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Procès
de condamnation
- actes postérieurs
Lettre
d'Henri VI aux princes de la chrétienté - 8
juin 1431 |
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"Votre impériale Grandeur
(1) - sérénissime roi
et notre frère très cher - est connue par l'affection
très dévouée et le zèle qu'elle porte
à l'honneur de la foi catholique et à la gloire du
nom du Christ. Vos nobles efforts et vos courageux labeurs sont
assidûment dirigés vers la protection du peuple fidèle,
pour livrer combat à la malice des hérétiques.
Vos esprits exultent donc d'une immense joie, toutes
les fois que vous apprenez qu'en vos terres la foi sacro-sainte
a été exaltée et la pestilence des erreurs
opprimée. Ce qui nous meut à écrire à
votre sérénité au sujet de la juste punition
qu'a subie récemment, pour ses démérites, certaine
devineresse mensongère qui parut, il y a peu de temps, en
notre royaume de France.
Certaine
femme
y avait en effet surgi, d'une étonnante présomption,
que le vulgaire appelait la Pucelle, et qui, à l'encontre
de la décence naturelle, adoptant l'habit d'homme, couverte
de l'armure militaire, s'entremit audacieusement de massacres humains
en plusieurs rencontres belliqueuses et parut en divers combats.
Et sa présomption monta à ce point qu'elle s'était
vantée d'être envoyée de par Dieu pour mener
ces luttes guerrières, et que saint Michel, saint Gabriel,
une multitude d'autres anges, ainsi que les saintes Catherine et
Marguerite, lui apparurent visiblement. Ainsi, durant presque une
année entière, elle a séduit les les populations,
de proche en proche, si bien que la plupart des hommes, détournés
d'ouïr la vérité, donnaient créance aux
fables que la rumeur publique propageait à travers presque
tout l'univers sur les gestes de cette superstitieuse femme. Enfin
la divine clémence, prenant en pitié peuple qu'elle
voyait tout ému et si légèrement donner dans
ces crédulités nouvelles et périlleuses au
plus haut point avant d'avoir la preuve qu'elle était inspirée
de Dieu, a mis cette femelle en nos mains et en notre puissance.
Quoiqu'elle eût infligé à nos gens
plusieurs défaites, qu'elle eut apporté en nos rovaumes
beaucoup de dommages, et que, de ce fait, il nous eût été
loisible de lui faire immédiatement subir de graves châtiments,
néanmoins nous n'avons pas eu un moment le dessein de venger
ainsi notre injure et de la bailler immédiatement à
la justice séculière pour qu'elle en fît punition.
Mais nous avons été requis par l'évêque
du diocèse où elle fut prise, afin de la rendre à
la juridiction ecclésiastique pour être jugée,
car on la réputait avoir commis des crimes graves et scandaleux
au préjudice de la foi orthodoxe et de la religion chrétienne.
Alors seulement, comme il convient à un chrétien roi,
révérant de filiale affection l'autorité ecclésiastique,
nous avons aussitôt livré ladite femme au jugement
de notre sainte mère l'Église et à la juridiction
dudit évêque.
Et celui-ci certes, en toute solennité et gravité
bien honorable, pour l'honneur de Dieu et la salutaire édification
du peuple, après s'être adjoint le vicaire de l'inquisiteur
de la perversité hérétique, a conduit de la
sorte ce très insigne procès. Et quand lesdits juges
eurent interrogé cette femme durant de longs jours, ils firent
examiner ses confessions et assertions par les docteurs et maîtres
de l'Université de Paris et par plusieurs autres personnes
infiniment lettrées ; d'après leurs délibérations,
ils tinrent pour manifeste que cette femme était superstitieuse,
devineresse, idolâtre, invocatrice de démons, blasphématrice
envers Dieu, les saints et les saintes, schismatique et fort errante
en la foi de Jésus-Christ.
Or, afin que cette misérable pécheresse
fut purgée de si pernicieux crimes, que son âme trouvât
médecine en l'extrémité de ses maux, elle fut
admonestée fréquemment par de charitables exhortations,
durant bien des jours, afin que, rejetant toutes erreurs, elle marchât
dans le droit sentier de la vérité et se gardât
du grave péril menaçant et son corps et son âme.
Mais l'esprit de superbe s'empara de son esprit à
ce point que par nul moyen son coeur de fer ne put être amolli
par saines doctrines et salutaires conseils. Loin
de là, opiniâtrement, elle se vanta d'avoir tout fait
par le commandement de Dieu et des saintes qui lui apparaissaient
visiblement ; et, ce qui était pire encore, elle ne reconnaissait
nul juge sur la terre ; à nul elle ne se soumettait, si ce
n'est à Dieu seul et aux bienheureux de la triomphante patrie,
vomissant le jugement de notre Saint-Père le pape, ceux du
concile général et de toute l'Église militante.
D'où les dits juges virent tout l'endurcissement
de son esprit : c'est pourquoi cette femme fut citée, en
présence du peuple ; on lui déclara ses erreurs, dans
une
prédication publique, et des admonitions finales lui furent
faites. Enfin la sentence de condamnation desdits juges commença
à être portée. Mais, avant la fin de cette lecture,
cette femme changea son ancien propos et proclama qu'elle allait
dire choses meilleures. Ce que juges accueillirent d'un esprit joyeux
; espérant avoir racheté son corps et son âme
de la perdition, ils prêtèrent à son discours
des oreilles favorables. Alors elle se soumit à l'autorité
de l'Eglise, révoqua et à pleine bouche ses erreurs
et ses crimes pestilentiels, souscrivant de sa propre main la cédule
de cette révocation et abjuration.
C'est ainsi que notre pieuse mère l'Église
se réjouit quand la pécheresse mène pénitence,
ramenant au bercail la brebis égarée qui errait au
désert : ainsi elle la fit mettre aux prisons pour faire
salutaire pénitence. Mais le feu de sa superbe, qui semblait
alors étouffé, excité de nouveau par le souffle
des démons, monta tout à coup en flammes pestilentielles
; cette malheureuse femme retourna à ses erreurs, à
ces mensongères infâmies qu'elle avait vomies naguère.
Enfin, comme les sanctions canoniques l'ordonnent, pour ne pas porter
pourriture aux autres membres du Christ, elle fut abandonnée
au jugement de la puissance séculière qui décida
que son corps devait être brûlé (2).
Et cette misérable, voyant alors sa fin proche,
reconnut ouvertement et confessa pleinement que les esprits qu'elle
prétendait lui être apparus visiblement, maintes fois,
n'étaient que des esprits malins et menteurs ; que sa délivrance
de prison lui avait été faussement promise par ces
esprits, qu'elle avouait avoir été moquée et
déçue.
Telle fut l'issue, telle sa fin. Roi sérénissime,
nous avons cru bon, pour lors, de vous dévoiler, afin que
votre Grandeur royale puisse connaître avec certitude la chose
elle-même et informer autrui de la mort de cette femme.
Car il y a une chose que nous estimons tout à
fait nécessaire aux peuples fidèles, c'est que, par
votre sérénité et les autres princes, tant
ecclésiastiques que séculiers, les peuples catholiques
soient induits soigneusement à ne pas donner créance
légère aux superstitions et frivolités erronées
; surtout à une époque comme celle que nous venons
de traverser, où nous avons vu surgir en diverses régions
plusieurs pseudo-prophètes et semeurs d'erreurs, qui, dressés
dans leur impudente audace contre notre sainte mère l'Église,
infecteraient sans doute tout le peuple de Christ si la miséricorde
céleste, et ses fidèles ministres, ne s'appliquaient
pas avec une vigilante diligence à repousser et à
punir les efforts de ces hommes réprouvés.
Daigne Jésus-Christ conserver votre Grandeur,
roi sérénissime, pour la protection de son Église
et de la religion chrétienne, durant de longs jours, avec
prospérité et succès de vos voeux !
Donné à Rouen, le 8 juin 1431. (3)
Source: "Condamnation
de Jeanne d'Arc" de Pierre Champion (1921), "Procès
de Jeanne d'Arc" - E.O'Reilly (1868), "La minute française
des interrogatoires de La Pucelle" - P.Doncoeur (1952)
Notes :
1 L'empereur Sigismond, mort le 9 décembre 1437. Les Français
comptèrent sur sa médiation après Azincourt
en 1415. Il passa au contraire dans les rangs anglais et devint
l'allié d'Henri V.
2 à l'encontre de toute les règles de la procédure
judiciaire, elle fût brûlée sans aucune sentence
du juge séculier comme le montrera le procès de réhabilitation.
3 Pour terminer au mieux toute cette machination politique contre
Charles VII, il convenait d'aviser les princes de la Chrétienté
de la mort de Jeanne d'Arc, en la présentant comme une folle
hérétique à tous les princes de la chrétienté.
On reconnait d'ailleurs dans cette diatribe le style pompeux et
sirupeux de Cauchon.
L'avenir montrera que le crime ne paye pas. Les Anglais et les Bourguignons
iront de défaites en déconfitures jusqu'à leur
expulsion totale vers 1455.
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