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Procès
de condamnation
Les juges - les greffiers - l'huissier. |
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Les juges :
PIERRE CAUCHON,
Issu d'une famille noble de Reims, ancien
recteur de l'Université de Paris, fut l'un des plus célèbres
docteurs de son temps et l'un des plus compromis dans la cause antinationale.
Après avoir défendu avec passion Jean-sans-Peur, meurtrier
du duc d'Orléans, jusqu'au Concile de Constance, il devint
l'instrument du gouvernement anglais. Chargé d'une mission
importante par le duc de Bourgogne, il fut ensuite nommé
évêque de Beauvais Là, de concert avec son promoteur
d'Estivet, il transforma sa cour ecclésiastique en tribunal
révolutionnaire ; aussi fut-il forcé de s'enfuir avec
lui lorsque les Français reprirent Beauvais. Dès 1423,
Cauchon était conseiller de Henri VI, aux appointements de
mille livres, et résidait assez habituellement à Rouen
(1).
La prise de Jeanne d'Arc fut pour lui un événement
inespéré. Bedford trouva dans ce prélat artificieux,
avide et corrompu, un instrument précieux pour amener l'Église
de France
à venger l'Angleterre. En 1431, Cauchon habitait la maison
de Me Jean Rubé, chanoine et curé de Saint Nicolas.
Nous verrons bientôt qu'il y convoqua plusieurs fois ses juges
et complices. Cette maison était proche de l'ancienne église
Saint Nicolas, dont nous reproduisons les derniers vestiges.
Pierre Cauchon, malgré le crime qui devait vouer
son nom à l'ignominie, ne put obtenir l'archevêché
de Rouen, et dut accepter, en 1432, celui de Lisieux. Ce siège
lui
procurait l'avantage d'avoir à Rouen, devenu capitale du
pays de conquête, un manoir épiscopal, l'hôtel
de Lisieux, et une sorte de cathédrale, Saint-Cande-le-Vieux
soumise à sa juridiction, avec cour ecclésiastique,
official, promoteur et chapitre. De nos jours, on trouve encore
des restes de cet hôtel des évêques de Lisieux,
à Rouen, rue de la Savonnerie, et surtout dans la curieuse
ruelle du Gaillardbois. On adossa plus tard, en 1518, au pignon
principal, une fontaine monumentale, dite Fontaine de Lisieux, qui
fut une des plus belles de la ville, et qui, malgré son état
de vétusté attire encore l'attention des artistes
et des touristes. Cet antique pignon dont le dessin nous a été
conservé par Jacques Le Lieur, l'auteur du Livre des Fontaines,
est encore reconnaissable, bien qu'il ait été remanié
à diverses époques, aux traces d'ogives bouchées
qu'on y remarque sous une épaisse couche de peinture.
Nul doute que Pierre Cauchon n'ait séjourné
bien souvent dans son manoir de Rouen, après le supplice
de la Pucelle.
Il fut chargé de missions importantes. En 1435,
il assista à la Convention d'Arras. En 1439, envoyé
par le comte de Warwick, gouverneur de Normandie, à la cour
de Henri VI, en Angleterre, il était parti du port d'Honfleur,
sur une grande nef armée pour sa sûreté, qui
avait coûté, en principal, deux cent soixante-huit
saluts d'or. Henri VI avait en lui une telle confiance qu'il l'envoya
comme ambassadeur au Concile de Bâle, avec des indemnités
de déplacement de trois cents livres. Là, il subit
une grave humiliation. N'ayant pas payé la somme de quatre
cents florins d'or qu'il devait à la Cour de Rome, à
raison de sa translation au siège de Lisieux, il fut excommunié,
et on lui notifia bientôt
que, pour s'être permis de célébrer néanmoins
l'office divin, il avait encouru l'irrégularité. On
le menaça, pour le cas où il ne se mettrait pas en
règle, de faire publier l'excommunication aux portes de sa
cathédrale et d'interdire aux fidèles toutes relations
avec lui jusqu'à due satisfaction.
En 1435, il exerçait les fonctions épiscopales
à Dieppe, le siège vacant, et on le trouve avec les
abbés de Fécamp et du Mont-Saint-Michel, le 11 avril
1437 , assistant à la prise de possession de l'archevêché
de Rouen, au nom du cardinal de Luxembourg.
Nous verrons plus Loin comment il mourut subitement
à Rouen, dans son hôtel de Saint Cande-le-Vieux, le
18 décembre 1442, pendant qu'on lui faisait la barbe. Il
laissa pour héritiers, un neveu, Jean Bidault, qu'il avait
fait nommer chanoine de Rouen et de Lisieux, et une nièce,
Jeanne Bidault, mariée à Jean de Rinel, secrétaire
du roi Henri VI (2).
Son corps fut accompagné processionnellement, de l'église
Saint-Cande-le-Vieux jusqu'à la Seine, par les chanoines
et par les chapelains de la cathédrale. Il laissait différents
legs au chapitre de Rouen, à son église de Saint-Cande-le-Vieux
et au Chapitre de l'église Saint Pierre de Lisieux, sa cathédrale.
Sa tombe existait encore dans cette cathédrale
au siècle dernier, et son nom fut conservé jusqu'à
la fin dans les obituaires de la cathédrale de Rouen, ce
qui prouve qu'il ne fut pas excommunié par le pape Calixte
III, à cause du procès de Jeanne d'Arc, comme font
à tort affirmé plusieurs auteurs.
La tradition représente Cauchon livré
au remords vers la fin de sa vie. Il aurait même reconstruit
la chapelle de la Vierge, dans la cathédrale de Lisieux,
comme monument d'expiation.
On a ajouté que son corps aurait été
déterré par le peuple et jeté à la voirie
(3) ; mais cette dernière tradition
ne parait pas plus fondée que le récit de son excommunication
par le pape Calixte III, à raison de son rôle dans
le procès de la Pucelle. (lire ici
la découverte de son cercueil)
JEAN LE MAITRE,
Vice-inquisiteur, fut le principal juge après
Cauchon. Il était prieur du couvent des Jacobin à
Rouen et avait été nommé vice-inquisiteur dans
le diocèse de Rouen, le 21 août 1424, par commission
de Jean Graverent, grand inquisiteur en résidence à
Paris. II avait quelque réputation comme prédicateur,
car l'archevêque le chargea quelquefois de prêcher dans
des circonstances solennelles. Bien qu'il vécut encore lors
des premières informations qui furent faites à Rouen
pour la réhabilitation de Jeanne d'Arc, il ne fut pas cité
comme témoin ; on le trouva probablement, comme l'archevêque
Raoul Roussel, trop intéressé dans l'affaire.
Jean Lemaitre était, au dire des historiens, un homme
inoffensif et étranger. II recula d'abord devant la mission
qui lui était imposée et excipa des termes restrictifs
de sa commission. Il savait que Jeanne était innocente ;
mais son supérieur hiérarchique l'ayant mis en demeure
d'obéir, il n'eut pas le courage d'entreprendre sa défense.
M. O'Reilly a publié une ordonnance de Henri
VI, du 14 avril 1431, datée de Rouen, et enjoignant à
Thomas Blount, trésorier et général gouverneur
de toutes nos finances de faire payer et bailler et delivrer à
"nostre chier et bien amé Jean Le Maistre... la somme
de vingt saluts d'or... pour ses peines, travaulx et diligences,
d'avoir esté et assisté au procès qui s'est
faict de Jehanne, qui se dict la Pucelle...". Il en conclut
qu'après la peur, l'intérêt guida le vice-inquisiteur
dans cette grave circonstance, et qu'on ne peut le justifier d'avoir
accepté cette somme puisqu'il habitait Rouen, qu'il n'exerçait
au procès qu'un acte de ses fonctions ordinaires, et qu'enfin,
il avait fait voeu de pauvreté.
M. de Beaurepaire, qui a tant approfondi l'étude
des moeurs et coutumes du XV° siècle, dans les documents
contemporains du procès, n'admet pas ce reproche de vénalité,
déjà évoqué par Michelet. "Les
gages alloués à Le Maître et aux assesseurs
venus de Paris, dit-il n'ont rien d'extraordinaire quand on les
compare à ceux des officiers du roi. Le vice-inquisiteur
touchait à peu près quinze sols par jour contre cent
sols que recevait le président de l'Echiquier, et alors qu'on
donnait à de simples ouvriers de deux à trois sols."
Une si chétive aubaine n'a pas dû exercer
sur lui beaucoup d'impression. Ce qu'il faut seulement noter
comme un fait inadmissible et extraordinaire, c'est qu'un procès
tout ecclésiastique ait été instruit aux frais
du roi d'Angleterre.
En admettant ces observations, il n'en reste pas moins
indiscutable que Le Maître aurait dû refuser de siéger
pour des accusateurs qui payaient les juges de leurs propres deniers.
En réalité, Le Maitre s'est déshonoré
en prêtant aux Anglais l'appui de son nom et l'influence,
alors si considérable, de l'Inquisition contre la libératrice
du territoire son pays.
JEAN D'ESTIVET, dit BENEDICITE,
Promoteur général du diocèse de Beauvais,
chanoine de Beauvais et de Bayeux, fut chargé de l'accusation
dans le procès de Jeanne d'Arc.
Créature de Cauchon, et fugitif comme lui, il
s'était mis à la solde du gouvernement anglais.
Les enquêtes de réhabilitation le représentent
comme vindicatif, abject et méprisable, grossier et même
ordurier dans son langage, poursuivant d'invectives sa noble victime
jusque dans sa chambre, à tel point qu'il dut cesser un jour
ses odieux procédés, sur un ordre formel de Warwick
Il ne craignit pas de dissimuler l'enquête favorable
qui avait été faite sur la Pucelle à Domrémy.
On se demande comment un tel homme put exercer quelque action sur
l'élite du clergé normand.
On a souvent écrit, sur la foi de quelques dépositions,
que d'Estivet eut une fin digne de sa vie, et qu'on le trouva noyé
dans un bourbier aux portes de Rouen, peu après le supplice
de sa victime. C'est là une assertion que M. de Beaurepaire
a démontrée absolument inexacte (4).
D'Estivet résida habituellement à Bayeux, où
il s'était fait pourvoir d'un canonicat. II vécut
encore plusieurs années après la mort de Jeanne d'Arc
; car en 1437, il prenait possession à Rouen, au nom de Jean
de Rinel, neveu de Cauchon, un canonicat vacant par la nomination
de Chevrot à l'évêché de Châlons.
JEAN
DE LA FONTAINE,
Conseiller instructeur, fut chargé de l'information
préalable qu'exigeait la procédure inquisitoriale.
Déjà, des enquêtes avaient été
faites, à Domrémy même, par Nicolas Bailly,
tabellion royal, et par Gérard Petit, lieutenant d'Anddelot.
Cauchon y fit allusion, dans une réunion, mais on se garda
bien d'en annexer le résultat aux procès-verbaux.
Il y était constaté, en effet, que "Jeannette
était une fille de bonne vie et bonnes moeurs, bonne catholique,
fréquentant l'église et aimant Dieu."
Le délégué du commissaire instructeur
qui avait apporté ces renseignements à Rouen avait
été fort mal reçu par Cauchon et d'Estivet,
qui le qualifièrent de traître et d'Armagnac, et lui
refusèrent tout salaire.
Delafontaine, s'apercevant qu'on dissimulait ses informations,
cessa de prêter son procès le 28 mars 1431. D'après
Ysambard de la Pierre, il s'était rendu auprès de
la Pucelle pour l'exhorter à se soumettre à l'Eglise.
Cette démarche ayant mécontenté Warwick et
Cauchon, il eut peur et quitta la ville.
Delafontaine était très lié avec
Houppeville, qui fut incarcéré pour avoir osé
dire à l'évêque ce qu'il pensait de son procès,
et qui ne dut son salut qu'à l'intervention de l'abbé
de Fécamp.
Les greffiers :
Les trois greffiers du procès
furent Guillaume Manchon, Guillaume Colles dit Boisguillaume et
Nicolas Taquel, tous trois notaires de l'officialité de Rouen
; mais les deux derniers n'eurent qu'un rôle secondaire.
GUILLAUME MANCHON,
Qui était prêtre et greffier de l'officialité
de Rouen, avait alors vingt-cinq ans. Il fut ensuite chanoine de
la collégiale de Notre-Dame d'Andely et curé de la
paroisse de Saint-Nicolas le Painteur, à Rouen (5).
Il est le seul que les Anglais choisirent eux-mêmes, et ce
fut lui qui désigna ensuite ses deux collègues.
Manchon, qui fut l'un des principaux témoins
du procès de réhabilitation, a raconté qu'il
fut mandé à une réunion de l'évêque
de Beauvais, de l'abbé de Fécamp, de Loyseleur et
de plusieurs autres. On lui enjoignit de bien servir le roi, en
faisant un beau procès contre Jeanne. Invité à
trouver un autre greffier, il indiqua Boisguillaume. Ce fut lui
qui rédigea l'instrument authentique qui existe encore en
partie à la bibliothèque nationale. Quant à
la rédaction définitive en latin, elle est son œuvre
et celle de Thomas de Courcelles.
Quoique l'origine de sa mission puisse le rendre suspect,
et bien que sa déposition, lors des enquêtes de la
réhabilitation, ne soit pas exempte d'erreurs, on s'accorde
à reconnaître qu'il était honnête et habile.
Ses procès verbaux sont remarquables par l'unité,
les proportion, la clarté et même la sobriété.
Aucune voix ne s'éleva contre lui lors des enquêtes
de la réhabilitation, et on n'a pas établi que sa
rédaction fût infidèle. Il lui fallut, ainsi
qu'à ses collègues, un réel courage pour rester
dans les limites de l'impartialité professionnelle et empêcher
la falsification des procès verbaux contre laquelle les assesseurs
n'auraient pas osé protester.
Manchon fut même suspecté ; à raison
de cette impartialité. Pendant les séances, deux clercs
anglais, cachés dans une embrasure, écrivaient de
leur côté sous la direction
du chanoine Loyseleur. On contrôlait ensuite les écritures
de Manchon qui les défendait contre les notes dissidentes
des greffiers occultes. II eut même plusieurs fois à
subir les objurgations et récriminations de Cauchon, en pleine
séance. Il avait à lutter aussi contre les clercs
qui assistaient les principaux maîtres. A plusieurs reprises,
Jeanne dit à Jean Monet, depuis chanoine de Paris, mais alors
simple clerc de Beaupère "Vous écrivez ce
qui est contre moi, mais non ce qui est pour moi."
Jeanne n'eut jamais à se plaindre de Manchon
; elle se réclamait de lui, au contraire, dans les moments
difficiles : "Demandez plutôt au clerc" disait-elle.
On sait aussi que Manchon et Boisguillaume refusèrent
énergiquement de tenir note des confidences que le misérable
Loyseleur arrachait à Jeanne dans sa prison, par surprise
et trahison. Ils refusèrent aussi, après le supplice,
d'annexer à leur procès-verbal et d'authentiquer la
prétendue rétractation que Jeanne aurait faite dans
les dernières heures de son agonie.
Manchon assistait au supplice et fut ému jusqu'aux
larmes. "Jamais, dit il, je pleurai tant pour chose qui
m'advint, et par un mois après je ne m'en pouvois bonnement
apaiser."
GUILLAUME COLLES dit BOISGUILLAUME,
Greffier de l'officialité de Rouen, choisi par Manchon
pour l'assister au procès, était en outre curé
de la paroisse Notre-Dame de la Ronde, à Rouen. Il sut comme
son collègue, tenir honnêtement la plume et sauvegarder
la sincérité des procès-verbaux. Jeanne
avait confiance en lui et l'honorait d'une certaine familiarité.
Un jour qu'il s'était trompé dans sa rédaction
: "Prenez garde, lui dit elle, et ne vous trompez pas ainsi
une autre fois, ou je vous tirerai l'oreille."
Boisguillaume a raconté plus tard la fin tragique
de quelques juges, notamment de d'Estivet. Il a aussi parlé
de l'impudente curiosité du duc de Bedford qui aurait assisté
à
la visite que la duchesse de Bedford fit subir à Jeanne.
La première de ces affirmations, nous l'avons dit, est démontrée
inexacte ; la seconde n'est confirmée par aucun témoignage.
Il faut bien admettre qu'il lui était difficile, après
vingt-cinq ans, et au milieu de passions politiques toutes différentes,
de faire une déposition absolument nette dans tous ses détails,
à une époque où l'opinion publique devait lui
reprocher sévèrement, comme aux autres témoins
du procès, sa participation à cette procédure
monstrueuse.
Il révéla aussi que les greffiers étaient
placés aux pieds des juges, en face de Jeanne qui était
seule assise sur un siège. C'est lui qui annota son procès-verbal
de ces mots "responsio superba !" ou "responsio
mortifera !". Boisguillaume dut louer à Rouen, dans
la rue de la Chaine, une des deux maisons qu'occupait d'abord Jean
de Rinel neveu de Cauchon, auprès de l'hôtel canonial
de Nicolas Loyseleur.
Lors de la réhabilitation, Boisguillaume était
curé de Notre-Dame-de-la-Couture à Bernay. Même
à cette époque, il payait encore un loyer pour sa
maison de la rue de la Chaine à Rouen. II mourut peu de temps
après, à Bernay.
NICOLAS TAQUEL,
Etait, comme ses deux collègues, greffier de
l'officialité. Il n'assista au procès qu'en qualité
de greffier du vice-inquisiteur et pour régulariser son intervention,
il a certifié, signé et paraphé les grosses
du procès, avec Manchon et Boisguillaume. Le vice-inquisiteur,
en effet, devait avoir ses officiers, comme l'évêque
et au même titre.
Nous le retrouverons à Rouen, après le
procès. II paraît avoir été doyen de
la Chrétienté de Rouen en 1445, lors du concile provincial
qui fut tenu dans cette ville. Son sceau est appendu à un
acte conservé aux archives de la Seine Inférieure.
En 1456, lors de la réhabilitation, il fut entendu
comme témoin. II déclarat n'être intervenu au
procès que le 14 mars, en même temps que le vice-inquisiteur.
Il n'écrivait pas, mais se contentait d'écouter. On
lui avait promis vingt livres pour sa peine, mais il ne reçut
que dix livres, que lui remit le promoteur d'Estivet.
Taquel était alors curé de Bacqueville-la-Martel.
L'huissier :
JEAN MASSIEU,
Prêtre, doyen de la Chrétienté de
Rouen, fut choisi pour remplir les fonctions d'huissier. Il était
âgé de vingt-cinq ans. II eut la charge de convoquer
les conseillers, de citer l'accusée, de l'amener devant le
tribunal, et, après chaque audience, de la reconduire à
sa prison. Ces rapports fréquents avec la Pucelle lui permirent
de l'apprécier et l'amenèrent à lui manifester
une réelle sympathie. A peine en fonction depuis quelques
jours, il se compromit pour elle. Un prêtre, Turquetil, lui
ayant demandé ce qu'il pensait de ses réponses, et
s'il croyait qu'elle serait brûlée, Massieu lui répondit
qu'alors il n'avait vu en elle que bien et honneur. Les gens du
roi le surent, et l'évêque lui enjoignit d'être
plus réservé, s'il ne voulait s'exposer à boire
plus que de raison, faisant ainsi allusion au voisinage de la Seine
qui était dangereux pour les récalcitrants.
Les avis ont été partagés, en ce
qui concerne Massieu, sur le rôle qu'il joua au procès
et surtout sur la sincérité de son témoignage
à l'enquête de réhabilitation. Ce serait Jeanne
elle-même, exposée aux outrages de ses gardiens, qui
aurait reconnu que l'habit d'homme lui était indispensable
pour se défendre contre ces misérables. M. de Beaurepaire,
dit " Massieu ne m'inspire qu'une médiocre sympathie,
et je suis loin de partager à son égard, l'opinion
favorable de la plupart des historiens. Je ne puis voir en lui qu'un
ecclésiastique d'une vertu douteuse. Deux fois condamné
par le chapitre, et une fois à l'officialité,
pour avoir entretenu des relations criminelles avec une femme, destitué
de ses fonctions de doyen de la Chrétienté en 1436,
il était encore noté pour son inconduite en 1458."
Si Massieu doit encourir effectivement cette mésestime,
comme prêtre, au point de vue disciplinaire, ce n'est pas
une raison pour ne pas lui savoir gré de l'humanité
dont il a fait preuve envers la captive, qui I'honorait de sa confiance
et d'une certaine familiarité. On ne peut oublier que, sur
le désir qu'elle exprima, il la laissa se mettre à
genoux pour prier devant la chapelle du chateau. Il encourut à
ce sujet les grossiers reproches de d'Estivet, qui lui dit : "Qui
te fait si hardy, truand, de laisser approcher de l'église
cette putain excommuniée ? Je te ferai mettre en telle tour
où tu ne verras lune ni soleil d'ici à un mois, si
tu le fais plus !"
Massieu qui, lui aussi, a vu souvent Jeanne "ferrée
par les jambes, même la nuit, de deux paires de fers à
chaînes" et livrée aux injures de cinq Anglais,
l'assista jusqu'au dernier moment. Au cimetière de Saint
Ouen, le 24 mai, il l'amena à abjurer et il lui sauva la
vie, essuyant pour ce fait les violences des Anglais, qui craignaient
que la captive ne leur échappât. Il voulut ensuite
la conduire aux prisons de l'officialité et ne céda
que sur l'injonction contraire de l'évêque. Il l'accompagna
aussi en charrette vers le Vieux-Marché et nous l'entendrons
raconter avec émotion ses derniers instants.
Lorsque Massieu déposa au procès de réhabilitation,
il était curé de la paroisse de Saint-Cande-le-Vieux
de Rouen.
Source
: Albert Sarrazin - "Jeanne d'Arc et la Normandie au XV°
siècle".
Illustrations
:
- Chapelle de la Vierge dans la cathédrale de Lisieux (photo
de Mr Duvivier de Lisieux).
- Armes de Pierre Cauchon (B.N Ms.latin 17026 Fo 139)
- Signature de Guillaume Manchon (Wallon - Jeanne d'Arc)
- Signature de Boisguillaume (Wallon
- Jeanne d'Arc)
- Sceau de Nicolas Taquel, 1445 (Arh. Seine inf.)
Notes :
1 Il séjourné aussi dans l'hôtel canonial
de Loiseleur, rue de la Chaine (n°31 et 33, place des Carmes
aujourd'hui) près de la demeure de son neuve de Rinel.
2 Jean de Rinel accepta la mission d'aller chercher à Paris
les membres de l'Université qui devaient assister au procès.
Il mourut en 1449 et fut enterré à la cathédrale.
3 Lire : la
découverte du corps de Cauchon dans la cathédrale
de Lisieux (Etienne Deville)
4 Elle n'était pas inexacte car D'Estivet est mort le 20
octobre 1438 dans un égoût aux portes de Rouen chargé,
à cette époque, de nombreux bénéfices.
Taquel a seulement mal jugé la durée entre le supplice
et la mort de Benidicité.
5 Il était ami avec Pierre Cochon, l'auteur de la célèbre
chronique normande qui habitait la maison voisine. Il était
comme lui notaire apostolique.
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