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Procès
de réhabilitation
V-4 - Déposition
de Martin Ladvenu en 1456 |
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Frère Martin Ladvenu, prêtre, religieux de l'ordre des
frères prêcheurs au couvent de Rouen, âgé d'environ cinquante-six ans, cité, juré et interrogé auparavant, le dix-neuvième
jour du mois de décembre, et de nouveau, le treizième jour du mois de mai, interrogé sur les articles contenus
dans le procès, et sur ce qu'il peut déclarer ou attester au sujet de leur contenu, en mettant de côté haine, affection,
partialité,
D'abord sur le contenu des Ier, IIe, IIIe
et IVe articles, il déclare ne pouvoir rien attester ni dire
sur ses père et mère, parents ou alliés ; mais il vit cette Jeanne
dans la ville de Rouen, lorsqu'elle y fut amenée et livrée au seigneur évêque de Beauvais. Elle était très simple, âgée
d'environ vingt ans, et savait juste le « Notre Père », bien
que parfois, lorsqu'on l'interrogeait, elle répondît avec sagacité.
Interrogé ensuite sur ce qu'il peut dire ou attester du
contenu des Ve et VIe articles, il déclare bien savoir
que Jeanne fut amenée dans la cité de Rouen et détenue
dans la prison du château ; un procès en matière de foi fut
fait et conduit contre elle, sur poursuite et aux frais des Anglais. Cependant, comme il l'a entendu dire, l'évêque et
les autres qui s'occupaient de ce procès voulurent avoir des
lettres de garantie du roi d'Angleterre, et ils les obtinrent ; le témoin les avait vues dans les mains des seigneurs juges. Elles lui furent montrées, avec le seing manuel de maître
Laurent Calot, que le témoin a bien reconnu.
Il déclare en outre qu'à son avis certains des assesseurs à
ce procès venaient par crainte des Anglais, et d'autres parce
qu'ils étaient favorables aux Anglais ; car le témoin sait que
maître Nicolas de Houppeville fut mis dans la prison royale,
parce qu'il avait refusé de participer à ce procès. Il sait aussi que Jeanne dans ce procès n'eut ni guide, ni conseil, sauf
vers la fin du procès, et que nul n'aurait osé conseiller Jeanne,
ou la diriger de quelque manière, par crainte des Anglais ;
car une fois, pendant ce procès, quelques personnes furent
envoyées sur l'ordre des juges, pour conseiller Jeanne ; mais
ils furent repoussés par les Anglais et menacés. Il sait aussi
que frère Jean Le Maistre, sous-inquisiteur, qui participa à
ce procès, et avec qui le témoin y allait très souvent, avait été forcé d'y venir ; en outre, à ce qu'il dit, un certain frère
Ysambert de La Pierre, qui était le compagnon dudit sous-inquisiteur,
ayant voulu une fois la conseiller, en quelque
sorte, fut sommé de se taire et de s'abstenir de telles pratiques à l'avenir, sinon il serait noyé dans la Seine.
Sur les VIIe, VIIIe et Xe articles, il ne sait rien.
Sur le IXe, il sait seulement que Jeanne était dans une
prison laïque, dans des entraves et attachée par des chaînes,
et personne ne pouvait lui parler sans la permission des
Anglais, qui la gardaient jour et nuit.
Interrogé ensuite sur le contenu des XIe, XIIe,
XIIIe et XIVe articles, il déclare qu'on posait à
maintes reprises à Jeanne des questions difficiles, qui ne
convenaient pas à une femme aussi simple ; on la tourmentait beaucoup en interrogatoires, car parfois on ne cessait
de l'interroger pendant trois heures le matin, et autant l'après
midi ; mais quelle était l'intention de ceux qui l'interrogeaient, il l'ignore.
Sur le contenu du XVe article, il ne sait rien.
Sur le contenu des XVIe et XVIIe articles, il déclare avoir entendu plusieurs fois interroger Jeanne, pour savoir si elle voulait se soumettre au jugement de l'Église,
et alors elle demandait ce qu'était l'Église ; comme on lui répondait que c'étaient le pape et les prélats qui représentaient l'Église, elle répliquait qu'elle se soumettait au jugement du souverain Pontife, demandant à être conduite près
de lui. Il entendit une autre fois de la bouche de Jeanne, en
dehors cependant du procès, qu'elle ne voulait rien soutenir
contre la foi catholique ; et si, dans ses dits ou ses faits, il y avait quelque chose déviant de la foi, elle voulait la rejeter
et s'en remettre au jugement des clercs.
Sur le contenu des XVIIIe, XIXe, XXe,
XXIe et XXIIe articles, il ne sait rien d'autre
que ce qui se trouve dans sa déposition ci-dessus.
Sur le contenu des XXIIIe, XXIVe et
XXVe articles, il déclare qu'il fut présent lors de la
première sentence et de la prédication, faite à Saint-Ouen par maître Guillaume Érard. Il croit fermement que tout ce
qui a été fait l'a été par haine du roi de France très chrétien,
et pour le diffamer ; car dans cette prédication maître
Guillaume Érard s'exclama à un moment et dit réellement
ces paroles : « O maison de France ! tu as toujours été jusqu'ici
exempte de monstres ; mais maintenant, en t'attachant à
cette femme ensorceleuse, hérétique, superstitieuse, tu es
déshonorée ! ». A cela Jeanne répondit : « Ne parle point de
mon roi, il est bon chrétien ».
Sur le contenu des XXVIe et XXVIIe articles, il
déclare avoir appris de Jeanne qu'un grand seigneur anglais était venu vers elle, dans la prison, et tenta de la prendre de
force. Elle dit au témoin que c'était la raison pour laquelle
elle avait repris l'habit d'homme, après la première sentence.
Sur l'ensemble des autres articles, interrogé sur ce qu'il en
est réellement, déclare que, le matin du jour où mourut
Jeanne, sur autorisation et ordre des juges et avant le prononcé de la sentence, lui, témoin, entendit Jeanne en confession
et lui apporta le Corps du Christ ; elle le reçut humblement, avec grande dévotion et beaucoup de larmes, au point qu'il
ne saurait le raconter. Depuis cette heure il ne la quitta pas, jusqu'à ce qu'elle eût rendu l'âme ; et presque tous les assistants pleuraient de pitié, surtout l'évêque de Thérouanne.
Et il ne doute pas qu'elle mourut en catholique ; il voudrait en effet, à ce qu'il dit, que son âme aille où il croit être l'âme
de Jeanne.
Il déclare qu'après le prononcé de la sentence elle descendit
de l'estrade, sur laquelle elle avait subi la prédication, et
fut conduite par le bourreau, sans une autre sentence d'un
juge laïc, jusqu'à l'endroit où était amassé le bois pour la
brûler; ce bois était sur une estrade, et par dessous le bourreau mit le feu. Lorsque Jeanne aperçut le feu, elle dit au
témoin de descendre, et de lever haut la croix du Seigneur,
pour qu'elle pût la voir ; ce qu'il fit.
Il déclare aussi qu'étant près d'elle pour l'entretenir de
son salut, l'évêque de Beauvais et certains chanoines de
l'église de Rouen arrivèrent pour la voir ; lorsque Jeanne
aperçut cet évêque, elle lui dit qu'il était cause de sa mort,
qu'il lui avait promis de la placer entre les mains de l'Église, mais qu'il l'avait remise entre les mains de ses ennemis
mortels.
Il déclare aussi, interrogé sur ce, qu'on avait mal procédé
contre Jeanne, car il n'y eut pas de sentence rendue par des
laïcs, mais il y eut seulement sentence de l'évêque. Et pour
cette raison, deux années plus tard, un dénommé Georget
Folenfant avait été remis par la justice ecclésiastique à la justice séculière ; avant la remise de celui-ci le témoin avait été envoyé au bailli par l'archevêque et l'inquisiteur, pour
notifier que ce Georges devait être livré aux mains de la
justice séculière, et qu'on n'agirait pas comme on l'avait fait
pour la Pucelle, mais qu'on le conduirait au tribunal du
bailli ; ce dernier aurait à procéder selon la justice ; on n'irait
pas aussi rapidement que ce fut le cas contre Jeanne, mais
on procéderait avec prudence.
Il déclare aussi et atteste, sur ce interrogé, qu'elle soutint
toujours et affirma jusqu'à la fin de sa vie que les voix entendues par elle venaient de Dieu, que toutes ses actions avaient été faites sur l'ordre de Dieu, et qu'elle ne croyait pas avoir été trompée par ces voix ; mais les révélations qu'elle avait
eues venaient de Dieu.
Ne sait rien d'autre.
Frater Martinus Ladvenu, presbyter, religiosus ordinis
Fratrum Prædicatorum conventus Rothomagensis, ætatis LVI annorum, vel eocirca, citatus, juratus
et examinatus alias, die xix. mensis decembris, et iterum die XIII. maii, super articulis in processu contentis
examinatus, et interrogatus quid ipse sciat deponere
seu attestari de contentis in eisdem, odio,
amore, favore postpositis.
Et primo, super contentis in I., II., III. et IV. articulis
dictorum articulorum : deponit quod de notitia
patris et matris aut amicorum et consanguineorum
dictæ Johannæ, nihil sciret attestari seu deponere ; sed eamdem Johannam vidit in villa Rothomagensi, dum ibidem adducta fuit et reddita domino episcopo
Belvacensi. Et erat multum simplex, quasi ætatis XX annorum, vel circiter, et vix sciebat Pater noster,
licet aliquando, dum interrogaretur, prudenter responderet.
Deinde interrogatus quid ipse sciat deponere seu
attestari de contentis in V. et VI. articulis : dicit et
deponit quod bene scit quod dicta Johanna fuit adducta
ad civitatem Rothomagensem et in carceribus
castri detrusa ; et fuit factus et detrusus processus in
materia fidei contra eam, ad procurationem et expensis
Anglicorum. Tamen, ut dici audivit, dicit quod episcopus, et alii qui de hujusmodi processu se
intromittebant, voluerunt habere litteram garantizationis
a rege Angliæ, et eam habuerunt ; quam recognovit
in manibus dominorum judicum. Et ostensa
est hujusmodi littera, signata signo manuali magistri
Laurentii Calot, quod signum, ut dicit bene cognovit.
Dicit ulterius quod, ut sibi videbatur, aliquis de
assistentibus in hujusmodi processu, assistebant propter
timorem Anglicorum, et alii, quia eisdem Anglicis
favere volebant ; nam scit ipse loquens quod magister
Nicolaus de Houppeville fuit ductus ad carceres
regios, quia hujusmodi processui interesse recusaverat.
Scit etiam quod ipsa Johanna in hujusmodi processu
nullum habuit doctorem nec consiliarium, nisi
circa finem processus, et quod nullus fuisset ausus
eidem Johannæ consulere aut eam dirigere quoquomodo, propter metum Anglicorum ; nam semel, durante
processu, fuerunt aliqui ex ordinatione judicum
missi ad dirigendum eamdem Johannam ; sed per Anglicos
fuerunt repulsi, et eisdem illatæ minæ. Scit etiam quod frater Johannes Magistri, subinquisitor,
qui interfuit hujusmodi processui, et cum qua sæpissime
ipse loquens ibat, coactus intererat hujusmodi
processui ; nam, ut dicit, quidam frater Ysambertus
de Petra, qui erat socius dicti inquisitom, cum semel
vellet eam aliqualiter dirigere, sibi fuit dictum quod taceret et quod de cætero a talibus abstineret,
alias submergeretur in Sequana.
Super VII., VIII. et X. nihil scit.
Super IX. solum scit quod ipsa Johanna erat in
carceribus laicalibus, in compedibus et cum catenis
ligata, quodque nullus ei loqui poterat, nisi ex permissione
Anglicorum qui eam custodiebant die et
nocte.
Deinde interrogatus de contentis in XI.,XII., XIII.
et XIV. articulis : deponit quod multotiens fiebant eidem
Johannæ difficiles interrogationes, quæ non competebant
tali simplici mulieri ; et eam multum vexabant interrogatores, quia non cessabant aliquando eam
interrogare per tres horas de mane, et totidem post
prandium ; sed qua intentione hoc faciebant interrogantes,
nihil scit.
Super contentis in XV. nihil scit.
De contentis in XVI. et XVII., deponit quod audivit
pluries eamdem Johannam interrogari an se vellet
submittere judicio Ecclesiæ, et ipsa inquirente quid
esset Ecclesia, quum sibi responderetur quod erant
Papa et prælati Ecclesiam repræsentantes, respondit
quod ipsa se submittebat judicio summi Pontificis,
rogando quod ad eum duceretur. Et audivit alias ab
ore dictæ Johannæ, extra tamen judicium, quod ipsa
nihil vellet tenere contra catholicam fidem ; et si quid in dictis vel factis suis esset quod a fide deviaret, ipsa
volebat a se repellere, et clericorum judicio stare.
De contentis in XVIII., XIX., XX., XXI. et XXII,
nihil scit, nisi ut supra deposuit.
Super contentis in XXIII., XXIV. et XXV., deponit
quod fuit præsens in prima sententia, et in
sermone facto in sancto Audoeno per magistrum Guillelraum
Erard. Et credit firmiter quod omnia quæ
fuerunt facta, fuerunt facta in odium christianissimi
regis Franciæ, et ad eum diffamandum ; nam in eodem
sermone ipse magister Guillelmus Erard, exclamando
in quodam passu sui sermonis, dixit in effectu
talia verba : « O domus Franciæ! semper caruisti monstris usque nunc ; sed modo adhaerendo isti mulieri sortilegæ, haereticæ, superstitiosæ, infamata es. » Ad quæ ipsa Johanna respondit : « Ne parle point de mon roy, il est bon chrestien. »
Super contentis in XXVI. et XXVII., deponit quod
ipse audivit ab eadem Johanna quod quidam magnus
dominus Anglicus ad eam in carceribus introeerat,
et eam tentavit vi opprimere. Et dicebat eidem loquenti quod erat causa quare habitum virilem resumpserat
post primam sententiam.
Super aliis articulis iu summa interrogatus, quantum
in facto consistunt : deponit quod, die obitus ipsius
Johannæ, de mane, ipse testis loquens, de licentia
et ordinatione judicum, et ante sententiam latam,
audivit eamdem Johannam in confessione et ministravit
sibi corpus Christi ; quod devotissime et cum maximis
lacrimis, tantum quod narrare nesciret, humiliter
suscepit. Et ab illa hora eam non reliquit usque ad
evasionem spiritus ; et quasi omnes adstantes pro pietate flebant, et maxime episcopus Morinensis. Et non
dubitat quin ipsa catholice obierit ; vellet enim, ut dicit, quod anima sua esset ubi credit animam ipsius
Johannæ esse.
Et dicit quod post sententiam latam, ipsa descendit
de ambone in quo prædicata fuit, et fuit ducta per
tortorem, absque alia sententia judicis laici, in loco in
quo ligna erant parata ad eam comburendum ; quæ ligna
erant in ambone ; et per inferius ipse tortor posuit
ignem. Et dum ipsa Johanna percepit ignem, ipsa dixit
loquenti quod descenderet, et quod levaret crucem
Domini alte, ut eam videre posset : quod et fecit.
Dicit etiam quod, dum ipse esset juxta eam ad introducendum
eam de sua salute, episcopus Belvacensis
et quidam canonici ecclesiæ Rothomagensis accesserunt
ad eam videndum ; et, dum ipsa Johanna percepit
eumdem episcopum, eidem dixit quod ipse erat
causa suæ mortis, et quod sibi promiserat quod eam
poneret in manibus Ecclesiæ, et ipse eam dimiserat in manibus suorum inimicorum capitalium.
Dicit etiam, super hoc interrogatus, quod contra
eamdem Johannam male processerunt, quia nulla fuit
lata sententia per laicos, sed solum per episcopum ;
et propter hoc quum, duobus annis transactis, quidam vocatus Georget Folenfant fuisset per justitiam ecclesiasticam
redditus justitiæ sæculari, antequam ipse
Georgius redderetur, ipse loquens ex parte archiepiscopi
et inquisitoris fuit missus ad baillivum, et eidem
notificavit quod ipse Georgius debebat dimitti in manibus
justitiæ sæcularis, et quod non ita faceret sicut
fecerat de Puella, sed eum duceret in foro suo, et faceret
quod justitia suaderet, nec ita celeriter sicut contra eamdem Johannam fecerat, procederet, sed mature.
Dicit etiam et deponit, super hoc interrogatus,
quod semper usque ad finem vitæ suæ manutenuit et
asseruit quod voces quas habuerat erant a Deo, et
quod quidquid fecerat, ex praecepto Dei fecerat, nec
credebat per easdem voces fuisse deceptam ; et quod
revelationes quas habuerat, ex Deo erant.
Nec aliud scit.
Sources :
- Texte latin original : Quicherat - Procès t.III p.165 et suiv.
- Traduction : source Pierre Duparc, t.IV, p.120 à 124.
Notes :
Voir ses dépositions précédentes :
- 1450
- 1452/1
- 1452/2.
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