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La coiffure de Jeanne d'Arc |
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es témoignages s'accordent pour nous montrer Jeanne d'Arc, durant sa mission, les cheveux taillés en rond, la nuque et les tempes rasées au rasoir (1), suivant une ligne passant au-dessus du sommet de l'oreille. Bizarre et laide, cette mode, alors générale chez les hommes, ne pouvait déplaire à la chaste héroïne, étant donné le but qu'elle se proposait.
Le greffier de la Rochelle, contemporain de Jeanne, mentionne le premier ses cheveux ronds et noirs.
D'autre part que l'article 12 de l'acte d'accusation lui reproche de porter les cheveux taillés en rond à la façon des pages. L'article 13 du même acte revient sur ses cheveux coupés en rond à la mode masculine.
L'article 5 du sommaire de l'acte d'accusation, faisant un grief à Jeanne de porter les cheveux taillés en rond au-dessus du haut des oreilles (2), est encore plus explicite.
Lorsque, le 2 mai 1431, Jeanne est admonestée publiquement, Jean de Châtillon la blâme d'avoir les cheveux taillés en rond.
Dans le texte officiel de son abjuration, il est dit qu'elle confesse avoir gravement péché en portant les cheveux rognés en rond en guise d'homme.
Jean Massieu, dans sa déposition au procès de réhabilitation, parle aussi de ses cheveux taillés en rond.
Lorsqu'elle fut menée au dauphin, la Pucelle avoit courts les cheveulx, écrit Mathieu Thomassin.
Le Journal d'un bourgeois de Paris sous Charles VII dit qu'elle portait les cheveulx rondiz.
Les représentations de Jeanne la montrant les cheveux coupés en rond, au-dessous des oreilles lui faisant une chevelure à la Louis XII, constituent un anachronisme dont ne s'est malheureusement pas privée l'ignorance de nombreux artistes représentant l'héroïne. Siméon Luce, assure gratuitement que la Pucelle avait fait couper en rond jusqu'à la hauteur du cou son épaisse chevelure noire (3) et aussi dans l'ouvrage de Mgr Debout (La grande histoire illustrée de Jeanne d'Arc), lequel mentionne Jeanne avec les cheveux coupés en rond à la hauteur du col, selon la coutume des chevaliers du temps. La plupart des personnages historiques de la première moitié du quinzième siècle, anglais, bourguignons, armagnacs, coiffés de même, prouvent dès lors que la Pucelle, abdiquant toute coquetterie de femme, s'est tout simplement conformée à la mode masculine de son temps.
Une iconographie, que nous croyons pouvoir dater avec une précision suffisante, va maintenant nous faire connaître les différentes phases que traversa le long règne de la coiffure en écuelle depuis son apparition jusqu'à son déclin. Il existe des manuscrits enluminés portant les dates de 1400, 1402, 1403, 1404, 1406. Dans aucun d'eux ne figurent des personnages ayant les cheveux taillés en rond. Il en est ainsi pour les tableaux et pour les sculptures qu'on peut faire remonter à la même époque.
Le plus ancien document iconographique dans lequel on voit apparaître quelques exemples de cheveux rondis est un Térence, offert au duc de Berry en 1408. A. Harmand date à 1407 environ l'apparition de l'écuelle dans l'iconographie médiévale et pense que l'apparition de cette coiffure vient de la persistance de la mode des hauts collets montants, en forme de goulots de carafe, appelés carcailles, qui dura de la fin du XIVème siècle jusqu'assez avant dans le XVème. Pour conserver une chevelure un peu longue avec ces sortes de cols, il fallait la maintenir roulée au-dessus des oreilles. On finit par trouver plus simple de raser la nuque.
Cette "extra"-ordinaire coupe de cheveux, fut loin d'obtenir à ses débuts le succès réservé aux innovations excentriques dans la coiffure ou dans l'habillement. Elle ne fut en faveur qu'auprès de quelques outranciers de la mode, pour arriver à supplanter presque complètement les chevelures gracieusement disposées de manière à ne couvrir que le haut de l'oreille, en usage depuis la fin du siècle précédent.
Un manuscrit des plus intéressants pour l'étude du costume civil vers 1410 est un Térence. Parmi les cinquante personnages masculins figurant dans cette précieuse enluminure, il en est trente-six dont on peut apercevoir la coupe de cheveux. Comme de tout temps, tous ne sont pas coiffés de la même façon. Des divergences dues à l'âge, à la fantaisie ou à la position sociale de chacun ont toujours coexisté avec la mode générale de l'époque adoptée par le plus grand nombre :
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Les vieillards représentés laissent deviner la manière dont leurs chefs ont été accommodés par le barbier. Ils sont coiffés de cheveux modérément longs et ordinairement roulés assez haut pour découvrir le bas de l'oreille, selon la mode de la fin du XIVème siècle, mode toujours dominante et qui subsistera exceptionnellement jusqu'au-delà de 1415 ou simplement tondus plus ou moins ras, seul le doyen de la série, a conservé la chevelure coupée à la hauteur du col et couvrant entièrement les oreilles, telle qu'on la portait au temps de sa jeunesse, sous le règne du bon roi Charles le Sage. Aucun ne pouvait raisonnablement infliger à ses cheveux blancs, ou même grisonnants, le ridicule d'une mode aussi subversive que celle de l'écuelle.
- A la jeunesse élégante seule tolérait-on semblable excentricité. Et en effet nous voyons apparaître l'écuelle sur 5 têtes de jeunes seigneurs. Les 7 autres, bien qu'appartenant également à de coquets jouvenceaux, sont coiffées comme celles de la majorité des vieillards du même manuscrit, à la mode courante de l'époque, c'est-à-dire en cheveux roulés couvrant le haut de l'oreille.
- Les valets représentés ont les cheveux simplement coupés courts ou les portent assez longs pour cacher l'oreille en partie. Un seul s'est permis d'arborer l'écuelle.
Il nous faut arriver à la précieuse enluminure des Très riches Heures du duc de Berry, exécutée vraisemblablement vers 1415, pour voir enfin l'écuelle régner sans partage sur les chefs rasés très haut des princes et des gentilshommes de leur domesticité. Dès lors, cette singulière coupe de cheveux, tout en demeurant très en vogue auprès des seigneurs, sera peu à peu adoptée, d'abord par les bourgeois, toujours désireux d'imiter la noblesse, et ensuite par les gens du peuple, non moins attentifs à rapprocher leurs allures de celles des hautes classes, de telle sorte qu'en 1430, l'écuelle en forme de calotte, surmontant la nuque et les tempes rasées se trouvera en faveur dans tous les rangs de la hiérarchie sociale.
Les innombrables figures d'hommes que contient le Bréviaire de Salisbury enluminé en France vers cette date pour le régent Bedford, sont toutes, sauf de rares exceptions, représentées avec les cheveux taillés en rond. Les anges du paradis eux-mêmes s'y voient parfois contraints de se conformer à cette mode bizarre !
Mais c'est surtout de 1430 à 1450 que nous rencontrerons dans les monuments iconographiques les gens de toutes conditions presque uniformément coiffés ainsi en France et en Angleterre.
Si d'autres manuscrits attestent encore cette persistance de la mode des cheveux rondis jusqu'en 1455, ils nous montrent en même temps la vogue croissante de certaines innovations dans la coiffure qu'on avait vu poindre aux approches de 1450. Quelques écuelles s'étant allongées sur des nuques rasées moins haut, des chevelures osèrent s'affranchir complètement du rasoir. Ces dernières parvinrent à supplanter les cheveux taillés en rond, et après 1455, on ne trouve plus l'écuelle qu'à l'état d'exception.
Tout ce qui précède nous amène à résumer ainsi les évolutions de cette mode
excentrique :
- apparition vers 1407,
- adoption par les hautes classes en 1415,
- généralisation progressive dans la bourgeoisie et le peuple de 1415 à 1430,
- apogée de 1430 à 1450,
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décroissance de 1450 à 1455,
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à partir de 1455, disparition, quelques vieillards seuls s'entêtant à conserver la disgracieuse tonsure de leur jeunesse jusqu'à la fin de leur existence.
Ne bornant pas son empire à la France et à la Grande-Bretagne, l'écuelle franchit les monts. Une miniature italienne d'environ 1445 représente le comte de Coreggio, offrant son Histoire d'Angleterre à Philippe Marie Visconti, duc de Milan. Tous deux ont la nuque et les tempes rasées. L'existence de l'écuelle se trouve représentées dans d'autres iconographies en Espagne et en Italie. De toutes les contrées chrétiennes, à l'époque de Jeanne d'Arc, l'Allemagne seule semble n'avoir pas voulu prendre sa part dans ce concert des nations en faveur de l'écuelle. Cette mode ne se rencontre qu'à l'état d'exception dans les monuments germaniques contemporains, et ceux-ci nous montrent le plus souvent les Allemands de toutes classes agrémentés de luxuriantes toisons dont les boucles folles cachent plus ou moins les oreilles de leurs possesseurs.
L'écuelle domine donc en Occident durant les trente-trois premières années du règne de Charles VII, et si, parmi les images qui nous ont été conservées de cette période, on rencontre çà et là quelques longues chevelures, leur rareté ne fait que confirmer la règle générale.
Devant l'accord des textes contemporains, la cause est entendue : Jeanne d'Arc, durant sa mission, c'est-à-dire du mois de février 1429 au 23 mai 1430, jour de sa prise, pendant quinze mois, a porté continuellement les cheveux taillés à la mode masculine de son temps, en écuelle, nuque et tempes rasées, le fait est indéniable. Mais depuis Compiègne jusqu'à Rouen, au soir du 24 mai 1431, où on la tondit complètement suite à son abjuration, s'écoula une année entière (Beaulieu, Beaurevoir, Rouen). On peut donc admettre que la chevelure de Jeanne fut abandonnée à elle-même, faute d'outils lui permettant de se couper les cheveux et en admettant que ses juges ou ses geoliers ne feront rien pour qu'elle puisse ressembler à un homme. Toutefois, à Rouen (4), à la veille du 21 février 1431, jour de sa première comparution devant ses juges dans la chapelle du château et à une date très peu antérieure au 2 mai 1431, ce jour-là, maître Jean de Châtillon, admonestant la prisonnière, lui reproche de continuer à porter les cheveux taillés en rond, on peut penser qu'elle reçut en prison à Rouen la visite d'un barbier au moins deux fois.
Sans que cela soit une certitude, il est admissible que, du 23 mai 1430 au 20 février 1431, la chevelure de Jeanne fut abandonnée à elle-même, et les artistes ont dès lors une certaine latitude pour représenter la Pucelle avec d'assez longs cheveux au bout de plusieurs mois de captivité.
En réalité, tant que Jeanne fut libre de se coiffer en homme, elle ne provoqua chez ceux qui l'approchaient aucune pensée deshonnête. C'était d'ailleurs dans ce but qu'elle avait entièrement masculinisé sa personne. Il est de toute évidence qu'avec sa tonsure en écuelle, Jeanne avait aussi bien l'aspect d'un garçon qu'un jouvenceau de son entourage. Sur Jeanne prisonnière, la nature reprit ses droits. Non seulement les parties rasées de sa tête disparurent, mais encore ses cheveux s'allongèrent, et avec le temps, son jeune visage, encadré d'une chevelure de plus en plus abondante, s'était suffisamment féminisé pour devenir capable d'émouvoir les esprits de messire Aimond de Macy, du tailleur Jeannotin Simon et des "houspilleurs" du château de Rouen.
Source
: textes et illustrations : "Jeanne d'Arc, ses costumes, son armure" d'Adrien
Harmand - 1929.
Notes :
1 « Le barbier rasait l'occiput et les tempes, en même temps qu'il accommodait le visage sur lequel pas un poil ne fut laissé ». (Quicherat, Histoire du costume en France, p. 256).
2 ...En outre elle a dit que, puisqu'elle avait commandement de Dieu de porter habit d'homme, il lui fallait avoir robe courte, chaperon, gippon, braies et chausses à nombreuses aiguillettes, cheveux taillés en rond au-dessus des oreilles, ne gardant rien sur son corps qui montrât et annoncât son sexe, hors ce que la nature lui a donné comme marque distinctive du sexe féminin...
3 "Jeanne d'Arc à Domrémy" - Siméon Luce.
4 Jeanne est arrivée prisonnière à Rouen aux environs de Noël 1430.
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