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Procès
de condamnation
- procès ordinaire
Admonition
publique - 2 mai 1431 |
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e mercredi 2 mai, l'an du Seigneur 1431, nous, juges susdits, siégeâmes
dans la salle du château
de Rouen, proche la plus grande cour dudit château, assistés
des révérends pères, seigneurs et maîtres
convoqués sur notre ordre : Nicolas de Jumièges, Guillaume
de Cormeilles, abbés, docteurs en décret ; l'abbé
de Saint-Ouen, le prieur de Saint-Laud (1)
et aussi Pierre, prieur de Longueville ; Jean de Nibat, Jacques
Guesdon, Jean Fouchier, Maurice du Quesnay, Jean Le Fèvre,
Guillaume Le Boucher, Pierre Houdenc, Jean de Châtillon, Erard
Emengart, Richard Pra, Jean Carpentier, Pierre Maurice, docteurs
; Nicolas Couppequesne, Guillaume Haiton, Thomas de Courcelles,
Richard de Grouchet, Pierre Minier, Raoul Le Sauvage, Jean Pigache,
Jean Maugier et Jean Eude, bacheliers en théologie sacrée
; Raoul Roussel, trésorier de la cathédrale de Rouen,
docteur en l'un et l'autre droit ; Jean Garin, docteur en droit
canon ; Robert Le Barbier, Denis Gastinel, Jean Le Doulx, licenciés
en l'un et l'autre droit ; Nicolas de Venderès, archidiacre
d'Eu ; Jean Pinchon, archidiacre de Josas ; Jean Bruillot, chantre
de l'église de Rouen ; Richard des Saulx, Laurent du Busc,
Aubert Morel, Jean Duchemin, Jean Colombel, Raoul Anguy, Jean Le
Tavernier, Guérould Poustel, licenciés en droit canon
; André Marguerie, archidiacre de Petit-Caux ; Jean Alespée,
Gilles Deschamps, chancelier, Nicolas Caval, chanoines de la cathédrale
de Rouen ; Guillaume de Livet, Pierre Carré, Geoffroy du
Crotay, Bureau de Cormeilles, licenciés en droit civil ;
Guillaume Desjardins, Jean Tiphaine, docteurs en médecine
; Guillaume de La Chambre, licencié en médecine ;
frère Ysambard de La Pierre, Guillaume Legrant, Jean de Rosay,
curé de Duclair, frère Jean Des Bats, Eustache Cateleu,
Regnault Lejeune, Jean Mahommet, Guillaume Le Cauchois, Jean Le
Tonnellier, Laurent Leduc, prêtres.
Nous, évêque susdit, prononçâmes
l'allocution suivante devant lesdits seigneurs et maîtres
:
"Depuis que cette femme a été
interrogée à fond et qu'elle a répondu judiciairement
aux articles proposés par le promoteur, nous avons envoyé
aux docteurs et aux personnes expertes tant en théologie
sacrée qu'en droit canon et civil, ses aveux, rédigés
et résumés sous la forme d'articles, afin d'avoir
sur cela leur consultation. Et déjà, suivant le sentiment
et l'opinion de plusieurs, nous avons suffisamment reconnu que cette
femme paraissait répréhensible en beaucoup de points,
quoique la chose ne soit pas pour nous définitivement jugée
; aussi, avant d'en venir à un jugement définitif
en cette affaire, il a paru à beaucoup de personnes honnêtes,
consciencieuses et scientifiques, qu'il serait fort expédient
de travailler par tous les moyens, à instruire cette femme
sur les points où elle paraissait fautive, et, de tout notre
pouvoir, à la ramener à la voie et connaissance de
la vérité. C'est ce que nous avons souhaité
et souhaitons d'atteindre, de toute la force de nos désirs.
C'est aussi ce que tous nous devons chercher, nous principalement
qui vivons dans l'Église et pour le ministère des
choses divines ; ainsi nous devons lui montrer ce qui dans ses faits
et dits est en désaccord avec la foi, la vérité,
la religion ; et, charitablement, nous devons l'avertir de vouloir
bien se souvenir de son salut. C'est pourquoi nous avons d'abord
tenté de la ramener par le moyen de plusieurs notables docteurs
en théologie que nous lui avons adressés, à
plusieurs et divers jours, tantôt les uns, tantôt les
autres ; ceux-ci se donnèrent à cette œuvre de
toutes leurs forces, avec une entière mansuétude,
et sans lui faire rigueur. Mais l'astuce du Diable a prévalu,
et ils n'ont pu jusqu'ici, lui être d'aucun profit.
Dès que nous vîmes que ces avertissements privés
ne portaient aucun fruit, il nous parut opportun que cette femme
fût doucement et charitablement admonestée de faire
retour par vous tous, solennellement réunis. Car peut-être
votre présence et les exhortations faites par plusieurs l'induiront
plus facilement à humilité et obéissance, en
sorte qu'elle ne donne pas trop de crédit à son propre
sentiment, mais prête créance au conseil de personnes
probres et savantes, connaissant les lois divines et humaines, et
ne s'expose pas à des périls si grands qu'ils pourraient
mettre son âme et son corps en danger. Pour faire cette admonestation,
nous avons député un maître en théologie,
très docte et ancien, singulièrement entendu en pareilles
matières, assavoir maître Jean de Châtillon,
archidiacre d'Evreux, qui, s'il lui plaît, acceptera la présente
charge de découvrir à cette femme certains points
sur lesquels elle est en défaut, ainsi que nous l'avons déjà
recueilli du conseil et délibération de gens experts
; il l'induira aussi à sortir de ses fautes et crimes, et
lui fera connaître le chemin de la vérité. C'est
pourquoi cette femme va être amenée ici, devant vous,
et, comme il est dit plus haut, admonestée ; si quelqu'un
d'entre vous peut faire ou dire quelque chose de bon pour faciliter
son retour et l'instruire salutairement en vue du salut de son âme
et de son corps, nous le prions de ne pas hésiter à
s'en ouvrir à nous et à en saisir l'assemblée."
*
* *
Jeanne étant introduite et amenée ce jour-là
devant nous et les juges, nous, évêque, en notre nom
et en celui du vicaire inquisiteur, juge avec nous, nous l'avertîmes
d'acquiescer aux conseils et monitions que lui ferait le seigneur
archidiacre, professeur en théologie sacrée, qui allait
lui dire beaucoup de choses bonnes pour salut de son âme et
de son corps, et qu'elle devait y acquiescer. Car si elle ne le
faisait pas, elle s'exposerait au péril de son âme
et de son corps : et nous exposâmes beaucoup de choses à
Jeanne, suivant la teneur de la cédule transcrite plus bas.
Alors nous, juges susdits, requîmes le seigneur
archidiacre de procéder charitablement au fait des dites
admonestations.
Le seigneur archidiacre, pour obéir à
nos ordres, et pour commencer à enseigner et instruire ladite
Jeanne, lui exposa que tous les fidèles du Christ étaient
tenus et obligés de croire et de tenir pour fermes la foi
chrétienne et les articles de la foi ; et il l'admonesta
et la requit, au moyen d'une monition générale, d'avoir
à corriger et amender sa personne, ses faits et ses dits,
conformément à la délibération des vénérables
docteurs et maîtres, experts tant en droit divin qu'en droit
canon et civil.
A cette monition générale, ladite Jeanne
répondit :
- Lisez votre livre (c'est à savoir la cédule
que tenait ledit monseigneur l'archidiacre), et puis je vous
répondrai. Je m'en attends à Dieu, mon créateur,
de tout ; je l'aime de tout mon cœur !
Ad quam monitionem generalem,
ipsa Johanna respondit :
- Lizez vostre livre, scilicet schedulam quam tenebat dictus
dominus archidiaconus, et puis je vous respondray. Je me actens
à Dieu, mon createur de tout ; je l'ayme de tout mon cuer.
Ce mesme jour, ladicte Jhenne
fut ramenee devant les juges du procez.
Ledit evesque en leur presence la admonnesta qu'elle
voulsist faire et acquiescer au conseil et monicions qui luy seroyent
faictes par maistre Jehan de Chastillon, docteur en theologie, qui
luy diroit bien pour le salut de son ame et de son corps. Et se
elle ne le vouloit faire, elle tomberoit en grand inconvenient du
corps et de l'ame.
Et alors lesdits juges prierent ledit de Chastillon
qu'il procedast ausdictes monicions caritativement.
Lequel
de Chastillon respondit que voluntiers il le feroit.
Et premierement luy dist que tous
loyaulx chrestiens estoyent obligez croire et tenir les articles
contenues en la foy.
Et luy exposa la forme et maniere comme pardevant elle
avoit esté admonnestee.
Et luy demanda
se elle se voulloit corriger et amender jouxte la deliberacion.
A quoy elle respondit :
- Lysez vostre livre (C'est assavoir la cedulle que tenoit
ledit evesque) et puis je vous respondray. Je me actendz a Dieu,
mon createur, de tout. Je l'ayme de tout mon cueur.
Et interrogée ensuite si elle voulait répondre
plus longuement à cette monition générale,
elle répondit :
- Je m'en attends à mon juge : c'est le Roi du ciel et
de la terre.
Et deinde interrogata si ad dictam
monitionem generalem volebat amplius respondere, respondit :
- Je me actens à mon juge : c'est le Roy du ciel et de
la terre.
Et
interroguee se elle veult plus respondre a celle monicion generalle,
respond :
- Je m'en actendz a mon juge. C'est le roy du ciel et de la terre.
Alors ledit seigneur archidiacre procéda aux
monitions particulières qu'il avait à adresser à
Jeanne, conformément à la cédule qui suit.
Il commença ainsi :
I. En premier lieu, il lui rappela qu'elle avait
dit naguère que si l'on trouvait dans ses dits et faits quelque
chose de mauvais, et que les clercs le lui montrassent, elle voulait
bien s'en amender. En quoi elle disait bien et louablement ; car
chaque chrétien doit garder cette humilité, se tenir
toujours prêt à obéir à de plus sages
que lui, donner plus de crédit au jugement des personnes
bonnes et savantes qu'à son propre sentiment. Depuis lors,
les dits et les faits de cette femme avaient été examinés
diligemment durant de nombreuses journées par des docteurs
et des clercs. Ils y avaient trouvé beaucoup et de graves
manquements : et cependant, si elle voulait s'en amender, comme
il sied à une bonne et dévote chrétienne, les
gens d'Église
étaient toujours prêts à agir envers elle en
toute miséricorde et charité, en vue de son salut.
Mais si, par superbe et arrogance, elle voulait s'obstiner dans
son propre sentiment, croyant mieux s'entendre aux matières
de la foi que les docteurs et les personnes lettrées, elle
s'exposerait à de graves périls.
-
(2) Respond que autant en respond elle
mainctenant.
II. Item, il lui exposa comment, au sujet des
révélations et apparitions qu'elle dit avoir, elle
ne veut se soumettre à l'Église militante et à
homme qui vive, mais entend s'en rapporter à Dieu seul de
ses faits et de ses dits. Il lui expliqua sur ce point ce qu'est
l'Église militante, quelle autorité elle tient de
Dieu, en qui cette autorité réside ; comment tout
chrétien est tenu de croire que la sainte Église est
une et catholique, que le Saint-Esprit la régit, que jamais
elle n'erre et n'est en défaut ; que chaque catholique est
tenu de lui obéir, comme un fils à sa mère,
et doit soumettre à son jugement tous ses dits et tous ses
faits. Nul, quelques apparitions ou révélations qu'il
ait, ne doit pour cela se soustraire au jugement de l'Église,
puisque les apôtres soumirent leurs écrits à
l'Église et que toute l'Ecriture, qui est cependant révélée
par Dieu, est baillée à notre croyance par notre mère
l'Église, règle infaillible à laquelle il convient
de nous conformer en tout, sans schisme ni division quelconques,
ainsi que Paul l'apôtre l'enseigne en maints passages, etc...
En outre, toute révélation faite par Dieu nous induit
toujours à observer régulièrement humilité
et obéissance envers nos supérieurs et l'Église
; jamais il n'en va autrement. Car le Seigneur n'a voulu que personne
osât se dire sujet de Dieu seul, et s'en rapportât à
lui seul de ses faits et de ses dits ; bien plus, il a baillé
et commis aux gens d'Église l'autorité et la puissance
de connaître et de juger les faits des fidèles, soit
bons, soit mauvais. Qui les méprise, méprise Dieu
; qui les ouït, ouït Dieu. Enfin il l'avertit qu'elle
devait croire que l'Église catholique ne peut errer ou prononcer
un jugement injuste, car, qui ne partage cette croyance, enfreint
l'article de la foi : Unam sanctam etc..., qui lui a été
exposé tout au long. Et, qui s'obstine à le méconnaître,
doit être réputé hérétique. En
conséquence, Jeanne a été admonestée
d'avoir à soumettre tous ses faits et dits, quels qu'ils
soient, purement et simplement, au jugement et à la détermination
de l'Église. Qui ne le fait est schismatique, montre qu'il
pense mal sur la sainteté de l'Église et l'infaillible
direction que lui donne le Saint-Esprit : les règles canoniques
enfin décident que de lourdes peines doivent être infligées
à de tels égarés.
-
Respond :
- Je croy bien l'Eglise de cy bas ; mais de mes fais et dictz,
ainsy que aultresfoys j'ay dict, je m'en actendz et rapporte a Dieu.
Item, dit :
- Je croy bien que l'Eglise militante ne peult errer ou faillir.
Mais quand a mes dictz et mes fais, je les metz et rapporte du tout
a Dieu, qui m'a faict faire ce que j'ay faict.
Item, dit qu'elle se submect a Dieu, son Createur,
que luy a faict faire ; et s'en rapporte a sa personne proppre.
Item, interroguee s'elle veult dire qu'elle n'ait point
de juge en terre, et se nostre sainct pere le pappe est point son
juge, respond :
- Je ne vous en diray aultre chose. J'ay bon maistre, c'est nostre
Seigneur, a qui je me actendz du tout, et non a aultre.
Item,
luy fut dit que, se elle ne voulloit croire l'Eglise et l'article
Ecclesiam Sanctam Catholicam, que elle seroit hereticque
de le soustenir, et seroit pugnye d'estre arse par la sentence d'aultres
juges, respond :
- Je ne vous en diray aultre chose. Et, se je veoye le feu, si
diroys je tout ce que je vous dy, et n'en feroye aultre chose.
Interroguee
se le Conseil General, comme nostre sainct pere, les cardinaulx,
estoyent cy, se elle se vouldroit rapporter et submectre, respond
:
- Vous n'en tirerez aultre chose.
Interroguee se elle se veult submectre a nostre sainct
pere le pappe, respond :
- Menez m'y ; et je luy respondray.
Et aultrement n'en a volu respondre.
III. Item, il lui fut déclaré comment,
depuis si longtemps, elle persévérait de porter l'habit
d'homme, à la mode des gens d'armes, et la porte continuellement
et sans nécessité, contre l'honnêteté
de son sexe. C'est scandaleux et contraire aux bonnes mœurs
et aux convenances. Elle a les cheveux taillés en rond. Toutes
ces façons sont contraires au commandement de Dieu exposé
dans le Deutéronome, chapitre 22 : "Que la femme
ne soit point vêtue, etc..." ; contraires au précepte
de l'Apôtre qui dit que la femme doit voiler sa tête,
aux défenses de l'Église faites dans les sacrés
conciles généraux, à la doctrine des saints,
des docteurs tant en théologie sacrée qu'en droit
canon. Il y a là un mauvais exemple pour femmes. Et surtout
cette Jeanne a manqué gravement quand, pour la rare perversité
de porter un habit indécent, elle a mieux aimé ne
point recevoir le sacrement d'eucharistie, dans le temps ordonné
par l'Église, que d'abandonner cet habit et d'en recevoir
un autre dans lequel elle pût recevoir ce sacrement en toute
révérence et décence. Elle a donc méprisé
le commandement de l'Église pour satisfaire une telle dépravation,
bien qu'on l'ait plusieurs fois avertie sur ce point, particulièrement
aux environs de la fête de Pâques, alors qu'elle disait
vouloir ouïr la messe et recevoir la communion, et qu'elle
le désirait beaucoup. Nous lui dîmes alors de prendre
l'habit de femme ; ce qu'elle avait refusé et refusa de faire.
En quoi elle nous parut pécher gravement. C'est pourquoi
il l'admonestait de surseoir à cela, et de rejeter son habit
d'homme.
-
Respond : de icelluy habit, qu'elle voulloit bien prendre longue
robbe et chapperon de femme, pour aller a l'eglise et recepvoir
son Saulveur, ainsy que aultresfoys elle a respondu ; pourveu que,
tantost apprez ce, elle le mist jus, et reprint cestuy qu'elle porte.
Item,
du surplus que luy fut exposé, de avoir prins habit d'homme,
et sans neccessité, et en especial qu'elle est en prison,
etc... respond :
- Quand je auray faict ce pour quoy je suis envoyee de par Dieu,
je prendray habit de femme.
Interroguee
se elle croit qu'elle face bien de prendre habit d'homme, respond
:
- Je m'en actendz a nostre Seigneur.
IV. Item, ladite Jeanne, non contente de porter
cet habit avec les circonstances aggravantes susdites, voulait en
outre soutenir qu'elle faisait bien et ne péchait point en
cela. Or dire qu'on fait bien quand on va à l'encontre de
la doctrine des saints, des commandements de Dieu et des apôtres,
mépriser les enseignements de l'Église, cela par goût
perverti d'un habit indécent et déshonnête,
c'est errer dans la foi ; et qui veut obstinément le soutenir
tombe dans l'hérésie. En outre elle voulait attribuer
à Dieu et la responsabilité de ces péchés
; en quoi elle blasphémait Dieu et les saintes, en leur attribuant
ce qui ne leur convient pas. Car Dieu et les saintes veulent que
toute honnêteté soit gardée, que les péchés
et toutes curiosités dépravées soient évités
; ils ne veulent pas que les commandements de l'Église soient
méprisés pour de telles fin. C'est pourquoi il l'admonestait
de cesser de prononcer de tels blasphèmes, d'attribuer audacieusement
à Dieu et aux saintes de telles pensées, de les soutenir
comme étant licites.
- Respond
que elle ne blasma point Dieu ne ses sainctz.
Item,
admonnestee de soy desisfer de porter l'habit, et de croire qu'elle
face bien de le porter, et de prendre habit de femme, respond qu'elle
n'en fera aultre chose.
Interroguee se, toutesjoys que sainctes Katherine et
Margueritte viennent, se elle se seigne, respond que aulcunes foys
elle faict le signe de la croix ; et l'autre foys non.
V. Item, plusieurs docteurs et notables clercs
ont considéré et examiné avec attention ce
que ladite Jeanne a rapporté concernant ses révélations
et apparitions. Or, attendu les mensonges évidents relatifs
à la couronne apportée à Charles, et à
la venue des anges, qu'elle avait imaginés, mensonges et
fictions qui ont été reconnus aussi bien par ceux
qui par la suite furent de notre parti que par les autres (3),
considéré aussi ce qu'elle a dit des baisers et embrassements
des saintes Catherine et Marguerite, qui, à l'en croire,
venaient à elle chaque jour, et même plusieurs fois
par jour, sans dessein spécial ni manifestation apparente,
alors qu'il n'y avait aucune raison qu'elles vinssent si fréquemment,
et qu'il n'y a pas d'exemple que les saints et les saintes aient
coutume de se montrer dans de telles apparitions miraculeuses ;
attendu qu'elle disait ne rien savoir de leurs membres ni des autres
détails de leur personne, sauf de leur tête, ce qui
ne concorde aucunement avec de si fréquentes visions ; attendu
aussi beaucoup de commandements qu'elle prétendait qu'ils
lui donnaient, comme de porter l'habit d'homme, de faire les réponses
qu'elle fit au procès, commandements qui ne sont pas d'accord
avec ceux de Dieu et des saintes, et qu'on ne saurait croire émanés
d'eux ; attendu enfin d'autres points en grand nombre que les docteurs
et savants en cette matière ont bien considérés
: ils voient et reconnaissent que de telles révélations
et apparitions ne furent envoyées par Dieu, comme elle s'en
vantait.
Et il lui fut montré quel grand péril
il y a à croire audacieusement qu'on est propre à
avoir de telles apparitions et révélations : car elle
a menti au sujet des choses qui sont du domaine de Dieu, en prophétisant
faussement et en vaticinant : dons qu'elle n'a pas reçus
de Dieu, mais qu'elle découvrit dans les imaginations de
son esprit ; d'où il ne peut s'ensuivre que séduction
de peuples, avènement de nouvelles sectes, et bien d'autres
méfaits tendant au bouleversement de l'Église et du
peuple catholique. Combien il est grave et périlleux de scruter
curieusement les choses qui dépassent votre entendement,
de donner foi aux nouveautés, sans tenir compte de l'opinion
de l'Église et des prélats ; et même d'inventer
choses nouvelles et insolites ; car les démons ont coutume
de s'immiscer en ces sortes de curiosités, soit par des instigations
occultes, soit par des apparitions visibles où ils se transfigurent
en anges de lumière : et sous l'apparence de la piété
ou de quelque autre bien, ils vous entrainent à des pactes
pernicieux, vous plongent dans l'erreur, ce que Dieu permet pour
punir la présomption des hommes qui se laissent ravir par
de telles curiosités. C'est pourquoi il l'admonestait de
renoncer à ces vaines imaginations, de cesser de répandre
de tels mensonges, de rentrer dans la voie de la vérité.
-
Respond que de ce, elle se rapporte a son juge, c'est assavoir Dieu.
Et dit que ses revelacions sont de Dieu, sans aultre moyen.
Interroguee
se, du signe baillé a son roy, se elle se veult rapporter
a l'archevesque de Rains, ainsné de Boussac, chevaliers de
Bourbon, la Trimouille et la Hire, ausquelz ou a chascun d'eulx
elle a autresfoys dit avoir monstré ceste couronne, et qu'ilz
estoyent presens, quand l'ange apporta ladicte couronne et la bailla
audit archevesque ; ou se elle se veult rapporter aux aultres de
son party, lesquelz escrisent soubz leurs seaulx ce qu'ilz en ayent,
respond :
- Baillez ung messaiger, et je leur escriray de tout ce procez.
Et aultrement ne se y est voulu croire ne rapporter
a eulx.
VI. Item, ces révélations, ainsi
inventées, avaient été comme la racine qui
l'avait portée à tant d'autres crimes : ainsi, usurpant
ce qui est le propre de Dieu, elle avait eu l'audace d'annoncer
et d'affirmer des événements futurs et contingents,
la
présence d'objets cachés, comme celle d'une épée
enfouie en terre ; et aussi elle s'était vantée de
savoir avec certitude que certaines personnes étaient aimées
de Dieu ; et, à son sujet, qu'elle savait obtenir pardon
du péché qu'elle avait commis en se précipitant
du haut de la tour de Beaurevoir. Tout cela n'est que divination,
présomption et témérité.
Et elle disait aussi avoir adoré des choses insolites
qui lui apparaissaient, alors qu'elle rapportait n'avoir eu à
leur sujet aucune certitude suffisante qui lui donnât à
croire que ces apparitions fussent de bons esprits ; qu'elle n'avait
point pris sur cela conseil de son curé ou d'autre homme
d'Église, trop présumant d'elle, en une matière
où le danger d'idolâtrie est toujours menaçant
: et elle a cru témérairement là où
il ne faut pas croire légèrement, même quand
il y a une sorte de réalité dans les apparitions (qui
toutefois ici nous semblent feintes).
En outre elle a osé dire qu'elle croyait que
ses apparitions étaient saintes Catherine et Marguerite et
les anges, aussi fermement qu'elle croyait en la foi chrétienne.
En quoi elle croyait témérairement, et semblait témoigner
qu'il n'y a pas une raison plus grande et plus forte de croire en
la foi chrétienne et ses articles, que l'Église nous
a transmis, qu'à certaines apparitions d'un mode nouveau
et insolite. Sur tout cela elle n'a eu ni jugement, ni consultation
de l'Église (4); bien plus, le
Christ, les saints et l'Église enseignent qu'il ne convient
pas de donner foi légèrement à de telles apparitions.
Et lui fut dit qu'elle s'avisât bien.
- Respond
:
- Je m'en rapporte a mon juge, c'est assavoir Dieu ; et a ce
que aultresfoys j'ay respondu, qui est ou livre.
Interroguee se on luy donnoye deux, troys ou quattre
des chevalliers (5) de son party, qui
viennent par sauf conduict, si elle se veult rapporter a eulx des
ses apparicions et choses contenues en ce procez, respond que on
les face venir, et puis elle respondra.
Et aultrement ne se est voulu rapporter ne submetre
de ses procez.
Interroguee se a l'Eglise de Poitiers, ou elle a esté
examinee, elle se veult rapporter et submectre, respond :
- Me cuidez vous prendre par ceste maniere, et par cela attirer
a vous ?
(2) Comme le dit archidiacre exposait en français
tout ceci à Jeanne, suivant le texte dudit mémorial,
elle répondit :
Et premièrement, au sujet des articles I et II de
ce mémorial, elle répondit : - Autant j'en réponds
maintenant que je vous en ai répondu naguère.
(6)
Et
primo, ad ea quæ sibi dicta fuerant in primo et secundo articulis
ipsius memorialis, respondit :
- Ego tantum nunc de his respondeo quantum ad alias respondi.
Et
quand on lui eut déclaré ce qu'est l'Église
militante, et qu'on l'eut admonestée de croire et de tenir
ferme l'article : Unam sanctam, etc..., et qu'elle devait
se soumettre à l'Église militante (suivant la teneur
de l'article II dudit mémorial), elle répondit :
- Je crois bien en l'Église d'ici-bas ; mais de mes faits
et dits, ainsi qu'autrefois j'ai dit, je m'en attends et rapporte
à Dieu.
Item elle dit :
- Je crois bien que l'Eglise militante ne peut errer ou faillir
; mais quant à mes dits et à mes faits, je me mets
et rapporte du tout à Dieu, qui m'a fait faire ce que j'ai
fait.
Item dit qu'elle se soumet à Dieu, son créateur,
qui les lui a fait faire ; et s'en rapporte à lui et à
sa propre personne.
Interrogée si elle veut dire qu'elle n'a point
de juge sur la terre, et si notre Saint-Père le pape n'est
point son juge, répondit :
- Je ne vous en dirai autre chose. J'ai bon maître,
c'est assavoir Notre Seigneur, à qui je m'attends de tout,
et non à autre.
Item lui fut dit que si elle ne voulait croire l'Église
et l'article : Unam sanctam Ecclesiam catholicam, elle serait
hérétique (7) de le soutenir
et qu'elle subirait la punition du feu par la sentence d'autres
juges ; elle répondit :
- Je ne vous en dirai autre chose ; et si je voyais le feu, ainsi
dirais-je tout ce que je vous dis, et n'en ferais autre chose.
Interrogée si le concile général,
ou notre Saint-Père, les cardinaux ou autres gens d'Église
étaient là, elle voudrait s'en rapporter et se soumettre
audit concile général, répondit :
- Vous ne tirerez autre chose de moi.
Interrogée si elle veut se soumettre à
notre Saint-Père le pape, répondit :
- Menez-m'y et je lui répondrai. Et autrement n'en
a voulu répondre (8).
Et
cum sibi declaratum esset quid est Ecclesia militans, et admoneretur
de tenendo et credendo illum articulum Unam sanctam, etc...
et quod Ecclesiæ militanti se submitteret, juxta tenorem secundi
articuli prædicti memorialis, respondit :
- Ego bene credo Ecclesiam exsistentem hic inferius ; sed de
meis factis et dictis, sicut alias ego dixi, ego me exspecto et
refero ad Dominum Deum.
Item dicit :
- Ego bene credo quod Ecclesia militans non potest errare, nec
deficere ; sed, quantum ad dicta et facta mea, ego pono ipsa et
refero ex toto ad Deum, qui fecit mihi facere quidquid ego feci.
Item dicit quod submittit se Deo, suo creatori, qui
sibi fecit hæc facere ; et se refert ad ipsum et ad propriam
personam suam.
Interrogata an velit dicere quod non habet judicem in
terris, et an dominus noster Papa sitne judex ejus, respondit :
- Ego non dicam vobis de hoc aliud. Ego habeo bonum magistrum,
videlicet Deum, ad quem ego exspecto me de toto, et non ad alium.
Item, cum ei diceretur quod, si non vellet credere Ecclesiæ
et etiam credere illum articulum Unam sanctam Ecclesiam catholicam,
ipsa esset hæretica hoc sustinendo, et per alios judices puniretur
pœna ignis, respondit :
- Ego non dicam vobis de hoc aliud. Et si ego viderem ignem,
ego dicerem totum illud quod dico vobis, et non facerem de hoc aliud.
Interrogata utrum, si sacrum Concilium generale ut dominus
noster papa, Cardinales et cæteri de Ecclesia essent hic,
ipsa velletne se referre et submittere eidem sacro Concilio, respondit
:
- Vos de hoc non extrahetis aliud a me.
Interrogata si se vellet submittere domino nostro Papa,
respondit :
- Ducatis me ad ipsum, et ego respondebo ei. Nec aliter voluit
respondere.
Item au sujet de ce qui lui fut dit de son habit, etc...,
dans l'article III et IV dudit mémorial, répondit,
quant à l'habit, qu'elle voulait bien prendre longue robe
et chaperon de femme, pour aller à l'Église et recevoir
son Sauveur, ainsi qu'elle a autrefois répondu, pourvu que,
aussitôt après, elle mit bas cet habit et reprît
celui-là qu'elle porte.
Et quand on lui eut exposé qu'elle portait l'habit
d'homme sans nécessité, particulièrement puisqu'elle
est en prison, répondit :
- Quand j'aurai fait ce pour quoi je suis envoyée de par
Dieu, je prendrai l'habit de femme.
Interrogée si elle croit qu'elle a bien fait
en prenant d'homme, répondit :
- Je m'en attends à Notre Seigneur.
Item, à l'exhortation qu'on lui faisait sur l'article
IV dudit mémorial (9), répondit
qu'elle ne blasphème point Dieu ni ses saintes.
Item, admonestée de cesser de porter cet habit
et de croire qu'elle fasse bien de le porter, et d'avoir à
reprendre l'habit de femme, répondit qu'elle n'en fera autre
chose.
Interrogée si, toutes les fois que saintes Catherine
et Marguerite viennent à elle, elle se signe, répondit
que parfois elle fait le signe de la croix et d'autres fois non.
Item,
circa ea quæ sibi dicebantur de habitu, etc..., juxta tertium,
et quartum articulos memorialis antedicti, respondit quod, de illo
habitu, ipsa bene voluerat assumere unam tunicam longam et capusium
mulieris, pro eundo ad ecclesiam et recipiendo sacramentum eucharistiæ,
sicut alias respondit, proviso quod, statim post, ipsa illum habitum
deponeret et resumeret illum quem nunc gerit.
Et quantum ad alia quæ sibi fuerunt circa hoc
exposita, de portando istum habitum sine necessitate, specialiter
dum est in carcere, etc..., respondit :
- Quando ego fecero illud propter quod ego sutn missa t carte
Dei, ego accipiam habitum muliebrem.
Interrogata an credat se bene facere, capiendo habitum
virilem respondit :
- Ego me exspecto ad Deum.
Item, dum admoneretur et sibi exponerentur ea quæ
continentur in quarto articulo prædicti memorialis, respondit
quod non blasphemabat Deum nec Sanctas.
Iterum admonita quod desisteret a portando habitum virilem
et a credendo quod bene faciat in portando ipsum, quodque reciperet
habitum muliebrem, respondit quod de hoc non faciet aliud.
Item, interrogata an, quotiens sanctæ Katharina
et Margereta veniunt ad eam, ipsa se consignet signo crucis, respondit
quod aliquando facit signum crucis, et aliquando non.
Item, touchant ce qu'on lui a dit des révélations,
etc..., suivant la teneur de l'article V dudit mémorial,
répondit qu'en cela elle s'en rapportait à son juge,
c'est assavoir à Dieu. Et dit que ses révélations
viennent de Dieu, et directement.
Interrogée si, touchant le signe baillé
à son roi, elle veut s'en rapporter à l'archevêque
de Reims, au sire de Boussac, à Charles de Bourbon, au sire
de la Trémoille et à Etienne dit La Hire, à
ceux-là ou à certains d'entre eux auxquels elle dit
avoir montré la couronne ci-dessus mentionnée, et
qu'ils étaient présents quand l'ange apporta la couronne
à celui qu'elle dit son roi et la bailla audit archevêque
; ou bien si elle veut s'en rapporter à d'autres de son parti,
ils n'ont qu'à écrire sous leur sceau ce qui en est,
répondit :
- Baillez-moi un messager et je leur écrirai de tout ce
procès. Et autrement ne voulut croire ni s'en rapporter
à eux.
Item,
circa ea quæ sibi dicebantur de revelationibus, etc..., juxta
tenorem quinti articuli memorialis amedicti, respondit quod de hoc
se refert suo judici, scilicet Deo. Et dixit quod revelationes suæ
sunt a Deo, sine alio medio.
Interrogata an, de signo tradito regi suo, ipsa velit
se referre archiepiscopo Remensi, domino de Bousac, Karolo
de Borbonio, domino de Tremollia et Stephano dicto La Hyre,
quibus aut aliquibus ipsorum dixit monstrasse illam coronam de qua
fit superius mentio, et quod erant præsentes quando angelus
detulit prædictam coronam ad illum quem dicit regem suum,
quam tradidit archiepiscopo prædicto ; vel an se velit referre
aliis de parte sua, qui scibant sub sigillis suis quid sit de isto,
respondit :
- Tradatis mihi nuntium, et ego scribam eis de toto isto processu.
Et aliter noluit credere aut se referre ipsis.
Item, touchant ce qu'on lui a dit sur sa présomption
à vaticiner sur les événements futurs et contingents,
etc...suivant l'article VI dudit mémorial, répondit
:
- Je m'en rapporte à mon Juge, c'est assavoir à
Dieu, et à ce que j'en ai répondu, qui est écrit
en ce livre.
Interrogée si on lui envoyait trois ou quatre
clercs de son parti, qui viendraient sous sauf-conduits, elle voudrait
s'en rapporter à eux touchant les apparitions et les choses
contenues au procès, répondit qu'on les fasse venir
et qu'après elle répondra. Et autrement elle n'a voulu
s'en rapporter à eux ni se soumettre en ce procès.
Interrogée si elle veut s'en rapporter et se
soumettre à l'Église de Poitiers où elle a
été examinée, répondit :
- Me croyez-vous prendre par cette manière et par cela
m'attirer à vous ?
Item
circa ea quæ sibi dicebantur de præsumptione divinandi
futura contingentia, etc..., juxta sextum articulum prædicti
memorialis, respondit :
- Ego me refero de hoc ad judicem meum, videlicet Deum, et ad
hoc quod alias de hoc respondi, quod est scriptum in libro.
Item, interrogata utrum, si ad eam mittantur tres aut
quatuor clericorum de sua parte qui veniant hic sub salvo conductu,
ipsa volet se referre illis de suis apparitionibus et his quæ
continentur in isto processu, respondit quod fiat quod ipsi veniant
; postea ipsa respondebit. Et aliter non voluit se referre ad eos
vel submittere de isto processu.
Interrogata utrum velit se referre vel submittere ecclesiæ
Pictavensi, ubi ipsa fuit examinata, respondit :
- Creditis vos me capere per hunc modum et me per hoc trahere
ad vos ?
Item, en conclusion, abondamment et de nouveau, elle
fut admonestée d'une façon générale
d'avoir à se soumettre à l'Église sous peine
d'être abandonnée par l'Église ; que si l'Église
l'abandonnait, elle serait en grand péril de corps et d'âme,
et se pourrait bien exposer au danger d'encourir les peines du feu
éternel, quant à l'âme, les peines du feu temporel
quant au corps, et par la sentence des autres juges. A quoi elle
répondit :
- Vous ne ferez jamais ce que vous dites contre moi sans qu'il
ne vous en advienne mal, et au corps et à l'âme.
Item,
in conclusione, ex abundanti et de novo fuit eadem Johanna generaliter
monita de submittendo se Ecclesiæ sub pœna essendi dimissa
ab Ecclesia ; quod si Ecclesia ipsam dimitteret, ipsa esset in magno
periculo corporis et animæ, et posset se ipsam ponere in periculo
incurrendi pœnas ignis æterni, quantum ad animam, et
temporalis, quoad corpus, per sententiam aliorum judicum. Ad quod
respondit :
- Vos non jam facietis illud quod dicitis contra me, quin male
vobis contingat in corpore et anima.
Item,
en conclusion, de habondant et de nouveau, fut admonnestee generalement
de se submectre a l'Eglise, et sur peine de estre laissee par l'Eglise.
Et se l'Eglise la laissoit, elle seroit en grand peril du corps
et de l'ame ; et se pourroit bien metre en peril de encourir peines
du feu eternel, quant a l'ame, et du feu temporel, quant au corps
et par la sentence des aultres juges, respond :
- Vous ne ferez ja ce que dictes contre moy, qu'il ne vous en
prenne mal, et au corps et a l'ame.
Interrogée de donner au moins une raison pour
laquelle elle ne s'en rapportait pas à l'Église, sur
cela elle ne voulut faire autre réponse.
Interrogata
quod diceret unam causam propter quam non se refert Ecclesiæ
: ad hoc noluit facere aliam responsionem.
Interroguee
qu'elle dye une cause pour quoy elle ne se rapporte a l'Eglise,
a quoy elle ne veult faire aultre responce.
Sur quoi, plusieurs docteurs et personnes savantes,
de divers états et de plusieurs facultés, l'admonestèrent
et l'induisirent charitablement, et ils l'exhortèrent à
se soumettre à l'Église universelle, militante, à
notre Saint-Père le pape, au sacré concile général,
lui montrèrent les périls auxquels elle s'exposait,
quant à l'âme et au corps, si elle ne soumettait point
ses faits et ses dits à l'Église militante, répondit
comme devant.
Post
hæc, plures doctores et viri periti diversorum -statuum et
diversarum facultatum monuerunt et induxerunt eam caritative, atque
exhortati sunt ut submitteret se Ecclesiæ universali militanti,
domino nostro Papæ et sacro Concilio generali, exponendo eidem
pericula quibus se exponebat, quantum ad animas et corpus, nisi
se et facta sua submitteret Ecclesiæ militanti, respondit
ut prius.
Et apprez,
plusieurs docteurs de diverses sciences et facultez l'admonnesterent
et exhorterent caritativement de soy submectre a l'universelle Eglise
militante et au consille general ; en luy exposant le peril et danger
ouquel elle se exposoit, quant au corps et a l'ame, se elle ne se
submetoit a l'Eglise mititante, a quoy elle respondit comme devant.
Finalement nous, évêque susdit, dîmes
à cette Jeanne de prendre garde de bien considérer
les monitions susdites, nos conseils et charitables exhortations,
et qu'elle renonçât à son dessein.
A quoi ladite Jeanne répondit nous demandant
:
- Quel temps me donnez-vous pour m'aviser ?
Nous lui répondîmes alors qu'elle s'avisât
à l'instant même et répondit ce qu'elle voudrait.
Mais, comme elle ne répondit rien de plus, nous
quittâmes ce lieu et ladite Jeanne fut reconduite en prison.
Et
finaliter, nos, episcopus prædictus, eidem Johanua diximus
quod bene adverteret et se advisaret super præmissis monitionibus,
conciliis et exhortationibus caritativis, et aliter cogitaret. Ad
quod dicta Johanna respondit quærens :
- Infra quod tempus me advisabo ?
Et nos ei diximus quod tunc in præsenti se advisaret
et responderet quod vellet. Cumque nihil ulterius responderet, ab
illo loco discessimus, et eadem Johanna ad locum sui carceris reducta
est.
Et
finablement ledit evesque luy dist qu'elle pensast bien et advisast
sur les monicions dessusdictes, et qu'elle pensast a faire aultrement,
a quoy ladicte Jhenne respondit :
- Dedens quel temps voulez vous que je me advise ?
A quoy ledit evesque luy dist qu'elle se advisast
tout presentement, et qu'elle respondist ce qu'elle vouldroit.
Et a celle heure ne fut faict aultre chose.
Sources : "Condamnation de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921),
"Procès de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly (1868), "La
minute française des interrogatoires de La Pucelle"
- P.Doncoeur (1952).
Notes :
1 "Saint-Laud" pour "saint-Lô"
2 De Courcelles place les réponses à la fin des 7
monitions, la minute française les donne au fur et à
mesure comme cela s'est déroulé dans cette séance.
3 Champion : Passage important qui laisse entendre que les juges de Rouen connaissaient
l'opinion de certaines personnes entourant Charles VII qu'ils avaient
pressenties sans doute. C'est pourquoi ils lui offraient toujours
à Jeanne de consulter quelques-uns de ces clercs qui lui
auraient été sans doute défavorables.
Tisset : Cette proposition est obscure. On voit difficilement comment
l'interpréter autrement que comme une allusion aux gens de l'entourage
de Charles VII qui seraient passés aux Anglais au moment du
procès ou peu auparavant.
4 L'obstination avec laquelle ces prétendus juges feignent
d'oublier qu'elle a été soumise pendant trois semaines
à Poitiers à un examen de foi dirigé par le
propre chef de Cauchon c'est à dire l'archevêque de
Reims Regnault de Chartres, montrent leur totale mauvaise foi.
5 De Courcelles met "clercs" au lieu de "chevaliers".
6 Voir dans la minute française la question que n'a pas reportée
le procès officiel.
7 L'hérétique selon Saint-Thomas est celui qui corrompt
les dogmes de la religion (P.Champion).
8 L'inquisiteur est délégué du pape même
s'il est choisi par ses pairs. L'appel au pape ne se pose donc pas
comme un impératif (Nicolas Eymeric - Directorium Inquisitorium).
Il n'empêche que Cauchon a pris soin d'écarter totalement
le saint-siège du procès alors que l'importance de
la cause méritait que le pape soit au moins consulté.
(ndlr)
9 Voir la minute française pour le passage complet de la
question posée.
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