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Procès
de condamnation
Les
prieurs rouennais et normands. |
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Prieuré
de Saint-Lô :
GUILLAUME LE BOURG
(1411-1456)
Né en 1411, avait été élu
prieur de Saint-Lô après le décès de
Guillaume Le Couete (3).
L'évêque de Coutances, au lieu d'approuver
l'élection qui était soumise à son approbation,
s'était borné à en donner acte aux religieux,
ayant appris que le pape avait conféré ce bénéfice
au cardinal de Saint-Eusèbe (1o février 1411). Mais,
sur la résignation de ce prélat, Guillaume Le Bourg
fut placé à la tête de cet important prieuré
et le posséda jusqu'en 1456.
C'est en cette qualité qu'il prêta serment
de fidélité à Henri V, après la capitulation
de Rouen. Il en obtint la restitution ou la concession du temporel
de ce prieuré.
Plus tard, Pierre Cauchon utilisa ses services et le
nomma commissaire, avec Guillaume Le Fèvre, curé de
Saint-Denis de Rouen, pour la levée des décimes accordées
au roi Henri VI.
Appelé à prêter
son concours au procès de la Pucelle, en 1431, il ne parut
qu'à six séances, mais il se trouvait parmi les abbés
et religieux qui se pressaient au cimetière du Saint-Ouen,
pour la séance publique de l'abjuration.
En 1440, on le trouve mêlé à un
incident de procédure ecclésiastique. Il s'agissait
de droits funéraires réclamés par le curé
de Saint-Amand, à l'occasion de personnes décédées
dans l'hôtel de la rue de la Chaine, que le chanoine Nicolas
Loyseleur occupait à l'époque du procès de
la Pucelle, et qui avaient été inhumée à
Saint-Lô. L'official avait donné gain de cause au curé
de Saint-Amand ; mais sur appel au pape, la sentence avait été
cassée.
Signalons encore ici la fréquence de ces appels
au pape et l'étonnement qu'on éprouve en voyant qu'il
n'y en ait pas eu d'interjeté dans le procès de Jeanne
d'Arc. Ce fut, en effet, une grande iniquité d'affrmer et
de faire croire que l'accusée refusait de s'en rapporter
à la décision du pape et du Concile général.
Guillaume Le Bourg mourut le 25 janvier 1456, après
avoir passé une partie de sa vie à rebâtir presque
complètement son église, et sans avoir eu la consolation
d'en voir la dédicace.
Il fut inhumé dans la chapelle de Saint-Augustin,
avec cette épitaphe incrustée dans la muraille : "Hic
jacet religiosus in Christo pater Guillermus Le Bourg, humilis prior
hujus ecclesie"
Le prieuré de Saint-Lô,
dont le plan du Livre des Fontaines indique l'importance, était
d'origine fort ancienne. Son église avait d'abord porté
le nom de Saint-Sauveur ou de la Trinité ; mais, en 914,
Théodoric, évêque de Coutances, chassé
par les hommes du Nord, s'étant réfugié à
Rouen avec le corps de Saint-Lô, avait obtenu de Rollon et
de Francon, cette église où il déposa les reliques
du saint dont elle prit le nom.
De 914 à 1056, elle avait été la
cathédrale du siège de Coutances, et depuis elle était
restée dans l'exemption des évêques de ce diocèse.
Au XV° siècle, le cardinal de La Rochetaillée,
qui considérait cette exemption comme blessante pour sa dignité
d'archevêque de Rouen, avait intenté à l'évêque
de Coutances un long et dispendieux procès qui ne devait
se terminer qu'avec l'existence même du prieuré, en
1793. A cette époque, les bâtiments monastiques furent
aliénés et devinrent un atelier national, puis une
école normale (vers 1822) ; enfin, on y a construit, une
école municipale professionnelle (fin XIX° siècle).
Il subsiste encore (vers 1896) de vieux murs et une
porte monumentale du XV° siècle, sur la rue Saint-Lô.
Prieuré
de Sigy, de l'ordre de Saint-Benoît, près Neufchâtel
:
PIERRE DE LA CRIQUE,
Le prieur de Sigy a joué au procès un rôle
très secondaire. Il n'assista qu'à la séance
du 24 février, tenue dans la salle de parement, au château
de Rouen. Il entendit Jeanne adresser à l'évêque
de Beauvais cette vigoureuse apostrophe : "Advisez bien
de ce que dictes estre mon juge. Car vous prenez une grande charge,
et me chargez trop"
Le prieur de Sigy fut-il ému de ce langage et
retourna-t-il ensuite à son couvent ? C'est ce que nous ne
saurions dire en l'état des faits qui nous sont connus.
Les documents sont rares, surtout sur l'histoire du
prieuré. L'auteur de la Neustria pia déclare
n'en avoir pu trouver aucun sur cette maison religieuse.
Nous savons
pourtant qu'elle avait été fondée, vers 1040,
par Hugues Ier, qui l'avait dotée d'un assez grand nombre
d'églises. Hughes II, étant entré à
l'abbaye de Saint-Ouen comme religieux, lui donna le prieuré
de Sigy, à charge d'y entretenir six moines pour y faire
le service divin, mais ses intentions furent mal remplies : car
on n'y trouvait que trois religieux en 1262. Eudes Rigaud releva
le monastère de l'état déplorable où
il l'avait trouvé ; mais, en 1563, les calvinistes le pillèrent
et le détruisirent. Le prieuré, délaissé
par les moines de Saint-Ouen, devint bénéfice simple
et ne fit plus que végéter. De cette puissance déchue,
il nous reste l'église du XIII° siècle, qui est
le plus bel édifice des bords de l'Andelle. Le choeur surtout
est magnifique.
On montre encore, autour de cette église, les
restes de l'ancienne maison des moines, qui sont, avec quelques
ruines cachées sous l'herbe, les derniers souvenirs de cette
antique demeure.
Prieuré de Longueville :
PIERRE
MIGET,
Si les prieurs de Saint-Lô et de Sigy n'ont eu
qu'un rôle assez effacé au procès de Jeanne
d'Arc, le prieur de Longueville en a été l'un des
assesseurs les plus assidus et les plus acharnés.
Après avoir pris part, avec les confidents de
Pierre Cauchon, à la réunion intime où furent
arrêtées les bases de la poursuite, il ne manqua à
aucune séance importante, et se montra partisan des mesures
les plus rigoureuses. Il signa une délibération qui
contenait une condamnation formelle, et prit part à tous
les votes.
Pierre Miget était docteur en théologie.
Il était lié avec l'universitaire Beaupère,
et dès 1420, il avait fait sa soumission à Henri V,
roi d'Angleterre.
Il résidait habituellement à Rouen, à l'hôtel
de Longueville, situé en face de l'archevêché.
En 1443, on le voit figurer aux États de Normandie.
Le prieuré de Longueville, situé au pied
du château, avait été fondé par le fameux
Gautier Giffart, comte de Buckingham et de Longueville, en 1102.
La grande charte de ce monastère, confirmée par Henri
II, roi d'Angleterre, atteste sa richesse et la libéralité
des fondateurs. Elle maintenait le prieuré de Longueville
dans ses droits de "haute, moyenne et basse justice, lui garantissant
ses ports sur la mer, ses masures, hôtels, tènemens
de maisons, etc..." dans de nombreuses paroisses.
Quoique ce monastère n'eût pas d'existence
indépendante et fût soumis à la juridiction
de l'abbaye de la Charité-sur-Loire, son prieur avait le
droit de nommer à vingt-sept églises des environs.
Quelques années avant le procès de la
Pucelle, en 1420, les prieur et religieux de Longueville avaient
présenté à Henri V une requête dans laquelle
ils lui exposaient que par le fait des guerres ils avaient perdu
plusieurs tenemens et aveux, tant en Normandie qu'en
Angleterre, où ils possédaient le manoir Mebbenton,
au diocèse de Lincoln. C'est alors que Pierre Miget obtint
la restitution des revenus de son bénéfice.
La participation du prieur de Longueville au procès
de Jeanne d'Arc lui créait une très lourde responsabilité
; aussi n'est-on pas peu surpris de le voir déposer au procès
de réhabilitation. On l'entendit alors blâmer les juges
dont il avait appuyé toutes les décisions. Il déclara
n'avoir agi personnellement que par crainte des Anglais, et ajouta
qu'il avait été dénoncé comme favorable
à la Pucelle, ce dont il s'était excusé : "timens
periculum corporis". II affirma aussi avoir reçu
les confidences du vice-inquisiteur Jean Lemaitre qui, très
perplexe, craignait également pour sa vie s'il se refusait
à juger.
Dernier et triste rôle de cet odieux personnage
! Il faut reconnaître d'ailleurs que l'exemple venait de haut.
N'avait-on pas entendu aussi Jean de Mailly, évêque
de Noyon, redevenu patriote après avoir été
fonctionnaire anglais et s'être gravement compromis dans ce
procès, affecter d'avoir à peine entrevu la Pucelle,
oubliant qu'il avait assisté à son abjuration et à
son supplice, puis au sacre de Henri VI à Paris.
De nos jours, on chercherait en vain la trace de l'ancienne
église prieurale, qui offrait un magnifique assemblage des
différents types d'architecture et qui fut vendue à
la Révolution. On retrouve seulement, au Musée des
antiquités de Rouen, quelques unes des sculptures qui la
décoraient.
Il semble qu'un funeste anathème ait pesé sur ce monastère,
qui fut transformé en filature après avoir été
livré à un véritable pillage dans lequel disparurent
les vitraux, boiseries, statues, livres et manuscrits, avec une
église qui ferait aujourd'hui la gloire du pays. !
Le dernier bâtiment conventuel, qu'on apercevait de
la ligne du chemin de fer, a été consumé par
un incendie au mois de janvier 189o.
Sources
: Albert Sarrazin - "Jeanne d'Arc et la Normandie au XV°
siècle" - 1896
Illustrations :
- Prieuré de Saint-Lô à Rouen d'après
le livre des fontaines ("Jeanne d'Arc et la Normandie au
XV° siècle" - Albert Sarrazin - 1896).
- Sceau de Guillaume Le Bourg, prieur de St-Lô (ibid.)
- Choeur de l'église de Sigy, Seine Maritime, prieuré
de Sigy (ibid.).
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