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Procès
de condamnation
Les
chanoines de Rouen. |
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côté du représentant officiel de l'inquisition
et des délégués de l'Université de Paris,
Cauchon s'empressa d'appeler à siéger, comme assesseurs
ou consulteurs, les membres du Chapitre de Rouen, les chefs des
grandes abbayes normandes ou des prieurés, en résidence
à Rouen, et les avocats en cour d'Église, défenseurs
accrédités en l'officialité.
Il lui importait, en effet, d'intéresser largement
le clergé local, à ce procès retentissant et
de le compromettre dans ses plus hauts représentants.
En ce qui concerne le Chapitre de Rouen, dont plusieurs
membres jouèrent alors un si triste rôle, il convient
de rappeler brièvement comment il prêta son concours
à l'évêque de Beauvais.
Nous avons vu précédemment que la vacance
du siège archiépiscopal venait d'être déclarée
lorsque Jeanne d'Arc arriva à Rouen, et que l'évêque
de Beauvais avait dû s'adresser au Chapitre pour obtenir la
permission d'instruire et de juger le procès en cette ville.
Le diocèse était donc sans archevêque,
et le Chapitre, qui en avait l'administration spirituelle était
lui-même privé depuis longtemps de son doyen, Guillaume
Lentrant, qui, nommé par le pape dès 1414, n'avait
jamais résidé à Rouen, malgré les instances
des chanoines et les injonctions du Gouvernement. L'autorité
ecclésiastique se trouvait faiblement représentée,
alors que la présence du roi et du Grand Conseil donnait
à l'autorité civile une force nouvelle.
En outre, le Chapitre
avait été presque complètement changé
depuis la prise de Rouen, et il ne restait de l'ancien clergé
que des hommes sans influence. Tous les chanoines connus comme partisans
du roi de France avaient perdu leur titre et leurs bénéfices
(1). Nous aimons à citer les
noms de ces patriotes qui furent exclus par le droit du plus fort
: Jean Le Mercier, curé de Saint-Maclou de Rouen ;
Jacques de Fréville, curé de Doudeville ; Jean d'Ifreville,
curé de Saint-Vast-en-Val, au doyenné de Bacqueville
; Jourdain Morin, curé de Varneville, au doyenné de
Pavilly ; Simon Faverot, doyen de la collégiale d'Andely
; Jean de Norris, grand-chantre ; Mahieu Cami, sous-chantre ; Antoine
Cornard, archidiacre du Vexin français ; Simon Le Poulailler
; Martin Ravenot ; Jean d'Estampes ; Jean Le Porcher ; Robert de
Faubuisson. Plusieurs de ces chanoines étaient en même
temps curés, selon un usage encore en vigueur au XV°
siècle. Tous avaient été remplacés par
des ecclésiastiques favorables aux Anglais, puisqu'ils n'avaient
été reçus à leurs bénéfices
qu'à la condition de prêter serment de fidélité
à Henri V. Plusieurs d'entre eux, notamment Raoul Roussel,
depuis archevêque de Rouen, André Marguerie, Denis
Gastinel, firent partie du conseil du roi pour la Normandie.
Henri VI avait lui-même nommé quelques
chanoines pendant la vacance du siège, en vertu du droit
de régale. Ces nominations coincident à peu près
avec l'arrivée de Jeanne d'Arc à Rouen. Ce sont :
Jean Beaupère, septembre 1430 ; - Alais Kirketon, 19 avril
2430 ; - Jean Piquet, secrétaire de Bedford, novembre 1429
; - Pierre Maurice, 8 janvier 1430 ; - Nicolas Midi, 21 avril 1431
; - Jean Geoffroy, secrétaire de la duchesse de Bedford,
27 avril 1428.
De son côté, le duc de Bedford, qui déjà
avait fait des donations importantes au couvent des Carmes, s'était
concilié, on l'a vu, les bonnes grâces du Chapitre,
en se faisant recevoir chanoine (2o octobre 1430) et en lui offrant,
à cette occasion, des ornements magnifiques que le Trésor
de la Cathédrale conservait encore à la fin du siècle
dernier.
Cependant le Chapitre, même ainsi remanié
et flatté, ne fut jamais unanimement favorable aux Anglais,
puisque neuf chanoines s'abstinrent de siéger au procès
et ne prirent part à aucune délibération. Ce
furent : H. Gorieu, J. Rubé, R. de Hangest, G. le Machrier,
P. de Clinchamp, R. Veret, L. Depoungh, J. Geoffroy et Guy de Besançon.
On en a conclu que sur trente membres de l'ancien Chapitre, vingt-deux
sont innocents de l'infâme condamnation de Jeanne d'Arc (2).
Osèrent-ils exprimer un refus ou furent-ils exclus
par Cauchon, comme suspects ? On ne saurait le dire. On pourrait
s'étonner même que Cauchon eût tenu intentionnellement
à l'écart J. Rubé, curé de Saint-Nicolas,
chez qui il demeurait pendant le procès et dont la maison
abrita les réunions préparatoires. Quoi qu'il en soit,
le fait de l'abstention est là, et on peut admettre, avec
M. O'Reilly, que si le vote de ces neuf chanoines eût été
assuré, l'évêque de Beauvais, qui excellait
à fausser la justice et qui avait requis jusqu'à de
simples prêtres ou bacheliers, n'eût pas manqué
de se les adjoindre (3).
Vingt-deux chanoines seulement siégèrent
donc au procès. Parmi eux, cinq s'étaient engagés
avec ardeur : Barbier, Couppequesne, Loiseleur, de Venderès
et Raoul Roussel. Cauchon les avait réunis avant l'arrivée
des universitaires pour les initier à ses projets.
Au moment de délibérer sur les douze articles,
le Chapitre fut convoqué. On pouvait espérer qu'il
allait se relever d'une première faiblesse, car le registre
capitulaire dénote de longues hésitations. Réunis
le 13 avril, ils ne se trouvèrent pas en nombre, et la délibération
fut remise au lendemain avec menace, pour ceux qui feraient encore
défaut, d'être privés de toutes distributions
de pain et de vin pendant huit jours. Le lendemain, ils se réunirent
au nombre de vingt-neuf, mais la majorité refusa de se prononcer.
En Normands qu'ils étaient pour la plupart, les
chanoines trouvèrent un expédient pour gagner du temps.
Ils demandèrent que les douze articles fussent, avant tout,
lus à l'accusée, en français, et qu'on l'avertit
charitablement de se soumettre à l'Église : au fond,
ils déclarèrent vouloir suivre l'avis de l'Université.
Cette délibération, prise per majorem partem vocum,
témoigne manifestement des répugnances de la majorité
et dénote une certaine indépendance : aussi Cauchon
se garda de l'annexer au procès. Mais le 2 mai, conformément
au voeu des chanoines, il exhorta et fit exhorter hypocritement
la captive, en lui faisant donner lecture des douze articles, en
français. Jeanne demeura inflexible. Le surlendemain, 4 mai,
le Chapitre fut de nouveau convoqué. Cette fois, il n'osa
pas résister à l'évêque, ni braver la
colère des Anglais. La majorité fut déplacée
et, sans même attendre l'avis de l'Université, les
chanoines formulèrent une déclaration d'hérésie
nobis videtur fore heretica !
Dans les motifs de cette délibération,
le vénérable Chapitre de l'Église de Rouen,
requis de donner, en faveur de la foi "avis salutaire sur
quelques assertions extraites des confessions et aveux d'une femme
vulgairement nommée la Pucelle", déclare
avoir différé sa réponse à cause de
la gravité du cas, désirant avoir sous les yeux la
consultation de la célèbre Université de Paris,
surtout des deux Facultés de théologie et de décrets.
Mais maintenant, et après avoir vu et attentivement considéré
les délibérations de nombreux docteurs de théologie,
existant dans cette ville, après surtout cette réunion
célèbre de prélats, de docteurs..., tenue avant-hier,
2 de ce mois, dans laquelle, à l'aide de nombreuses monitions
douces et pieuses, d'exhortations charitables et de sommations à
elle adressées..., ladite femme a été pour
le salut de son âme et de son corps, en l'honneur et louange
de Dieu et de la foi catholique, requise et sommée de corriger
ses faits et dires indécents.... de les soumettre au jugement
de l'Eglise universelle... ou même de quatre ecclésiastiques
notables et scientifiques personnes de l'obédience temporelle
de son parti ; ces justes monitions, ces exhortations, ces sommations
charitables, ladite femme n'a en aucune manière voulu les
accepter ou y acquiescer..., mais les a méprisées
et repoussées avec obstination... ; elle a refusé
de subir le jugement de l'Église, du Souverain Pontife et
de tous autres. Pour toutes ces causes, nous disons... que les décisions
et appréciations données par les docteurs en théologie
sus-nommés.., l'ont été modérément,
justement, raisonnablement ; nous y adhérons, et nous ajoutons
qu'après avoir sérieusement examiné les monitions,
sommations, exhortations charitables, déclarations, réponses,
refus de ladite femme et son obstination invincible, nous croyons
qu'elle doit être considérée comme hérétique
(4 mai 1431).
C'est ainsi que le Chapitre de Rouen va se trouver,
en masse, responsable de la mort de Jeanne d'Arc. Plusieurs de ces
chanoines étaient des personnages considérables qui
devinrent plus tard évêques ou archevêques.
JEAN ALESPÉE,
Né vers 1367, était probablement d'origine
normande. Licencié en droit civil, bachelier en droit canon,
il fut plusieurs fois trésorier de l'archevêque et
vicaire général, notamment de Louis de Harcourt, avec
de Venderès. Il était très lié avec
ce dernier, auquel il avança 14 marcs d'argent pour l'aider
à "poursuivre le fait de son élection",
lorsque, nommé archevêque de Rouen par la majorité
du Chapitre, il fut sur le point de l'emporter sur le cardinal de
la Rochetaillée. Il était également lié
avec deux familles normandes restées fidèles à
la cause nationale : les d'Estouteville et les Mallet de Graville.
Alespée était chanoine de Rouen dès
1412, bien avant l'occupation anglaise. Il avait partie des seize
députés que les Rouennais envoyèrent à
Henri V, lors du siège de 1418. Mais il se rallia au parti
des envahisseurs et obtint du monarque anglais plusieurs bénéfices
importants. Il aimait les lettres et fut choisi par ses confrères
pour aviser à la construction de la
librairie ou bibliothèque de la Cathédrale.
Il mourut âgé de soixante-sept ans, le
6 août 1434 chez Jean Morel, après avoir été
pendant quelque temps malade en l'hôtel du prieur de Longueville,
Pierre Miget, autre assesseur du procès.
Sa fortune, évaluée à 4 ooo livres tournois,
donna lieu à un long procès, car le roi d'Angleterre
y prétendit droit "parce que le plus proche héritier
estoit absent et demouré hors de son obéissance",
c'est-à-dire, parce qu'il était resté fidèle
à Charles VII. Il dut renoncer plus tard à cette prétention.
Les armes d'Alespée étaient deux épées
en sautoir. On les voit représentées sur un signet
appendu à un acte de 1419, conservé aux archives de
la Seine-Inférieure (4).
Au bas de l'acte est appendu le sceau de l'officialité
de Rouen (3) avec deux signets, l'un est celui d'Alespée,
et l'autre celui d'un autre vicaire général (Nicolas
de Venderès ?).
Alespée siégea dix fois au procès
de la Pucelle et prit part aux deux sentences d'hérésie
et de relapse. Néanmoins, les témoins de la réhabilitation
lui furent assez favorables. C'est lui qui, fort ému après
le supplice, se serait écrié : "Je voudrais
que mon âme fût, où je crois qu'est l'âme
de cette femme !" Il faut pourtant reconnaître que,
consulté sur les douze articles, il adhéra pleinement,
"craignant de paraître désobéissant, ce
qu'à Dieu ne plaise", à l'avis des révérends
pères et seigneurs qui, beaucoup mieux que lui, dit-il, avaient
digéré la matière, se soumettant d'avance à
"notre mère l'Université de Paris... ainsi
qu'à l'avis de la sainte Église et à celui
du Concile général (5)."
ROBERT
LE BARBIER,
Du diocèse de Rouen, né vers 1388, licencié
en droit civil et en droit canon, curé de Montfort, official
(1422 et 1436), chanoine de la cathédrale de Rouen (1419),
assista, avec Couppequesne, Loiseleur, Roussel et de Venderès,
familiers de Cauchon, aux premiers conciliabules où fut ourdi
le procès de Jeanne, et, avec eux, exerça une violente
pression sur le Chapitre de Rouen, pour l'amener à déclarer
l'accusée hérétique. Dans son adhésion
aux douze articles, il déclara s'en rapporter à l'opinion
des maitres en théologie, sous
les réserves ordinaires en matière de foi, mais trouvant
que les dites assertions pour le bien de la matière et la
plus parfaite justification du procès, devraient être
transmises à notre Mère l'Université de Paris",
avant de rien décider.
Il mourut le 29 août 1444, et fut enterré
dans la Cathédrale.
JEAN
BASSET,
Né en 1381, maitre ès-arts et licencié
en décret, s'était aussi rallié de bonne heure
au gouvernement anglais et avait obtenu différents bénéfices
du roi Henri V. Il était alors promoteur de l'Université
de Paris qui le députa, avec Jean de la Fontaine, vers Henri
VI et Bedford, afin d'obtenir la confirmation de ses privilèges.
Nommé chanoine de Rouen, en 1420, il obtint en
outre du roi d'Angleterre, en 1421, une prébende plus avantageuse,
à Londinières.
A Rouen, il fut successivement official (1419), trésorier
de l'archevêque (1436), chantre (1439), vicaire général
(1451), curé de Lintot, de Butot, et chanoine de Coutances,
en opposition avec Jean de Castillon, qui avait obtenu contre lui
une sentence d'excommunication, mais dont il triompha en fin de
cause (1442).
Dans le procès de Jeanne, sa détermination
fut assez réservée. II estima qu'il devait se taire
en une matière de foi si importante "surtout pour
ce qui est des prétendues révélations..., bien
que les dires de cette femme soient, après tout, possibles
à Dieu... ; mais elle ne les appuie sur aucun miracle ni
aucun témoignage de la Sainte Écriture... : on ne
peut donc croire aux dires et assertions de cette femme".
Basset condamne l'abandon par Jeanne des vêtements de son
sexe, son prétendu refus de la communion une fois l'an, sa
prétendue résistance à se soumettre à
l'Église militante, mais il revient à sa première
hésitation : "pourvu que ces révélations
ne viennent pas de Dieu, ce que du reste, je ne crois pas".
Enfin, il s'en rapporte au jugement des docteurs en théologie,
auxquels il appartient surtout de décider de ces questions.
Il n'est pas exact, comme l'a cru Quicherat, que Basset
ait été emprisonné à cause de l'indépendance
dont il aurait fait preuve au procès. Il fut mis en prison,
comme official, avec J. Le Roy, promoteur, et après élargissement,
condamné à 1 ooo livres d'amende, pour avoir osé
réclamer comme clercs de malheureux prisonniers arrêtés
par les Anglais comme complices des Français. Il fallait
beaucoup de courage pour tenir tête aux envahisseurs et défendre
si énergiquement les droits du Chapitre. Pourquoi Basset
ne mit-il pas cette fermeté et cette énergie au service
de la cause si juste de la Pucelle ?
Il mourut à Rouen, le 3 mars 1454, à l'âge
de soixante-treize ans, fort estimé par ses confrères
qui, dès 1449, lui avaient accordé une pierre tombale
destinée à sa sépulture.
Son testament porte la signature de Pierre
Cochon, notaire apostolique, auteur de la "Chronique normande".
Il débute ainsi :
"In nomine sanctæ et et individuæ
Trinitatis, patris et filii et spiritus sancti, Amen. Noverint omnes
quod ego Johannes Basset constanciensis diocesis Rothomagensis cantor
laus Deo compos mantis meæ licet infirmitate corporis aliqualiter
detentus, attendens nihil esse cerlius morte et nihil incertius
horâ mortis, de bonis mihi a Deo collatis teslamentum meum
facto et ordino in modum quod sequitur..."
"Au nom de la sainte et indivisible Trinité,
du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. Que tous
sachent que moi, Jean Basset, du diocèse de Coutances, chantre
de Rouen, sain de mon esprit, grâce à Dieu, quoique
retenu à demeure par la maladie de mon corps ; considérant
que rien n'est plus certain que la mort et que rien aussi n'est
plus incertain que son heure, je fais mon testament et je dispose,
de la manière qui suit, des biens qui m'ont été
donnés par Dieu..."
Le testateur remet ensuite son âme, suivant les
touchantes formules alors usitées, à Dieu tout puissant,
à la bienheureuse Vierge Marie..., au bienheureux Michel,
archange, au bienheureux Martin, au bienheureux Romain, ses patrons,
etc... Puis il fait différents legs aux paroisses de Lintot,
de Saint-Martin-de-Lorey, enfin aux Frères prêcheurs
de Coutances, pour fondation d'un obit à l'intention de Guillaume
Basset, son frère.
GUILLAUME DE BAUDRIBOSC,
Maître ès-arts, bachelier en théologie,
fut d'abord chanoine de l'église Notre-Dame-de-la-Ronde ;
puis le roi d'Angleterre l'autorisa, en 1421, à permuter
ce bénéfice, contre un canonicat en la cathédrale
de Rouen. Il devait être en faveur auprès des Anglais
: car on le chargea, en 1424, de congratuler le duc de Bedford,
lors de son entrée à Rouen, et de réclamer
de lui justice, en termes généraux. Son frère,
Adam de Baudribosc, dont le testament est conservé aux archives
de la Seine-Maritime. avait été reçu chanoine
de Rouen dès 1413.
Déjà vieux et infirme en 1439, à
ce point qu'il dut se faire dispenser d'aller à l'église,
il mourut vers le 15 janvier 1447, dans son hôtel de la rue
aux Oues. Sa mère avait épousé
un Anglais.
JEAN BROUILLOT,
Maître ès-arts et licencié en décret,
remplaça comme chantre de l'église de Rouen, en 1422,
Jean de Norris, victime de son dévouement et de sa fidélité
à la cause française. Il fut nommé, par droit
de régale, en vertu de lettres du roi d'Angleterre. On le
trouve député aux États de Normandie (1423,
1427, 1430), et vicaire général pendant la vacance
du siège (1422). Il mourut vers le 2o décembre 1435,
laissant pour exécuteur testamentaire Nicolas de Venderès,
et après avoir légué ses livres au Chapitre
qui les fit déposer et enchainer dans sa librairie.
Brouillot adhéra aux douze articles, en des termes
ampoulés et hypocrites, qu'on retrouvre dans la plupart des
délibérations : "vu la doctrine telle que
les livres l'enseignent, et la conduite de la femme dont il s'agit
; considérant tout ce qui doit me faire pencher vers l'opinion
de mes seigneurs et maîtres, si savants en droit divin, si
experts en telles matières, qui tous, en si grand nombre,
ont émis un même avis..., je me référe
à cet avis et m'y rattache, etc..."
NICOLAS CAVAL,
Licencié en droit civil, né vers 139o,
d'abord chanoine de Mortain, dut à la faveur du roi d'Angleterre
d'être nommé chanoine de Rouen en juillet 1421, à
la place de Robert de Faubuisson, resté fidèle à
la France.
Caval habitait Rouen avant cette défection. En
1419, il avait assisté au serment que prêta à
l'Église de Rouen l'abbé de Jumièges, Nicolas
Le Roux, autre ennemi de la Pucelle. Il fut député
aux États de Paris (1424), scelleur de la cour d'Église
(1443), curé de Critot (1451), chapelain de la chapelle Notre-Dame
aux Béguines de Rouen, cumulant les bénéfices
comme la plupart de ses confrères.
Lors du procès de la Pucelle, consulté
sur les douze articles, il déclara adopter l'opinion unanime
des notables maîtres, conforme aux sanctions canoniques, sous
les réserves d'usage.
Nicolas Caval fut exécuteur testamentaire du
chanoine Pierre Maurice. Il figure dans l'acte de donation des dîmes
de Sierville par le duc de Bedford au Chapitre.
Caval fut lié avec la famille des Castiglione, dont
le plus illustre, Branda de Castiglione, devint cardinal de Plaisance,
et avec Pierre Cauchon.
Il décéda au mois d'août 1457, après
avoir été compris dans une de ces excommunications
(6) qu'on lançait si facilement
et si fréquemment au xv° siècle.
NICOLAS COUPPEQUESNE,
Maitre ès-arts, bachelier en théologie,
après avoir été recteur des écoles de
grammaire de Rouen, fut reçu chanoine de Rouen, le 2o mars
1423, en vertu de lettres du roi d'Angleterre. Lui aussi prenait
la place d'un chanoine victime de son patriotisme, Jean d'Etampes,
qui avait fui la domination anglaise.
Il fut, en outre, curé d'Hermanville (1409) ;
de Saint-Pierre d'Yvetot (1423) ; pénitencier du diocèse
pendant la vacance du siège archiépiscopal. Le 5 juin
1430, le Chapitre le désignait éventuellement, à
défaut de Pierre Maurice, pour haranguer le jeune roi Henri
VI, à son arrivée à Rouen. Quelques mois plus
tard, ce fut lui qui complimenta le duc de Bedford lors de sa réception
comme chanoine de Rouen.
Il mourut subitement, selon toute vraisemblance, vers
le 10 juillet 1442 : car il n'eut pas le temps de faire son testament,
que l'on considérait alors comme un acte religieux.
GUILLAUME DE LIVET,
Bachelier ès-lois, fut d'abord chanoine de Lisieux,
puis chanoine de Rouen, permutant son bénéfice de
Lisieux avec celui de Guillaume Pellé. Il fut promoteur,
de 1416 à 1421, et de 1436 à 1443.
Il était cousin du vaillant chanoine Robert de
Livet, qui s'était illustré lors du siège de
Rouen, en 1448, et qui, constitué prisonnier en Angleterre,
ne revint, quelques années après, que sur la sommation
du Chapitre.
Il fut curé de Saint-Maclou en 1444, et député
aux États de Normandie en 1449. Il mourut à Rouen
avec le double titre de chanoine de Rouen et de curé de Saint-Nicaise
de cette ville.
GILLES DESCHAMPS,
Licencié en droit civil, appartenait à
une riche et ancienne famille de Rouen. Après avoir été
aumônier du roi Charles VI, en 1415, il devint chanoine de
Coutances, dont son oncle était évêque, et permuta,
le 6 novembre 1420, la cure de Pirou, au diocèse de Coutances,
pour le canonicat de Jean De la Mare, en la cathédrale de
Rouen. Il était déjà chancelier de cette église
et comme tel nommait aux écoles de grammaire de Rouen. Il
fut successivement trésorier de l'archevêché
(1423 et 1432) ; doyen (1435) ; vicaire général à
la vacance du siège (1436) ; député par le
Conseil royal et par le Chapitre aux États de Paris (1424)
; chargé par le Concile de Bâle, avec Erard, de Venderès
et Marguerie, de faire publier les indulgences accordées
en vue de la réunion des Grecs à l'Église catholique
(1437).
De cruelles épreuves lui étaient réservées
à la fin de sa vie. Poursuivi en matière de foi, en
1438, sur la plainte du promoteur, il eut pour juges l'évêque
de Meaux, l'official de Rouen et le dominicain Martin Ladvenu. Le
6 juillet, son nom était rayé de la liste des chanoines.
Il mourut en prison avant la fin du procès, et sa famille
obtint qu'il fût enterré dans la chapelle de la Sainte-Vierge,
derrière le choeur de la cathédrale, près de
son oncle, Gilles Deschamps, docteur en théologie, ancien
évêque de Coutances et cardinal. Il n'en fut pas moins
qualifié, dans son épitaphe : vir quondam magnie
prudentiæ, circunspectionis et scientiæ.
Gilles Deschamps avait été chargé
de la direction des enfants de choeur, ce qui lui inspira la pensée
de donner un revenu à la fabrique, en 1427, afin que ces
enfants, qui avaient la tête rasée et assistaient en
toute saison aux offices de jour et de nuit, eussent à l'avenir
un bonnet de drap de laine à oreilles, "bon et suffisant,
de couleur vermeille, pour eschiver aux froidures du temps d'hyver"
; c'est là l'origine de la calotte rouge que les enfants
de la maîtrise portent à la cathédrale.
GUILLAUME DESJARDINS,
Docteur en médecine, né probablement
(vers 1370), à Caudebec-en-Caux, où sa famille s'est
perpétuée, était le frère de Robert
Desjardins, docteur en théologie, chanoine de Rouen et vicaire
général de Louis d' Harcourt.
Il fut curé du diocèse d'Évreux
et se rallia si fidèlement aux Anglais qu'il fut nommé
chanoine de Bayeux en 1421, et confirmé, la même année,
dans le canonicat où il avait été reçu
à Rouen, dès le 5 mai 1448.
Il exerçait la médecine à Rouen
et devait être riche, car il possédait à Sahurs
un fief qui lui donnait droit à une partie des dîmes
de la paroisse. Il paraît s'être montré fort
généreux : on le voit prêter aux chanoines dix
saluts d'or pour l'acquisition d'une maison d'école à
Paris, destinée aux écoliers de la nation de Normandie.
En février 1431, pendant le procès de
la Pucelle, il créait à Rouen un asile de nuit en
donnant à l'Hôtel-Dieu de la Madeleine une masure située
au hameau de Saint-Maur, paroisse Saint-Patrice, "en la révérence
de Dieu notre Créateur, de la benoiste Vierge Marie, Monsr
St Michiel, Monsr St Jean Baptiste, Madame Ste Katherine, Marie
Madeleine et toute la benoicte Cour de Paradis, et afin de aidier
à pourveoir à la mendicité des povres qui,
chacun jour et nuit, se hébergeoient audi hostel.
Enfin, en 1438, il donnait au Chapitre un tènenent
de maisons, situées sur les paroisses de Saint-Martin-du-Pont
et de Saint-Étienne-des-Tonneliers.
II mourut vers le mois d'août 1438.
GUILLAUME DU DÉSERT,
Était probablement originaire de Rouen, où
il fut nommé chanoine par Henri V, le 24 avril 1421, mais
il parait n'être entré effectivement au Chapitre qu'en
1427.
En 1445, Henri VI le nomma au canonicat et à
la prébende de Saint-Herbland. Il fut ensuite maître
des testats et intestats pour l'archevêché, de 1446
à 1448, et maître de l'oeuvre de la cathédrale
à partir de 1448. Il fut envoyé en Angleterre pour
réclamer la délivrance des legs faits au Chapitre
par Henri V et le duc de Bedford.
Absent de Rouen lors de l'entrée de Charles VII,
il faillit être dépouillé de son canonicat,
mais il obtint de nouvelles lettres de provision à son retour
en 1450. On le vit ensuite s'entremettre avec les conseillers de
la ville pour obtenir la confirmation de la charte aux Normands.
Il fut aussi délégué à Rome pour obtenir
du pape la confirmation de l'élection de Philippe de la Rose
au siège de Rouen (1453).
Il se dépouilla de quelques-uns de ses plus beaux
livres en faveur du Chapitre, et mourut le 25 janvier 1471. On l'inhuma
dans la cathédrale, bien qu'il fût alors curé
de Saint-Hilaire de Rouen.
De tous les juges et assesseurs du procès de
la Pucelle, il fut celui qui survécut le plus longtemps à
l'inique sentence.
JEAN GARIN,
Né à Rouen vers 137o, d'une ancienne
famille du barreau, docteur en décret, fut nommé par
Henri V archidiacre du Vexin français (1422), chanoine de
Rouen (1422), et de Poissy (1424).
Le Chapitre le chargea, avec Marguerie, d'aviser à
l'établissement d'une librairie (1424). En 1423 et en 1430,
on le députa aux États de Normandie. En 1431, il était
trésorier de l'archevêché. A la suite d'une
difficulté qu'il eut avec ses confrères, il lui fut
enjoint de mettre hors de chez lui une femme qui prêtait à
de mauvais propos et qu'il envova chercher, pour lui, le pain des
distributions capitulaires. Garin adhéra aux douze articles,
s'en tenant à l'opinion des docteurs. "Il a semblé
à mon chétif jugement, dit-il que les appréciations
de tous ces docteurs ne s'éloignent point des décisions
de l'Église romaine sacro-sainte, ni des règles canoniques
: loin de là, elles s'y adaptent, au contraire, de tout point".
Il mourut à Bâle, au mois de mai 1433.
DENIS GASTINEL,
Licencié en lois et en décret, dut à
la faveur du parti anglais de nombreux bénéfices.
A partir de 1419, il devint successivement curé de Troismonts,
au diocèse de Bayeux (1420) ; chanoine de Notre-Dame-de-la-Ronde,
à Rouen (janvier 1421), et
chanoine de l'église de Rouen (avril 1421). Il supplantait
dans ce dernier bénéfice un chanoine rouennais resté
fidèle à la cause nationale, Robert de Fréville.
Il fut en outre curé de Néville, par la faveur de
Walter Hongerford, sénéchal de l'hôtel de Henri
V (1427-1428) ; doyen de Notre-Dame d'Andely, et vicaire général
à la vacance du siège (1436).
Comblé des bienfaits du gouvernement anglais,
Gastinel lui fut absolument dévoué. Il poussa l'esprit
de parti jusqu'à s'opposer à la nomination de Guy
du Busc comme délégué à la Cour de Rouen,
tant qu'il n'aurait pas juré de défendre les actes
du Roi, et notamment les peines portées contre les chanoines
absents et restés français (27 novembre 1423).
Traître à son pays, Gastinel voulait s'assurer le bénéfice
de sa trahison.
Il était digne de faire partie du Conseil royal
séant à Rouen ; aussi l'y vit-on figurer, avec la
protection de Bedford, dès 1424, aux appointements de 1oo
livres tournois par an. Il en faisait encore partie en 1434.
Il mourut antérieurement au 11 mars 1441, laissant
pour exécuteurs testamentaires Caval et Jean Le Fèvre.
Il fonda un obit à la cathédrale, où il fut
enterré.
Sa pierre tombale, le représente, les mains jointes,
sous un dais gothique. Un tel homme devait être et fut effectivement
associé à toutes les phases du martyre de Jeanne jusqu'à
la scène finale du Vieux-Marché. Il s'était
signalé par sa dureté dans sa détermination
sur les douze articles, trouvant la matière "suspecte,
erronée, schismatique et hérétique..., scandaleuse,
séditieuse, injurieuse à Dieu, à l'Église
et aux fidèles". Il ajoutait que si l'auteur d'une
pareille doctrine ne consentait à abjurer spontanément,
il devait être abandonné à la discrétion
du juge séculier pour en recevoir un châtiment égal
à son forfait. En cas d'abjuration, il devait être
mis en prison pour faire pénitence, avec le pain de douleur
et l'eau d'angoisse pour seul aliment. Le 29 mai, veille du supplice,
il déclara que Jeanne était "relapse et hérétique,
et qu'elle devait être abandonnée à la justice
séculière, sans recommandation à celle-ci d'agir
avec douceur."
Cette dureté qui se reflète jusque dans
les traits de Gastinel, tels que nous les a légués
l'artiste qui grava sa dalle tumulaire, devait l'accompagner dans
ses rapports aver ses collègues et parait lui avoir attiré
quelques aventures. C'est ainsi que le 8 avril 1432, le jour des
Rameaux, le Chapitre s'étant rendu processionnellement à
Saint-Laurent notre chanoine fut pris à partie violemment
par le curé de cette église, qui était en même
temps doyen de la Chrétienté. Quelle que fût
la cause de cette véhémente sortie, le curé
de Saint-Laurent dut, pour se faire pardonner le scandale, venir
présenter d'humbles excuses au puissant chanoine, "la
tête découverte, fléchissant les genoux et dans
l'attitude la plus suppliante".
JEAN
LE ROY,
Chanoine de Rouen, il fut nommé promoteur à
la vacance du siège.
Il parut au procès seulement à la séance
du 22 février, dans la chambre de parement où il entendit
Jeanne parler de ses voix et de ses premières démarches,
et à la séance du 24 février, où elle
reprocha à l'évêque de la charger trop, alors
qu'il était son juge. C'est dans cette séance qu'on
lui demanda si elle était en état de grâce,
et qu'elle fit cette réponse stupéfiante : "Si
je n'y suis, Dieu m'y mette ; et si j'y suis, Dieu m'y garde".
On a dit que Le Roy aurait été enfermé,
avec Basset, dans le vieux château où se trouvait la
Pucelle, du 9 au 23 mai. Cette assertion est exacte, mais ces chanoines
ne furent pas détenus à cause de la Pucelle, comme
l'a pensé Quicherat, sur la foi des comptes du Chapitre que
lui aurait communiqués M. Chéruel. Nous avons dit
précédemment qu'ils avaient subi cette détention
pour avoir réclamé courageusement au gouvernement
anglais, comme clercs, des prisonniers réputés complices
des Français.
On conserve, aux archives de la Seine-Maritime, le testament
de Jean Leroy. Il charge ses exécuteurs testamentaires d'acheter
une rente pour fonder un obit perpétuel en l'Église
de Rouen, ou, à défaut, il a l'intention de donner
à la fabrique une somme "pour estre participant aux
prières, messes et oraisons de ladite église".
NICOLAS
LOISELEUR,
Maître ès-arts, n'appartenait pas à
la Normandie. Il était né à Chartres, vers
1390. Déjà chanoine de l'église de cette ville,
il avait été nommé chanoine de Rouen, par droit
de régale, le 19 décembre 1421. Comme tant d'autres
que nous trouverons parmi les plus acharnés contre la victime,
il s'était enrichi des dépouilles d'un chanoine patriote,
Martin Ravenot, resté fidèle au parti français.
On le trouve à Paris, en 1427 et en 1428, s'occupant
de la transaction qui devait terminer le conflit soulevé
par le cumul de la dignité de cardinal et d'archevêque
de Rouen, en la personne de Jean de la Rochetaillée ; puis
de différents procès concernant l'évêque
d'Evreux.
On le savait si bien en cour auprès du gouvernement
anglais, qu'il fut député avec d'autres, le 2 août
1430, vers le cardinal d'Angleterre et vers Henri VI, pour leur
recommander l'Eglise de Rouen.
En 1432, il fut envové au Concile de Bâle,
avec Midi et Beaupère. Il s'y fit représenter d'abord
par Jean Le Galois, mais ce dernier étant mort en 1435, il
s'y rendit en personne et se rangea à l'opinion des plus
turbulents qui voulaient qu'un concile général, canoniquement
assemblé, "fonctionnât indépendamment
du Pape, lui fut reconnu supérieur et pût le déposer
au besoin".
Les chanoines fort embarrassés de l'attitude
de leur ambassadeur, révoquèrent son mandat, sous
le prétexte que leur pauvreté ne leur permettait pas
de supporter son séjour à Bâle. C'était
une ruse bien normande, destinée à soutenir la politique
de Henri V lequel protestait contre les entreprises du Concile qui,
déjà, avait suspendu le Pape et manifestait l'intention
de le déposer de sa dignité.
Loyseleur
étant resté sourd à l'avertissement, on lui
signifia sa révocation au mois de juillet 1438.
On voit ce qu'il faut penser de l'orthodoxie de ce chanoine
qui avait surpris si odieusement les confidences de la Pucelle et
qui se fit remarquer par sa violence à son égard opinant
pour qu'elle fût soumise à la torture, "comme
médecine salutaire pour son âme".
Par suite de cette disgrâce, le
frère de Loiseleur fut obligé, le 2 mai 1440, de remettre
au Chapitre les clefs de la maison canoniale que celui-ci occupait
rue de la Chaine (aujourd'hui Place des Carmes). Loiseleur avait
occupé cet hôtel plusieurs années, dans le voisinage
de Jean de Rinel, neveu de Pierre Cauchon. Me Jean Rubé,
curé de cette paroisse, logeait alors l'évêque
de Beauvais qui réunissait ses complices pour les préliminaires
du procès. Cet hôtel a donné asile aux ennemis
les plus acharnés de la Pucelle : Pierre Cauchon, Nicolas
Midi et peut-être le duc de Bedford.
Cette maison canoniale, dont le concierge était le beau-frère
de Loiseleur existe encore de nos jours, avec une façade
reconstruite dans la première moitié du XIX° siècle.
Ce n'est pas sans émotion qu'on parcourt encore aujourd'hui
les dépendances de ce vieil hôtel canonial, demeuré
avec cette affectation jusqu'à la révolution, et qui,
jadis, abrita dans ses vastes salles les louches accusateurs de
la grande patriote française, personnages haineux et ambitieux,
indignes de leur caractère, traitres à leur pays,
véritable rebut du haut clergé réuni à
Rouen.
C'est en vain qu'on a tenté d'établir
que Loiseleur aurait été touché plus tard par
le repentir. D'après les témoins de la réhabilitation,
on l'aurait vu se précipiter aux pieds de celle qu'il avait
trahie, en implorant son pardon ; il aurait failli être tué
par les Anglais sans l'intervention de Warwick et, enfin, on l'aurait
banni ensuite de la ville de Rouen. Ces bons sentiments de la dernière
heure sont déjà bien invraisemblables de la part d'un
homme qui avait accompli de telles infamies. Mais les inexactitudes
flagrantes commises par les témoins de la réhabilitation
sur plusieurs points peuvent faire révoquer en doute leur
version tout entière.
Ainsi, il est certain que Loiseleur ne fut pas banni
de Rouen, et même que sa considération ne parut pas
diminuée par suite de sa conduite pendant le procès.
Il assista à presque toutes les séances du Chapitre,
dans le mois qui suivit le supplice de la Pucelle, et ne se rendit
à Bâle qu'en 1435, où il parut, non comme un
fugitif mais en sa qualité officielle de représentant
du Chapitre de Rouen, l'un des corps les plus estimés alors.
Il dut mourir à Bâle, après la réhabilitation
de Jeanne d'Arc.
Le 28 juin 1465, Me Guillaume Auber remit au Chapitre
un volume provenant d'un legs "de feu maitre Nicolas Loiseleur,
autrefois chanoine de Rouen".
C'est la dernière fois qu'il fut question de
lui au Chapitre de Rouen.
ANDRÉ MARGUERIE,
Maître ès-arts et bachelier en décret,
fut, dès 1409, vicaire général, conseiller
de l'archevêque Louis de Harcourt, et archidiacre du Petit-Caux,
bénéfice dans lequel il fut confirmé par Henri
V (1427) ; il fut aussi vicaire général à la
vacance du siège (1422 et 1443) ; député aux
États de Normandie (1423) ; au Concile provincial de Rouen
(1445) ; curé de Drosay jusqu'en 1440. Henri VI le nomma
trésorier du Chapitre, mais il dut céder la place
à Philippe de la Rose. Envoyé au Concile de Constance,
il revint à Rouen
après le siège de 1429, et prouva qu''il n'avait jamais
adhéré au parti d'Armagnac ou du Dauphin. Il sut gagner
la confiance des Anglais, et faisait partie du conseil du roi dès
1421, aux appointements de cent livres par an.
Détail curieux : dès la même époque,
il assurait une rente annuelle de dix livres à l'une de ses
soeurs, entrée aux Emmurées de Rouen, "parce
que le moustier ayant esté ars et abatu, et la revenue d'icelle
religion anéantie et comme de nulle valeur, se pourveu ne
lui eust esté par son frère, elle eust pu estre en
voye de mendier".
Il fit le pélerinage de Jérusalem en 1442 et
1443.
Son testament, daté du 14 juillet 1451, est conservé
aux archives de la Seine-Maritime. Le testateur, qui avait déjà
fondé deux obits à perpétuité, en 1435,
disposait de ses livres, chainés sur trois pupitres dans
la librairie, en faveur du Chapitre. Il léguait aussi certaines
sommes pour la réparation des églises de Drosay, de
Grainville, du Mesnil-Durdeut et de Canteleu, qui avaient été
ruinées pendant les guerres.
André Marguerie mourut à Rouen le 12 février
1465, laissant pour unique héritier Jean Le Roux, vicomte
de Rouen, qui avait épousé sa nièce.
JEAN MAUGER,
Licencié en droit canon, né vers 1370,
avait été reçu, par droit de régale,
le 25 juillet 1421, au canonicat vacant par l'absence de Jean Porcher,
resté fidèle à la cause nationale. Il était
chargé, en 1422, de solliciter et poursuivre tous les procès
relatifs à l'église et à ses immeubles. Le
conseil du roi d'Angleterre le députa à Paris en 1424.
ll fut ensuite nommé pénitencier de l'église
de Rouen (1432) et vicaire de Pontoise (1436).
Consulté sur les douze articles, il trouva l'appréciation
des docteurs "bonne, juste et sainte, en harmonie avec les
sacrés canons", les sanctions canoniques et les écrits
de nos docteurs, la partageant et soutenant en tout et sur tout."
Mauger mourut vers le mois de juin 1440.
PIERRE
MAURICE,
Docteur en théologie, rallié de bonne
heure au gouvernement anglais, était un personnage considérable
à l'époque du procès de la Pucelle. Il avait
été recteur de l'Université de Paris (1428)
et venait d'être reçu chanoine de Rouen le 11 janvier
1430 en vertu de lettres de Henri VI. Il fut curé d'Yerville,
chapelain des chapelles Saint-Pierre et Saint-Mathurin en la cathédrale
de Rouen.
Les chanoines le désignèrent, le 5 juin
1430, pour complimenter le roi Henri VI, lors de son entrée
solennelle dans leur église.
Maurice fut l'un des plus assidus au procès et
assista à presque toutes les séances. Le 23 mai 1431,
veille de l'abjuration, il fut chargé de résumer la
cause et d'exposer à Jeanne ses manquements, ce qu'il fit
avec ostentation, dans un discours très apprêté,
en présence de Louis de Luxembourg et de Jean de Mailly.
Après quoi, l'accusée déclara froidement qu'elle
maintenait tous ses dires. Elle ajouta : "Si j'étois
au jugement, et je voyois le feu allumé, et les bourrées
allumez, et le bourreau prêt de bouter le feu, et si j'étois
dedans le feu, si ne diroi-je autre chose que ce que j'ai dit jusqu'ici,
et le maintiendroi-je jusqu'à la mort !"
Pierre Maurice fut récompensé de son zèle
: car, trois ans après, le gouvernement anglais le députa
au Concile de Bâle.
En 1436, le Chapitre le nomma vicaire général.
II était d'ailleurs, en même temps que chanoine de
Rouen, chanoine de Bayeux.
Il mourut à Rouen, vers le 24 septembre 1436,
laissant pour exécuteurs testamentaires Gilles Deschamps,
doyen, Nicolas Caval et Jean Lambert, qui, en son nom, fondèrent
un obit à la cathédrale.
Ses exécuteurs testamentaires remirent 32 manuscrits
à la bibliothèque du Chapitre.
JEAN PINCHON,
Licencié en décret, était chanoine de
Rouen depuis 1414, mais il ne prit possession qu'en 1421, après
avoir fait sa soumission à Henri V.
En 1422, il interjetait appel au pape, à l'occasion
d'une contestation où il n'avait pas obtenu suffisante justice.
Il fut l'un des zélés partisans de Jean de la Rochetaillée
contre Nicolas de Venderès, que le Chapitre avait élu
au siége de Rouen. Ses collègues ne lui en tinrent
pas rigueur, puisqu'ils le députèrent à Rome
pour le Concile (1424), et le nommèrent ensuite vicaire général
pendant la vacance du siège (1429).
En 1431, il eut une violente altercation avec Jean de
Besançon. On engagea les deux adversaires à se pardonner
mutuellement et à boire à la santé l'un de
l'autre en signe de bonne amitié.
Ce fut lui que Bedford chargea, le 9 janvier 1431, de
présenter au Chapitre l'acte par lequel il devenait le second
fondateur du Couvent des Carmes.
Il dut mourir à Paris, avant le 25 juin 1438.
RAOUL ROUSSEL,
Docteur en décret, né à Saultchevreuil,
près Villedieu, avait été reçu chanoine
de Rouen le 11 décembre 1420, en vertu d'une bulle du pape,
et avait été nommé trésorier en 1421.
Henri V le confirma dans ces bénéfices.
II s'était, en effet, rallié dès le début
au gouvernement anglais et avait été nommé
conseiller maître des requêtes du roi et du régent,
en 1423. Deux fois il fut nommé ambassadeur, pour traiter
de la paix avec la France (1435 et 1438)
Roussel cumula aussi les bénéfices, car
il fut chanoine de Coutances en même temps que chanoine de
Rouen. On le nomma vicaire général à la vacance
du siège (1429 et 1443)
Il se fit remarquer par la fermeté qu'il mit
à défendre, en toutes circonstances,
les droits et les prérogatives de sa dignité canoniale,
menaçant, au besoin, d'en appeler au pape, si l'on n'admettait
pas ses prétentions. Il se montra toujours opposé
au cumul du cardinalat, par l'archevêque de Rouen, avec les
fonctions archiépiscopales, qui impliquaient la résidence
à Rouen, alors que les cardinaux vivaient ordinairement à
la cour pontificale.
Ce fut lui qui, en 1444, reçut, au nom du Chapitre,
le duc d'York à son entrée comme gouverneur de Normandie.
Nous le verrons plus tard succéder au cardinal
de Luxembourg sur le siège de Rouen, et signaler son administration
par des réformes importantes.
Le futur archevêque de Rouen avait prêté un concours
très actif au procès de la Pucelle. Il faisait partie
des cinq chanoines dont Cauchon s'était entouré avant
l'arrivée des universitaires et qu'il initia à ses
détestables projets.
II assistait à la séance du 12 mai, dans
la grosse tour, mais il n'opina pas pour la torture. Il estima,
au contraire, qu'il fallait qu'un procès aussi bien fait
ne pût donner prise à la calomnie. Il fut présent
au supplice sur la place du Vieux-Marché.
Roussel devait essayer de racheter plus tard les fautes
que l'intérêt personnel et l'esprit de parti lui avaient
faits commettre. Soit qu'il jugeât la cause anglaise définitivement
perdue en France, et qu'il désirât conserver son siège
épiscopal, soit qu'il éprouvât le désir
sincère de répudier les erreurs de son passé,
il s'employa de tout son pouvoir à faire rentrer la ville
de Rouen sous l'autorité de Charles VII, sans crainte de
Sommerset et de Talbot.
Il mourut à Rouen le 31 décembre 1452,
après avoir assisté aux premières informations
qui furent faites pour la réhabilitation de la Pucelle.
Roussel fut inhumé dans la chapelle de la Vierge,
du côté droit. Son tombeau, qui n'existe plus aujourd'hui,
était placé le second, en entrant. Ce beau tombeau
gothique dût disparaitre, lors de la regrettable décision
prise par le Chapitre, en 1769, portant que "à l'exception
des tombeaux de Georges d'Amboise et des deux Brézé,
tous ceux de la chapelle de la Vierge, ainsi que les représentations
ou statues tumulaires des autres parties de l'église qui
ne seraient pas décentes ou en parfait état seraient
supprimées."
Ce massacre général ayant été autorisé
par l'archevêque, on dut détruire, avec le tombeau
de Raoul Roussel, ceux des archevêques Eudes Rigaud et G.
de Flavacourt.
PASQUIER
DE VAULX,
Du diocèse d'Amiens, docteur en décret
était, en 1416, notaire apostolique au Concile de Constance.
Il fut reçu chanoine de Rouen en 1427.
Ses fonctions de secrétaire et chapelain du duc
de Bedford indiquent assez de quelle faveur il jouissait auprès
des Anglais, auxquels il demeura fidèle jusqu'à sa
mort. Il fut conseiller du roi d'Angleterre et président
de la Chambre des comptes de Normandie.
Le gouvernement anglais l'envoya à Rome, pour
obtenir la promotion de Louis de Luxembourg à l'archevêché
de Rouen. Il prit ensuite possession du siège, au nom de
ce prélat, en 1437.
Nommé évêque de Meaux, dès
1435, il n'en continua pas moins de séjourner à Rouen,
où il remplit les fonctions de vicaire général
du nouvel archevêque, dont il avait toute la confiance. Il
occupait un hôtel, situé près de la Monnaie,
que les religieux de Grandmont lui avaient cédé à
vie.
En 1439, il abandonna l'église de Meaux et se
fit nommer évêque d'Évreux, par le pape Eugène
IV. Nous le verrons, plus tard, lorsque Robert de Flocques s'emparera
de la ville d'Évreux, pour Charles VII (1443), rester attaché
à la cause de Henri VI, et se faire nommer évêque
de Lisieux, parce que cette ville tenait encore pour les Anglais.
A cette époque, il fit un pèlerinage à
Jérusalem.
Il mourut à Lisieux, le 1o juillet 1447, au moment
où Charles VII, favorisé par Thomas Basin, le nouvel
évêque, allait faire son entrée dans la cité.
L'ancien chanoine de Rouen se montra généreux envers
le Chapitre. Il fit donation, le 23 janvier 1437, de deux cents
saluts d'or, pour l'achat d'une rente qui devait être affectée
aux complies des six samedis du carême.
ll légua, en outre, par son testament, au prieuré
de Grandmont, la somme de mille livres.
NICOLAS
DE VENDÈRES,
Sieur de Beausseré, licencié ès-lois,
né vers 1372, fut l'un des trois ecclésiastiques qui
figurèrent au traité de composition de la ville de
Rouen avec Henri V, en 1419,
Comme tant d'autres, il se soumit aux vainqueurs, mais
il eut, en outre l'impudeur de s'enrichir des dépouilles
de leurs victimes, ses compatriotes. C'est ainsi qu'il se fit donner,
par les Anglais, la maison qu'occupait le chanoine
Robert De Livet, resté fidèle à son roi et
emmené prisonnier en Angleterre.
Archidiacre d'Eu,
il prêta serment de fidélité au monarque anglais
et fut reçu chanoine de Rouen, en 1419, puis nommé
archidiacre d'Eu, en 1422. Il fut vicaire général
pendant la vacance du siège et pendant le procès de
la Pucelle.
Très estimé de ses collègues,
il avait été nommé par eux à l'archevêché
de Rouen, en 1423, et avait failli l'emporter sur le cardinal Jean
de la Rochetaillée.
Il mourut à Rouen le 1er août 1438, à
l'âge de soixante-six ans.
Sa mémoire reste lourdement chargée du
crime commis sur la Pucelle. En effet, Venderès fut l'un
des plus assidus au procès, puisqu'il assista à vingt
et une séances. Il montra, pendant tout ce temps, une violence
presque égale à celle de Pierre Cauchon.
Il n'opina pas pour la torture "du moins quant
à présent", mais il assista à l'abjuration
et au supplice. On sait le rôle odieux qu'il joua au cimetière
de Saint-Ouen. Dans la sinistre séance du 29 mai, la dernière
de ce mémorable procès, il émit cet avis que
"Jeanne doit être considérée comme hérétique,
et qu'aprés la sentence rendue, elle devra être abandonnée
à la justice séculière, qui sera priée
d'agir envers elle avec douceur". On sait quelle était
la valeur de cette dernière réserve, toute de forme
et d'hypocrisie !
Sources
: Albert Sarrazin - "Jeanne d'Arc et la Normandie au XV°
siècle" - 1896., E.O'Reilly, "Procès de
Jeanne d'Arc".
Illustrations :
- Sceau du Chapitre de Notre Dame de Rouen (1435) - Arch. de la
Seine. mar. - (Jeanne d'Arc et la Normandie au XV° siècle
- A.Sarrazin - 1896).
- Sceau de l'officialité de Rouen (1410) - Arc.Seine.mar..
Abbaye de Valmont - ibid.
- Signature de Pierre Cochon, l'auteur pro-bourguignon de la chronique
normande (arch.dép.) - ibid.
- Début du testament de Jean Basset (arch.dép.)
- ibid.
- Pierre tombale de Denis Gastinel à la cathédrale
de Rouen (dessin de M.Deville - "Jeanne d'Arc" H.Wallon
- éd.1892)
- Rouen : passage des chanoines - (Jeanne d'Arc, la grande histoire
illustrée - H.Debout - 1910)
- Sceau d'André Marguerie - Bibl. nle ("La mission
de Jeanne d'Arc" - le colonel de Liocourt - t.II)
- Gisant de Raoul Roussel sur son tombeau avant sa destruction
en 1769.
- Sceau de Nicolas de Venderès (Albert Sarrazin - "Jeanne
d'Arc et la Normandie au XV° siècle" - 1896).
Notes :
1 Sentence des vicaires-généraux, rendue en 1421
à l'instigation de Henri V, pour cause de résidence
sur les terres du Dauphin des Viennois et autres ennemis du Toi
de France et d'Angleterre : Charles VI et Henri V (A.Sarrazin).
2 Le chanoine Loth (Jeanne d'Arc et le ckergé de Rouen).
3 Bedford n'a pas influencé les chanoines car il était
absent de Rouen à partir du 13 janvier 1431. Il n'est rentré
de Paris qu'en septembre 1431.
4 Acte relatif à la cure de Daubeuf.
5 O'Reilly - Procès de Jeanne d'Arc.
6 Lancée par le Cardinal de Sainte-Praxède.
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