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Procès
de réhabilitation
Déposition
de Jean Lefèvre |
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Révérend père dans le Christ et seigneur, monseigneur Jean Le Fèvre, professeur de théologie sacrée, de l'ordre
des frères ermites de saint Augustin, évêque de Démétriade,âgé d'environ soixante-dix ans, autrefois interrogé et juré,
et de nouveau interrogé le douzième jour du mois de mai sur
le contenu des articles produits en ce procès de nullité,
Interrogé d'abord sur ce qu'il peut attester à propos du
contenu des Ier, IIe, IIIe et IVe
articles, il déclare avoir eu connaissance de Jeanne, de ses
père et mère ou de ses parents, seulement depuis que cette Jeanne fut amenée dans la ville de Rouen, et au moment
où fut engagé contre elle le procès en matière de foi par
l'évêque de Beauvais et le sous-inquisiteur ; le témoin fut
présent à ce procès jusqu'à la première prédication faite à
Saint-Ouen ; mais non ensuite. A ce qu'il lui semble, Jeanne
avait environ vingt ans, elle était très simple et répondait
avec sagesse, au point que pendant trois semaines il la croyait
inspirée, bien qu'à son avis elle insistât beaucoup, et trop,
sur ses visions.
Interrogé ensuite sur le contenu des Ve et VIe
articles, il déclare et atteste que, suivant son impression, les
Anglais procédaient contre elle pour la haine qu'ils en avaient,
car ils la craignaient beaucoup ; mais si les juges procédaient
par haine ou par complaisance, il ne le sait pas ; cependant le procès était mené aux frais des Anglais. Il sait bien que
tous ceux qui participèrent à ce procès n'avaient pas pleine
liberté, car personne n'aurait osé dire quelque chose de peur
d'être mal considéré ; en effet quelqu'un ayant demandé
une fois à Jeanne si elle était en état de grâce, le témoin
avait déclaré que c'était là question très difficile, à laquelle
Jeanne ne devait pas répondre, mais fut ainsi repris par
l'évêque de Beauvais : « Il vaudrait mieux pour vous que vous
vous taisiez ».
Interrogé ensuite sur ce qu'il peut attester à propos du contenu des VIIe, VIIIe et IXe articles, il dit
et déclare que Jeanne était en prison au château de Rouen ;
mais dans quelles conditions, il l'ignore. Il dit cependant que
certains des assesseurs étaient fort mécontents que Jeanne
ne fût pas placée en prison d'Église ; et lui-même, témoin,
murmura plusieurs fois, car il ne lui paraissait pas de bonne
procédure de l'avoir remise entre les mains de laïcs, et surtout
d'Anglais, attendu qu'elle avait été livrée aux mains de
l'Église. Plusieurs étaient de cette opinion ; mais personne
n'osait en parler.
Sur le Xe article, il ne sait si elle a été examinée, ou
non ; mais il sait bien qu'une fois, comme on lui demandait
pourquoi elle s'appelait « la Pucelle », et si elle l'était vraiment, elle répondit : « Je peux bien dire que je suis ainsi ; et, si vous ne me croyez pas, faites moi visiter par des
femmes ». Elle se montrait disposée à accepter un examen,
pourvu cependant qu'il fût fait par des femmes honnêtes,
comme c'est de coutume.
Sur le contenu des XIe, XIIe, XIIIe et XIVe articles, il déclare qu'on posait à Jeanne beaucoup
de questions profondes, dont elle se tirait cependant assez
bien. Et parfois ceux qui l'interrogeaient interrompaient
leur interrogatoire, passant d'une question à une autre, pour
voir si elle allait modifier ses propos. Ils la fatiguaient aussi
beaucoup par de longs interrogatoires, étant là pendant deux
ou trois heures, au point que les docteurs qui assistaient en étaient eux-mêmes très fatigués. Parfois ceux qui l'interrogeaient lui coupaient la parole au cours des questions, au
point qu'elle pouvait à peine répondre ; même l'homme le
plus savant du monde aurait difficilement pu répondre.
Il déclare se rappeler qu'une fois, pendant le procès, Jeanne était interrogée sur ses apparitions et on lui lisait quelque
article de ses réponses ; il sembla alors au témoin qu'on avait
mal enregistré et qu'elle n'avait pas répondu de cette manière ; aussi dit-il à Jeanne de faire attention. Elle demanda
alors au notaire qui rédigeait de relire ; après cette lecture
elle dit au notaire qu'elle avait dit le contraire et qu'il n'avait pas bien rédigé ; sa réponse fut corrigée. Maître Guillaume
Manchon dit alors à Jeanne que désormais elle fît attention.
Sur le contenu des XVe, VIIe et XVIIe
articles, il déclare ne pas se souvenir que Jeanne ait refusé de
se soumettre à l'Eglise ; mais il l'entendit plusieurs fois dire
qu'elle ne voulait pas soutenir ou faire, autant qu'elle le
pourrait, rien qui fût contre Dieu.
Interrogé de même sur le contenu des XVIIIe, XIXe,
XXe et XXIe articles, il déclare
ne rien savoir à leur sujet. Il sait seulement que certains
articles furent rédigés pour être envoyés aux opinants, mais
s'ils furent bien et fidèlement rédigés, il ne le sait.
Interrogé de même sur le contenu des autres articles, à
lui lus et exposés tous ensemble, il déclare et atteste qu'après
la première prédication faite à Saint-Ouen, comme il l'a
dit, il n'assista plus au procès jusqu'au jour de la dernière
sentence. Il fut présent à la prédication faite au Vieux Marché
par maître Nicolas Midi, et, lui semble-t-il, Jeanne finit ses
jours en catholique, criant : « Jésus ! Jésus ! » Elle pleurait
tant, faisant de pieuses lamentations, qu'à son avis nul
homme, s'il avait été présent, n'aurait eu le cœur dur au point de ne pas être ému aux larmes ; et en effet monseigneur
de Thérouanne et tous les seigneurs assistants pleuraient
par trop grande pitié. Le témoin se souvient bien que, dans
la dernière prédication faite au Vieux Marché, Jeanne demanda à tous les prêtres présents de dire chacun une messe
pour elle. Mais il ne resta pas là jusqu'à la fin, il s'en alla,
car il n'aurait pu en supporter la vue.
Ne saurait, interrogé sur ce, rien déclarer de plus sur ces
articles.
Reverendus in Christo pater et dominus, dominus
Johannes Fabri, sacræ theologiæ professor, ordinis
Fratrum Heremitarum Sancti Augustini, episcopus
Dimitriensis, ætatis LXX annorum, vel circiter, alias
examinatus et juratus, ac iterum xii. die maii examinatus
super contentis in articulis in hujusmodi processu
datis.
Et primo, interrogatus quid ipse sciat deponere de
contentis in I., II., III. et IV. articulis : deponit quod
de eadem Johanna, patre et matre aut parentibus nullam
habuerat notitiam, nisi a tempore quo ipsa Johanna
fuit adducta in villa Rothomagensi ; et quo tempore
fuit inchoatus processus contra eam in materia
fidei, per episcopum Belvacensem et subinquisitorem ;
et in quo processu ipse loquens interfuit usque ad primum
sermonem factum in Sancto Audoeno, et a post
non fuit. Et, ut sibi videtur, ipsa Johanna erat quasi
XX annorum, multum simplex, et prudenter respondens,
ita quod per tres septimanas credebat eam inspiratam,
licet multum et nimis, videre loquentis,
persisteret in suis revelationibus.
Deinde, interrogatus de contentis in V. et VI. articulis
: dicit et deponit quod, secundum suam imaginationem,
Anglici procedebant contra eam ex odio quod
habebant contra eam, quia multum timebant eam ;
sed si judices ex odio vel favore procedebant, nihil
scit ; licet tamen sciat quod processus deducebatur expensis
Anglicorum. Et bene scit quod omnes qui intererant hujusmodi processui non erant in plena libertate,
quia nullus audebat aliquid dicere, ne esset notatus ; quia, quum semel dicta Johanna ab aliquo interrogaretur si erat in gratia, et ipse loquens dixisset
quod erat maxima quæstio, et quod ipsa Johanna
non debebat respondere dictæ quæstioni : ipse episcopus
Belvacensis eidem loquenti dixit : « Melius vobis fuisset, si tacuissetis. »
Deinde, interrogatus quid ipse sciat deponere de
contentis in VII., VIII. et IX. articulis : dicit et deponit
quod ipsa Johanna erat in carcere, in castro Rothomagensi
; sed qualiter, nescit. Dicit tamen quod multum
displicebat aliquibus assistentibus quod ipsa Johanna
non ponebatur in carceribus Ecclesiæ ; et ipsemet
loquens murmuravit, quia non videbatur sibi bene processum eam dimittendo in manibus laicorum, et
maxime Anglicorum, attento quod restituta erat in
manibus Ecclesiæ. Cujus opinionis plures erant ; sed
nullus audebat de hoc loqui.
Super X. nescit si fuerit visitata, vel non, sed bene
scit quod, quadam vice, quum interrogaretur cur se
vocabat Puellam, et si talis esset, respondit : « Ego possum bene dicere quia talis sum, et, si non credatis, faciatis me visitari per mulieres ; » offerebatque
se promptam ad visitationem recipiendum, dum
tamen fieret per mulieres honestas, ut consuetum est.
Super contentis in XI., XII., XIII. et XIV., deponit
quod fiebant eidem Johannæ multæ profundæ quæstiones,
de quibus tamen satis se expediebat. Et aliquando
interrogantes interrumpebant interrogatoria
sua, transeundo de uno ad aliud, ad experiendum an
ipsa Johanna mutaret propositum. Multum etiam eam
fatigabant longis interrogationibus, quoniam erant ibidem per duas vel tres horas, in tantum quod doc tores assistentes exinde erant multum fatigati ; et aliquando
interrogantes ita truncabant sua interrogatoria
quod vix poterat respondere ; imo sapientior homo
mundi cum difficultate respondisset.
Et deponit quod est memor quod semel, durante
processu, dum ipsa Johanna examinaretur super suis
apparitionibus, et legeretur sibi aliquis articulus suarum
responsionum, visum fuit loquenti quod male
registratum erat, et quod ita non responderat ; et
tunc dixit eidem Johannetæ quod adverteret. Quæ
dixit notario scribenti et (1) quod legeret iterum ; et
audita lectura, dixit notario quod contrarium dixerat,
et quod non bene scripserat ; et fuit correcta illa responsio. Et tunc magister Guillelmus Manchon eidem Johannæ dixit quod de cætero attenderet.
Supercontentis in XV., XVI. et XVII., deponit quod
non recordatur quod ipsa recusavit se submittere Ecclesiæ
; sed eidem pluries audivit dici quod nollet
aliquid dicere aut facere quod esset contra Deum,
pro posse.
Item, interrogatus de contentis in XIX., XX. et
XXI., dicit quod de contentis in eisdem nihil scit.
Scit solum quod fuerunt facti certi articuli ad mittendum
opinantibus ; sed si fuerunt bene et fideliter facti,
et quis eos fecit, nihil scit.
Item interrogatus de contentis in cæteris articulis
sibi in summa lectis et expositis : dicit et deponit quod,
primo sermone facto in Sancto Audoeno, ut jam dixit,
non fuit in hujusmodi processu usque ad diem ultimæ
sententiæ. Et fuit in sermone facto in Veteri Foro per magistrum Nicolaum Midi, et, ut sibi videtur, catholice
finivit dies suos, clamando Jhesus ! Jhesus ! Et
tantum lacrimabatur, faciendo pias lamentationes,
quod non credit quod sit homo habens cor ita durum
quin, si fuisset præsens, commotus fuisset ad lacrimas ;
nam dominus Morinensis et omnes domini assistentes flebant præ nimia pietate. Et bene recordatur ipse
loquens quod in dicto ultimo sermone facto in Veteri
Foro, ipsa Johanna rogavit omnes sacerdotes ibidem
praesentes ut unusquisque illorum sibi daret unam missam. Nec ibidem stetit usque ad finem, quia recessit,
et etiam quia videre non potuisset.
Nec aliud de contentis in eisdem articulis sciret
deponere, ut dicebat, super hoc interrogatus.
Sources :
- Texte latin original : Quicherat - Procès t.III p.174 et suiv.
- Traduction : source Pierre Duparc, t.IV, p.127 à 129.
Notes :
Voir sa première déposition en 1452. Il participera au procès en nullité en 1456.br>
1 Ou il manque un membre de phrase ou cet et est de trop.
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