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Procès
de condamnation
- actes postérieurs
Copie
des lettres de l'Université envoyée au pape,
à l'empereur et aux cardinaux |
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"C'est notre opinion, très Saint-Père,
qu'il faut travailler avec d'autant plus de viligance à repousser
les atteintes pestilentielles dont l'Église est contaminée
par les erreurs variées des pseudo-prophètes et des
hommes réprouvés, que la fin des siècles semble
davantage imminente. Car ces temps, futurs et périlleux,
le docteur des nations (1) les annonça
ces jours derniers, quand les hommes ne maintiendront plus saine
doctrine : car ils se détourneront d'ouïr la vérité,
pour se convertir à des fables. La Vérité (2)
aussi l'a dit : "Ils surgiront les pseudo-Christ et les
pseudo-prophètes, et ils donneront grands signes, merveilles
et prodiges, au point d'induire en erreur, s'il était possible,
les élus eux-mêmes." Aussi quand nous voyons
se lever de nouveaux prophètes qui se vantent d'avoir reçu
révélations de Dieu et des bienheureux de la triomphante
patrie, quand nous les voyons annoncer aux hommes l'avenir et des
choses dépassant l'acuité de l'humaine pensée,
oser accomplir actes nouveaux et insolites, alors il convient à
la sollicitude pastorale de prêter tous ses efforts afin qu'ils
ne submergent point les peuples, trop avides de croire aux nouveautés,
par ces doctrines étrangères, avant d'avoir bien vérifié
que les esprits qu'ils allèguent viennent de Dieu. Facile
en effet serait à ces rusés et pernicieux semeurs
d'inventions mensongères d'infecter le peuple catholique,
si chacun, sans l'approbation et la consentement de notre sainte
mère l'Église, était laissé libre de
feindre à son bon plaisir des révélations surnaturelles,
s'il pouvait usurper l'autorité de Dieu et des saints. A
bon droit nous semble donc bien recommandable, très Saint-Père,
la soigneuse diligence que révérend père en
Christ, monseigneur
l'évêque de Beauvais et le vicaire de monseigneur l'inquisiteur
de la perversité hérétique, député
par le Saint-Siège apostolique au royaume de France, montrèrent
naguère dans la protection de la religion chrétienne.
Car ceux-ci ont pris soin de faire attentivement examiner certaine
femelle, prise dans les limites du diocèse de Beauvais, portant
l'habit d'homme et des armes, accusée judiciairement devant
eux de feindre mensongèrement des révélations
divines, de graves crimes contre la foi orthodoxe ; et ils firent
pleine vérité sur ses gestes. Et après qu'ils
nous communiquèrent le procès déduit devant
eux, nous faisant requête de leur donner notre opinion sur
certains articles affirmés par elle, pour qu'on ne puisse
pas dire que le silence a recouvert ce qui fut fait pour l'exaltation
de la foi orthodoxe, nous avons résolu de nous ouvrir à
votre Béatitude sur ce que nous avons adopté.
Comme nous en instruisirent lesdits seigneurs juges, cette
femme, qui se nommait elle-même Jeanne la Pucelle,
a confessé spontanément, en justice, divers points
qui, pesés par le diligent examen de plusieurs prélats,
considérés mûrement par les docteurs et autres
savants en droit divin et humain, après détermination
et conclusion de notre Université, prouvèrent qu'elle
devait être tenue pour superstitieuse, devineresse, invocatrice
de malins esprits, idolâtre, blasphématrice envers
Dieu, les saints et les saintes, schismatique et tout à fait
errant, en la foi de Jésus-Christ.
Pleins de douleur et gémissant sur l'âme
de cette misérable pécheresse prise aux rets pernicieux
de tant de crimes, par fréquentes adominitions et charitables
exhortations, ses juges mirent tout en œuvre pour la retirer
de la voie de son erreur et faire en sorte qu'elle se soumît
au jugement
de notre mère sainte Église. Mais l'esprit du mal
avait à ce point rempli son cœur que, bien longtemps,
elle avait vomi nos salutaires monitions d'un cœur endurci,
refusé de se soumettre à nul homme au monde vivant,
de quelque dignité qu'il, brillât, ainsi qu'au sacré
concile général, ne reconnaissant d'autre juge que
Dieu.
Enfin il arriva que le persévérant travail
desdits juges a diminué un peu une telle présomption
: écoutant de plus sains conseils, elle a révoqué
et abjuré de sa bouche ses erreurs, en présence d'une
grande multitude de peuple ; elle a souscrit et signé de
sa propre main une cédule d'abjuration et de révocation.
Mais, à peine quelques jours s'étaient-ils écoulés,
que cette malheureuse femme retomba dans ses anciennes insanités,
qu'elle adhéra de nouveau aux erreurs qu'elle avait révoqué.
C'est pourquoi les susdits juges la condamnèrent, par sentence
finale, comme relapse et hérétique, et ils l'abandonnèrent
au jugement de la puissance séculière. Or, quand cette
femme connut que la destruction de son corps était proche,
elle confessa, avec bien des gémissements et devant tous,
qu'elle avait été moquée et déçue
par ces esprits qu'elle disait lui être
visiblement apparus ; et, à ce qu'il semblait, menant pénitence
à l'article de la mort, à tous elle demanda pardon
: ainsi elle quitta ce monde.
Par quoi tous reconnurent clairement combien il était
périlleux, combien il était redoutable de donner une
trop légère croyance aux inventions modernes qui ont
été depuis peu répandues dans ce très
chrétien royaume, non seulement par cette femme, mais encore
par plusieurs autres (3) ; et tous les
fidèles de la religion chrétienne, tous doivent être
avertis par un si misérable exemple de ne point agir, et
si vite et suivant leur propre sentiment, et qu'ils doivent écouter
les doctrines de l'Église et les enseignements de leurs prélats
plutôt que les fables des femmes superstitieuses. Car enfin,
par l'exigence de nos démérites, si nous sommes arrivés
à ce point que les devineresses, vaticinant faussement au
nom de Dieu, sans mission de sa part, soient mieux accueillies par
la légèreté populaire que les pasteurs de l'Église
et les docteurs, à qui naguère Christ a dit : "Allez,
enseignez toutes les nations", c'en est fait, la religion va
périr, la foi s'écroule, l'Église est foulée
aux pieds, et l'iniquité de Satan dominera l'univers entier
!
Daigne Jésus-Christ empêcher tout cela,
et, sous l'heureuse direction de votre Béatitude, préserver
son troupeau de toute tache et contamination !"
Sources
: "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921), "Procès de Jeanne
d'Arc" - E.O'Reilly (1868), "La minute française des interrogatoires
de La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)
Texte mis en Français moderne.
Notes :
1 Il s'agit certainement du célèbre dominicain espagnol
St Vincent Ferrier, très doué pour les langues, qui
précha les foules en France, Angleterre, Espagne, Portugal,
Italie... (P.Champion)
2 Matthieu, chap.XXIV, 24
3 S'agit-il de Catherine de la Rochelle et de Pierronne la Bretonne
?
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