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Procès de réhabilitation
CHAPITRE IV - ARTICLES DES PLAIGNANTS ET ASSIGNATIONS
IV - Teneur des 101 articles. |
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es saintes règles ont dit : « Coupable est celui qui néglige
le renom et ne défend pas l'innocence des parents opprimés
par une fraude nuisible. » C'est pourquoi les plaignants
affirment, disent, proposent et exhibent par écrit les demandes,
articles, faits, causes, raisons qui suivent, pour que
justice soit rendue et pour que ce qui est juste soit décidé
par vous, très illustres révérendissime père dans le Christ et
révérends pères le seigneur archevêque et duc de Reims,
premier pair de France, l'insigne évêque de Paris, docteurs
célèbres en l'un et l'autre droit, le très louable évêque de Coutances, et le vénérable et fameux docteur en théologie
sacrée, maître Jean Bréhal, de l'ordre des frères prêcheurs,
inquisiteur de la perversité hérétique, tous juges et commissaires
délégués spécialement en cette affaire par l'autorité
apostolique. Les plaignants, honnêtes personnes Isabelle
d'Arc, mère de la défunte Jeanne d'Arc, communément appelée
la Pucelle, et Pierre et Jean d'Arc, frères germains de
cette défunte et fils de ladite Isabelle, tant en leur nom qu'au
nom de leurs parents, proches ou alliés, ou en leur nom par
procureur, ensemble ou séparément, agissent dans cette cause
contre le sous-inquisiteur de la perversité hérétique au diocèse de Beauvais, contre le promoteur des affaires criminelles
de la cour épiscopale de Beauvais, un certain Guillaume d'Estivet,
contre révérend Pierre Cauchon, autrefois évêque de
Beauvais, et Jean Le Maistre, naguère inquisiteur ou son vicaire,
s'ils sont encore en vie, ou contre leurs héritiers et
ayants cause, si besoin est et s'ils se prétendent intéressés,
contre seigneur Guillaume de Hellande, évêque actuel de
Beauvais, et contre tous et chacun de ceux croyant être intéressés en cette cause, ensemble ou séparément. Ils demandent
réparation aux accusés de souffrances, infamies, injustices et
dommages, de la condamnation inique et de la mort de Jeanne ;
ils demandent que les procès, sentences, censures et leur exécution,
viciés par dol, fraude, surprise, iniquité et perversité,
soient déclarés nuls avec toutes leurs suites, en tout cas soumis à cassation, révocation, anéantissement et annulation,
et en outre que soient proclamées l'absolution et l'innocence
de feue Jeanne d'Arc, dite la Pucelle, pour les fins et pour les
causes, moyens, faits et raisons à exprimer ci-dessous.
I. En premier lieu ils protestent ne vouloir en aucune manière
faire du tort avec mauvaise foi à quiconque, ni rien
produire ou retrancher au préjudice de sa réputation et de
son honneur, mais dire surtout et poursuivre ce qui sert à la
vérité pour leur juste cause et à sa révélation. De même lesdits plaignants protestent ne rien dire de préjudiciable à l'honneur
et à la réputation, ou de dommageable à l'honneur de ceux,
ou de l'un de ceux qui participèrent au procès intenté contre
ladite Jeanne, ou qui donnèrent à ce propos un avis ou une
opinion ; ils sont en effet tenus pour excusables, étant donné
la fausseté, le mensonge, les vices évidents des articles extraits
du procès et à eux communiqués pour avis, comme on le dira
plus bas, à l'exception cependant desdits juges et du promoteur.
Néanmoins ils soumettent tous leurs dits et pareillement
leurs faits à la correction et à la réformation du saint
Siège apostolique, de vos paternités très illustres et des autres
auxquels il convient d'examiner s'il y a quelque chose à
corriger ou à réformer.
II. De même, ceci étant bien établi et retenu, et répété
seulement pour poursuivre, lesdits plaignants disent et affirment
que tant eux que ladite défunte Jeanne, leur parente,
sont et furent durant leur vie de bonne renommée, de bonne
réputation et fréquentation, paisibles et tranquilles, vivant
honnêtement et, sous la conduite du Seigneur, poursuivant
le cours de leur vie sans infamie ou mauvaise imputation de
dol ou de crime, mais en union avec la foi catholique ; et ils furent réputés et reconnus tels, ouvertement, publiquement
et manifestement par tous leurs compatriotes et voisins
connus.
III. De même ils affirment que ladite fille, tant qu'elle
vécut, a détesté toute hérésie, n'a rien cru, ni affirmé, ni
ajouté qui pût sentir l'hérésie ou qui fût contraire à la foi
catholique et à la tradition de la sainte Église romaine.
Il en
fut ainsi et cela est vrai.
IV. De même et en vérité ladite Jeanne, sa vie durant,
comme une bonne et fidèle catholique, servit Dieu fidèlement ;
elle fréquenta les églises et les offices divins, écoutant dévotement
les messes ; elle reçut les sacrements assez souvent,
principalement ceux de la pénitence et de l'eucharistie, et pratiqua les œuvres de pieuse miséricorde, distribuant les
aumônes aux pauvres ; elle ne jura jamais, mais reprit et
réprimanda ceux qui juraient et surtout ceux qui blasphémaient; et elle ne s'écarta jamais en aucune manière des
rites de la religion catholique, de la pratique de la foi catholique,
des règles et de l'unité de l'Église.
Il en fut ainsi et
cela est vrai.
V. De même, parce qu'elle était fidèle catholique, aucune
marque d'infamie ou soupçon d'erreur ou d'hérésie ne pesa
sur ladite Jeanne, ni ne précéda aucune enquête préalable,
faite habituellement dans un procès de foi à partir de la rumeur
ou de la voix publique dénonçant une telle infamie; elle ne fut jamais suspecte de foi douteuse ou d'erreur. Et
ainsi contre elle un procès en matière de foi ne pouvait, ni
ne devait, être engagé ou poursuivi, si ce n'est de manière
nulle et sans droit, puisque tout ce qui a été fait dans ce procès
en matière de foi ou d'hérésie, en omettant l'enquête préalable, est sans valeur et nul, ou du moins doit être annulé par soi-même.
Il en fut ainsi et cela est vrai.
VI. De même et néanmoins, cesdits juges et le promoteur,
conduits par des passions personnelles et une haine sans
limite contre ladite fille, ou par une trop grande partialité
en faveur de ceux qui étaient alors les adversaires du seigneur notre roi et de son conseil, sans garder aucune règle
juridique et sans l'enquête préalable et légitime, s'emparèrent
de Jeanne, innocente, âgée de dix-neuf ans environ, ignorant
toute connaissance du droit ou du monde ; ils lui intentèrent,
comme si elle était imprégnée d'hérésie, un procès en matière
de foi et de perversion hérétique ; et ils procédèrent contre
elle à ce titre, lui attribuant faussement, malgré la doctrine juridique, des crimes et des erreurs contre la foi et l'Église,
et la frappant des peines prévues par le droit en matière
d'hérésie notoire, imaginée par eux.
Et il en fut ainsi et cela
est vrai.
VII. De même, bien que Jeanne eût demandé, en prison,
dès le début de sa citation en matière de foi, la convocation
et l'admission de gens instruits venant du parti et de l'obéissance
aussi bien de la France que de l'Angleterre, et qu'elle
eût demandé d'entendre la messe, tout cela Pierre Cauchon
le refusa ; il ne voulut pas le mettre en délibéré devant les
conseillers, en disant devant ces conseillers réunis que Jeanne
demandait à entendre la messe, mais que d'après certaines
autres personnes il ne devait pas lui accorder d'entendre la
messe ; sur l'autre requête, il se tut complètement.
Et il en
fut ainsi et cela est vrai.
VIII. De même et surtout ledit Le Maistre, alors prétendu
vice-inquisiteur de la perversité hérétique, et ledit Cauchon,
alors évêque de Beauvais encourent l'un la peine d'excommunication,
l'autre la suspense et la censure portées par le droit,
en imposant ainsi à ladite fille Jeanne une fausse marque
d'hérésie et en engageant un procès d'inquisition irrégulier
et sans cause légitime. Et ainsi ce procès avec ses suites et ses
implications, du chef de cette excommunication, a été infecté
de nullité ; car il est évident qu'à un juge excommunié ou
suspendu il n'est plus possible d'exercer sa juridiction.
Et il
en fut ainsi et cela est vrai.
IX. De même lesdits Cauchon et Le Maistre et leurs complices,
soit lesdits accusés, tinrent ladite Jeanne, jeune et
tendre fille, dès le début du procès dans une dure prison, destinée plus à une peine qu'à une garde, contre les règles
du droit, et, la chargeant de ceps et de chaînes de fer, ils
l'attachèrent d'une manière impie et injuste ; ils l'enfermèrent
dans une prison forte, à savoir dans le château de Rouen,
prison non certes de justice, mais de méchanceté et de violence,
non ecclésiastique, mais séculière, et ils la mirent à
garder entre les mains de laïcs en armes, ses ennemis mortels, à savoir des hommes de guerre anglais, qui la poursuivaient
sans arrêt d'une haine mortelle, par des paroles, des déclarations
hostiles, des menaces et des moqueries. Or cette
jeune fille aurait dû être remise aux mains de l'Eglise, dans
une prison ecclésiastique et non pénale, dans la société de
femmes honnêtes, être traitée humainement, avec les libertés
convenables sus-mentionnées, au moins pendant le
cours du prétendu procès, comme le veut le droit, comme
l'exige toute équité.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
X. De même, et il est vrai, lesdits évêque et vice-inquisiteur
décidèrent par ordonnance judiciaire que ladite Jeanne,
jeune et vierge, serait visitée par des matrones et des dames
au sujet de l'intégrité virginale qu'elle déclarait ; aussi fut-elle
visitée pour la partie de son sexe féminin par beaucoup
de femmes capables, avec l'assistance de nobles dames et
d'autres. Cette Jeanne, examinée avec soin, fut reconnue
vierge et intacte ; mais cette visite, bien qu'elle fût judiciaire,
lesdits juges la passèrent sous silence avec dol, pour ne pas
avoir à dire quelque chose à la louange ou à la décharge de ladite vierge Jeanne ; et ils ne firent et ne voulurent pas en
faire mention dans le procès, mais interdirent de le faire;
et ils obligèrent, par serment solennel, ceux qui virent ladite
visite et savaient ce qui avait été reconnu, à le cacher complètement,
et à ne révéler à personne et en aucune manière que ladite Jeanne avait été reconnue vierge et intacte. Et
dès le début ils souillèrent ce procès des vices de dol, fraude,
mensonge et suppression fautive, ce qui mérite la marque
d'infamie.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XI. De même, alors que ladite Jeanne était dans cette
prison, dans cette situation, dans ce lieu et cette compagnie, fille encore jeune ainsi affligée par la crainte de présences
hostiles et d'une dure prison, par la peur et la violence, lesdits
accusés ne rougirent pas de procéder contre elle en de nombreux
interrogatoires, difficiles, très troublants, captieux,
dangereux et hors de propos ; ils abordèrent des matières
diverses, même en théologie, auxquelles des hommes savants,
jouissant de la liberté, n'auraient parfois pas pu donner
de réponse. Par ces interrogatoires, multipliés et renouvelés, souvent par des menaces, ils accablèrent cette fille de tant de
vexations qu'elle tomba dans une grave maladie du corps ou
infirmité même presque mortelle ; de tout cela non seulement
Jeanne elle-même, mais bon nombre de conseillers et assistants
se plaignirent à plusieurs reprises ; et quelques-uns, vu
le mode de procéder, se retirèrent complètement du procès,
d'autres furent renvoyés.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XII. De même lesdits accusés, pour accomplir plus facilement
et selon leur volonté ce qu'ils avaient projeté contre
Jeanne, éloignèrent des séances où Jeanne était interrogée
tous les conseillers et les juristes ayant Dieu et la justice devant
les yeux ; ils changèrent le lieu et le temps de ces examens; ils décidèrent qu'elle serait examinée à l'avenir dans
la prison, en présence des Anglais et des gardiens, par un petit
nombre de conseillers et avec peu de gens, qu'ils changèrent
presque à chaque examen et choisirent différents, tant pour
interroger que pour assister, selon les diverses journées ; de cela entre experts et juristes il n'y eut pas petite discussion.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XIII. De même, et parce que lesdits accusés, préférant
l'injustice et conduits par leur propre méchanceté et celle
des ennemis, ne désiraient pas pour cette fille l'accomplissement
d'une mort naturelle ou honnête, mais complotaient
plutôt sa disparition définitive avec infamie publique, ils
apportèrent le plus grand soin à la faire soigner de sa maladie
en lui réservant la visite de plusieurs médecins ; certains des
principaux de ses adversaires en effet, sur l'ordre desquels
elle était détenue, disaient fréquemment qu'ils préféraient
perdre vingt mille nobles d'or plutôt que de voir Jeanne mourir autrement que par le feu après une sentence de condamnation
ignomineuse.
XIV. De même, et aussitôt qu'elle reprit des forces, lesdits
juges la tourmentèrent à nouveau par de nombreux interrogatoires,
la questionnant surtout sur certains points concernant
les visions ou apparitions de bons esprits, l'unité de
l'Église et des subtilités de la foi ; ils lui demandèrent beaucoup
de choses difficiles, pour lesquelles elle donna des réponses
en accord avec la foi catholique, honnêtes et convenables,
surtout si l'on considère son jeune âge, la condition
de son sexe et son ignorance.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XV. De même parmi d'autres réponses que fit avec honnêteté,
calme et prudence cette fille Jeanne, affligée par les
passions et l'hostilité, la haine, les vexations et les attaques
de ses accusateurs, elle déclina souvent la compétence de ses
juges. Cela ressort avec évidence de deux principaux points.
D'abord parce qu'elle récusa expressément les juges comme étant ses ennemis mortels : par cette récusation légitime, très
notoire en droit, toute juridiction est suspendue, et si on
continue le procès, surtout après un article de récusation
indiscutable, on procède manifestement d'une manière nulle.
Deuxièmement parce que Jeanne a réclamé souvent le jugement
du pontife romain, ce qui est tenu comme l'équivalent
d'un appel légitime ; l'Apôtre en effet dit pour l'appel : « Je me présente au tribunal de César » [A. ap. xxv.10] ; principalement
parce que les affaires ardues de cette espèce sont
connues comme appartenant au Siège suprême de plein droit.
Donc tout le procès fait par lesdits accusés, avec ses suites,
est infecté de nullité.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XVI. De même et semblablement sur ces visions Jeanne
fournit des réponses ne s'écartant pas d'une vérité sainte et
saine, parce qu'elle a cru que ces visions procédaient d'un
esprit bon, comme on devait l'estimer, si l'on considère avec
une piété catholique sa virginité, son humilité et sa simplicité,
les besoins des affaires publiques pour lesquels elle avait été envoyée, la très juste cause et la fin très juste, ainsi que d'autres circonstances favorables ; et en cela Jeanne ne se
trompa pas, ni ne dévia en rien des vérités de la foi.
Et il en
fut ainsi et cela est vrai.
XVII. De même, bien qu'un conseiller convenable lui eût été refusé, cependant conduite fidèlement, on peut le croire,
et dirigée par l'esprit divin, elle soumit toutes ses réponses,
ses dits et ses déclarations, plusieurs fois, à la sainte Église,
ne s'écartant pas de l'unité ; et elle demanda avec instance
et expressément, plusieurs fois, que tout fût examiné par des
clercs non suspects, ni partiaux, et même déféré au jugement
du pape et du sacré concile.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XVIII. De même, et parce que quelques hommes savants,
mus d'une pieuse compassion, voulaient diriger Jeanne, ignorante, à propos de ce qui était dit, lui conseillant de se soumettre
au saint concile de Bâle, où se trouvaient des clercs
des deux obédiences, ils furent expulsés ignominieusement
par ledit évêque. Bien plus à l'un d'eux l'évêque dit : « Taisez-vous, par le diable ! » En outre plusieurs conseillers et
hommes notables, docteurs et licenciés, reçurent de très
nombreuses menaces, et quelques-uns bannis de la cité de Rouen, même au péril de leur vie ; quelques-uns d'entre eux
seront cités plus bas ; et dans la suite ils n'osèrent plus comparaître
ou assister audit procès. En cela apparaît clairement la
mauvaise passion desdits juges.
Et il en fut ainsi et cela
est vrai.
XIX. De même et néanmoins lesdits accusateurs, désirant
en finir avec cette jeune fille par une condamnation à
une mort ignominieuse, quoiqu'elle fût non coupable et innocente
des crimes à elle imputée, comme cela apparaîtra
manifestement plus bas, continuèrent cependant aussitôt
après sa maladie le procès inique, le promoteur de Beauvais
poursuivant l'affaire.
XX. De même contre Jeanne, interrogée souvent et tourmentée
par eux, certains articles furent composés par lesdits
accusés et sur leur ordre ; ces articles, qu'ils déclarèrent tirés
et extraits des déclarations de Jeanne, commençant par « Une certaine femme », etc., furent envoyés à de nombreuses
personnes, notables et savants ; d'après eux furent exprimés beaucoup d'avis et d'opinions.
XXI. De même et en vérité lesdits articles furent extraits
faussement et composés d'une manière inique ; ils ne sont pas
conformes aux déclarations de Jeanne et ils ne contiennent
pas les récusations, les soumissions, les excuses, les appels,
ni le véritable esprit de Jeanne et de ses déclarations ; bien
plus et en vérité on doit dire que les opinants ont été trompés
et induits en erreur par ces articles, et en cela aucun reproche
ne peut leur être fait, à la réserve cependant des trompeurs
eux-mêmes et de leurs complices.
XXII. De même, et bien que pour ce procès eussent été
pris des notaires publics dignes de foi, qui enregistrèrent ouvertement
en langue française le procès de Jeanne et les
actes, cependant quelques autres notaires suspects furent
cachés dans un endroit dissimulé et proche, avec l'intention
d'inscrire plusieurs choses fausses ; et on croit que c'est par
ces notaires cachés, ou grâce à leurs écrits, que furent fabriqués
les faux articles mentionnés. Bien plus on fabriqua
un certain autre procès en forme authentique, très éloigné
et différent dudit premier procès.
Et il en fut ainsi et cela
est vrai.
XXIII. De même, et bien que lesdits juges, par le moyen
de ces écritures iniques, fausses relations et déclarations,
articles fabriqués, attendu ce que dessus, n'eussent pas dû
continuer de procéder, surtout en matière de foi, et ils ne
l'auraient pas pu, sinon de manière nulle et sans droit,
cependant aussitôt après la guérison de Jeanne, ils la firent
enfermer dans une dure prison ; rien cependant ne l'exigeait,
ni l'évidence de la chose, ni la véhémence de la suspicion, ni
la clameur publique ; et il n'était pas non plus évident pour
eux, il ne l'est pas non plus maintenant qu'elle fût enfoncée dans quelque hérésie, ou qu'elle eût commis quelque excès
et quelque crime contre la foi, ou qu'elle eût adhéré à quelque
erreur contre la foi. Et bien qu'elle eût demandé à l'évêque et à l'inquisiteur, s'ils prétendaient trouver dans certaines
de ses paroles ou certains de ses actes une saveur d'hérésie ou de déviance de la foi, d'en remettre l'examen au Siège
apostolique, dont elle était prête à subir le jugement, ils enlevèrent à Jeanne tout moyen de défendre son innocence ; et,
violant les règles du droit, ils procédèrent dans cette prétendue
affaire d'inquisition d'une manière nulle et sans
droit, au gré de leur volonté ; ils portèrent deux sentences
manifestement iniques.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XXIV. De même lesdits accusés par ces moyens présentèrent
des articles en grand nombre, en les prétendant faussement
tirés de déclarations spontanées de ladite Jeanne, et
affirmèrent ainsi qu'elle était non seulement coupable, mais
ayant avoué les crimes par eux prétendus ; et ils procédèrent
sans droit à une certaine abjuration préméditée, pour que rien ne manquât à leur méchanceté, bien qu'il n'y eût nulle
question de foi, comme il a été dit. Cependant, après avoir
lu une prétendue cédule d'abjuration, écrite en termes différents
et que vraiment Jeanne ne comprit pas, ces gens cruels,
avec une âpreté inhumaine, condamnèrent définitivement
et sans miséricorde à la prison perpétuelle, au pain de douleur
et à l'eau de tristesse, bien que cela fût inique, plein de dol et sans droit, cette Jeanne si jeune d'âge ; elle n'était cependant
souillée d'aucun crime, tout à fait innocente des erreurs à elle attribuées, et, à leur dire, revenue au sein de l'Église,
bien plus, absoute par eux des prétendues erreurs.
Et il en
fut ainsi et cela est vrai.
XXV. De même et bien que dans leur sentence inique les
juges iniques eussent ajouté quelques mots trompeurs en
disant se réserver une grâce ou une modération de peine, ils
placèrent cependant aussitôt Jeanne, très désolée, non pas
dans les mains de l'Église, dans la compagnie d'honnêtes femmes — elle avait cependant repris ses vêtements féminins
et cela lui avait été promis — mais dans les mains et la
garde de ses ennemis mortels les Anglais, dans la forteresse
et prison d'un seigneur laïc, sans la compagnie de femmes.
Ils la remirent ainsi contre les préceptes de la charité, contre les règles ecclésiastiques, et vraisemblablement pour lui ôter
le moyen de persévérer dans le bien et lui donner une occasion
de chute.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XXVI. De même et ensuite lesdits accusés ou leurs complices,
pour tenter Jeanne par un aiguillon plus fort, dans ce
château et pendant qu'elle gisait la nuit dans son lit, s'emparèrent
des vêtements féminins qu'elle avait posés sur le lit
afin de les remettre le lendemain ; ils mirent à la place des
vêtements d'homme, de telle sorte que, se levant pour des
besoins naturels, pour se soulager ou autre raison, elle ne
trouva plus ses vêtements de femme pour couvrir sa nudité.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XXVII. De même, ce qui est encore beaucoup plus pernicieux,
on permit ensuite un libre accès jusqu'au lit de cette
jeune fille, Jeanne, dormant, à l'un de ses ennemis, qui par
la violence essaya d'attenter à sa pudeur, de telle sorte que,
poussée par la nécessité de sa propre défense et de garder sa pureté virginale, elle reprit les vêtements d'homme, n'ayant
rien d'autre pour couvrir son corps ou pour repousser les
violences pressantes dudit intrus.
Et il en fut ainsi et cela
est vrai.
XXVIII. De même, usant tout ensemble de dol, méchanceté
et fraude, lesdits accusés s'efforcèrent de mettre en
cause, ou d'accuser et d'interroger Jeanne sur un prétendu
relaps dans l'hérésie ou l'erreur initiale. Elle donna des réponses
convenables et catholiques aux interrogations, et,
inquiétée au sujet de ce prétendu relaps, elle montra qu'elle
n'avait rien eu à abjurer parce qu'elle n'était auparavant
tombée dans aucune espèce d'hérésie, comme il sera dit
plus bas ; en outre ladite Jeanne montra qu'elle n'avait rien
compris à la cédule de l'abjuration prétendue, de telle sorte
qu'ensuite on devait dire et conclure que Jeanne ne pouvait être mise en cause pour quelque relaps, sinon de manière nulle
et sans droit ; malgré cela les accusés, contre Dieu et la justice,
conclurent faussement que Jeanne était relapse en hérésie.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XXIX. De même, et bien qu'une telle conclusion ne résultât
pas des avis de beaucoup de délibérants, excédant en nombre
les autres pour une majorité, bien qu'elle n'eût pas pu ou dû être prise, comme le prouve la teneur du procès, cependant
les accusés décidèrent qu'elle devait être condamnée comme
relapse, tant ils étaient avides d'obtenir sa disparition définitive par une mort publique et un trafic infâme.
Et il en fut
ainsi et cela est vrai.
XXX. De même les accusés procédèrent avec célérité à
l'élaboration d'une deuxième sentence plus indigne en vue
de l'exécution finale longtemps convoitée de Jeanne, après
un court espace de temps, à savoir six à huit jours, entre les
deux sentences ; de telle sorte que, dans le lieu public de la cité de Rouen habituellement fixé pour l'exécution des accusés,
ladite Jeanne fut produite, condamnée avec iniquité,
injustement déclarée relapse en hérésie et livrée au bras séculier.
Dans une prédication solennelle, bien que pleine de
fausses propositions, d'accusations et de réponses iniques, Jeanne fut couverte d'opprobres et d'injures, grandement
déshonorée devant tout le peuple de cette cité rassemblé et
convoqué en cet endroit.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XXXI. De même — et cela restera éternellement à déplorer
avec une pieuse, désolée et très douloureuse compassion
! — cette vierge innocente fut amenée et livrée par le
bras de la justice séculière et plus véritablement par les
accusés, ses ennemis mortels ; aussitôt saisie devant tous,
publiquement, sous le prétexte ignominieux d'hérésie, sans
autre forme de procès, délibération ou sentence, sans octroi
de délai, traînée au dernier supplice et livrée cruellement à
l'ardente flamme d'un grand feu, elle finit sa vie.
Et il en fut
ainsi et cela est vrai.
XXXII. De même avec quelle indicible patience, avec
quelle affirmation catholique faite devant tous de la majesté
divine, et avec quelle invocation dévote, très pieuse et répétée
du nom de Jésus notre Seigneur et des saints, surtout
de saint Michel et des saintes Catherine et Marguerite, a-t-elle supporté les tourments du feu ! Avec quelle voix claire, quel
esprit assuré et quelle sincérité virginale a-t-elle soutenu
d'une persévérante constance l'achèvement de sa fin catholique
! La multitude des assistants qui l'entendirent et la
virent, des amis et même des ennemis partout fondant en larmes, l'ont rendu public et attesté, comme les informations
faites à ce propos le montrent ouvertement et plus clairement
que le jour.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XXXIII. De même, selon la doctrine fidèle de l'Eglise,
on doit en avancer que Jeanne a conduit sa vie, sans tache
de perversité hérétique ou sans autre crime grave, comme une
catholique, et qu'elle a terminé fidèlement une vie conforme à la religion catholique, pour obtenir la gloire au jour de l'héritage, avec la grâce de notre Rédempteur ; de telle manière
qu'on peut estimer et dire que jusqu'à la fin de sa vie
elle fut réconfortée et accompagnée par un bon esprit.
Et il
en fut ainsi et cela est vrai.
XXXIV. De même, à cause de ces procès et sentences
indignes, de leur cruelle exécution, quoique tout fût nul,
dolosif et inique, beaucoup ont cru, injustement certes, que
l'innocence de Jeanne avait été corrompue, et la réputation
de ses parents a été fort endommagée par le scandale ; c'est pourquoi il n'est pas inutile, pour la justification de cette
défunte, ou plutôt pour la reconnaissance de son innocence
et la réhabilitation de ses parents, que le mandat apostolique
ou rescrit, demandé par les plaignants, ait été envoyé à
votre connaissance, juges très révérends et distingués. Sur
l'ordre de ce rescrit, avec l'aide de la justice et de la vérité,
vos révérendes paternités pourvoiront opportunément en
faveur de ces plaignants aux fins désignées ci-dessous ; parce
que cela est juste et vrai.
XXXV. De même il est vrai que ces énonciations préliminaires
paraissent suffire pour affermir les prétentions des
plaignants et obtenir les résultats qu'ils souhaitent, inscrits
ici en dernier lieu, dont l'entière approbation et véracité
apparaîtront, tant par les procès iniques des parties adverses, que par les légitimes réponses de ladite défunte, par une
confrontation faite selon la vérité, par les réserves, les informations
plus amples de tous les témoins, et les dépositions
faites, ou à faire, si besoin est ; il est vrai aussi en revanche
que sont connus le dol, l'iniquité, la fraude et les prétentionségalement odieuses et pernicieuses des parties adverses, qui
ont toujours l'injure à la bouche, la nullité manifeste, la prévarication
et la fausseté de leurs procès, de leurs sentences
et des suites ; cependant pour éclairer ces énonciations préliminaires
sur ledit procès et les sentences postérieures, bases
sur lesquelles les accusés ont fondé leur construction, quelques
mots doivent être brièvement dits, pour qu'ainsi tout ce qui
s'ensuit soit déclaré nul, inique et non valable.
Parce qu'il en
fut ainsi et cela est vrai.
XXXVI. De même, et comme dans les jugements la forme
et le fond doivent être mis à la base avec vérité et dans les
règles, par ce qui suit il apparaîtra aussitôt plus clair que la
lumière : d'abord en raison du fond les procès et les sentences
mentionnés, tels quels, sont soumis au vice de nullité,
ou du moins à un jugement de cassation ; et ensuite, en raison
du fond, lesdits procès et sentences sont infestés de dol,
fausseté, prévarication et tache d'iniquité manifeste.
Et il
en fut ainsi et cela est vrai.
XXXVII. De même, c'est la forme qui donne son existence à la chose, et celle qui contrevient au droit devrait en tout cas être tenue pour non avenue ; et « ce n'est pas un empêchement
que de droit ne sorte pas un effet » ; d'après une règle de droit,
De la chose jugée [Sexte, Reg. juris 52] ; il est assez satisfaisant
pour la raison que d'abord soit déduite cette nullité ou non
valeur desdits procès et sentences, ou au moins une future
cassation, par les moyens et les raisons qui suivent.
Parce
qu'il en fut ainsi et cela est vrai.
XXXVIII. De même et parce que très souvent les procès,
les sentences et les jugements sont infectés de nullité, ou justement
cassés et révisés — à ce sujet Henri après d'autres docteurs
au ch. I, De sententia et re judicata [Xa II.27.1] ; le cardinal d'Ostie dans la Somme, même titre, par. Qualis, au mot
Justa ; et Guillaume dans le Speculum, au titre De sententiarumprolatione,
par. Justa ea ; et xxxv, qu. 9, par. In summa,
et au ch. Cum inter vos dans De sententia et re judicata et
Multis sum [Xa II.27.13] — lesdits plaignants disent et
avancent que les sentences et les procès poursuivis contre
ladite défunte par lesdits accusés présomptueux sont infectés
de nullité et sans valeur, en raison de la forme, surtout
pour les motifs qui suivent.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XXXIX. De même et d'abord parce que en vertu du droit
très connu de vous, le jugement est rendu généralement nul
en raison du juge incompétent, en raison d'une juridiction
non appropriée et en raison des plaideurs ; au ch. At si clerici
dans De foro competenti [Xa II.2] ; dans le Code, Si a non
competenti judice loi fin. [C. VII.48.4]. Il en est ainsi parce que l'évêque de Beauvais n'était pas le juge compétent de
ladite Jeanne et qu'elle ne lui était pas soumise ; car c'est
en raison du délit ou du domicile qu'à chacun est attribué
un tribunal : or dans la juridiction dudit évêque, ni elle
n'avait un domicile, ni elle n'avait perpétré les crimes qu'on
lui reprochait, comme cela apparaît manifestement dans le
procès. C'est pourquoi, etc. Conviennent le mieux sur ce point
le dernier ch. De foro competenti [Xa II.2.20] et loi fin. ff. De
accusationibus [Dig. 48.2.22], et lois 1 et 9 du Code sur le
crime, avec la Somme [C. IX.2.1 et 9].
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XL. De même et comme on en a touché plus haut, cet évêque de Beauvais et ledit vicaire de l'inquisiteur, liés
respectivement par des sentences de suspense et d'excommunication,
incapables l'un sans l'autre de procéder jusqu'à
une sentence en matière de prétendue hérésie, n'ont rien pu
décider de valide ni exercer une juridiction, sinon de manière
nulle et sans droit. Qu'ils aient été liés par des censures est
certain ; en effet ils avaient imputé faussement le crime
d'hérésie à ladite innocente défunte, qui ne l'avait pas commis,
comme il sera dit plus bas ; et ainsi ils avaient encouru aussitôt les censures. Sur ce point la Clémentine Multorum
du De Hereticis, livre VI [Clem. v.3.1].
XLI. De même et parce que ledit évêque de Beauvais fut
récusé par ladite Jeanne comme incompétent, suspect et
ennemi mortel, lesdits procès et sentences sont entachés de
nullité de plein droit, et il n'aurait pas dû procéder plus avant,
sinon de manière nulle ; et ainsi le soutiennent Jean le cardinal,
l'Archidiacre et Jean André au ch. Legitima, de De
apellationibus, Sexte [VI° II.15.2] ; et surtout puisque l'appel,
la récusation et le renvoi à l'empereur sont assimilables
pour suspendre l'autorité du juge et ses fonctions. Et ainsi
tout ce que fait ensuite le juge est nul de plein droit, comme
dans le canon Multum stupeo, III, qu. VI [D. G. II.3.6.8],
et au ch. Licet de De officio delegati [Xa I.29.30] et dans la
Somme.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XLII. De même ce qui est fait sous la violence et la
crainte perd toute force, comme au ch. Perlatum, de De his
que vi metusve causa, titre XL [Xa I.40.1] et dans tout le
titre ; car en vérité la crainte terrible venant de menaces de mort proférées par les Anglais, alors assistant au procès,
pesa sur le prétendu vicaire de l'inquisition, frappant un
homme ferme, s'il ne prononçait pas sa sentence, comme il a été dit : il en ressort clairement que le procès et toutes ses
suites, ou sont nuls de plein droit, ou au moins doivent être
complètement annulés. Les canons sacrés disent en effet qu'un jugement injuste et une décision injuste prononcés par les
juges et causés par la crainte ou un ordre du roi n'ont aucune
valeur. Car tout jugement humain peut être perverti de quatre
manières : XI, qu. 3, Quatuor modis [D. G. II.11.3.78].
Et il
en fut ainsi et cela est vrai.
XLIII. De même, et si le droit veut que la juridiction soit
suspendue par un appel légitime, puisque la défunte avait
appelé de ses juges, son procès avec les sentences qui suivent
est infecté de nullité. Or que Jeanne ait appelé en des termes
suffisants est sûr ; car du fait qu'on se soumet à la protection d'un supérieur et principalement du pape, bien que par simplicité ou pour une autre cause on ne prononce pas le mot
d'appel, cela est cependant tenu pour un appel légitime ; et
ensuite le procès fait contre celui qui appelle ainsi est nul ;
au ch. Ad audientiam de De appellationibus [Xa II.28.34].
Et cela est vrai sans aucun doute, surtout quand on ajoute
cette aggravation que quelqu'un vraisemblablement redoute
d'être accablé davantage par un juge. Il en est ainsi dans le
sujet traité, puisque la défunte, qui déjà craignait le juge
récusé comme son ennemi mortel, demanda d'être remise au
jugement du pape et se soumit à lui. Or ces mots équivalent
aux mots de l'appel même si les termes « j'appelle » ne sont
pas exprimés ; comme dans le ch. cité Ad audientiam ; en
effet on appelle en fait, sans les paroles, dans le ch. Dilecti filii de De appellationibus [Xa II.28.1], et Paul appela d'un
gouverneur hostile à César en disant : « Je vais au tribunal
de César », Act. xxxv [Act. Ap. xxv.10].
XLIV. De même et surtout parce que, pour les questions
ardues et obscures, à savoir les révélations secrètes et cachées
que ces juges voulurent examiner et qui nous paraissent
inconnues, dont il est très difficile de juger car elles touchent à des points assez importants et même très importants, toute
connaissance et décision en appartiennent au Siège apostolique
et doivent lui être remises ; de cette sorte fut la cause de ladite
Jeanne. Car, selon les canons, les causes ardues doivent être remises au Siège apostolique : XVI, qu. 1, canon Frater
noster [D. G. II. 16.1.52] ; titre De baptismo, ch. Majores
[Xa III.42.3]. Et chaque fois qu'il s'agit d'une question de
foi, tout évêque doit en référer au Siège de saint Pierre, soit à l'autorité du successeur de son titre et de sa charge : XXIV,
qu. 1, Quotiens [D. G. II.24.1.12].
Et il en fut ainsi et cela
est vrai.
XLV. De même et d'autre part la nullité ou l'iniquité manifestement
apparaissent dans lesdits procès et sentences, à
savoir en raison des liens attachant la défunte Jeanne, de la
dure prison et des gardiens redoutables ; car, bien que d'un
très jeune âge, comme il est dit, elle fut accablée par une prison sévère, une garde d'ennemis mortels, des menaces violentes, des moqueries et des craintes, au point qu'elle
déclarait préférer mourir plutôt que de vivre dans une telle
détresse ou y demeurer davantage. Étant donné la faiblesse
de son sexe et son âge tendre, Jeanne aurait dû être soulagée, et au moins enfermée dans une prison ecclésiastique, en la
compagnie de femmes honnêtes ; mais avec une grande injustice
et violence, et cela doit être retenu comme étant
contre les règles du droit, elle fut enfermée dans une prison
impie, non pas même dans une prison utilisée pour les crimes de laïcs ou de condamnés publics, mais aux mains violentes
de ses ennemis, contre ce qui est lu et noté dans l'Authentique Ut nulli judicum liceat, par. Necessarium, d'où fut
prise l'Authentique nouvelle sur la loi Quoniam in unum
conclave, titre De custodia et exhibitione reorum [G. IX.4.3].
Et il ne paraît pas convenable de passer sous silence que ses
gardiens et des ennemis en armes envisagèrent souvent d'attenter
par la violence à sa pudeur virginale.
XLVI. De même les injures atroces, les prisons et les menaces équivalent et sont égales à la question et à la torture ;
en sorte que, tant qu'elles durent, tout ce que Jeanne aura
avoué contre elle-même doit être attribué à la terreur et aux
tourments ; un tel aveu ne vaut rien, comme on le lit et il est noté au ch. Cum in contemplatione, dans l'ancien De
regulis juris [D. 50.17]. Et ainsi le procès avec les sentences
mentionnées qui en découlent sont de nulle puissance et vigueur.
En droit il est en effet sûr que par le mot «question»
nous devons non seulement comprendre les tourments appliqués
au corps, mais même toutes les autres souffrances pressantes, par exemple la faim, infligées aux détenus jusqu'à ce
qu'ils avouent le crime qu'on leur impute. On doit même
comprendre sous le mot de question ce que nous appelons
une mauvaise demeure, par exemple un cachot sordide, affreux ; ff. De injuriis, 1. Item apud Labeonem, par. Questionem
[D. 47.10.41] ; et par. Questionem, ff. Ad Silanium
senasconsultum, l. 1 [D. XXIX.1.25]. C'est pourquoi, etc.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XLVII. De même et pour une autre raison ce procès avec
toutes ses suites doit être déclaré inique, parce que à ladite
Jeanne, si jeune, ignorante du droit et inexperte dans les
questions sur lesquelles elle était interrogée, on refusa un
conseil et, pendant presque tout le procès, un directeur pour l'explication des termes, ce qu'elle demanda souvent ; cela
bien que fussent mises en avant des difficultés de foi et des
questions ardues. Bien plus, comme il ressort même du procès,
si quelqu'un voulait la diriger, ou lui expliquer les questions
qu'on lui posait, il était accablé de menaces et d'opprobres
et expulsé de la réunion. Or le droit combat pour le contraire; ff. Ad legem Juliam de adulteriis, 1. Si postulaverit,
par. Questioni [D. 48.27.7]. Et si un avocat est pris dans des
affaires civiles, à plus forte raison doit-il être admis dans les
criminelles ; car, lorsqu'il s'agit de l'état et de la vie d'une
personne, puisqu'alors menace un plus grand péril, on doit
agir avec plus de prudence ; Cod., De episcopali audientia,
1. Addictos [C. I.4] et dans le canon Ubi majus, De electione,
livre VI [Sexte I.6.3]. Et sur cela bon exposé de Guillaume
dans le Speculum, titre De depositionibus, par. Septimo videndum,
17 ; et titre De adversariis, par. Utriusque, v. Sed nunquam potest.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XLVIII. De même et sur un autre point apparaît cette
nullité du procès et de la sentence : n'est-il pas vrai et prévu
par une règle juridique bien connue de vous qu'un procès
et une sentence judiciaire, prononcée contre des mineurs de
vingt-cinq ans restés sans défenseurs, ne sont pas valables, de plein droit, et qu'il n'est pas besoin d'en appeler, ff. De re
judicata, l. Acta [D. 42.11.45], ni de demander la restitution
en entier Cod., Si adversus rem judicatam, 1. Cum minores [C. II.26.4]. Or ces procès et les sentences contre Jeanne ont été faits et prononcées contre une mineure de vingt-cinq ans,
non défendue, ni soutenue par l'aide d'un curateur, d'un
avocat, d'un conseil, d'un directeur, mais sans défense et
seule, dépourvue de toute aide. Donc, etc.
Et il en fut ainsi
et cela est vrai.
XLIX. De même, et au moins en cela, par une faveur du
droit, on doit secourir les personnes jeunes et mineures, et
la compassion pour l'âge doit entraîner le juge à la modération
et à une remise de peine, comme ff. De minoribus viginti
quinque annis, l. Auxilium, par. In delictis [D. 4.4.37.2], même si, pour les délits trop graves on ne secourt pas totalement
les mineurs ayant agi de propos délibéré ; cependant dans
cette cause aucune indulgence n'a été accordée à Jeanne, mineure
et n'ayant pas mal agi de propos délibéré, comme cela
est évident par la rigueur de la sentence ; et ainsi, à cause
d'une trop grande sévérité, le jugement est entaché de nullité, ou du moins le procès avec ses suites mérite d'être cassé.
C'est pourquoi, etc. Et cela est vrai.
L. De même et d'autre part l'iniquité et la nullité desdits
procès et des sentences sont manifestes, parce qu'il est prévu
par le droit que tous les actes du procès doivent être fidèlement
rédigés par un notaire public ou deux personnes idoines ;
autrement on n'ajoute pas foi au juge, qui est puni ; et on
n'accepte pour le procès rien qui ne soit établi par des documents légitimes, comme dans le ch. Quoniam contra faisant,
De probationibus [Xa II.19.17]. Mais en fait il en fut ainsi :
les plaignants avancent que les prétendus juges du procès
de Jeanne, surtout l'évêque de Beauvais, non seulement négligèrent
d'observer cette règle de droit, mais allèrent à l'encontre et la trahirent ; parce que, et ils ordonnaient de
tronquer les déclarations de Jeanne, et ils empêchaient d'inscrire
ses défenses. Ainsi tout ce qui a été fait par les juges
ne conserve aucune force ; et bien plus tout le procès est vicié,
faussé et suspect et doit être tenu comme nuisible. Et dans ce sens ch. Cum dilecti, De accusationibus [Xa v.1.18] avec
les annotations.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LI. De même et véritablement ce procès avec ses suites
doit être taxé de fausseté manifeste ; car du procès susmentionné
et des déclarations de Jeanne furent tirés mensongèrement,
imparfaitement, et calomnieusement certains articles,
sur lesquels furent consultés les opinants du jugement et des sentences, en omettant quelquefois ce qu'avait exprimé Jeanne pour exposer ses justifications, ou préciser ses déclarations,
sa soumission à l'Église et au Siège apostolique ; en
développant ce qui pouvait lui être imputé à charge d'une
manière cruelle, dolosive et tronquée ; en ajoutant parfois
des choses fausses et aggravantes ; et puisque ainsi, sur des
articles choisis faussement un jugement a été proposé de la
part des opinants, il est clair que les sentences sont iniques,
et également le procès, et même tout à fait nulles et mensongères,
sans compter le dommage ; comme cela apparaît bien
en comparant lesdits articles et les déclarations de Jeanne.
Et à l'appui de cela vient très bien la loi Si petitor, ff. De judiciis [D. 5.1.35] et ce qu'on lit et qui est noté au ch. Cum
Bertholdus, De sententia et re judicata [Xa. II.27.18] avec la
Somme. Alors que cependant en matière de foi doit être développé
entièrement et en détail le procès, suivant le ch. final De hereticis, livre VI [Sexte v.2.20].
Et il en fut ainsi et cela
est vrai.
LII. De même on ne doit pas taire l'iniquité et le dol desdites
sentences et du procès, monté du consentement des
juges, comme on peut le présumer avec vraisemblance ; car
des conseillers fourbes furent envoyés à ladite Jeanne, qui
feignaient d'être de fidèles Gaulois, promettaient de vouloir la conseiller sainement et la diriger, et ils lui conseillèrent
et proposèrent de ne pas se soumettre à l'Église. On a déjà
dit que les vêtements féminins lui avaient été enlevés, et
qu'à la place on avait placé des vêtements d'homme qu'elle
reprit ; et si peut-être elle ne se soumit pas clairement au
jugement de l'Église, la cause en serait le conseil trompeur
et malhonnête qui lui fut alors sournoisement préparé et
donné. Et puisque la fraude et la tromperie ne doivent protéger
personne, il est clair que les sentences mentionnées, ainsi élaborées, sont sans force ; et l'indique bien la loi 1 du
Code, De advocatis diversorum judiciorum [C. II.7.1]. Puisque
en effet Jeanne, de sa propre volonté s'était soumise au Siège
apostolique et demandait instamment d'y être d'abord conduite,
comme cela ressort du procès, la sentence sur le prétendu
relaps de Jeanne paraît venir de ce conseil, faux et traître, et elle est de ce fait manifestement nulle. Et qu'une
telle sentence soit nulle, l'affirment Jacques de Revigny et
Cino sur ladite première loi citée De advocatis diversorum
judiciorum.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LIII. De même pour les faits, les raisons et les causes déjà
dénombrés, l'iniquité évidente dudit procès et des sentences
portées contre Jeanne paraît avoir été rendue suffisamment
manifeste, ainsi que le dol, la fraude et la traîtrise ; la nullité
cependant doit en être déclarée par votre jugement, ou du
moins la cassation et l'annulation, en ce qui concerne spécialement les points regardant et touchant la forme de ce
procès nul et invalide et des sentences qui suivent. C'est
pourquoi, sur les points qui montrent que le procès et les
sentences errent dans la forme, on a suffisamment écrit.
LIV. De même par conséquent il reste à montrer en peu
d'articles, par ce qui suit, comme il est besoin, que ledit
procès et les sentences sont également non avenus à cause
du dol, de la fausseté, de la traîtrise, et marqués du vice d'iniquité
manifeste. Il n'y a rien à dire sur cette matière d'autre
que ceci : ces crimes, excès, délits et relaps dont les parties
adverses ont faussement chargé Jeanne, qui ont été examinés
et réglés lors desdits procès et des sentences, en vérité n'ont
pas été commis ou perpétrés par Jeanne, comme le prétendaient
les parties adverses ou d'autres, ni ne peuvent être
tirés de ses faits et dits, de ses déclarations. Au contraire il
sera plus clair que le jour par ce qui est à dire que cette Jeanne,
dans ses déclarations lors du procès, n'a pas dévié de la foi
catholique ni de l'enseignement de l'Église ; et même, leur
sens étant mieux compris et plus sûr, ces déclarations peuvent
tenir et être défendues à l'aide des textes de la sainte Écriture
et de la doctrine de maîtres approuvés ; avec les protestations
déjà mentionnées et avec toute révérence, en parlant
toujours sans compter le dommage.
LV. De même et d'abord, puisque les adversaires s'efforcèrent
d'accuser et de déclarer coupable Jeanne, au sujet de
la vision, de la révélation et de l'adoration des esprits qu'ils affirmèrent être malins, et ensuite ne rougirent pas de l'accuser
d'être idolâtre, dans l'erreur, hérétique, ou invocatrice
de démons et autres, les plaignants disent et affirment au
contraire que ces visions et révélations sont non pas de mauvais
esprits, mais de bons, comme on doit vraisemblablement
le penser ; que ce point ne peut ni ne doit être réglé autrement
dans un jugement humain par lesdits prétendus juges ;
qu'elle n'a rien dit à ce sujet d'imaginaire ou de mensonger ;
qu'elle n'est pas tombée dans quelque erreur, hérésie ou idolâtrie,
en aucune manière.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LVI. De même, et puisque lesdits adversaires n'ont pas
voulu ou n'ont pas été capables de saisir si lesdites vision et
révélation venaient de Dieu, étranglés qu'ils étaient par leur
propre passion mauvaise, car ils n'ignoraient pas au moins
que ces choses étaient secrètes et cachées pour eux, ils n'auraient
absolument pas dû condamner la partie adverse. Pour
les révélations de ce genre en effet, qui sont cachées, savoir si
elles viennent ou non de Dieu, cela appartient à Dieu seul qui
connaît les choses secrètes, et sur elles quelque être inférieur
ne peut donner de jugement sûr. Seul en effet Dieu décide
des choses cachées et secrètes, dans le canon Si omnia, VI, qu. 1 [D. G. II.6.1.7] ; dans le canon Erubescant avec sa glose,
di. XXXII [D. G. I.32.11], et dans le canon Christiana,
XXXII, qu. 5 [D. G. II.32.5.23] ; car des choses cachées
l'Église ne juge pas, dans le canon Sicut tuis, à la fin [Xa v.3.33] et dans le canon Tua nos, De simonia [Xa v.3.34].
Même Paul, rempli de l'Esprit Saint, ne put pas connaître
les secrets du conseil divin, dans le canon Beatus, XXII,
qu. 11 [D. G. II.22.2.5]. Et dans ces choses le jugement de
l'Église peut souvent se tromper ou être trompé, canon A
nobis, De sententia excommunicationis avec sa glose [D. G.
v.39.21].
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LVII. De même lesdits plaignants disent et affirment que
ces révélations et apparitions provenaient vraiment des
anges de lumière et de bons esprits, comme on doit le dire
suivant une croyance et une conjecture pieuse et vraisemblable, à cause des raisons suivantes. D'abord et premièrement
parce que Jeanne était vierge et intacte dans sa chair,
comme elle l'a affirmé constamment elle-même, et aussi
parce qu'elle se proposa à la visite des matrones ; examinée
et inspectée en présence de plusieurs nobles femmes, elle fut
trouvée vierge et intacte, comme il a été dit ci-dessus. Or
chez une vierge comme elle, très agréable à Dieu, innocente
et pure, l'inspiration de l'Esprit Saint est normale ; parce
que la virginité est le temple de Dieu, au témoignage de saint
Ambroise, dans le canon Tolerabilius, XXXII, qu. v [D. G.
II.32.5.1]. Deuxièmement parce qu'elle était humble et
simple, comme il apparaît dans ses déclarations ; elle a cherché,
non pas les honneurs de ce monde, mais le salut de son âme ;
elle n'a jamais répondu avec orgueil à ceux qui l'interrogeaient
; or la virginité jointe à l'humilité est louée avec
admiration dans le canon Hec diximus, di. xxx [D. G. I.30.
16] et plaît extrêmement à Dieu, et sur elles repose le Saint
Esprit du Seigneur.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LVIII. De même, et parce que Jeanne fut de vie louable
et honnête, charitable envers les pauvres, pratiquant le jeûne,
visitant les églises, assidue à la messe et à l'église pour recevoir
le sacrement de pénitence et d'eucharistie, on doit la
tenir pour digne de bonnes apparitions.
Et il en fut ainsi et
cela est vrai.
LIX. De même le signe principal des esprits bons est qu'ils
poussent toujours à des œuvres bonnes. Or ces esprits qui
apparurent à Jeanne la persuadèrent de fréquenter l'église et
la confession, de se conduire honnêtement, de garder la virginité
de l'âme et du corps, pour obtenir ainsi la béatitude éternelle ; ce qui est le signe des esprits bons : « Par leurs
fruits en effet vous les reconnaîtrez » [Ev. Math. 7.20]. D'autre
part quand ces esprits apparaissaient, Jeanne se signait du
signe de la croix, et ils ne disparaissaient pas, alors qu'un
esprit mauvais aurait été effrayé et aurait disparu ; sur cela
le canon Postea signatur, De consecratione, di. IV [D. G.
III.4.63]. De même lorsque l'ange apparut à Jeanne, elle fut au début effrayée et à la fin réconfortée dans la joie, ce qui
est le signe d'un bon ange, comme on le sait par l'ange qui
apparut à Marie et par beaucoup d'autres. Et même, comme
Jeanne l'affirma, les esprits parlaient à haute et intelligible voix ; or l'esprit malin parle d'une manière enveloppée et
confuse, afin de conserver son autorité chez ses disciples grâce à la mauvaise interprétation des paroles obscures ; au canon Sciendum, c. XXVI, qu. 4 [D. G. II.46.4.2].
Et il en fut ainsi
et cela est vrai.
LX. De même, et c'est un autre signe du bon esprit, il y a
cette fin catholique de Jeanne, qui mourut religieusement ;
car d'abord elle reçut le sacrement de l'eucharistie avec
beaucoup de larmes et la plus grande dévotion, puis au milieu
des flammes à l'heure de la mort, elle cria bien fort le nom
glorieux du Seigneur Jésus ; or les esprits malins conduisent
leurs disciples à la grande fin des enfers, comme le dit Augustin,
donnant l'exemple de Saül qui adora le diable, mué
par la Pythonisse en la forme de Samuel ; canon Nec mirum,
XXVI, qu. v [D. G. II.26.5.14].
Et il en fut ainsi et cela est
vrai.
LXI. De même et davantage, un signe de la bonté des
esprits, des révélations et des apparitions, signe tout à fait
digne d'être noté, est que Jeanne a annoncé la vérité à plusieurs
reprises, et ce qu'elle a prédit s'est réalisé comme par
miracle. Que peut-on trouver de plus vrai en effet que ce qu'elle a annoncé à l'époque où les Anglais étaient le plus
prospères en forces et en succès, à l'époque où la plus grande
partie du royaume paraissait opposée ou enlevée au roi : à
savoir que notre seigneur le roi recouvrerait son royaume,
chasserait les Anglais, serait consacré roi, ferait lever le
siège d'Orléans ? Toutes ces choses arrivèrent réellement par
la suite ; bien plus l'expulsion desdits assiégeants doit être
tenue pour miraculeuse alors que Jeanne avec si peu de
troupes chassa des ennemis établis fortement et avec des
forces si nombreuses, et fit lever ouvertement le siège. C'est
pourquoi, etc.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXII. De même une telle véracité dans ses prédictions
peut être tenue comme venant non pas d'un esprit malin,
père du mensonge, mais de Dieu, qui est vérité, car le Seigneur
a dit : « Ce n'est pas à vous de connaître les temps, etc. »
[Actes I.7], et ensuite : « Mais celui à qui le Père voudra le
révéler » ; et encore : « Annoncez-nous ce qui doit venir et
nous dirons que vous êtes des dieux. » Et selon saint Bernard
on doit tenir pour un très grand miracle du Christ notre Seigneur
qu'il ait soumis le monde entier à la loi chrétienne par
un petit nombre de gens pauvres et simples, comme le rapportent
le cardinal d'Ostie et Jean André au ch. Venerabilis,
De prebendis [Xa III.5.37]. Ainsi pouvons-nous dire que si
une jeune fille de dix-huit ans, inexperte aux armes, de famille
humble, à une époque où le royaume était dans un état
de dévastation, releva tous les esprits et tint en haleine par
son énergie, mit en fuite et battit les ennemis, si des villes
et des places fortes occupées par les ennemis lui ouvrirent
leurs portes, tout cela doit être estimé comme un miracle
de Dieu, avec une prédiction exacte inspirée par un bon et
non un mauvais esprit. C'est pourquoi, etc.
Et il en fut ainsi
et cela est vrai.
LXIII. De même et en vérité on doit ensuite excuser Jeanne
si elle s'est mêlée de guerres pour secourir son roi, notre seigneur
; d'abord premièrement parce que cette guerre contre
les ennemis était bonne et très juste, ayant toutes les conditions
d'une guerre juste. Sur ce point : canon Si nulla, XXIII,
qu. VIII [D. G. II.23.8.15] ; canons Quid culpatur ; Apud
veros ; Noli, XXIII, qu. 1 [D. G. II.23.4, 6 et 3] ; canon Justum,
même cause, qu. 2 [D. G. II.23.2.1]. Et que la guerre
menée contre les Anglais ait été juste, le note et le déclare
Baudouin de Pérouse sur la loi première ff. De vi et vi armata [Dig. XLVIII] avec la note. Ensuite deuxièmement Jeanne
doit être excusée parce que, comme elle l'a souvent et constamment
affirmé par serment, elle l'a fait sur l'ordre de Dieu,
et ne l'aurait jamais fait autrement ; c'est sur l'ordre de Dieu
qu'elle recommanda aux Anglais de retourner chez eux ; et
ce qui est fait par l'esprit de Dieu ne tombe pas sous la loi. En effet ayant suivi la loi de l'inspiration, qui surpasse toute
autre loi, dont les signes manifestes sont l'arrivée des prédictions
et de ce qui a déjà été dit, elle ne doit pas être réprimandée
pour cela, selon le texte et les notes du canon Ex parte, De
conversione conjugatorum [Xa in.32.9], du canon Licet, De
regularibus [Xa III.31.18], du canon Due sunt leges, XIX,
qu. 2 [D. G. II.19.2.2], du canon Dixit, XIV, qu. V [D. G.
II. 14.5.12], Cette loi en effet a excusé Samson de l'homicide,
Jacob du mensonge, Abraham de l'adultère, David du grand
nombre de ses épouses et plusieurs autres du même genre,
comme cela est bien indiqué dans les Écritures et les règles
de droit ; sur cela ch. Gaudemus, De divortiis [Xa IV.19.8].
C'est pourquoi Jeanne doit être excusée à bon droit.
Et il
en fut ainsi et cela est vrai.
LXIV. De même en supposant, sans l'admettre puisque le
contraire est assez évident, que de telles apparitions eussent été de mauvais esprits et que Jeanne eût été le jouet d'une
illusion ou trompée par erreur, elle devrait encore être excusée,
parce qu'elle a cru qu'il s'agissait de bons esprits, apparaissant
sous la forme d'anges de lumière, et qu'elle a cru adorer
ou révérer saint Michel et les saintes Catherine et Marguerite ;
donc cette erreur n'est pas dangereuse, ni condamnable, et
en conséquence Jeanne ne doit pas être tenue pour idolâtre :
XXIX, qu. 1, par. Aliter [D. G. II.29.1] ; et surtout parce que
dans son idée elle ne voulait pas persister avec un esprit opiniâtre, mais elle se soumit au jugement de l'Église, comme
il est dit plus bas. Le texte important se trouve dans ce par. Aliter : « Le diable se transforme parfois en ange de lumière ;
et ce n'est pas une erreur dangereuse si on le tient pour bon,
quand il feint être bon, etc. » Et qu'on voie tout le texte à la
suite jusqu'à « que cet hérétique prétendant mensongèrement
avoir », car il apporte beaucoup pour notre propos.
Et il en
fut ainsi et cela est vrai.
LXV. De même les adversaires essaient d'accabler Jeanne
parce qu'elle prit ensuite les vêtements d'homme, ce qui est
interdit par le canon Si qua mulier, di. xxx [D. G. I.30.6]
et le Deutéronome, ch. XXXII [Deut. 32. 5]. On leur répondra que Jeanne a pu licitement porter un tel habit, attendu les
circonstances et ce qu'elle a fait, pour les causes et raisons
qui suivent.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXVI. De même la première raison qu'on peut donner
c'est qu'elle a porté ces vêtements pour une cause raisonnable.
Envoyée par une inspiration divine, elle n'est pas coupable ;
car où est l'esprit, là est la liberté ; voir le canon cité Licet,
De regularibus, et les autres règles de droit citées. Deuxièmement
les règles juridiques alléguées par ses adversaires déclarent qu'il n'est pas permis à une femme d'utiliser un vêtement
d'homme pour des raisons de luxure ou de débauche,
comme le disent les docteurs ; mais Jeanne prit ce vêtement
pour une raison opposée, à savoir pour éviter la débauche et
l'incitation à la luxure des hommes avec lesquels il était
besoin de vivre dans l'armée. Généralement en effet le changement
d'habit est permis aux clercs, par le canon Clerici,
De vita et honestate clericorum [D. G. III.1.15]. Bien plus
Jeanne a utilisé les vêtements d'homme pour conserver sa
virginité et défendre sa pudeur, que les Anglais à diverses
reprises ont tenté de violer, comme cela est établi et pourra être établi plus longuement par ses propres déclarations et
par des preuves de droit. C'est pourquoi elle est légitimement
justifiée ; car ce que nous faisons pour le bien ne doit pas nous être imputé comme faute ; xxiii, qu. v, canon De occidendis
[D. G. II.23.5.8].
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXVII. De même et surtout parce que Jeanne a souvent
offert de prendre des vêtements féminins, si on la plaçait
en compagnie d'honnêtes femmes dans une prison ecclésiastique,
ou ailleurs que parmi ses ennemis. De plus elle reprit
malgré tout les vêtements féminins habituels, obéissant aux suggestions de ses prétendus juges, et les abandonna par
nécessité, après qu'ils lui eurent été enlevés par dol et machination
de ses ennemis, pour repousser les violences, comme
on l'a dit plus haut. C'est pourquoi, etc.
Et il en fut ainsi et
cela est vrai.
LXVIII. De même il n'est pas vrai de dire que Jeanne aurait remis d'entendre la messe pour ne pas reprendre ses
vêtements féminins ; au contraire la vérité est qu'elle a demandé
instamment d'entendre la messe et généralement
d'aller au sacrement de l'autel ; et elle demanda qu'on lui
donnât un vêtement de femme comme celui d'une fille de la
ville. Et si on dit que dans ses déclarations elle aurait juré au
roi de ne pas déposer les vêtements d'homme, on doit présumer
le contraire. Par ce qui a déjà été dit, si elle avait fait
ce serment, il faudrait présumer qu'elle l'aurait fait avec
cette inspiration divine qui n'est pas soumise à la loi, comme
on l'a rapporté. Et il n'est pas surprenant qu'elle ait hésité
devant le conseil qu'on lui donnait : choisir ou de ne pas entendre
la messe, ou de porter les vêtements d'homme ; car
d'une part elle ne voulait pas manquer à sa révélation,
qu'elle savait ou pensait venir de Dieu, et d'autre part elle
désirait entendre la messe. Cependant elle reprit enfin les
vêtements féminins, et ainsi on ne peut avancer qu'elle agit
contre les exhortations de ses prétendus juges, ou qu'elle
repoussa leurs ordres.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXIX. De même pour la reprise de l'habit elle ne mérita
pas d'être déclarée relapse, puisqu'elle fut obligée d'agir ainsi à cause du dol, de la méchanceté et des violences dont elle
souffrit, et afin de protéger son corps et conserver sa virginité,
comme on l'a souvent dit et exposé ci-dessus. C'est
pourquoi, etc.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXX. De même ses adversaires attaquent aussi Jeanne
car elle aurait, dit-on, avoué être partie de chez ses parents
sans l'autorisation paternelle, etc. A cela elle a répondu
justement qu'elle était partie en obéissant à un ordre de
Dieu, ou qu'elle crut partir avec l'empressement de bien faire,
et il faut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes. Donc, etc. Et
ensuite elle fit une confession sacramentelle, demanda le
pardon de ses parents et l'obtint. C'est pourquoi, etc. Et
ainsi, parce qu'elle s'est corrigée, il est évident qu'on ne peut
lui reprocher cela : XXIV, qu. 1, Hec est fides [D. G. II.24.1.14].
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXI. De même on reproche à Jeanne d'avoir fait inscrire
le nom de Jésus sur ses lettres, dans lesquelles elle ordonnait
de faire du mal, etc. Elle-même a répondu justement
qu'en cela elle ne fit aucun péché, car il s'agissait d'une guerre
juste ; aussi son secrétaire le faisait ; et elle ne croyait pas
que ce fût mal, car nous devons fléchir le genou avec tout
notre cœur au nom du Seigneur Jésus : dans le ch. Decet
domum, De immunitate Ecclesie, 1. VIe [VI. III.23.2] ; et
tout doit être fait au nom du Seigneur : di. XXIII, canon In nomine Domini [D. G. I.23.1]. C'est pourquoi, etc.
Et il
en fut ainsi et cela est vrai.
LXXII. De même il est léger de lui reprocher d'avoir sauté
d'une tour très élevée par désespoir, en tentant Dieu, etc. ;
car elle-même a répondu valablement qu'elle avait sauté
non pas poussée par le désespoir ou autre mauvaise raison,
mais dans l'espoir de sauver sa vie et de secourir les opprimés,
selon le conseil de Grégoire, di. XIII, Nervi [D. G. 1.13.2].
De plus il y a même en cela le signe d'une très grande charité,
car elle voulait exposer sa vie pour ses amis ; et ainsi elle est
bien justifiée.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXIII. De même et en outre ses adversaires l'accusent
d'avoir menti à propos de l'ange qui aurait porté au roi le
signe précieux avec génuflexion, etc. La réponse est celle-ci :
s'il n'est pas permis de mentir, il est cependant permis, en
feignant ou en répondant habilement, de cacher la vérité
suivant le lieu et le temps. Abraham parla ainsi au pharaon,
dans le canon Queritur, par. Ecce, XXII, qu. II [D. G. II.22.
2.22]. Donc, puisque le mot « ange » est le nom d'une charge
et a le sens d'envoyé de Dieu suivant ces paroles de Jean-Baptiste : « Voici que j'envoie mon ange, etc. », Jeanne parlant
d'elle-même a pu l'employer ; car l' « ange », à savoir elle-même
envoyée de Dieu, a porté au roi la couronne, c'est-à-dire
la palme de la victoire dont la couronne jouirait ; et en
cela elle n'a pas menti, mais elle a parlé habilement. Et si
on dit que cet ange était saint Michel, cela se peut, car celui
qui agit pour un autre paraît agir de lui-même. Jeanne a fait cela sur l'ordre de saint Michel, et a cru le faire elle-même.
C'est pourquoi, etc.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXIV. De même si Jeanne a dit qu'elle était sûre et
croyait fermement être sauvée, elle a pu le dire de toute
façon quand on ajoute toutes ses autres paroles, à savoir « si elle gardait ce qu'elle a promis à Dieu, c'est-à-dire la virginité du corps et de l'âme ». Cette virginité de l'âme, la
conserve celui qui ne pèche d'aucune manière, comme dans
le canon Si enim inquit, De penitentia, di. II [D. G. II.33.3.2.
40].
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXV. De même si elle a dit qu'elle connaissait les choses
futures, sur lesquelles parfois elle s'est trompée, aux dires de
ses adversaires, elle n'est pas à réprimander parce que tout
n'est pas arrivé comme elle l'a prédit ; par exemple au sujet
de sa délivrance de prison, car cette délivrance pouvait être
comprise comme étant sa mort. De plus les voix qui la lui
avaient prédite, lui dirent cependant qu'elle aurait à soutenir
patiemment un martyre. Aussi a-t-elle dit vrai en tout. Car,
et c'est assez connu, ceux qui ont l'esprit prophétique n'ont
pas toujours dit le vrai et n'ont pas toujours parlé avec cet
esprit, comme le dit Grégoire, Super Ezechielem ; et nous
avons des textes dans les canons Querendum et Potest, De
penitentia, di. II [D. G. n.33.3.2.6 et 11], C'est pourquoi, etc.
Et il en fut ainsi, etc.
LXXVI. De même et pareillement elle est accusée faussement
d'avoir dit que les saintes Catherine et Marguerite
aiment les Gaulois et détestent les Anglais ; car, comme elle
l'a exposé, elle a voulu dire et elle a compris que ces saintes
détestent ceux que Dieu déteste et aiment ceux que Dieu
aime ; et en cela elle n'a pas tort. Elle n'a pas non plus avancé
qu'elle était ou avait été sans péché ; mais elle a bien dit
qu'elle ne savait pas si elle avait péché mortellement, et que
Dieu ne voudrait pas qu'elle fît chose pour laquelle son âme
serait accablée ; ce qui serait arrivé, si elle avait péché et
n'avait pas fait pénitence. C'est pourquoi Jeanne en tout
cela n'a pas péché et se trouve justifiée sur ce point.
Et il
en fut ainsi et cela est vrai.
LXXVII. De même ses adversaires ont dit faussement et
par dol que Jeanne ne voulait pas se soumettre, elle et ses écrits, à l'Eglise ; le contraire cependant doit être dit, au
jugement d'une raison droite : d'abord premièrement parce
qu'elle n'était pas tenue de le faire, comme on doit vraisemblablement
le présumer par conjecture et raisonnement ;
ensuite, deuxièmement, parce qu'en vérité elle l'a fait et s'est
soumise fidèlement et catholiquement à l'Église. Sur le premier
point il faut dire que, si elle ne l'avait pas fait, elle aurait été tout à fait excusable pour beaucoup de causes et de raisons.
La première raison tient à ce que ses agissements venaient
de la révélation d'un esprit bon, et ainsi, ayant suivi
la loi privée de l'inspiration divine, elle était exemptée de
toute loi commune, comme on l'a montré suffisamment cidessus.
Agir ainsi est accordé dans le canon Ex parte, De
clericis conjugatis [Xa III.3.9], dans le canon Gaudemus,
De divortiis [Xa IV.19.8], dans le canon Licet, De regularibus [Xa III.31.18], et beaucoup d'autres. Et ainsi en cela elle
suivait l'Église ; et si elle avait agi autrement, elle serait allée
contre sa conscience bien informée, construisant pour la
géhenne, comme dans le canon Per tuas, De simonia [Xa
v.3.32] et la Somme.
LXXVIII. De même la deuxième raison tient à ce qu'on
peut douter si les inspirations et révélations de ce genre venaient
d'un esprit bon ou mauvais, cela étant tout à fait caché
et connu de Dieu seul, l'Église ne pouvant valablement en
juger, dans le canon Erubescant, di. XXXII [D. G. I.32.11],
et dans les canons Sicut tuis et Tua nos, De simonia [Xa
v.3.33 et 34] avec la Somme. Bien plus le jugement de l'Église
réserve ces cas à Dieu seul et les laisse à la conscience de
chacun, dans le canon Inquisitioni, De sententia excommunicationis [Xa v.39.44]. Cette raison est confirmée même si
pour les articles concernant la foi nous sommes obligés de
suivre et de tenir ce que tient et suit le jugement de l'Église,
car autrement nous serions hérétiques, au canon I De summa
Trinitate et fide catholica, 1. VIe [Sexte I.l] ; et de même pour
ce qu'elle tient et enseigne expressément, au canon Nolite, di. XI [D. G. I.11.3] avec les notes, au canon Novit, di. XI
[D. G. I.12.10] avec la Somme ; pour le reste liberté nous
est donnée de croire ce qui nous plaira : par exemple que le
roi Salomon ait été sauvé ou non, qu'autant d'hommes seraient à sauver qu'il en est tombé ou qu'il en est resté ; car
il y a des différends même entre les docteurs de l'Église
Augustin et Grégoire. Dans ces questions secrètes en effet
chacun peut suivre son opinion personnelle. Ainsi le notent
Jean André, sur le ch. I, De summa Trinitate, l. VIe [Sexte I.l]
et Innocent sur le canon Ne innitaris, De constitutionibus [Xa i.2.5]. C'est pourquoi, et pour notre propos, croire à une
inspiration de ce genre n'est pas un article de foi ; de même
l'Église ni ne tient, ni n'enseigne, que celle-ci vienne d'un
esprit mauvais ; au contraire elle laisse ce secret au jugement
de Dieu, comme on en a traité plus haut. Donc Jeanne, en
suivant là son opinion n'a pas erré.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXIX. De même elle doit vraiment être disculpée pour
une autre raison ; car cette Jeanne, vierge simple, jeune et
ignorante, si, pour faire une supposition, elle ne s'était pas
soumise ouvertement au jugement de l'Église, c'est qu'elle
n'avait pas compris suffisamment ce qu'était l'Église ; cela
est apparent quand elle dit : « Moi je ne suis pas telle que je
n'aille pas à l'église », et aussi : « Moi je ne fais pas de différence
entre les saints et l'Église » et les autres propos. Comme
cela apparaîtra en effet par l'information et les témoins, elle
ne comprenait pas au début, du jugement de tous les assistants,
ce qu'était l'Église ; mais après qu'elle eût compris
et qu'on lui eût fait voir clairement, elle se soumit toujours à l'Église. Et on doit bien remarquer qu'une telle vierge,
jeune et ignorante, ne pouvait d'elle-même comprendre ces
subtilités. C'est pourquoi elle doit à juste titre être disculpée.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXX. De même pour réfuter les juges et mettre en lumière
leur mauvaise passion, on ne doit pas dissimuler ceci :
quelques hommes instruits, assistant au procès, mûs par la
piété, la charité et une bonne conscience, voulaient aider Jeanne à propos de questions obscures qui lui étaient posées,
lui rendre clairs les interrogatoires, lui dire que l'Église universelle était alors réunie au saint concile de Bâle, où se
trouvaient des hommes probes, choisis dans toutes les régions
catholiques, et même certains de l'obédience de son roi,
auxquels elle pourrait se soumettre, elle et ses dits ; ces hommes
probes ne furent pourtant pas écoutés ; bien au contraire
ils encoururent un blâme sévère des juges et surtout les menaces
et injures de l'évêque de Beauvais, ils furent chassés
de l'assemblée et bannis aussitôt de la cité de Rouen sous
peine de mort ; et même, s'ils n'étaient pas partis sans délai,
ils n'auraient pas échappé au danger, à la noyade, qui leur était préparée. Parmi ceux qui peuvent vraiment être nommés,
qui furent ainsi effrayés et chassés, un homme de grand
savoir et probité, maître Nicolas de Houppeville, bachelier
en Écriture sainte, Jean Lohier, licencié en l'un et l'autre
droit, et maître Jean de La Fontaine, licencié en droit canon,
d'éminents maîtres ès arts et praticiens confirmés ; ils durent
immédiatement retourner chez eux, comme cela apparaîtra
ouvertement par le témoignage de gens dignes de foi.
Et il
en fut ainsi et cela est vrai.
LXXXI. De même il sera prouvé que certains fourbes
hypocrites, ayant un comportement simulé, furent introduits
dans la prison pour tromper Jeanne, et feignirent en discours
agréables de soutenir et aimer le parti du roi notre sire ; lui
donnant des conseils trompeurs, ils essayèrent souvent de
la persuader de ne jamais et en aucune manière se soumettre
au jugement de l'Église, si elle voulait échapper à la prison.
Si Jeanne, croyant à cette pernicieuse tromperie, avait commis
quelque faute, cela devrait non pas certes lui être imputé,
mais être imputé à ceux qui ont agi ainsi par dol, et elle devrait être à bon droit justifiée.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXXII. De même lesdits plaignants avancent que si
les déclarations de Jeanne étaient examinées profondément
et avec soin, et considérées dans une saine interprétation,
toutes ses paroles pourraient être conservées fidèlement,
sans risque d'erreur, d'obstination et d'offense contre la foi et l'Église, comme il est évident dans ce même procès et
ailleurs.
C'est pourquoi, etc. Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXXIII. De même et ensuite lesdits plaignants disent
et avancent qu'en fait et selon une évidence reconnue et certaine,
Jeanne, par ses déclarations réunies ensemble et interprétées
avec une bonne intention, compte tenu de son ignorance
et incapacité, et de la sincérité de ses bons sentiments,
s'est vraiment soumise au jugement de l'Église, implicitement
et explicitement. D'abord en effet, même implicitement,
elle s'est cependant assez soumise au jugement de
l'Église, lorsque dans ses déclarations elle a dit ne vouloir
rien faire contre la foi chrétienne fixée par Dieu ; et si elle
faisait ou disait, ou s'il y avait sur sa personne, chose que les
clercs pussent trouver contraire à la foi chrétienne, elle ne
voudrait pas la maintenir, mais la repousserait. De cela on
peut suffisamment conclure qu'elle s'est soumise au jugement
de l'Église, soit des clercs, pour tout ce dont la foi chrétienne
et l'Église veulent avoir connaissance. Et celui qui veut ce
qui précède, veut aussi nécessairement ce qui suit ; c'est
pourquoi, etc.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXXIV. De même cette Jeanne s'est soumise plus ouvertement
au jugement de l'Église, car elle a souvent demandé,
en termes exprès inscrits dans ses déclarations, d'être remise
pour être entendue au pape, dont on sait qu'il a la justice
de ces questions, comme des causes majeures, dans le canon Majores, De baptismo [Xa III.42.3], et XXIV, qu. 1, Hec est
fides [D. G. II.24.1.14]. C'est pourquoi, etc.
Et il en fut ainsi
et cela est vrai.
LXXXV. De même et bien plus elle s'est soumise très
explicitement à l'Église, quand elle comprit ce qu'on lui
exposa, à savoir ce qu'était l'Église et la soumission à l'Église.
Car elle-même déclara expressément qu'elle se soumettait
au jugement de l'Église et du concile général ; en outre elle
demanda que les articles qui la concernaient fussent examinés
par l'Église, avant d'abjurer ; cela cependant lui fut refusé
par les juges. Ainsi peut-on dire plutôt, et mieux, que le jugement de l'Église a été méprisé et récusé par les juges
mêmes, et non par Jeanne. Ces points, les plaignants les
prouveront, par le contenu du procès et par les dépositions
des témoins, si besoin est.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXXVI. De même il y a un signe de ladite soumission
et un argument incontestable : après la soumission et peu de
temps avant sa mort, le corps du Christ lui fut administré,
sur l'ordre des juges. Ce qui n'aurait pu être fait si elle ne
s'était pas soumise ; car sans une telle soumission, et demeurant évidemment dans un péché mortel, le corps du Christ
ne lui aurait pas été administré, ni n'aurait dû l'être, comme
au canon Si sacerdos, avec les notes, De officio ordinarii
[D. G. I.31.2], au canon Quotidie, De consecratione, di. II
[D. G. III.2.13], et au canon Vestra, De cohabitatione clericorum
et mulierum [Xa III.2.7].
Et il en fut ainsi et cela est
vrai.
LXXXVII. De même les plaignants avancent que Jeanne,
d'après le contenu de son procès, ne peut être déclarée relapse
; car le relaps suppose une première chute ; or elle n'est
jamais tombée en quelque hérésie d'après ce qui a déjà été
dit. Bien plus ce qu'elle a dit peut sans choquer être soutenu, et sans blesser la vérité catholique. Donc elle ne doit pas être
tenue pour relapse.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXXVIII. De même elle n'a rien compris de ce qui lui
a été lu dans la cédule de prétendue abjuration ; et il est clair que celui qui ne comprend pas ne peut abjurer. Or qu'elle
n'ait pas compris ladite cédule, cela est assez évident par la
dernière délibération de l'abbé de Fécamp et de la plupart
des autres consultants : tous dirent qu'il fallait lui demander
si elle avait compris. On n'en fit rien cependant. De plus si
elle avait compris, elle n'aurait jamais déclaré qu'elle était
suspecte d'hérésie, fautive, et qu'elle avait parfois commis
ces crimes pervers cités dans la cédule. Si donc elle n'a rien
compris de cette abjuration, elle ne doit pas être jugée relapse.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
LXXXIX. De même il sera prouvé de manière certaine que la cédule contenue dans le procès n'est pas celle qui fut
alors montrée et lue à Jeanne, et que les juges lui firent abjurer à leur manière ; c'était en fait une petite cédule, contenant
peu de chose et fort différente.
Et il en fut ainsi et
cela est vrai.
XC. De même si les paroles de Jeanne, retenues dans sa
déclaration pour la réputer relapse, sont bien comprises, elle
ne pourrait être ainsi réputée relapse. En effet Jeanne a dit
qu'elle se condamnerait pour sauver sa vie. C'est dire, pour
celui qui entend bien ces paroles, que pour sauver sa vie
elle se serait déclarée hérétique, alors qu'elle ne l'était pas ;
et parce qu'elle ne comprenait rien ; et ainsi elle se serait
condamnée par sa propre voix, injustement et par ignorance.
Et elle conclut qu'elle n'eut pas l'intention de rétracter,
pourvu du moins que cela plût à Dieu ; elle ne dit pas pourvu
que cela plût aux révélations ou aux voix. Donc, comme
elle n'était pas telle que la cédule la désignait, elle put dire
cela sans relaps.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XCI. De même on ne peut omettre, pour montrer la fausseté,
la tromperie et l'iniquité desdits procès et sentences,
que par les juges ou sur leur ordre furent extraits certains
articles, au nombre de douze, commençant par « Une certaine
femme », qui furent transmis à l'Université de Paris, au moins aux facultés de théologie et de décrets ; sur eux quelques
opinions furent données. Or en vérité lesdits articles
furent extraits faussement et mensongèrement du procès,
car Jeanne n'a pas déclaré ce qui est contenu dans ces articles ;
au contraire ceux-ci sont différents et éloignés de ses déclarations,
composés et fabriqués dolosivement avec de faux
commentaires et de fausses interprétations, comme cela
apparaît avec évidence d'une comparaison réciproque des
déclarations et des articles. Or comme de ces articles et de la
déclaration qui s'ensuivit dépendent tout le procès et les
sentences, il en résulte la nullité manifeste de ces procès et sentences, leur fausseté et iniquité.
Et il en fut ainsi et
cela est vrai.
XCII. De même sans dol ne peuvent être les délibérations
faites à Rouen, car elles viennent d'un choix ainsi fait, semblable
et mensonger, de certains articles ; et c'est parler sans
outrage. Et pour conduire les délibérants secrètement à la
fin souhaitée, on procéda, peut-on croire, ainsi : des cédules
particulières et les articles furent envoyés séparément à
chaque chanoine et aux autres gens compétents et praticiens
existant dans la ville de Rouen, pour que chacun envoyât
par écrit son avis, revêtu de son seing, alors que cependant
ils auraient pu, assemblés et réunis ensemble, délibérer avec
plus d'attention et de sérieux, et bien mieux entendre la
lecture du procès, prendre en considération les circonstances
de l'affaire et de la cause, du fond et de la forme du procès.
Mais tout fut probablement fait par dol, cela dit sans injustice.
Et il en fut ainsi et cela est vrai.
XCIII. De même on doit, semble-t-il, attribuer comme
raison vraisemblable à la précaution prise, ceci : personne
ainsi ne connaitrait en particulier, ni n'entendrait les véritables
déclarations et actes du procès ; on ne saurait rien
d'autre que le contenu desdits faux articles, fabriqués sur l'ordre des juges et des ennemis ; les délibérants formeraient
donc leur opinion suivant l'intention et les passions de ces
derniers, toujours avec révérence garder.
Et il en fut ainsi
et cela est vrai.
XCIV. De même et vraiment les seigneurs délibérants sont
dignes d'être beaucoup excusés et sont parfaitement indemnes
de toute faute, s'ils eurent Dieu et leur conscience devant les
yeux, comme on doit l'estimer ; car suivant le cas à eux fixé,
bien qu'il fût inique et faux, ils transmirent, on peut le croire,
des avis justes, portant jugement d'après les informations
supposées ; et contre eux, à l'exception des accusés mêmes
et de leurs complices, lesdits plaignants n'ont pas l'intention
et ne veulent rien dire, conclure, ni proposer, car ainsi estiment-ils être le vrai.
XCV. De même puisque ledit procès inique, nul, non fondé
et invalide, et les délibérations suivantes, fondées sur des articles extraits frauduleusement, ne contenant pas la vérité,
entraînèrent cependant lesdites sentences iniques, il est évidemment nécessaire de conclure ainsi : il faut déclarer
que lesdites sentences, infectées du vice de nullité et d'iniquité,
de dol, de fraude et de fausseté, n'ont aucune force,
et qu'elles sont vraiment, soit tout à fait invalides et cassées,
soit au moins à casser, annuler et révoquer.
Et il en fut ainsi
et cela est vrai.
XCVI. De même et en outre il est certain que lesdites sentences
et leur cruelle exécution, à savoir le brûlement fait avec
fourberie et perversité, de manière inique et injuste, scandaleuse,
décidé contre le droit et la justice, ainsi que la mort
et la diffamation de cette fille innocente, étant sans valeur et infectées des même vices, doivent être écartées avec horreur
par une sentence judiciaire, condamnées et réparées ouvertement
et publiquement.
Parce que cela est juste et vrai.
XCVII. De même pareillement et conformément audit
mandat apostolique, il est nécessaire de proclamer l'intégrité
de ladite vierge Jeanne, son innocence et sa justification
; de réparer et de remettre en état le bon renom,
atteint par l'iniquité des procès, sentences et de leur exécution, tant de ladite Jeanne que de ses parents ; ce qu'exprime
suffisamment, en accord avec la justice, le mandat apostolique à vous envoyé.
Parce qu'il est juste d'agir ainsi.
XCVIII. De même par ce qui précède l'action desdits plaignants
est justement fondée pour obtenir canoniquement les
fins auxquelles ils tendent, en raison des causes, moyens et
motifs exprimés plus haut, ainsi qu'en raison d'autres à
ajouter de droit par vos seigneuries, révérends juges ; aussi
lesdits plaignants demandent et prétendent humblement que
leurs conclusions leur soient accordées par vos providences,
de la manière et dans la forme exprimées incontinent.
XCIX. De même et surtout parce que, suivant vos ordres,
leurs exposés, faits, moyens, raisons et conclusions déposés
en justice, sont contenus sous la forme d'articles, ils présentèrent
par écrit leurs articles contenant les demandes et les preuves, comme ils les présentent, les exhibent et les déposent
auprès de vous, révérendissimes paternités, ou auprès
de vos notaires spécialisés dans cette affaire.
C. De même lesdits plaignants demandèrent en justice
l'adjonction de votre promoteur, comme ils le demandent
encore instamment et le sollicitent, contre les accusés eux-mêmes, à toutes fins utiles, et pour eux favorables, et selon
le droit canonique, avec les protestations portées ci-dessus.
CI. De même toutes et chacune des affirmations ci-dessus
sont vraies, notoires, et manifestes ; lesdits accusés les ont
connues, et la voix publique et la renommée s'en occupent.
C'est pourquoi à partir de ces causes, moyens et raisons
susdites, et des autres à ajouter de droit par vos révérendissimes
paternités et très illustres providences, en protestant
comme dessus, les plaignants déposent leurs conclusions, en
vous suppliant et requérant, dans les meilleures voies et formes par lesquelles vous pourrez soutenir les droits, usages et respect des coutumes, de dire, prononcer, décréter et exprimerune sentence définitive et un jugement irréfragable ; à savoir que lesdits procès de prétendue inquisition ou en matière de foi contre Jeanne d'Arc, la Pucelle souvent nommée, et les prétendus jugements avec leur prononcé et leur exécution qui suivirent, œuvre téméraire accomplie par
lesdits Cauchon, évêque, et Le Maître, sous-inquisiteur, comme
il est dit, sont soumis au vice de nullité, dol, fausseté, mensonge
violence manifeste et iniquité. Vous suppliant donc de les
déclarer expressément inexistants et sans valeur, ou du
moins de les casser, rendre sans valeur, révoquer et annuler
entièrement, avec leur exécution et ce qui en dépend ; en
décrétant sous de graves peines et les censures ecclésiastiques
qu'aucune foi ne leur soit désormais accordée par les fidèles
du Christ ; et en interdisant qu'il en soit autrement sous
peine d'une sentence d'anathème perpétuelle écrite en fin
de phrase ; et en outre en lavant l'innocence de Jeanne par
votre jugement et une sentence définitive ; en précisant pleinement et en décrétant qu'elle est restée jusqu'à sa mort
fidèle catholique, qu'elle a été et qu'elle est indemne et
exempte de toute souillure d'hérésie ou de croyance perverse,
d'erreur sur la foi ou d'éloignement de l'unité de l'Église
et de tout autre crime à elle déjà imputé ; la délivrant, elle
et lesdits plaignants, de toute marque d'infamie et de faute
qui pourrait être invoquée ou retrouvée en raison dudit
procès, des sentences et des exécutions qui suivent, et les déclarant ainsi délivrés, absolument réintégrés dans leur
bonne renommée. Pour que l'équité de votre sentence et
l'innocence de ladite défunte, le bon droit de ces plaignants,
comme l'iniquité des précédents procès et jugements et de
leur exécution soient manifestes et restent dans la mémoire des générations présentes et futures, décidez par un jugement
droit que le procès inique, le jugement avec ses suites soient
brûlés et mis au feu par la justice séculière, ouvertement et
publiquement, au lieu où Jeanne a vécu son dernier jour ;
là et dans d'autres cités insignes de ce royaume, on rendra manifeste et publique votre sentence et son exécution à
l'aide de prédications solennelles ; même en élevant des
statues et des épitaphes dans cette ville de Rouen, et ailleurs
où cela conviendra ; et si quelque fondation solennelle de
chapelle pouvait être faite, décidez même son institution
pour le salut perpétuel des fidèles défunts. En outre, pour que
cette sentence qui sera la vôtre et la réparation ne s'efface
pas de la mémoire des hommes, décidez également, si cela
plaît au roi notre sire, qu'elles soient inscrites dans les chroniques
de France et à la chambre de son trésor des chartes,
mises en réserve pour la mémoire ; et enfin condamnez également
les accusés, pour les injustices, les amendes, les pertes,
les dommages et intérêts, à de lourdes sommes d'argent
payables à ces plaignants, telles que vos très prévoyantes
paternités les fixeront ; décidez d'accorder auxdits plaignants
l'adjonction de votre promoteur ; ou au moins adjugez leur
et décidez telles conclusions, réparations et amendes à percevoir
effectivement, pour des fins dues, justes et canoniques,
telles que le demandent les règles de la raison et les imposent les sanctions canoniques. Pour tout cela lesdits plaignants
implorent humblement votre secours, offrant d'apporter la
preuve de ce qui est dessus dit, autant qu'il en sera besoin,
avec protestation expresse de pouvoir ajouter, diminuer,
déclarer, corriger et interpréter, leur restant acquis tout autre
bénéfice du droit, et avec les autres protestations dues et
habituelles en de tels cas.
texte latin original (Quicherat - t.II, p.212 et suiv.)
Source :
- Texte original latin : "Procès de Jeanne d'Arc" - T.II - Jules Quicherat (1844), p.212 et suiv.
- Traduction : Pierre Duparc, t.III, p.103 et suiv.
Notes :
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