|
Procès
de condamnation
- actes postérieurs
Lettre
d'Henri VI aux prélats et nobles de "son"
royaume de France - 28 juin 1431 |
|
"Révérend père
en Dieu. Il est d'assez commune renommée, déjà
divulguée partout, comment la femme qui se faisait appeler
Jeanne la Pucelle, erronée devineresse, s'était, il
y a deux ans et plus, contre la loi divine et l'état de son
sexe féminin, vêtue d'habit d'homme, chose abominable
à Dieu ; et, en cet état, elle s'était transportée
vers notre ennemi capital, auquel et à ceux de son parti,
gens d'églises, nobles et populaire, elle donna souvent à
entendre qu'elle était envoyée de par Dieu, se vantant
présomptueusement qu'elle avait souvent communication personnelle
et visible avec saint Michel, une grande multitude d'anges et de
saintes du Paradis, comme sainte Catherine et sainte Marguerite.
Et par ses faussetés qu'elle donnait à entendre, par
l'espérance qu'elle suscitait de victoires futures, elle
retira plusieurs
cœurs d'hommes et de femmes de la voie de la vérité,
elle les convertit à fables et à mensonges. Elle se
vêtit aussi d'armures, comme les portent chevaliers et écuyers,
leva étendard ; et par trop grand outrage, orgueil et présomption,
elle demanda à avoir et à porter les très nobles
et excellentes armes de France, ce qu'elle obtint en partie. Et
elle les porta en plusieurs conflits et assauts, ainsi que ses frères,
à ce qu'on dit : c'est à savoir un écu à
champ d'azur, avec deux fleurs de lis d'or, et une épée,
la pointe en haut férue en une couronne. En tel état
elle s'est mise aux champs, a conduit gens d'armes et de trait,
en troupes et à grandes compagnies, pour faire et exercer
d'inhumaines cruautés, en répandant le sang humain,
en faisant séditions et commotions de peuples, en les induisant
à parjures et à pernicieuses rebellions, à
superstitions et à fausses croyances, en perturbant toute
vraie paix et en renouvelant guerre mortelle, en souffrant que plusieurs
l'adorassent et la révérassent comme sainte femme,
et en besognant damnablement en divers autres cas trop longs à
exprimer, mais qui toutefois ont été assez connus,
en plusieurs lieux, ce dont presque toute la chrétienté
a été fort scandalisée (1).
Mais la divine puissance, prenant pitié de son
peuple loyal, ne l'a longuement laissé en péril et
n'a point souffert qu'il demeurât dans les crédulités
vaines, périlleuses et nouvelles où il se mettait
si légèrement : elle a permis, par sa grande miséricorde
et clémence, que ladite femme fût prise devant Compiègne
et mise en notre obéissance et domination.
Et , dès lors, nous fûmes requis par l'évêque
du diocèse où elle avait été prise,
de la lui faire délivrer, en tant que notée et diffamée
de crime de lèse-majesté divine, comme à son
juge ecclésiastique. Nous, autant par révérence
pour notre mère sainte Eglise, dont nous voulons préférer
les saintes ordonnances à nos propres faits et volontés,
ainsi que de raison, que pour l'honneur aussi et l'exaltation de
notre dite sainte foi, lui fîmes bailler ladite Jeanne afin
de lui faire son procès ; car nous ne voulions pas que les
gens et officiers de notre justice séculière en prissent
aucune vengeance ou punition, ainsi qu'il nous était licite
de le faire raisonnablement, attendu les grands dommages, les inconvénients,
les horribles homicides, les détestables cruautés
et autres maux innombrables qu'elle avait commis contre notre seigneurie
et notre loyal peuple obéissant. Cet évêque,
adjoint avec lui le vicaire de l'inquisiteur des erreurs et des
hérésies, appelés avec eux un grand nombre
de maîtres solennels et de docteurs en théologie et
en droit canon, commença, en grande solennité et et
gravité bien due, le procès de cette Jeanne. Et, après
que lui et ledit inquisiteur, juges en cette partie, eurent, par
plusieurs et diverses journées, interrogé ladite Jeanne,
ils firent mûrement examiner ses confessions et assertions
par lesdits maîtres et docteurs, et de façon générale
par toutes les Facultés de notre très chère
et très aimée fille l'Université de Paris,
par devers laquelle lesdites confessions et assertions avaient été
envoyées. Suivant ces opinions et délibérations,
les juges trouvèrent cette Jeanne superstitieuse, devineresse,
idolâtre, invocatrice de démons, blasphématrice
envers Dieu, ses saints et ses saintes, schismatique et errant beaucoup
en la foi de Jésus-Christ.
Et pour la réduire et ramener à l'union
et communion de notre dite mère sainte Église, la
purger de si horribles, détestables et pernicieux crimes
et péchés, pour guérir et préserver
son âme de la perpétuelle de damnation, elle fut souvent,
et bien longuement, très charitablement et doucement admonestée
afin que, toutes erreurs par elle répétées
et mises en arrière, elle voulût humblement retourner
à la voie et au droit sentier de la vérité
; autrement elle se mettait en grave péril d'âme et
de corps.
Mais le très périlleux et déjà
signalé esprit d'orgueil et d'outrageuse présomption,
qui s'efforce toujours de vouloir empêcher et perturber l'union,
et sûreté des loyaux chrétiens, occupa tellement
et tint en ses liens le cœur de cette Jeanne que, pour aucune
saine doctrine ni conseil, ni autre douce exhortation qu'on lui
administrât, son cœur endurci et obstiné ne voulut
s'humilier ni s'amollir. Mais souvent elle se vantait que routes
les choses qu'elle avait faites étaient bien faites, qu'elle
les avait faites du commandement de Dieu et desdites saintes vierges
qui lui étaient apparues visiblement ; et, qui pis est, elle
ne reconnaissait et ne voulait reconnaître sur terre que Dieu
seulement, et les saints du Paradis, en refusant et reboutant le
jugement de notre Saint-Père le pape, ceux du concile général
et de l'Église militante universelle. Or les juges ecclésiastiques
voyant son esprit, par si long espace de temps, endurci et obstiné,
la firent amener devant le clergé et le peuple assemblés
en très grande multitude : en leur présence, ses cas,
crimes et erreurs, furent solennellement et publiquement prêchés,
exposés et déclarés par un notable maître
en théologie, pour l'exaltation de notre dite foi chrétienne
, l'extirpation des erreurs, l'édification et l'amendement
du peuple chrétien ; et, de nouveau, elle fut charitablement
admonestée de retourner à l'union de sainte Église,
de corriger ses fautes et erreurs. Sur quoi elle demeura encore
opiniâtre et obstinée.
Et ce considérant, les juges dessusdits procédèrent
à prononcer la sentence contre elle, en tel cas introduite
de droit et ordonnée. Mais avant que cette sentence ne fût
entièrement lue, elle commença, à ce
qu'il semblait, à muer son courage, disant qu'elle voulait
retourner à sainte Église. Ce que volontiers et joyeusement
ouïrent ses juges et le clergé dessusdits, qui la reçurent
bénignement à cela, espérant que par ce moyen
son âme et son corps seraient rachetés de perdition
et de tourment.
Alors elle se soumit à l'ordonnance de sainte
Église, révoqua de sa bouche et abjura publiquement
ses erreurs et détestables crimes, signant de sa propre main
la cédule de ladite révocation et abjuration ; et
comme notre mère sainte Église se réjouit de
ce que la pécheresse fait pénitence,voulant ramener,
avec les autres, la brebis égarée qui s'est fourvoyée
par le désert, elle condamna cette Jeanne à la prison
pour faire pénitence salutaire. Mais guère n'y fut
que le feu de son orgueil, qui semblait être éteint
en elle, ne s'embrasât de flammes pestilentielles sous les
souffles de l'Ennemi ; et bientôt retomba la malheureuse femme
dans les erreurs et fausses folies qu'elle proférait auparavant,
et qu'elle avait depuis révoquées et abjurées,
comme dit est. C'est pourquoi, suivant ce que les jugements et institutions
de sainte Église ordonnent, pour que dorénavant elle
ne contaminât les autres membres de Jésus-Christ, elle
fut de nouveau prêchée publiquement, et, comme étant
retombée à ses crimes et fautes accoutumés,
elle fut délaissée à la justice séculière
qui, incontinent, la condamna à être brûlée.
Or voyant approcher sa fin, elle reconnut pleinement et confessa
que les esprits qu'elle disait lui être apparus si souvent
étaient mauvais et mensongers, que la promesse que ces esprits
lui avaient faite de la délivrer était fausse ; et
ainsi elle confessa qu'elle avait été moquée
et déçue par ces esprits.
Ici fut l'issue de ses œuvres, telle fut la fin
de cette femme ! Et nous vous la signifions présentement,
révérend père en Dieu, pour vous informer véridiquement
de cette matière ; afin que, dans les lieux de votre diocèse
où bon vous semblera, par prédications publiques (2)
ou autrement vous fassiez notifier ces choses pour le bien et l'exaltation
de notre dite sainte foi, pour l'édification du peuple chrétien
qui a été longuement décu et abusé à
l'occasion des œuvres de cette femme. Ainsi vous pourrez pourvoir
comme il appartient à votre dignité, à ce que
nul, parmi le peuple qui vous est confié, n'ait l'audace
de croire légèrement de telles erreurs et périlleuses
superstitions, particulièrement en ce temps présent,
dans lequel nous voyons se dresser plusieurs faux prophètes
et semeurs de damnables erreurs et folles croyances, levés
contre notre sainte mère sainte Église par folle hardiesse
et outrageuse présomption, et qui pourraient peut-être
contaminer le peuple chrétien du venin de fausse croyance
si Jésus-Christ, en si miséricorde, n'y pourvoyait,
et si vous
et ses ministres, comme il leur appartient, n'entendiez diligemment
rebouter et punir les volontés et folles hardiesses de ces
hommes réprouvés.
Donné en notre ville de Rouen, le 28° jour
de juin 1431. (3)
Sources
: "Condamnation
de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921), "Procès
de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly (1868), "La minute française
des interrogatoires de La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)
Texte mis en Français moderne.
Notes :
1 A part les pays d'obédience anglo-bourguignonnes, les rapports
et lettres de cette époque qui nous sont parvenues montrent
que les déroutes anglaises ont plutôt réjoui
la chrétienté, y compris les pays neutres.
2 L'inquisiteur Jean Graverent prononcera le 4 juillet 1431 à
Paris un sermon dans lequel il parlera de la fin de Jeanne d'Arc.
3 C'est toujours un tissu de mensonges mais bien que de nombreuses
parties soient copiées sur la lettre
du 8 juin, on ne reconnait pas dans celle-ci le style mielleux et
pompeux de Cauchon.
Ces lettres se retrouveront chez les chroniqueurs bourguignons Chastelain
et Monstrelet.
|