : « Plutôt
aujourd'hui que demain, et demain qu'après. » Il lui demanda
aussi si elle voulait partir avec ses vêtements (5); et elle répondit
qu'elle aimerait avoir des vêtements d'homme. Alors
le témoin lui remit un habit et des chausses de ses serviteurs,
pour qu'elle s'en revêtît ; et cela fait, les habitants de la ville
de Vaucouleurs lui firent faire un costume d'homme et des
chausses, des guêtres et tout le nécessaire, et lui donnèrent
un cheval, valant environ seize francs. Une fois habillée et
pourvue d'un cheval, munie d'un sauf-conduit du seigneur Charles, duc de Lorraine, la Pucelle partit pour parler audit
seigneur duc, et le témoin alla avec elle jusqu'à la cité de
Toul. Lorsqu'elle fut de retour à Vaucouleurs, vers le dimanche « des Bures » — il y aura vingt-sept ans au prochain
dimanche des Bures à venir (6), lui semble-t-il — le témoin et
Bertrand de Poulengy, avec deux de ses serviteurs, Colet de
Vienne, messager royal, et un certain Richard l'Archier,
conduisirent cette Pucelle au roi résidant à Chinon, aux
coûts et frais dudit témoin et de Bertrand. En partant de la
ville de Vaucouleurs pour se rendre près du roi, ils allaient
parfois de nuit, par crainte des Anglais et des Bourguignons
se trouvant aux alentours de leur trajet ; et ils demeurèrent
en route pendant onze jours, à chevaucher jusqu'à cette ville
de Chinon ; et en cheminant avec elle, le témoin lui demandait
si elle ferait ce qu'elle disait ; elle leur répondait de n'avoir
crainte, qu'elle avait reçu en mission d'agir ainsi, que ses
frères du paradis lui disaient ce qu'elle avait à faire, et que,
depuis quatre ou cinq ans déjà ses frères du paradis et son
Seigneur, c'est-à-dire Dieu, lui avaient dit qu'il fallait partir à la guerre pour recouvrer le royaume de France. Déclara
en outre que pendant ce voyage lui, témoin, et Bertrand couchaient
chaque nuit ensemble avec elle ; mais cette Pucelle
couchait près du témoin avec son pourpoint et ses chausses
enfilées ; le témoin la craignait tellement qu'il n'aurait pas
osé la solliciter, et par serment déclara qu'il n'eut jamais
de désir ni de mouvement charnel. Pendant le trajet elle
aimait entendre la messe, et leur disait : « Si nous pouvions
entendre la messe, nous ferions bien » ; mais, pour qu'elle
ne fût pas reconnue, ils n'entendirent la messe en chemin
que deux fois (7). Déclara aussi le témoin qu'il croyait beaucoup
aux paroles de la Pucelle, et il était enflammé par ses paroles
et par son amour de Dieu. Croit qu'elle était envoyée par Dieu,
car jamais elle ne jurait, aimait entendre la messe et en prêtant
serment se signait du signe de la croix. Ainsi la conduisirent-ils
au roi, jusqu'audit lieu de Chinon, le plus secrètement possible.
Déclara en outre le témoin que cette Pucelle aimait
entendre la messe, comme il le vit, se confessait souvent, faisait volontiers l'aumône ; et le témoin lui accorda fréquemment
de l'argent qu'elle donnait pour l'amour de Dieu.
Déclara encore le témoin que, tout le temps qu'il fut avec
elle, il remarqua qu'elle était bonne, franche, pieuse, bonne
chrétienne, de bonne compagnie et craignant Dieu. Ne sait
rien d'autre sur le contenu de ces articles, si ce n'est qu'une
fois arrivé au lieu de Chinon, ils la présentèrent aux gens du
roi et à ses conseillers ; alors elle fut beaucoup interrogée (8).
Sur l'article suivant, le onzième, commençant par « De
même si dans ledit pays, etc. », et aussi sur l'article suivant,
le douzième, requis déclara ne rien savoir.
N'en sait pas plus. Cité il vint et déposa sans passion ni
haine, sans être sollicité ni payé, sans crainte. Et il lui fut
enjoint, etc.
Nobilis vir Iohannes de Novelonpont dictus
de Metz, in villa de Valliscolore commorans,
etatis LVII annorum vel circa, vicesimus secundus testis in huiusmodi
inquisicionis causa, productus, imatus et examinatus in dicta villa
de Valliscolore, anno predicto Domini M CCCC LV, die sabbati, ultima
mensis ianuarii, requisitus, per suum iuramentum [...] Videlicet
Super I° eorumdem articulormn articulo, incipiente : "Prime,
de loco originis, etc..."; eciam super II° sequente requisitus,
"Dixit quod audivit dici quod lohanneta articulata
fuit oriunda de Dompno Remigio, et a tempore recessus dicte ville,
vidit patrem et matrem eiusdem, qui, ut sibi videtur, erant boni
laboratores et catholici. Nec aliud scit."
Super III° sequente articulo, incipiente : "Item, qui
fuerunt, etc..."; requisitus,
"Dixit se nichil scire."
Super IV° sequente articulo, incipiente : "Item, si
in primitiva etate, etc..."; eciam super V°, VI°, VII°,
VIII°, IX° et X° sequentibus articulis, sibi diligenter
et seriatim expositis, requisitus,
"Dixit per suum iuramentum, se scire quod sequitur.
Videlicet, dam dicta Iohanna Ia Pucelle perventa fait ad locum et
villam de Valliscolore, tullensis diocesis, ipse testis loquens
vidit dictam Iohannam indutam pauperibus vestibus, rubeis, muliebribus.
Et erat locata in domo, cuiusdam Henrici le Rouyer, dicte
ville de Valliscolore, qui locutus fuit sibi dicendo : "Amica
mea, quid hic facitis ? Opportetne quod rex expellatur a regno,
et quod simus Anglici ?" Que Puella tunc sibi respondit
: "Ego veni huc ad cameram regis,
locutum Roberto de Baudricuria, ut me velit ducere aut duci facere
ad regem. Qui non curat de me, neque de verbis meis. Actamen, antequam
sit media quadragesima, opportet quod ego sim versus regem, si ego
deberem perdere pedes usque ad genua. Nullus enim in mundo, nec
reges nec duces, nec filia regis Scotie, aut alii, possunt recuperare regnum Francie. Nec est ei succursus
nisi de memet. Quamvis ego mallem nere iuxta pauperem matrem meam.
Quia non est status meus. Sed opportet ut ego vadam. Et hoc faciam,
quia Dominus meus vult ut ista faciam". Et dum idem testis,
quereret ab ea quis esset eius dominus, dicebat ipsa Puella quod
erat Deus. Et tunc idem Iohannes, testis, promisit eidem Puelle,
per fidem suam in sua manu tactam,
quod eam, Deo duce, duceret versus regem. Et tunc idem testis loquens
peciit sibi quando vellet recedere, que dicebat : "Cicius
nunc, quam cras. Et cras, quam post". Et peciit sibi idem
testis iterato si cum suis vestibus vellet ire;
que respondit quod libenter haberet vestes hominis. Et tunc idem
testis de famulis suis tradidit sibi vestes et calceamenta, ad induendum.
Et hoc facto, habitatores dicte ville de Valliscolore fecerunt sibi
fieri vestes hominis et calceamenta, ocreas, et sibi neccessaria
; et tradiderunt sibi unum equum, precio sexdecim francorum, vel
circa. Et, dum fuit induta et habuit equum, ex salvo conductu domini
Karoli, ducis Lothoringie, ipsa Puella ivit locutum dicto domino
duci. Et ivit secum idem testis, usque ad civitatem tullensem. Et,
dum regressa fuit ad Valliscolorem, circa dominicum Burarum,
erunt viginti septem anni, in dominica Burarum proxime veniente,
ut sibi videtur, ipse testis, et Bertrandus de Poulengeyo, cum duobus
servitoribus, et Coleto de Vienna, nuncio regis, et quodam Richardo,
sagitario, ipsam Puellam duxerunt erga regem in Chynonno stantem,
expensis et sumptibus ipsorum testis et Bertrandi. Et recedendo
a dicta villa de Valliscolore, propter timorem Anglicorum et Burgundorum,
circumcirca iter existencium, eundo versus regem, ibant aliquando
de nocte ; et manserunt per viam per spacium undecim dierum ; equitando
usque ad villam de Chynon. Et, itinerando per iter cum ea, idem
testis petebat ab eadem si ipsa faceret ea que dicebat ; et dicta
Puella semper eis dicebat quod non timerent ; et quod ipsa habebat
in mandatis hoc facere ; quia sui fratres de paradiso dicebant sibi
ea que habehat agere ; et quod erant iamque quatuor vel quinque
anni quod sui fratres de paradiso et Dominus suus, videlicet Deus,
dixerant sibi quod opportebat quod iret ad guerram pro regno Francie
recuperando. Dixit eciam eundo quod ipse testis et Bertrandus qualibet
nocte iacebant insimul cum ea. Sed ipsa Puella iacebat iuxta eumdem
testem, sue gippone et caligis vaginatis induta ; et quod eam idem
testis timebat taliter quod non ausus fuisset eam requirere. Et
per suum iuramentum dixit quod nunquam habuit voluntatem ad eam,
neque motum carnalem. Eciam itinerando, ipsa libenter missas, ut
dicebat, audisset ; quia dicebat eis : "Si possemus audire
missam, bene faceremus". Sed, propter agnicionem eius,
missas in itinere non audierunt, nisi bis. Dixit insuper idem testis
quod dictis ipsius Puelle multum credebat. Et ipsis dictis et eiusdem
amore divine, ut credit, inflammatus erat.
Et credit quod ipsa erat ex Deo missa ; quia nunquam
iurabat, libenter missas audiebat, et levando et iurando, crucis
signo se signabat. Et sic ad regem duxerunt usque ad dictum locum
de Chinon, secrecius quo potuerunt. Dixit insuper ipse testis
quod ipsa Puella libenter missas audiebat ; sepe, prout vidit, confitebatur
; libenter dabat elemosinas. Et dixit testis quod sibi multociens
pecunias, ad dandum pro Deo, concessit. Dixit iterum idem testis,
tamdiu quamdiu in eius comitiva fuit, ipsam bonam, simplicem, devotam,
bonam christianam, bene condicionatam, et Deum timentem, reperit.
Nec aliud scit de contentis in eisdem articulis, excepto quod, dum
applicuerunt in loco de Chynonno, eam gentibus et consiliariis regis
presentaverunt ; que tunc multum fuit interrogata."
Super XI° sequenti articulo, incipiente : "Item, si
in dicta patria, etc..."; eciam super XII° sequenti articulo,
requisitus,
"Dixit se nichil scire de contentis in eisdem."
Plura nescit. Citatus venit. Nec amore
Et fait sibi iniunetum, etc...
Sources :
- "La rédaction épiscopale du procès de 1455-1456" - Paul Doncoeur et Yvonne Lanhers - 1961.
- Traduction : Pierre Duparc.
- Articles du questionnaire.
Notes :
* Voir serment Jean Morel.
1. Jean de Metz ou plutôt de Nouillonpont (petit village entre Verdun et Luxembourg), faisait partie de la compagnie de Baudricourt. Il est nommé par erreur "chevalier" par Jeanne.
Les comptes d'Hémon Raguier, trésorier du Roi, le déclare écuyer.
Il est anobli en mars 1449 par Charles VII.
2. A la chambre du Roi : dans une ville du Roi.
3. Il était dès ce moment question de marier le dauphin (futur Louis XI) avec Marguerite d'Écosse, qu'il épousa
effectivement à Tours en 1436.
4. C'est le geste de foi de la chevalerie féodale. Jean devenait par ce geste 'l'homme-lige" de Jeanne.
5. Il est intéressant de noter que des vêtements d'homme paraissent une évidence à Jean de Metz puisque les
vêtements féminins de Jeanne lui paraissent immédiatement incongrus pour cette mission. Les habitants de Vaucouleurs vont
même se cotiser pour les lui offrir.
Avec une mauvaise foi honteuse, les juges de Rouen et leurs complices en feront le motif de relaps et de mort !
6. Le dimanches des Bures, le premier dimanche de Carême ici le 13 février 1429.
7. Cathédrale d'Auxerre et église de Ste Catherine de Fierbois.
8. Comme complément de la déposition de Jean de Metz, voici un extrait des comptes de Guillaume Charrier, receveur général des finances en 1429 et de maître Hémon Raguier :
"Jehan de Metz, escuier, la somme de cent livres pour le deffray de luy et autres gens de la compaignée de la Pucelle n'a guieres venue par devers le roy nostre sire, du Barrois, des frais qu'ilz ont faiz en la ville de Chinon, et qu'il leur convient
faire au voiage qu'ilz ont entencion de faire pour servir icelluy
seigneur en l'armée par luy ordonnée pour le secours
d'Orléans ; laquelle somme a esté aux des susdictz
octroiée par lettres du roy du xxi° jour d'avril mil cccc xxix." Guillaume Charrier
"Aux personnes cy aprés nommées, la somme de 450 livres tournois qui, ou mois d'avril
m cccc xxix après Pasques, de l'ordonnance et commandement
du roy nostre sire, a estée payée et baillée
par ledit thrésorier maître Hémon Raguier
; c'est assavoir : A Jehan de Mès, pour la despence de
la Pucelle, 200 livres tournois ; - Au maistre armeurier, pour
ung harnois complet pour laditte Pucelle, 100 livres tournois
; - Audit Jehan de Mès et son compaignon, pour luy aider
à avoir des harnois pour eulx armer et habiller, pour estre
en compaignie de ladite Pucelle, 125 livres tournois ; - Et à
Hauves Pouloir, peintre, demourant à Tours, pour avoir
paint et baillié estoffes pour ung grant estandart et ung
petit pour la Pucelle, 25 livres tournois."
Une note de J.B.J. Ayroles sur Jean de Metz : "Jean de Metz, âgé de trente ans au moment où il s'offrit généreusement pour guider la Pucelle en France, n'était pas seulement de condition libre. En 1418 il était soldoyer au service de Robert de Baudricourt, après avoir précédemment été à celui de Jean de Wal, capitaine et prévôt de Stenay. Il avait acquis à titre d'engagère, ou, suivant un auteur local, hérité de son père, la seigneurie de Novillonpont et Hovécourt dont il portait le titre. »
Le vaillant soldat fut anobli en mars 1449. Les lettres ne parlent pas de la Pucelle; elle était encore sous le coup de la condamnation, la réhabilitation ne devant avoir lieu que sept ans plus tard. Le parchemin mentionne « la vie digne d'éloges, l'honorabilité de la conduite et l'éclatante réputation dont jouit le bien-aimé Jean de Novilonpont, dit encore de Metz ; les louables et très gratuits services qu'il a rendus dans les guerres et dans d'autres circonstances. » Il est certain qu'il suivit sur les champs de bataille celle qu'il avait amenée des bords de la Meuse. En 1455, il résidait à Vaucouleurs."
|